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Le premier roman d’Étienne Ruhaud[1] est d’abord l’histoire d’un jeune homme d’aujourd’hui. Cet homme est un jeune corrézien venu gagner sa vie à Paris, comme on dit encore. Nous pouvons alors penser au récit d’une réussite qui conduirait de l’obscurité corrézienne vers la lumière parisienne. Il n’en est rien et l’auteur nous prend à contrepied car dès le début du roman tout s’inverse et œuvre à la perte du jeune héros : les circonstances autant que le personnage en composent la fresque funeste et irrémédiable. Et précisément ce roman accommode une destinée moderne au sens tragique, à une forme de la mythologie. C’est une première raison de lire Disparaître, court roman dont l’action se déroule alternativement en intérieur (chambre, foyer…) et en extérieur (banlieue, ville). Le héros subit son sombre itinéraire parce qu’il est le plus souvent agi par les événements et le surmoi collectif. L’identité de Renaud se révèle principalement par la négation, sur le négatif du film : « je n’ai guère envie », « sans vous demander ce que vous pensez », « je n’ai pas le courage d’avouer ce nouvel échec professionnel »… Le titre Disparaître signifie ici effacement progressif derrière un réel trop épais.
Ce réel c’est la banlieue parisienne, vaste agglomérat urbain ou péri-urbain hébergeant une multiplicité d’existences dans des conditions variables. Alors, l’autre personnage central de Disparaître est bien cette banlieue, seconde raison de lire le livre. La vie en banlieue, ce sont les déplacements : RER, métro, route mais aussi la marche à pied. Ce sont les édifices disposés sur le damier des villes : supermarchés, fast food, stations de RER, HLM. Les déambulations du héros s’accordent à une certaine âme sinistre de la banlieue. Le mérite d’Étienne Ruhaud est bien de faire place à cette âme de la banlieue, parfois peu reluisante mais bien concrète pour beaucoup. La littérature française accorde peu de place à la banlieue en tant que lieu d’intrigue, bien à tort. Mais il y a des références. Blaise Cendrars a évoqué « la zone » parisienne dans ses chroniques autobiographiques, correspondant au XIIIe arrondissement et au-delà. Louis-Ferdinand Céline a décrit la banlieue glauque où il exerça la médecine. Plus proche, le roman policier a pris la banlieue et la ville pour décor. Nous songeons également au roman noir, le roman de la déveine, des accidentés de la vie
Disparaître témoigne en effet d’un souci du détail proche de l’enquête documentaire.
Mais quel sens donner à sa mise en scène ? Elle témoigne d’une détérioration : « seuls quelques arbres osseux », « douloureuse logique de bétons, de blocs, de parcs rabougris, de ghettos… ». Si la banlieue parisienne n’a jamais été bien lumineuse l’époque, sur fond de crise globale, en aggrave le tableau meurtri. Au chaos architectural « inesthétique » s’ajoutent la vide invasion publicitaire, le portrait d’une foule vivant l’isolement individualiste, la paupérisation, les carences affectives ou tout simplement le manque d’amour. Comme si l’ensemble sinistre n’avait que le néant à offrir aux existences fragiles. Merci à Étienne Ruhaud d’élargir cet horizon de la banlieue, de la ville en tant que territoire littéraire.
Appendices
Note
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[1]
Disparaître, Roman d’Étienne Ruhaud. Préface de Dominique Noguez, 112 pages. Éditions Unicité, Rosny-sous-Bois, 2013.