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Figure 1

Brasília, de nuit. Aux Nations-Unies Jair Bolsonaro déclare : « Le Brésil est à présent plus sûr et encore plus accueillant. Nous venons d’étendre l’exemption de visa à des pays comme les États-Unis, le Japon, l’Australie et le Canada »[1]. Crédits Gérard Wormser

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Introduction

Le GENA s’est constitué à la fin de l’année 2018 pour répondre à une urgence politique et théorique. La situation mondiale est marquée par une crise majeure des formes de la démocratie libérale. Cette crise a été d’abord mise en évidence par des mouvements démocratiques entre 2010 et 2016. Puis elle s’est manifestée dans un tout autre sens, avec la montée en réaction de forces d’extrême droite et l’apparition de gouvernements aux aspects ouvertement dictatoriaux, nationalistes, violents, fascisants, racistes, sexistes. Trump, Salvini, Bolsonaro, Orban ou Erdogan en sont les sinistres figures emblématiques. Cette montée en puissance des forces anti démocratiques reçoit aujourd’hui l’appui des puissances économiques privées et des gouvernements de certains États capitalistes, notamment des États-Unis et de la Russie.

L’année 2016 aura été sans doute une année charnière dans le basculement de la conjoncture politique mondiale : golpe parlementaire qui renverse Dilma Rousseff au Brésil, coup d’État en Turquie qui permet à Erdogan de renforcer son pouvoir personnel et de lancer une campagne de répression, élection pleine de coups fourrés de Trump en novembre. Depuis lors, nous avons affaire non pas seulement à un classique effet de balancier de gauche à droite, mais à un processus politique nouveau et plus profond qui nécessite un diagnostic clair, des analyses concrètes et précises, un effort de conceptualisation indispensable.

Cette séquence historique ne tombe pas du ciel. De nombreux signaux et depuis plusieurs décennies permettaient de pressentir un tel moment politique, effet d’une combinaison de facteurs différents, mais tous liés à l’effondrement de la croyance dans la « représentation ». Il suffisait pour l’anticiper d’être attentif au sentiment d’exclusion ou de marginalisation d’une grande partie de la population, à la montée d’une colère « anti-système » comme à la haine croissante envers des minorités, des étrangers ou des « ennemis de l’intérieur ». On aurait tort de se contenter en guise d’explication de catégories mi-politiques, mi-médiatiques, comme celle de « populisme » d’un côté, ou celle de « fascisme » de l’autre . Ces caractérisations saisissent certains aspects, certains ressorts, certaines pulsions et passions, mais leur degré de généralité, parfois leur anachronisme ou leur essentialisme, nuisent à la saisie du phénomène dans sa nouveauté, dans sa diversité, mais aussi dans ses racines et ses logiques.

Ce moment de crise vient donc de loin. Il n’a certes pas une cause unique, mais son principal facteur est la mise en œuvre depuis plusieurs décennies d’un type de gouvernement néolibéral qui s’est soustrait au contrôle des citoyens pour imposer des transformations profondes des sociétés et des subjectivités. Cette érosion progressive des bases mêmes de la démocratie a atteint aujourd’hui une phase aiguë. Nous entrons dans une nouvelle période marquée par l’antinomie de plus en plus flagrante entre les principes de la démocratie libérale et la logique du néolibéralisme. On parle parfois d’un « nouveau fascisme ». Il est certain que la haine et la pulsion meurtrière sont au cœur de leur expansion, comme le montre le cas du Brésil aujourd’hui. Pourtant, il y a des différences importantes avec le fascisme classique. Les ignorer conduirait à se tromper de diagnostic. À la différence des années 1930 qui avaient vu l’émergence des fascismes européens en réaction au « laisser faire » du libéralisme économique et à ses conséquences, les néolibéralismes nationalistes, autoritaires et xénophobes d’aujourd’hui ne cherchent pas à « réencastrer le marché » dans l’État total, ni même, plus simplement, à « encadrer les marchés », ils visent au contraire à accélérer l’extension de la rationalité capitaliste et à accroître les inégalités économiques, conséquence inévitable du « libre » jeu de la concurrence et des privatisations. Ces nouveaux néolibéralismes brutaux ne peuvent être mis en œuvre qu’en dehors du cadre libéral classique. Ils n’obtiennent un appui populaire qu’en déplaçant les enjeux politiques du terrain de l’injustice sociale vers le terrain des « valeurs » de la nation et de la religion, en détournant la colère, la frustration et les peurs sociales vers un ensemble de cibles considérées comme autant de « déviants » et de « menaces », immigrés, noirs, femmes, homosexuels, syndicalistes, militants, intellectuels, c’est-à-dire contre toutes les forces démocratiques qui s’opposent à cette mise au pas de la société. Derrière l’apparence fragile de la légalité formelle, ces néolibéralismes mènent une guerre contre la démocratie. Le cas du Brésil est particulièrement instructif à cet égard. il n’est pas un domaine de la vie quotidienne et pas une institution qui ne soit pas menacé d’une régression des droits humains, de la liberté de pensée et de l’égalité. Les attaques répétées contre l’environnement, le marché du travail, le système de retraites, l’université et l’école publique, les droits des peuples autochtones en témoignent.

Le Brésil, avec l’élection de Jair Bolsonaro à la fin de 2018, a rejoint la cohorte de ces sortes de régimes dirigés par d’improbables leaders. L’analyse du phénomène bolsonariste, pas plus d’ailleurs qu’à l’instar du phenomène trumpiste, ne peut se contenter de remarquer l’effroyable nullité du sinistre personnage, ni la part de dérangement mental qui le fait s’agiter et parler. Il faut comprendre ce qui a provoqué son élection par une majorité d’électeurs brésiliens, qui vivaient pourtant depuis trente ans sous une constitution démocratique parlementaire et après quatorze ans de gouvernements de gauche.

Au-delà de ce qui affecte le seul Brésil, la question est bien de savoir comment un pays glisse vers un régime hyper-néolibéral aux aspects fascisants de plus en plus manifestes. En effet, aucun pays ne peut se dire immunisé contre un tel basculement. La France, avec la répression policière et judiciaire inédite des Gilets jaunes, montre par exemple combien des institutions dites « républicaines » se transforment en instruments aveugles d’un néolibéralisme de moins en moins attaché aux formes les plus élémentaires de la démocratie.

La question principale posée durant le colloque du GENA et qui se retrouve dans ce dossier a donc été de se demander en quoi le Brésil est une illustration du nouveau cours mondial du néolibéralisme.

Cette question a été prise sous deux angles différents et complémentaires. On s’est demandé à la fois en quoi le Brésil reflétait ce nouveau cours mondial du néolibéralisme nationaliste et brutal, et ce que le Brésil d’aujourd’hui nous apprenait plus spécifiquement sur ce nouveau cours, de manière à articuler autant que nous le pouvions le phénomène mondial général et la situation brésilienne en particulier. Ce double regard est indispensable à l’analyse, car nous sommes à une époque où s’impose le devoir de penser les phénomènes politiques, sociaux et économiques qui ont lieu dans des pays donnés dans leur globalité, condition pour les comprendre, mais aussi pour les combattre lorsqu’ils mettent en danger la démocratie et la liberté de penser, comme c’est le cas aujourd’hui. La coopération internationale en matière de recherche est plus que jamais un enjeu de connaissance et de démocratie. C’est ce que le colloque a également voulu démontrer.

Sommaire

Partie I. Le Brésil, laboratoire du néolibéralisme autoritaire

Les raisons d’un basculement politique

Quel virage politique au Brésil ?

Le Brésil dans le contexte de l’Amérique latine

Partie II : Le néolibéralisme autoritaire au miroir du Brésil

Crise de la démocratie et guerre contre la démocratie

Nous avons appris le décès de Ruy Fausto à la veille de la publication du dossier, auquel nous avons intégré l’hommage :

La nouvelle gouvernementalité néolibérale hyperautoritaire

Résistance, solidarité, internationalisme