Abstracts
Résumé
À partir des années 2000, plusieurs chefs d’États africains ont choisi de modifier leurs constitutions ou tout simplement de les changer dans le but de rester au pouvoir. La République de Guinée n’en fait pas exception. Le président de la République fait adopter, lors d’un double scrutin très controversé et émaillé de violences le 22 mars 2020, une nouvelle Constitution. Cet article analyse les conséquences d’un changement constitutionnel en Guinée sur le cadre électoral, l’alternance politique et le respect des principes démocratiques. Comment la nouvelle Constitution contribue-t-elle à faire vaciller l’alternance politique, renforcer l’emprise du pouvoir exécutif et accroître l’asservissement des institutions électorales ? À travers une analyse empirique, cet article rend compte des changements dans la pratique électorale, du recul démocratique, de l’instrumentalisation de la norme fondamentale et de l’instabilité politique qu’entraine le changement de constitution. Il s’appuie sur une comparaison des textes fondamentaux et l’analyse de l’évolution des dynamiques de représentations sociales et politiques du pays.
Mots-clés :
- Constitution,
- Élections,
- Instabilité politique,
- Alternance politique,
- Changement constitutionnel
Abstract
From the 2000s, several African heads of state chose to modify their constitutions or simply to change them in order to stay in power. The Republic of Guinea is no exception. The President of the Republic adopted a new Constitution during a very controversial and violent double poll on March 22, 2020. This article analyzes the consequences of a constitutional change in Guinea on the electoral framework, political alternation and respect for democratic principles. How does the new Constitution help to topple political changeover, strengthen the strengthening of executive power and increase the enslavement of electoral institutions? Through an empirical analysis, this article reports on changes in electoral practice, democratic decline, the instrumentalization of the fundamental norm and the political instability that results from the change of constitution. It is based on a comparison of fundamental texts and an analysis of the evolution of the dynamics of social and political representations of the country.
Keywords:
- Constitution,
- Elections,
- Political Instability,
- Political Alternation,
- Constitutional Change
Article body
Introduction
La démocratisation en République de Guinée de manière générale est un concept consensuel dans les discours et conflictuel dans la pratique. Tous les gouvernements depuis le 2 octobre 1958 (date de l’indépendance vis à vis de la France) se réclament démocratiques. Cependant, il n’en demeure pas moins que le bilan mitigé des régimes dans la pratique révèle les limites dans le respect des principes démocratiques. Les outils permettant la mise en pratique de cet idéal démocratique sont souvent mis à rudes épreuves : constitutions suspendues, institutions dissoutes, droits de l’homme piétinés, alternances rompues. Ainsi, les constitutions en Guinée ont souvent été malmenées par les gouvernements. La constitution comme définie dans le dictionnaire du vote est l’ensemble des règles ayant valeur suprême dans l’ordre juridique interne. Son élaboration peut procéder d’un vote de la part de l’instance chargée de l’élaborer, dite de ce fait constituante (Bacot 1994, 50). L’histoire constitutionnelle récente de la République de Guinée remonte à la transition de 2010. Au lendemain du coup d’État du 23 décembre 2008[1], la constitution du 23 décembre 1990 (18 ans après jour pour jour) est suspendue. Le Capitaine Moussa Dadis Camara qui dirige le pays depuis le coup d’État est remplacé par le Général Konaté suite à la déclaration conjointe[2] de Ouagadougou du 15 janvier 2010, connue sous le nom d’Accord de Ouaga (« Texte intégral de la déclaration conjointe de Ouagadougou » 2010). Un accord de 12 points qui fixe les conditions d’une transition en Guinée. Les points quatre[3] et huit[4] de cet accord ont permis d’établir le cadre de la transition notamment la création du Conseil national de transition CNT (Organe chargé de légiférer durant la période transitoire) et l’interdiction aux militaires de se présenter aux élections.
Opposant de tous les régimes pendant 40 ans, le président Alpha Condé a été élu en 2010. Ces élections ont été accueillies comme les premières élections démocratiques du pays. Pourtant, au terme de son deuxième et dernier mandat, le président (Condé 2020) fait adopter lors d’un double scrutin très controversé[5] le 22 mars 2020 (législatives et référendum), une nouvelle constitution et fait élire une nouvelle Assemblée nationale monocolore. Les résultats du double scrutin du 22 mars annoncent un total déséquilibre au sein des futures institutions issues de ce scrutin. Le référendum constitutionnel a été adopté à 89,76 % selon les résultats définitifs de la Cour constitutionnelle (« Arrêt nº AE 007 du 03 avril 2020 : Proclamation du résultat définitif du référendum du 22 mars 2020 pour l’adoption d’une nouvelle Constitution » 2020) largement contestés par l’opposition. Le RPG Arc-en-ciel[6] a remporté plus de deux tiers des sièges à l’Assemblée avec 79 sièges sur 114 selon les résultats publiés par le président de la CENI[7] et les 35 autres sièges sont attribués aux partis satellites du RPG dont certains leaders sont des ministres du Gouvernement. Des élections boycottées par les principaux partis politiques d’opposition et dénoncées par l’Union Européenne (UE), l’Union Africaine (UA), la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et les États-Unis entre autres dans différentes déclarations postélectorales.
En dénonçant l’illégitimité de la Constitution sur laquelle il a prêté serment en 2010, du fait de son adoption par ordonnance, il fait adopter lui-même une nouvelle Constitution qui n’a connu ni assemblée constituante encore moins de débats publics à l’Assemblée nationale. La nouvelle Constitution peut-elle faire vaciller l’alternance politique, renforcer l’emprise du pouvoir exécutif et accroitre l’asservissement des institutions électorales ? Le double scrutin du 22 mars 2020 est un indicateur du recul démocratique en Guinée. Il intervient dans un contexte de déchaînement de violences et de crise due à la pandémie de la Covid-19. Le pays connait ces dernières années des violences politico-ethniques qui inquiètent et interpellent tous les observateurs et partenaires du pays. Des violences qui résultent le plus souvent des problèmes politiques, électoraux et ethniques. Les principaux partis politiques sont constitués sur des bases ethniques et régionalistes. Le parti au pouvoir le RPG est identifié comme le parti de la communauté des Malinkés et l’UFDG de Cellou Dalein Diallo (le principal opposant depuis 2010) comme celui de la communauté des Peuls. Les enjeux de ce double scrutin sont d’abord : celui du contrôle de l’administration électorale par le pouvoir ouvrant la possibilité pour le président de concourir et remporter les prochains scrutins, ensuite le contrôle de la Cour constitutionnelle qui est en même temps le juge électoral. Ce qui lui garantit une victoire pour tous les scrutins et particulièrement la prochaine présidentielle.
L’imbroglio juridique autour du changement constitutionnel a déjà conduit à la modification de vingt-et-une dispositions de la Constitution entre son adoption le 22 mars et sa publication au journal officiel le 14 avril 2020, élargissant davantage les pouvoirs du président et obligeant la CC à rendre un arrêt[8] pour préciser la Constitution qui serait en vigueur. Les contestations et violences qui ont suivi mettent en évidence les limites des discours populistes qui prétendent rétablir le peuple dans ses droits et questionnent la cohérence et la rationalité de l’action de l’État. La légitimité, l’indépendance, l’impartialité et la capacité technique de la Commission électorale à organiser des élections libres et transparentes[9] sont remises en cause. Le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), une coalition créée le 4 avril 2019 qui rassemble les principaux partis politiques de l’opposition et les organisations de la société civile tente par tous les moyens d’empêcher le président Alpha Condé de briguer un 3e mandat.
Cet article rend compte des changements opérés dans la nouvelle Constitution qui bouleversent l’environnement électoral en Guinée. Dans sa double conception des facteurs qui agissent sur l’évolution des constitutions en Guinée, à savoir l’adaptabilité aux réalités sociales et la stabilité que prétend encadrer la Constitution, les constitutions guinéennes interrogent leurs propres rigidités et sacralités quand elles sont confrontées à des dirigeants qui s’inscrivent dans le prolongement des mandats, tandis que l’étude des textes constitutionnels permet d’exposer les sources d’un recul démocratique matérialisé par l’instabilité politique, le changement de constitution et l’absence d’alternance politique.
Pratique électorale dans la nouvelle Constitution : évolution ou recul démocratique ?
Dans le système politique guinéen, depuis l’avènement du multipartisme et de l’ouverture démocratique en 1990, les élections nationales sont exclusivement réservées aux partis politiques. L’administration électorale d’abord assurée par le Ministère de l’Administration Territoriale jusqu’en 2006 est désormais partagée entre la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), le Ministère de l’Administration Territoriale (comme organe d’appui technique) et la Cour constitutionnelle (comme juge électoral). Les constitutions de 1990 et de 2010 ont gardé une logique d’ouverture exclusive aux partis politiques des compétitions électorales nationales (présidentielle et législatives). Il existe environ 150 partis politiques pour seulement 4 270 531 (« Annuaire statistiques 2013 » 2016, 33) électeurs en 2010 selon l’Institut National des statistiques (INS) de Guinée. Cette prolifération de partis politiques pour un électorat assez faible est le résultat d’une libéralisation excessive et d’un laxisme dans le contrôle des partis politiques. Pour certains acteurs, les conditions de participation aux élections nationales sont assez restreintes, car ne permettant pas aux indépendants qui ne se sentent pas proches des partis traditionnels de participer aux élections nationales. L’un des arguments avancés également par le parti au pouvoir pour justifier le changement constitutionnel avant de faire machine arrière. Comment la nouvelle constitution bouleverse-t-elle les règles électorales de participations et d’exercice des mandats ?
Les candidatures indépendantes : revirement et durcissement
Depuis le début de la campagne électorale, les partisans du changement constitutionnel n’ont cessé de mettre en avant l’ouverture aux candidatures indépendantes pour toutes les élections nationales. L’article 42 de la Constitution adoptée le 22 mars (2020) dispose que
Tout candidat à la Présidence de la République doit être de nationalité guinéenne, jouir de ses droits civils et politiques, d’un état de bonne santé certifié par un collège de médecins assermentés par la Cour Constitutionnelle quarante jours au moins et soixante jours au plus avant la date du scrutin. Trente-neuf jours avant le scrutin, la Cour Constitutionnelle arrête et publie la liste des candidats. Les électeurs sont alors appelés par décret.
Deux changements majeurs étaient prévus. D’abord, la suppression de l’âge minimum pour être candidat à la présidentielle qui était de 35 ans dans la Constitution du 7 mai 2010. Ensuite, la suppression de l’obligation d’être présenté par un parti politique. Cette disposition avait ouvert la possibilité aux candidats indépendants de se présenter à toutes les élections nationales contrairement aux constitutions antérieures.
Cependant, le Barreau des avocats de Guinée a révélé suite à la publication de la Constitution le 14 avril 2020 des changements sur 21 articles entre le projet de constitution adopté le 22 mars et la Constitution publiée le 14 avril et qualifie de « délinquance juridique » (« Le Barreau de Guinée exige le retrait du document "qu’on appelle "nouvelle constitution" » 2020) cette falsification. L’article 42 précise désormais que tout candidat à la présidence de la république doit justifier de parrainage des électeurs déterminé par le Code électoral[10] et qu’aucune candidature n’est recevable si elle n’est présentée par un parti politique légalement constitué ou par une coalition de partis politiques. Au-delà du débat purement juridique sur la forme, le tripatouillage constitutionnel est le résultat de la mascarade organisée pour tenter de légitimer une réforme balbutiante qui sert de prétexte pour permettre au président de se maintenir. Avec environ 150 partis politiques pour moins de 5 millions d’électeurs et une population de 12 millions d’habitants, la Guinée est un pays très politisé où les activités qui dominent depuis plus de dix ans sont liées aux processus électoraux. Ce qui laisse peu de place aux autres activités. La première conséquence est l’attrait massif des citoyens aux débats politiques et à la reconversion vers les activités politiques (« Rapport d’études sur la participation politique en Guinée » 2018). Or, comme le synthétise Jorge Miranda (1997, 441), le phénomène des candidatures est lié à un paradoxe : d’une part, le suffrage universel consacre la capacité électorale active, mais d’autre part, une réduction de la capacité électorale passive doit être constatée. Cela pourrait aussi ouvrir la voie à de futurs changements constitutionnels instrumentalisant à nouveau un cadre dont une certaine pérennité est indispensable à son bon fonctionnement.
Le rallongement de la durée du mandat présidentiel
Les contestations organisées par le FNDC depuis la création du mouvement sont fondées essentiellement sur un empêchement d’un éventuel troisième mandat présidentiel qui découlerait d’un changement constitutionnel. L’article 27 de la constitution de 2010 dispose que :
Le président de la République est élu au suffrage universel direct. La durée de son mandat est de cinq ans, renouvelable une fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non .
(2010)
Un article renforcé par la disposition 154 qui garantit l’intangibilité de la durée et du nombre de mandats.
La Constitution adoptée le 22 mars permet au président de partir non seulement sur un nouveau mandat, mais également un mandat rallongé qui passe de 5 à 6 ans (2020, art. 40)[11]. L’article 40 de la Constitution du 22 mars est le noyau du changement constitutionnel. Il permet non seulement au président de se présenter, mais il rallonge également la durée du mandat de 5 à 6 ans. Tous les référendums constitutionnels en Guinée ont permis le rallongement de la durée des mandats. En 2001, la révision constitutionnelle a permis le passage du quinquennat (5 ans) au septennat (7 ans) sous le régime du Général Lansana Conté. L’intensification des manifestations de l’opposition d’un côté et la radicalisation du gouvernement dans la conduite de son chronogramme électoral de l’autre côté fragilisent le tissu social et favorisent les violences. Le FNDC et les principaux partis de l’opposition (l’UFDG, l’UFR, le Bloc Liberal, et le PEDN) dénoncent ce qu’ils appellent un « coup d’État constitutionnel » (FNDC 2020a). Une situation déjà connue en 2001 où le président de l’Assemblée nationale Boubacar Biro Diallo (1995 - 2002) avait aussi dénoncé « un coup d’État constitutionnel » (FNDC 2020a).
L’instrumentalisation de la norme fondamentale
La Guinée est à sa 4e constitution depuis son indépendance en 1958. La constitution de 1958, de 1982, de 1991 (révisée en 2001), de 2010 et enfin celle de 2020. Dans la théorisation des constitutions, il existe une triple approche : d’abord une distinction entre constitutions matérielles qui est l’ensemble des règles juridiques relatives à l’organisation des compétences au sein de l’État, et la constitution formelle, définie comme un acte original établi par un organe spécial et suivant des procédures particulières. Ensuite, une distinction entre constitution écrite et constitution coutumière. Enfin, les constitutions rigides et celles dites souples. En Guinée, la modification de la constitution de 1990 lors du référendum du 11 novembre 2001 qui a permis au Général Lansana Conté de supprimer la limitation de mandats, le changement de constitution en 2010 suite au coup d’État de 2008 et le changement de constitution en 2020 qui permet par la même occasion au président Alpha Condé de se présenter pour deux mandats supplémentaires, annihile le principe de rigidité et de sacralité des constitutions en Guinée.
Tous les changements constitutionnels intervenus en dehors des coups d’État en Guinée ont pour motif principal une suppression du verrou de la limitation de mandats et l’élargissement des pouvoirs du président de la République. Des constitutions instrumentalisées au service d’un exécutif en quête d’un prolongement ou d’un élargissement de pouvoirs. Une pratique qui a tendance à se normaliser. Comment la Constitution de 2020 renforce-t-elle le pouvoir exécutif et accroit l’asservissement des institutions électorales ?
Des élections sous contrôle de la majorité
En Guinée, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) est l’organe chargé de l’établissement et de la mise à jour du fichier électoral, de l’organisation, du déroulement et de la supervision des opérations de vote. Elle en proclame les résultats provisoires (2020, art. 140, 2010, art. 132). La loi organique L/2018/044/AN du 5 juillet 2018 (Condé 2020)[12] sur la CENI, en son article 6, prévoit un total de 17 membres répartis comme suit: deux membres désignés par les organisations de la société civile, un par l’administration et quatorze par les partis politiques (dont sept par les partis de la mouvance présidentielle et sept par ceux de l’opposition). Les partis politiques habilités à désigner des membres doivent satisfaire à deux critères (excessivement discriminatoire des autres formations politiques) à savoir : avoir participé aux deux dernières élections nationales (législatives et présidentielle) précédant la mise en place de la CENI, et avoir au moins deux députés à l’Assemblée nationale.
Selon les résultats provisoires publiés par la CENI sur le double scrutin du 22 mars, le RPG (le parti au pouvoir) totalise 78 sièges sur 114. En plus d’avoir une majorité absolue, il sera le seul « maître » de la CENI, sachant que le principal parti d’opposition l’UFDG qui a 4 représentants a boycotté le double scrutin et n’a aucun député dans la nouvelle Assemblée nationale[13]. Le parti au pouvoir est le seul à remplir les conditions selon l’article 6 de la loi du 5 juillet pour mandater des représentants à la CENI pour la prochaine recomposition. Le contrôle de la CENI permet de maitriser tout le processus électoral en Guinée d’autant plus que l’institution est responsable de l’ensemble des étapes de l’enrôlement des électeurs à la publication des résultats provisoires. Ce qui permet au parti de la majorité d’avoir le contrôle des élections sans contre-pouvoir. Pierre Jacquemot (2019) souligne que d’un côté, la tenue de scrutins réguliers atteste de l’existence de nouvelles pratiques du politique en Afrique. De l’autre, la qualité des processus électoraux, même s’ils sont conduits avec la volonté affichée de rallier les électeurs autour de leur consentement libre et éclairé, demeure suspecte dans de nombreux pays où ils sont source de tensions et de conflits.
L’omniprésence des partis politiques au sein de la Commission électorale (majoritairement représenté par le parti présidentiel) asphyxie l’institution et contribue à entretenir son dysfonctionnement. La fiabilité et la crédibilité des élections qu’elle organise sont remises en cause. Les multiples fraudes supposées ou réelles qui sont confortées par l’absence de neutralité et d’impartialité mettent en évidence le degré d’instrumentalisation de l’institution électorale par le parti de la majorité. D’autant plus que toutes les élections organisées par la Commission électorale depuis sa création ont été systématiquement remportées par le parti présidentiel. Sa réforme en 2018 annonçait justement la volonté de l’exécutif de contrôler tous les processus électoraux de l’établissement des listes électorales à la publication des résultats. Cette réforme a permis de faire adopter la nouvelle Constitution et les législatives contestées. La CENI devient alors un organe au service de l’exécutif et une source constante de conflits et de contestations. Si la Constitution favorise le pouvoir exécutif dans l’organisation des élections, qu’en est-il du contrôle de l’organe qui veille à la régularité des élections ?
La haute juridiction électorale sous le contrôle du président
L’enjeu de ce double scrutin pour le président est l’assurance de son maintien au pouvoir en violation des règles électorales ainsi que de la maitrise des organes de gestion des élections et des institutions juridictionnelles responsables de leurs validités. Cela passe par le contrôle de la CENI, des ministères impliqués et l’asservissement des juridictions électorales. Une forme de concentration des pouvoirs dans le but de créer un déséquilibre dans l’organisation et la gestion des élections.
En Guinée, la Cour constitutionnelle (CC) est la plus haute institution judiciaire électorale du pays. La Constitution de 2010 garantit du moins dans le texte, une forme d’indépendance (2010, art. 101), et d’équilibre dans la constitution et le fonctionnement de l’institution. La Constitution du 22 mars remet en cause cette indépendance et place la direction de l’institution sous le contrôle du président de la République. Elle élargit ses prérogatives dans la composition (2010, art. 110) de la Cour constitutionnelle. Le président de la République nomme désormais le président de la Cour constitutionnelle (2010, art. 111) (qui était jusqu’à présent élu par ses pairs conformément à la constitution de 2010) ce qui implique un pouvoir de révocation. Il propose trois membres sur les neuf qui composent la Cour au lieu d’un membre (selon la Constitution de 2010) soit 33 %. Le changement de constitution va complètement bouleverser le fonctionnement de l’institution. La nouvelle Constitution supprime l’âge minimum pour être membre de la CC qui était de 45 ans. Elle supprime les conditions d’expériences pour les deux magistrats désignés par leurs pairs contrairement à la Constitution de 2010 qui exige 20 ans de pratique. Elle supprime les deux représentants de l’Institut National des Droits Humains (INDH). Enfin, elle élargit et renforce le pouvoir du président de la République sur le fonctionnement de la plus haute juridiction électorale. Un changement qui entraine un grand recul dans le cadre de l’indépendance des institutions juridictionnelles électorales.
Recul démocratique et instabilité politique
Contrairement à la consolidation démocratique qui voudrait que l’on conserve les acquis suite à la transition de 2010, le recul démocratique anéantit les acquis construits progressivement qui touchent l’ensemble des principes de séparation des pouvoirs, les élections libres et transparentes, l’État de droit et la neutralité politique des institutions politiques et administratives. La démocratisation de la Guinée régresse depuis quelques années. Des dizaines de morts depuis l’annonce du projet de changement constitutionnel, des violences électorales et des élections contestées dissipent les avancées démocratiques obtenues depuis 2010. Depuis le 14 octobre 2019, la Guinée s’est replongée dans une série de violences à la suite des manifestations organisées par le FNDC. La Société civile guinéenne et les partis politiques de l’opposition regroupés au sein de cette coalition (FNDC) dans le but d’empêcher un changement de constitution, préserver les acquis démocratiques et favoriser une alternance constituent le contrepoids du gouvernement dans sa démarche. Entre le 14 octobre 2019 et le 30 mars 2020, le FNDC a enregistré 47 morts suite aux violences policières et militaires lors des manifestations contre la forfaiture du président selon son rapport publié le 9 avril 2020 soit 3 jours avant la publication de la nouvelle Constitution. Comment la Constitution de 2020 constitue-t-elle un frein à l’alternance en Guinée et une source durable d’instabilité politique ?
Une Constitution sous le prisme du frein à l’alternance
Offrir la possibilité d’une alternance politique est un élément essentiel de la démocratie qui contribue à renforcer la légitimité de la Constitution et accroitre l’adhésion des citoyens au régime politique; ce que l’adoption d’une nouvelle Constitution n’offre pas dans les faits, car elle permet de maintenir après 10 ans au pouvoir le président Alpha Condé. Pourtant, l’article 40 garantit au président de la République la possibilité de briguer un mandat de six ans renouvelable une fois. En 2015, Me Kéléfa Sall, ancien président de la Cour constitutionnelle[14] mettait en garde le président de la République contre toute tentative d’instrumentalisation de la Constitution pour se maintenir au pouvoir :
La conduite de la nation doit nous réunir autour de l’essentiel. Ne nous entourons pas d’extrémistes qui sont nuisibles à l’unité nationale. Évitez toujours des dérapages vers les chemins interdits en démocratie et en bonne gouvernance. Gardez-vous de succomber à la mélodie des sirènes révisionnistes, car, si le peuple de Guinée vous a donné et renouvelé sa confiance, il demeure cependant légitimement vigilant[15].
L’article 27[16] de la Constitution de mai 2010 limite à deux le nombre de mandats présidentiels. Une disposition non modifiable du fait de son intangibilité prévu à l’article 154[17] (2020). La seule alternative pour briguer un mandat supplémentaire est le changement de constitution pour partir sur un nouveau mandat d’une nouvelle constitution.
Une Constitution source d’instabilités politiques
Depuis plusieurs années, la Guinée est plongée dans une impasse politique du fait de la volonté du président de changer de constitution. La situation a fait des dizaines de morts (FNDC 2020b) depuis le 14 octobre 2019 premier jour de mobilisation et de manifestation du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC). L’appel à la désobéissance et à la résistance a intensifié des violences dans la plupart des préfectures et sous-préfectures des régions de la Moyenne-Guinée, Guinée-Forestière et Basse-Guinée. Des régions qui ne sont pas ou peu favorables au parti au pouvoir. La destruction d’édifices publics et du matériel électoral a amené le gouvernement à déployer l’armée dans la plupart des villes concernées par la contestation. Ces faits mettent en péril le fonctionnement des institutions administratives, politiques et électorales. La prochaine élection présidentielle annonce déjà les prémisses d’une violence électorale sans précédent face à Alpha Condé qui veut aller au bout de son entreprise qui déstabilise le pays depuis octobre 2019 et le FNDC qui cherche à empêcher sa nouvelle candidature.
Le changement constitutionnel est finalement une source d’instabilités politiques et institutionnelles. D’abord, il cristallise le problème de la légitimité des institutions électorales qui est la source de la plupart des contestations électorales. Ensuite, il favorise l’établissement d’un régime présidentiel fort et renforce les pouvoirs du président. Enfin, il empêche la possibilité d’alternance politique sans même parler de la violation des procédures d’élaboration et d’adoption des lois fondamentales depuis 1990. L’instabilité institutionnelle conduit finalement à une instabilité politique dans un environnement de contestation récurrente de la légitimité du pouvoir politique, des institutions politiques et des organes de gestion des élections.
Conclusion
Nous pouvons donc avancer que le changement constitutionnel favorise plutôt le recul démocratique et maintient l’assujettissement de l’organe de gestion des élections (CENI) et de la Cour Constitutionnelle. Il élargit les prérogatives du président de la République et n’apporte aucune garantie sur la liberté, l’indépendance et la transparence des institutions politiques bridant toute possibilité d’une alternance politique en Guinée.
Par-delà le maintien au pouvoir du président et le caractère purement formel du pluralisme évoqué par les textes, le risque est la disparition de la pensée critique au sein des institutions et le conformisme dans une pensée unique privée de toute capacité évolutive. Ne nous étonnons donc pas de voir la légitimité de cette constitution très largement contestée par les partis d’opposition, qui y voit tous les éléments d’une régression institutionnelle néfaste et aventureuse.
Appendices
Notes
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[1]
Coup d’État du 23 décembre 2008 après la mort du Général, conduit par le Capitaine Dadis Camara à la tête d’une junte militaire constituée en Conseil National pour la Démocratie et le Développement (CNDD).
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[2]
Le capitaine Moussa Dadis Camara, président du Conseil National pour la Démocratie et le Développement (CNDD), le Général Sékouba Konaté, vice-président du CNDD et monsieur Blaise Compaoré, Président du Burkina Faso et Médiateur dans la crise en République de Guinée.
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[3]
« La création d’un Conseil National de Transition (CNT), organe politique délibérant […] ».
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[4]
« L’organisation dans un délai de 6 mois, de l’élection présidentielle à laquelle ne participeront pas les membres du Conseil National de Transition, le président de la transition, les membres du CNDD, le Premier ministre, les membres du Gouvernement et les membres des forces de défense et de sécurité en activité ».
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[5]
Un fichier très controversé et contesté par les principaux partis de l’opposition du fait de la présence massive de mineurs et de la non-radiation des morts. Selon les experts de la CEDEAO, 2 438 992 électeurs sont enrôlés sans pièces justificatives.
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[6]
Le parti au pouvoir et ses alliés.
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[7]
Le président de la CENI est décédé le 17 avril 2020, avant même l’installation des députés des suites du COVID-19. Selon plusieurs sources, il aurait été contaminé lors des élections que le président a maintenues malgré l’alerte de la communauté internationale.
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[8]
Arrêt N° AC 014 du 11 juin 2020, portant Constatation de la procédure de promulgation et de publication du projet du projet définitif de constitution soumis au référendum du 22 mars 2020.
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[9]
Les élections sont d’abord reportées à plusieurs reprises pour permettre l’organisation d’un double scrutin (législatives et référendum), ensuite pour permettre aux experts de la CEDEAO d’auditer le fichier électoral. Dans son discours du 28 février 2020, le président annonce « un léger report » des élections législatives et du référendum qui étaient prévus le 1er mars 2020. Un discours qui met en évidence la non-maitrise des institutions électorales (CENI, Cour constitutionnelle) du calendrier électoral et symbolise l’autocratie exercée sur les institutions.
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[10]
L’Assemblée nationale contestée envisage déjà une modification du Code électoral pour l’adapter à ses dispositions.
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[11]
« Le président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de six ans, renouvelable une fois ».
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[12]
Loi organique L/2018/044/AN du 5 juillet 2018, portant modification de certaines dispositions de la Loi L/2012/016/CNT du 19 septembre 2012, portant création, organisation, attributions et fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante.
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[13]
La nouvelle Assemblée nationale a tenu sa session inaugurale le 21 avril 2020 sous fond de tension en pleine crise sanitaire liée au COVID-19 et malgré toutes les contestations du double scrutin du 22 mars.
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[14]
Décédé le 27 juillet 2019. Sa présidence à la tête de la Cour Constitutionnelle a été largement contestée par les membres de la Cour du fait de son opposition à tout projet visant à changer la Constitution de 2010.
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[15]
Discours de l’ancien président de la Cour Constitutionnel Me Kéléfa Sall lors de la cérémonie de prestation de serment du président Alpha Condé en 2015 à la suite de sa réélection. Il lui mettait en garde sur les tentatives de révision constitutionnelle à l’issue de son second et dernier mandat pour se maintenir au pouvoir.
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[16]
« Le président de la République est élu au suffrage universel direct. La durée de son mandat est de cinq ans, renouvelable une fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non ».
-
[17]
« La forme républicaine de l’Etat, le principe de la laïcité, le principe de l’unicité de l’Etat, le principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, le pluralisme politique et syndical, le nombre et la durée des mandats du président de la République ne peuvent faire l’objet d’une révision ».
Bibliographie
- « Annuaire statistiques 2013 ». 2016. Projet d’Appui aux Renforcements des Capacités Statistiques (PARCS). Conakry: Institut National des Statistiques.
- « Arrêt nº AE 007 du 03 avril 2020 : Proclamation du résultat définitif du référendum du 22 mars 2020 pour l’adoption d’une nouvelle Constitution ». 2020. https://courconstitutionnelle.gov.gn/wp-content/uploads/documents/2020/DECISION%20N%C2%B0AE%20007%2003-04-2020.pdf.
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