Abstracts
Résumé
En se situant sur la ligne de fuite des archives des enquêtés, l’article revisite des ouvrages classiques d’enquête en milieu populaire pour interroger leurs différents usages scientifiques. Si les écritures des enquêtés sont peu utilisées de prime abord par les sociologues, les documents personnels affleurent notamment dans les démêlés avec les administrations et dans les correspondances. Bien qu’elle soit longtemps restée succincte, leur exploitation nous éclaire sur la place accordée en sociologie aux écritures ordinaires.
Abstract
Using past respondents archives, this article re-examines classic survey work among populist classes and studies their various scientific usages. Even if respondent written documents are apparently little used by sociologists, personal documents surface in particular in contentions with the authorities and in correspondence. Although exploitation has for a long time been succinct it informs us on the place accorded in sociology to ordinary documents.
Resumen
Al situarse en el centro de reflexión de los archivos de las investigaciones, el artículo revisita obras clásicas de investigación en medio popular para preguntar sus distintos usos científicos. Si los sociólogos utilizan poco las escrituras de las investigaciones a primera vista, los documentos personales aparecen, principalmente, puestas en orden en las administraciones y en las correspondencias. Aunque por mucho tiempo su explotación haya sido breve, nos aclara sobre el lugar que la sociología concede a las escrituras ordinarias.
Article body
Les postures épistémologiques sont mouvantes, et elles déterminent différemment les critères et les frontières des techniques reconnues dans chaque discipline selon les époques. Chaque méthodologie utilisée en sociologie s’est vue par moments tenue en suspicion, avant d’être apprivoisée par les chercheurs ; inversement, des périodes d’hégémonie ont été par la suite relativisées. C’est le cas, j’y reviendrai plus longuement, de l’usage de l’entretien en sciences sociales[1] et des procédés d’enquêtes ethnographiques (observations, prises de notes, dessins, enregistrements, etc.) qui ont petit à petit été adoptés par les sociologues. C’est avec profit que l’oralité, la mise en mots et les situations de face à face ou d’interaction entre enquêteur/enquêtés et entre enquêtés eux-mêmes se sont intégrées dans la production des connaissances sociologiques. Mais, paradoxalement, les sociologues français ne s’interrogent sur les écrits et sur les actes d’écriture que depuis une vingtaine d’années. Ces derniers constituent pourtant l’une des particularités essentielles du fonctionnement des sociétés bureaucratiques. Les débats sur l’opposition entre société avec ou sans écriture semblent datés, aujourd’hui. Ils n’en ont pas moins ouvert la voie à des questionnements sur les rapports oral/écrit qui ont surtout été le fait des anthropologues. En témoigne l’intérêt récent de ceux-ci pour les écritures ordinaires (Fabre, 1993, 1997). C’est un retour en arrière que je propose d’effectuer, du début du xxe siècle aux années 1980, pour tenter de cerner de quelle manière les usages des écrits des enquêtés ont été problématiques aux yeux des sociologues : parfois problématisés, mais posant souvent problème ; plus souvent encore utilisés comme illustrations ou simplement effleurés comme existants. Ils sont pourtant en arrière-fond de nombreuses enquêtes. Les débats qu’ils ont soulevés sont restés brefs, cachés dans l’ombre d’autres techniques. Quelles ont été les tentatives d’utilisation de sources documentaires écrites par les enquêtés ? Sous quelles formes et à quelles fins ces écrits (correspondances, journaux intimes, etc.) ont-ils été utilisés, voire même sollicités ? Comment les écritures ordinaires et les archives personnelles surviennent-elles dans les analyses des auteurs ? Comment le regard sociologique sur ces documents personnels nous aide-t-il à préciser les questions qui les portent ? Et, enfin, que disent-ils des modes de vie ?
1 Les premiers pas vers les écrits : des démarches exploratoires
Il faudra un jour se demander pourquoi l’entrée dans l’enquête sociologique, lorsqu’on est encore jeune, se fait souvent de manière réactive, car il n’est pas rare qu’une réalité « injuste », un traitement odieux ou une violence manifeste donnent naissance à des questions, suscitant une vocation d’enquêteur journaliste, d’ethnographe ou de sociologue. L’écriture en prison a constitué ma première expérience réflexive[2], mes premiers heurts qui me poursuivent encore. À la manière de Robert Park s’interrogeant sur son aveuglement de ce qui se passait dans la tête des individus noirs et des minorités ethniques (Park, 2008 : 35), je me demandais ce que cette radicale suppression de relations produisait comme subjectivité et manière de penser le monde. Qu’est-ce qu’un homme transplanté dans un milieu clos peut penser ?
Pour aborder cette problématique, j’ai eu l’opportunité de travailler à partir d’un corpus que Jean-Pierre Guéno avait constitué en vue de la publication de Paroles de détenus (2000)[3]. Plus de deux mille documents (lettres, journaux intimes, poèmes, écrits collectifs, etc.) avaient été envoyés par les prisonniers eux-mêmes ou par des membres de leur famille. Ces matériaux devaient permettre d’examiner ce qui se produit à l’intérieur des geôles, à travers ce qu’il en sort, sur les formes de maintien des liens avec le monde extérieur (Auvert, 2007). Ce travail sur les écritures m’a empoignée. La beauté littéraire de certaines correspondances tranchait avec la banalité du plus grand nombre. Une écriture de la démence se laissait entrapercevoir et les écrits phonétiques résumaient parfois en quelques mots des pensées d’ordre philosophique. J’avais cette fervente impression de rencontrer intimement ces centaines d’hommes et de femmes, d’entrer presque physiquement dans leurs cellules, parfois même dans leurs boîtes crâniennes.
La découverte de ces écrits allait de pair avec des difficultés d’ordre méthodologique : comment traiter une masse de documents lorsqu’on ne connaît pas les auteurs ? Je me trouvais là, solitaire, avec des écrits divers, dont la longueur variait d’une page à quelques dizaines. Il n’y avait aucune place pour une éventuelle « représentativité » de la population : plus d’hommes que de femmes, dont les professions ou milieux sociaux d’appartenance n’étaient pas tous connus. À l’époque, je n’ai pas cherché à proposer une lecture croisée entre les lettres du dehors et celles du dedans (Laé et Artières, 2003) : l’opération est ardue. Les corpus croisés sont difficiles à constituer dans la mesure où ils sous-tendent non seulement la volonté de chaque épistolier de conserver les lettres, mais supposent aussi la possibilité de rassembler la correspondance dans sa totalité. Ce type de corpus est improbable quand on le cherche, et il n’était pas au coeur de mes intentions. Pour appréhender les manières de vivre et d’écrire l’enfermement carcéral à travers cette multitude d’écrits de scripteurs inconnus, il était nécessaire de contextualiser le sens de ces prises d’écriture. De multiples rencontres avec d’anciens prisonniers ont permis d’éclairer les mystères de ces lettres et de récupérer certaines de leurs archives épistolaires et autres documents personnels. Les données recueillies à l’oral se sont rapidement confrontées aux éléments inscrits dans les courriers.
1.1 L’écrit, contre la parole ?
L’analyse des écritures et des actions qui s’y rapportent ne fait pas partie des formations universitaires en sociologie. Par contre, les enseignements méthodologiques de pratique d’entretien et d’observation insistent sur l’analyse du contexte de production du discours de la personne interrogée et sur le décalage entre ce qui est dit et ce qui est fait. Autrement dit, les propos des individus varient en fonction de la personne à laquelle ils s’adressent, du lieu, du jour, des évènements connexes, etc. Ce qui est vrai pour la prise de parole l’est aussi dans le cas des productions écrites : non seulement personne n’écrit comme il parle, mais surtout ce ne sont pas les mêmes informations qui sont consignées par écrit. Les écritures, quelles qu’elles soient, professionnelles ou personnelles, sont une autre manière de se manifester à un autrui plus ou moins éloigné, plus ou moins présent et actif auprès de soi. Les correspondances familiales, par exemple, interviennent souvent parce que la conversation n’est pas possible, mais elles peuvent aussi être un choix.
L’enquête menée sur le terrain permettait d’articuler les discours produits lors des face à face[4] avec le contenu des correspondances. Chacune des personnes rencontrées retraçait rétrospectivement les faits d’un passé qui semblait encore bien présent. Comme le substrat des récits de soi impose une reconstruction, des détails étaient omis, quelques faits divers jugés insignifiants étaient passés sous silence. S’agit-il de la mémoire sélective, d’une forme de rétrospection ? Les lettres remises par les anciens prisonniers donnaient à lire des évènements et anecdotes supplémentaires qui étaient absents des conversations. Je plongeais dans leur intimité, ou plutôt dans celle qu’ils partageaient avec leur(s) correspondant(s). J’avais en face de moi des personnes qui m’exposaient leurs trajectoires et parcours, et je pouvais croiser leur narration avec une perspective voisine, celle des membres de leur famille ou de proches qui racontaient dans leurs lettres leur quotidien. Ces personnages secondaires, bien que physiquement absents, dévoilaient par écrit d’autres routines, soucis et questionnements qui n’avaient pas été envisagés comme matériaux exploitables.
Je me trouvais parfois embarrassée d’avoir à interroger les anciens prisonniers sur des éléments qu’ils n’avaient pas racontés lors des conversations. La sensation d’intrusion ou d’indiscrétion était dérangeante. Les personnes qui avaient confié leurs écrits n’éprouvaient pas ce sentiment puisqu’elles l’avaient fait en connaissance de cause, elles avaient accepté que je m’introduise dans leur intimité épistolaire. Rapidement, ces supports ont été utilisés pour faire revivre des évènements mémoriels qui n’étaient pas d’emblée divulgués au cours des conversations. C’est une des particularités de l’écrit, d’enregistrer certains faits, d’inscrire dans le temps et dans l’espace des traces du passé, tout en constituant des supports de la mémoire. Maurice Halbwachs (1925) le souligne au sujet des vieillards — garants de l’ancien temps — qui cherchent souvent à travers les vieux papiers et les anciennes lettres à réveiller ou à préciser des souvenirs du passé.
1.2 La sociologie des écrits, quelles tentatives ?
Le premier exemple d’utilisation de documents privés revient à William Thomas et Florian Znaniecki, lesquels publièrent, dans les années 1920 aux États-Unis, la traduction de centaines de lettres, principalement familiales, rédigées par des Polonais des deux côtés de l’Atlantique. Ces courriers furent proposés comme documents relatant les transformations progressives des comportements des paysans polonais dans un contexte d’urbanisation ou de migration vers les États-Unis. Les auteurs ont vu dans ces correspondances « le type parfait de matériau sociologique » (1998 : 46) en ce qu’elles étaient des sources de première main, non construites par le chercheur, parce qu’elles permettaient de comprendre les interactions dans les groupes familiaux éclatés par la distance et donnaient à lire la subjectivité des expériences et des éléments d’interprétation personnelle sur les situations vécues. Cette étude souvent citée n’a pourtant pas fait école[5]. Il faudra attendre 1998 pour que l’un des cinq volumes de l’étude soit traduit et publié en français, Les paysans polonais en Europe et en Amérique. Récit de vie d’un migrant, celui de Wladek Wiszniewski, lequel avait accepté l’offre financière de Thomas et Znaniecki pour écrire son autobiographie. Ce type d’initiative n’est pas isolé à l’époque où les histoires de vie orales et écrites connaissent aux États-Unis un essor particulièrement important. La crise de 1929 renforce encore les volontés de faire témoigner les derniers esclaves ou de rendre audible le vécu des agriculteurs sinistrés par la crise. « L’autobiographie, écrit Anna Iuso, est déjà devenue un exercice imposé assez courant dont on attend qu’il dévoile la vérité des existences les plus marginales, les plus réfractaires ou les plus éloignées de l’american way of life » (2005 : 10). C’est dans ce cadre que des expérimentations parfois controversées mais originales voient le jour sous forme de concours autobiographiques commandités par des chercheurs[6]. La première de ces expérimentations est lancée en Allemagne en 1934 par Théodore Abel auprès de militants nazis sur la défaite de 1918. Il exploitera seul aux États-Unis les 683 manuscrits rassemblés, et publiera dès 1938 six autobiographies complètes accompagnées de ses analyses. Les critiques ne se font pas attendre : absence d’échantillonnage, manque de données objectives sur les scripteurs, et soupçon d’influence de la propagande nazie sur les arguments invoqués.
Un an après cette publication, des appels à rédaction d’autobiographie sont lancés dans la presse américaine par une équipe de psychologues, d’historiens et de sociologues de l’Université Harvard — instigués par Gordon Allport —, auprès de victimes ayant fui le régime hitlérien : « 1000 dollars pour ceux qui connaissent l’Allemagne d’avant et après Hitler ! » Les scientifiques se transformeraient-ils en mécènes ? Pourtant, leur volonté de répondre plus précisément aux critères de scientificité se retrouve dans la formulation même de l’appel :
La description de votre vie devra être autant que possible simple, immédiate, complète et concrète. DÉCRIVEZ s’il vous plaît les évènements, les MOTS et les ACTIONS DES GENS, pour autant qu’il vous soit possible de vous en souvenir. La commission qui vous jugera ne porte aucun intérêt aux considérations philosophiques sur le passé, elle est surtout intéressée aux comptes rendus d’expériences personnelles. D’éventuelles citations tirées de lettres, journaux, agendas ou tout autre type d’écriture personnelle donnera à votre description la CRÉDIBILITÉ et la COMPLÉTUDE souhaitée.
2005 : 12
Ces personal documents sont singuliers parce qu’ils sont ouvertement commandités par les chercheurs allant jusqu’à financer les meilleurs auteurs. Malgré ces biais explicites évidents, l’expérience est intéressante pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’époque dans laquelle s’inscrit ce type de requêtes semble constituer un tournant historique : les manières de penser des individus, leurs trajectoires et leurs pratiques personnelles portent le social en elles. Il s’agit d’une « mutation de la figure du témoin qui se produit entre 1939 et 1946 », écrit Anna Iuso en citant l’exemple des historiens du ghetto de Varsovie qui, en 1943, s’efforcent de collecter des mémoires de prisonniers témoins vivants de l’Holocauste. « Face à la catastrophe imminente il fallait fixer les souvenirs des lieux, des personnes, des faits, les écrire sur n’importe quel support — feuilles de papier, morceaux de carton, bandes de tissus — les enterrer dans l’espoir qu’ils ressurgiraient un jour » (Iuso, 2005 : 21). Autrement dit, ces volontés de constituer des archives qui serviront à retracer l’histoire du génocide traduisent une prise de conscience : l’individu est chargé de l’histoire en train de s’écrire et ses archives personnelles en sont des traces matérielles et concrètes.
C’est certainement dans une logique similaire que le concours Harvard avait été engagé. Ces récits écrits (semi-dirigés), suscités par le monde de la recherche, tentent d’approcher, malgré la distance et au-delà des frontières, les effets de la guerre qui sévit en Europe. Les personnes ayant fui délibérément l’Allemagne nazie sont des « témoins oculaires » de transformations historiques. Leur parcours social est riche de moments de crise endurés et de leur migration contrainte.
Il est particulièrement important de noter que l’équipe coordonnée par Gordon Allport semble privilégier l’écrit dans ses valeurs expressives. Pourquoi demander des autobiographies plutôt que faire parler les témoins ? Parce que l’époque ne permet pas l’enregistrement des entretiens, certes, mais cette méthode a aussi l’avantage de rassembler en masse des documents écrits provenant de contrées parfois très éloignées : 230 personnes ont répondu, alors que les situations de face à face auraient réduit l’échantillon de personnes interrogées. Mais ce n’est pas tout. Les lettres, journaux, citations d’agendas et documents divers fournis contiennent les marques d’un passé qui s’exprime au présent : elles ne peuvent se dévoiler de manière identique dans le contrecoup de la reconstruction et de la rétrospective. Les écrits que les chercheurs souhaitent amasser semblent aller au-delà des considérations personnelles des principaux concernés par les évènements. Ce sont des descriptions minutieuses, les détails des circonstances, sans qu’on cherche à dégager une quelconque portée de ce qui est relaté, qui sont demandés aux écrivants. Les petits faits ont ici plus de substance que les grands discours. Cette forme de demande devrait retenir l’attention des sociologues qui pratiquent régulièrement les entretiens et qui insistent bien souvent sur l’intérêt de l’anecdotique dans le récit des évènements et des expériences vécus.
La comparaison entre les deux techniques peut s’arrêter sur cette étonnante ressemblance. L’écriture fait frontière en se démarquant de l’oralité. Les écrits opèrent à côté des situations de face à face ou d’interaction directe ; ils sont limitrophes et délimitent d’autres frontières du social en train de se faire, tout en ayant la particularité de persister dans le temps et de permettre le travail de la mémoire, le retour de certains souvenirs. Ils donnent à lire un contre-réel, un contre-récit, une autre mosaïque du social. En se distinguant de la parole, l’acte d’écrire marque parfois un refus délibéré d’être dit. La question se pose dans de nombreux foyers : et si les non-dits se cachaient dans certains écrits ? C’est une crainte qui hante, lorsque découvrant les vieux papiers familiaux, le mythe des secrets de famille surgit. Mieux vaut ne pas les lire pour ne pas avoir à en parler ?
À la même époque en Europe, quelques expérimentations s’engagent sur les productions écrites par des populations enquêtées. En 1931, une enquête originale se déroule en Autriche. Dirigée par Paul Lazarsfeld, accompagné de Marie Jahoda et de Hans Zeisel, synthétisée dans Les chômeurs de Marienthal, elle sera considérée par la suite comme l’un des premiers essais sociographiques. L’objectif consistait à déterminer les effets de la mise au chômage d’une majeure partie de la population active dans la ville de Marienthal. Ce sont moins les statistiques produites — très critiquables et critiquées par Lazarsfeld lui-même — qui marquent le caractère singulier de cette étude que l’intégration des chercheurs dans le milieu étudié, l’observation participante in situ, l’écoute attentive des récits des habitants ainsi que l’adjonction de données écrites produites par les enquêtés. Les chercheurs établissent pour les 478 familles de la ville des fiches « comportant les caractéristiques individuelles, la nature de l’aide reçue », « les observations relatives au logement, à la vie familiale, à la tenue du ménage » (1981 : 26). Ils relèvent des récits de vie, effectuent des budgets-temps, font l’inventaire des repas consommés avant et après le paiement des allocations chômage ; ils étudient aussi les plaintes et dénonciations écrites, les livres de comptes, etc. Cette approche qui tente littéralement d’épuiser des données de terrain n’est pas nouvelle : elle est l’apanage des ethnologues[7]. Par contre, il me semble qu’elle a la primeur de l’intégration d’écritures ordinaires utilisées pour s’imprégner et relater le mode de vie des enquêtés[8].
Une expérience sociologique, dans la Pologne des années 1930, s’est attachée singulièrement aux données biographiques commanditées aux enquêtés. Son ampleur et ses répercussions dans l’univers de la recherche et dans la société polonaise auraient pu en faire un cas d’école. Elle est pourtant restée dans l’ombre.
1.3 Des commandes autobiographiques
1.3.1 La « méthode polonaise », réellement graphique
Le point commun avec les tentatives américaines relatées en amont tient dans le dispositif de commande de récits de vie graphiques ; les dissemblances quant à elles tiennent à l’envergure et aux retentissements de cette expérience dans la population polonaise : ils ont été tels « qu’on a pu désigner l’emploi de ces techniques par l’étiquette de “méthode polonaise” »[9]. En 1921, Florian Znaniecki retourne dans son pays natal avec l’objectif de poursuivre la démarche théorique et méthodologique amorcée avec William Thomas. Il organise avec Jozef Chalasinski, l’un de ses disciples, de modestes concours visant la rédaction de mémoires d’ouvriers, d’ouvriers agricoles et de femmes participant aux campagnes électorales. Les réponses ne se font pas attendre, cette technique est fructueuse. Le premier mémoire d’un prolétaire est publié en 1930 par Chalasinski. Dans l’introduction, ce dernier explique la démarche adoptée :
Le chercheur ne peut se satisfaire d’autre chose que du contact direct avec le milieu qui l’intéresse. Cependant, le sociologue n’a pas les moyens pratiques de vivre en permanence au sein de la population qui constitue l’objet de sa recherche ; la valeur éminente de l’autobiographie réside précisément dans le fait que cette technique procure le meilleur substitut au contact direct impossible à maintenir en permanence. Par rapport à l’idéal, il n’y a certes là qu’un pis-aller, mais on ne saurait concevoir un meilleur outil de remplacement[10].
Le public reçoit très favorablement cette publication qui permet de rendre audibles les difficultés rattachées aux conditions de travail et de vie des classes populaires, au moment même où la crise s’installe durablement, les transformant en témoins actifs dans la société.
D’autres sociologues, notamment Ludwik Krzywicki, se rendent compte que ce dispositif a un effet considérable : il fait valoir leur activité scientifique auprès des enquêtés et des lecteurs et il permet d’exercer une pression sur les membres de la classe politique. On assiste alors à une deuxième vague de concours, et l’Institut d’économie sociale rassemble sous divers thèmes des milliers de réponses qui vont venir enrichir les statistiques sociales par « la voix des masses » (1976 : 601) : jeunes agriculteurs, paysans, chômeurs et immigrés écrivent pour faire connaître leurs conditions d’existence. La formulation de certains appels affiche clairement l’engagement des chercheurs :
L’Institut d’économie sociale se propose de présenter une publication sur la dure condition de l’ouvrier sans travail, dans toute sa vérité et dans le détail de sa vie. C’est pourquoi nous faisons appel à tous ceux qui ont l’expérience quotidienne de l’échec [...] pour qu’ils tracent de leur plume les démarches qu’ils font en quête d’un morceau de pain...
1976 : 595
L’absence de neutralité de la demande peut faire frémir, mais la participation a été colossale et s’inscrit sur un demi-siècle : 250 000 personnes auraient répondu à ces appels jusque dans les années 1970. La participation massive et le succès de l’édition d’autobiographies s’expliquent non seulement par le fait que les mémoires publiés interpellent l’ensemble de la population, y compris l’intelligentsia polonaise, mais aussi par la délivrance de prix aux meilleurs mémorialistes et par la remise de diplômes à tous les participants, principe marquant « à la fois [le] témoignage de la satisfaction des enquêteurs et [la] reconnaissance du mérite culturel des enquêtés » (1976 : 599).
1.3.2 Des récits de vie autobiographiques ?
En France, l’usage sociologique des correspondances privées et des archives des enquêtés est resté marginal. Éric de Dampierre est l’un des premiers à avoir synthétisé les principaux résultats internationaux du traitement de la subjectivité des individus à travers des matériaux personnels. Dans un article de 1957, l’auteur interroge les avantages et limites qu’il y a à écouter les opinions et les confidences des enquêtés. La définition qu’il attribue aux « documents personnels » englobe aussi bien les textes écrits (correspondances, autobiographies, journaux intimes) que les supports visuels (films, photographies, dessins d’enfants) ainsi que le « protocole d’interview non dirigé et fidèlement transcrit ». Cette association permet de rappeler que l’utilisation de l’entretien en sociologie a longtemps été subordonnée aux analyses statistiques, justement en ce que ses résultats étaient perçus comme le fruit de subjectivités que les sociologues souhaitaient écarter de leurs analyses : des « confidences » trop personnelles pour donner à voir du social. Les paroles des enquêtés comme leurs écrits questionnaient les chercheurs tout en étant perçus comme appartenant au domaine de l’intimité, du monde privé, de la partialité.
Depuis, avec l’influence d’Henri Mendras et des ethnologues, les courants sociologiques français accordent unanimement une place centrale aux discours et aux pratiques des interviewés. Si les enseignements de méthodes qualitatives sont au coeur de tous les programmes universitaires depuis quelques décennies, l’intérêt scientifique octroyé aux écrits des enquêtés reste marginal. Pour traiter quelques éléments de l’histoire de cette béance, il faut revenir sur l’idée, longtemps partagée, que les membres des classes populaires n’écrivent pas. La rédaction de mémoires ou d’autobiographies est depuis le xviiie siècle l’entreprise de notables, de personnes publiques ou d’écrivains. Mais la méthode polonaise montre bien, à elle seule, que la prise d’écriture peut sortir du cadre académique.
En France, c’est autour des années 1970 que fleurissent sur les rayons des librairies des autobiographies d’instituteurs, d’ouvriers, de mineurs, etc. (Peneff : 1990). Nombre de recherches scientifiques se penchent elles aussi sur le quotidien des classes populaires, certainement dans une optique de compensation de leur silence social, et se concentrent sur leurs manières de vivre et de se raconter[11].
À la même période, la propagation du magnétophone rend possibles l’enregistrement intégral et la retranscription des entrevues. Cette discrète révolution technique engendre une nouvelle forme de publication : des prises de parole retranscrites. Traduit en 1963, Les enfants de Sanchez d’Oscar Lewis est l’une des sources de cette nouvelle méthode d’investigation : les chercheurs suscitent la parole des individus, la rendent lisible par écrit et publient les récits des enquêtés, ils se font « les porte-parole de la culture des pauvres » (Lewis : 28). Philippe Lejeune propose une analyse critique de ce nouveau genre de publications et souligne notamment le fantasme du discours sur autrui...
... en lui donnant la parole, et en ayant l’air de citer un discours de lui. L’analyse ou l’évocation de la vie des classes dominées s’effectue par la captation d’une parole autobiographique que l’on suscite, et derrière laquelle on s’abrite. La stratégie du discours rapporté neutralise en apparence l’opposition entre celui qui a la parole et celui qui ne l’a pas.
1980 : 261
Cette remarque ne doit pas être prise comme une critique radicale des entretiens menés par les chercheurs auprès des enquêtés. Elle souligne juste la nécessaire contextualisation du discours produit avec et pour le sociologue dans le cadre d’une situation sociale fabriquée à plusieurs ; une autobiographie, dans son acception littérale, est rédigée par celui qui décide de raconter sa propre vie, non par un intermédiaire.
Est évoquée ici une confusion terminologique (qui demeure encore aujourd’hui) dans l’utilisation fréquente des termes « autobiographie » et « biographie » pour caractériser les récits verbaux des enquêtés. Il est nécessaire de procéder à une distinction nette entre les évènements, souvenirs, anecdotes ou toutes manières de présenter une trajectoire par les individus, qui sont graphiquement exposés et ceux qui s’énoncent de vive voix. Rédiger un journal intime, ses propres mémoires, entrer dans une relation épistolaire ou parler de soi au chercheur qui devient le substitut et la plume de son récit en sachant que l’on est un « pré-texte » sont des démarches singulières, à l’intérieur desquelles l’individu s’expose à chaque fois différemment. De l’un à l’autre, il y a rupture. Demander à quelqu’un de raconter rétrospectivement la manière dont il a vécu ses années de scolarisation au collège ne correspondra presque en rien à ce qui sera trouvé à l’intérieur des agendas scolaires que la personne aura rédigés à l’époque des faits. Dans un tout autre espace, c’est ce que Michel Pollak montre dans L’expérience concentrationnaire (1990) lorsqu’il révèle combien les sources orales et les matériaux écrits font varier les interprétations. Cette idée est résumée dans un article posthume : « De toute évidence le choix du corpus, des matériaux de recherche, la méthode, l’objet analysé et son interprétation se conditionnent réciproquement. Si de ces éléments constitutifs d’une construction, un seul varie, les autres changent aussi » (Pollak, 1992).
Les sources graphiques peuvent être de type autobiographique et épistolaire ; elles peuvent aussi provenir d’activités ordinaires professionnelles ou domestiques. Si elles ne sont pas assimilables aux entretiens avec un chercheur, elles méritent d’être examinées comme un type de données particulier, à traiter comme tel. Il serait peut-être nécessaire, pour plus de précisions terminologiques, de circonscrire le terme « graphique » aux seuls écrits et d’utiliser les termes de « bioralité » ou de récit « bioraliste » lorsque le répondant expose des éléments de son parcours personnel au chercheur.
2 les écritures des enquêtés : des terres « en friche » ou « en jachère » ?
Des « domaines mal partagés, ces terres en friches [...], écrit Perec, qui, rangés sous la rubrique “divers”, constituent des zones d’urgence dont on sait seulement qu’on ne sait pas grand-chose, mais dont on pressent qu’on pourrait y trouver beaucoup si l’on s’avisait d’y prêter quelque attention : faits banals, passés sous silence, non pris en charge, allant d’eux-mêmes : ils nous décrivent pourtant, même si nous croyons pouvoir nous dispenser de les décrire [...]. Il en va ainsi, aussi, ajoute Perec, de la lecture » (2003 : 107). Si cet auteur considère que depuis des décennies le « comment de l’écriture » a été questionné, il est des gestes qui relèvent tellement de l’évidence que nous ne les regardons pas, ni de près, ni de loin. Pourtant, ils sont là, bien présents, presque obligés de s’exercer dans les coulisses du quotidien de la vie contemporaine. Les gestes d’écriture sont des postures physiques, des actions sociales qui entraînent des répercussions. Les écrits, des plus ordinaires aux plus officiels, enregistrent, font preuve, actent et consignent une variété de faits. Ils sont inscrits dans les pratiques autant que sur leur support. Ils gravent des manières de faire, de voir et de s’organiser. Pourtant, l’histoire se répète, car il est fort probable que les suspicions sur l’utilisation des écritures ordinaires dans la production d’analyses sociologiques soient analogues à celles qui s’exerçaient dans les années 1970 sur les matériaux oraux.
L’écriture pénètre le social comme l’on respire. En effet, depuis la seconde moitié du xxe siècle, le recours à l’écrit s’impose de plus en plus fortement dans de nombreuses situations. Le continuum de la vie sociale ne cesse de s’écrire. Dans tous les pays industrialisés, un simple déménagement entraîne de multiples démarches et transferts de dossiers. Un mariage, une séparation de biens, une demande d’aide sociale, un accident de la route se répercutent à chaque fois dans plusieurs institutions. Ce sont des actes qui font, et qu’il faut écrire, sans relâche. L’espace a priori purement privé du foyer qui borne la vie familiale ne cesse de s’administrer en interne, comme en dehors de lui-même. La place remplie par la gestion administrative des dossiers et courriers envoyés aux institutions est centrale dans le quotidien des familles.
La relecture d’ouvrages de référence s’interrogeant sur la vie privée, sur « ce qu’ont en tête les hommes », pointe le sous-emploi des écrits des enquêtés en sociologie, comme si le travail sur des classes populaires laissait de côté des pratiques jugées de peu. Rappelons le prologue des Enfants de Sanchez : Oscar Lewis y retranscrit la parole du chef de famille, Jesús, qui explique à quelques phrases d’intervalle que son propre père « complètement illettré » lui avait tout de même appris à noter les comptes, les anniversaires des enfants et les numéros des billets de loterie. Sont listés dans ces trois formes d’écriture distinctes les évènements qui importent, ceux qu’il ne faut pas oublier. Mais surtout, et c’est précisément ce que montre Bernard Lahire lorsqu’il s’attache aux pratiques d’écriture professionnelles et domestiques en milieux populaires : les écrits font partie de la vie des gens, même des moins « cultivés » (1993). Ouvriers d’entreprises, agents de maternelle et de restaurants scolaires ont des pratiques scripturaires variées et régulières dans le cadre même de l’emploi, comme à l’intérieur de leur foyer. Les analyses qui découlent des entretiens réalisés par Lahire révèlent par ailleurs les formes que peut prendre la division sociale du travail professionnel et domestique d’écriture.
2.1 Des écrits infiltrés de toute part
On trouvera dans les marges de l’histoire que Tante Suzanne conte au chercheur Maurizio Catani des réflexions méthodologiques qui se proposent de distinguer « l’approche biographique orale de l’écrite » (1982 : 14 et 467). À partir de trajectoires individuelles dont le point commun est la migration, Catani propose sept déclinaisons de l’approche biographique. La manière dont le narrateur transmet son expérience lors des entretiens dépend de la place qu’il accorde à son individualité, au « je » qui s’exprime et qu’il exprime en public. Selon le type de discours produit, le chercheur peut recueillir une « mini-histoire de vie », des « récits de pratiques limités dans le temps », des « séquences », des « reconstructions » ou des « entretiens » dits « biographiques ». Enfin, l’« histoire de vie sociale » (c’est le cas de tante Suzanne) correspond à la configuration de production de récit de soi la plus féconde, tandis que l’« auto-bio-graphie » (réellement graphique) répond à la contrainte de non-discours. Cette dernière disposition serait mise en oeuvre dès lors que le « moi » du locuteur prend une place telle qu’il est impossible pour lui de communiquer avec autrui sur son passé et son devenir, « la voie qui reste ouverte est [alors] celle de l’autobiographie » (1982 : 15). Cette idée intéressante souligne la part de l’indicible dans les situations de communication orale et accentue le fait que les individus n’écrivent pas ce qu’ils disent ou vice-versa. Mais elle demeure tout de même légèrement réductrice : il existe aussi de nombreux diaristes qui s’appliquent quotidiennement à l’écriture de leur journal intime, encore plus nombreux sont ceux qui tiennent des correspondances plus ou moins régulières, et majoritaires sont les individus qui écrivent dans le cadre de leurs activités domestiques ou professionnelles. Sont d’ailleurs cités dans l’ouvrage ces autres types de matériaux graphiques qui n’ont pas été exploités en tant que tel : des lettres reçues par la tante Suzanne lors de la Seconde Guerre mondiale (qui ont certainement dû être conservées...), de même qu’un passage assez court faisant état d’une discussion autour d’un livre de comptes de 1908 : l’importance accordée par l’enquêté aux petites inscriptions chiffrées laisse largement transparaître l’intérêt sociologique de ce type de documents qui enregistre toutes les dépenses d’une maisonnée (les produits, leur quantité, leur prix, les services dus aux saisonniers...).
Des histoires d’argent, des stratégies pour joindre les deux bouts, des volontés de vivre « mieux », voilà bien une des problématiques essentielles dans l’exercice de l’existence de nombreux foyers. La masse de cahiers, de registres ou de morceaux de papier épars relatant comment l’injonction financière oblige les mouvements, change les habitudes, modifie l’alimentation, etc., doit être si colossale qu’il est difficile de l’imaginer. Les tiroirs sont garnis, les archives nationales et privées croulent sous les malheurs liés aux manques. Ils ne s’écrivent pas seulement à travers les chiffres et livres de comptes, ils sont courriers envoyés et reçus relatant les moments de trouble, demandant de l’argent aux proches ou de l’aide aux institutions.
C’est, par exemple, le cas des lettres échangées entre migrants. Abdelmalek Sayad (1985) reprend les formes de communication qui s’opèrent dès lors que la séparation et la distance obligent les individus à échanger autrement. Conversations téléphoniques, cassettes enregistrées et lettres parfois transmises par porteur, voilà les possibilités qui s’offrent pour correspondre avec l’absent. Par ces trois modes de communication qui ne s’excluent pas et dont la plus ancienne est la relation épistolaire, Sayad décrypte les interactions autour de l’écriture collective des courriers, déconstruit les relations de genre qui contraignent les prises d’écriture féminines. L’auteur n’a pas persévéré dans l’analyse des correspondances entre migrants et insiste plus sur des éléments qui, à mon sens, réduisent la richesse de ces documents demeurant en jachère. Que peut-on espérer trouver une fois admis le « rapport malheureux et maladroit à l’écrit » ? Pourtant, ils écrivent, et continuent d’écrire, même lorsqu’ils ne maîtrisent pas bien les mots. Certes, les nouvelles formes de communication liées au développement des outils informatiques modifient les types de relations et les rendent parfois plus abordables ou plus rythmées, mais les migrations d’aujourd’hui, les distances géographiques qui séparent les êtres, restent souvent doublées de correspondances.
2.2 De l’administration bureaucratique aux archives personnelles
Pour aborder autrement cette problématique et changer d’espace, il est possible de se diriger vers le monde des bidonvilles à travers le beau livre de Colette Pétonnet, On est tous dans le brouillard (1985). Une photographie d’agglomérat de boîtes aux lettres bricolées, avec des noms écrits en majuscules et des verrous manquants, sert d’illustration aux réflexions de l’auteure sur la reconnaissance institutionnelle du lieu. Certains services municipaux utilisent cette adresse tandis que la Préfecture — qui souhaite éradiquer ce type d’habitats — n’y voit aucune validité. L’enjeu n’est pas symbolique. L’auteure fait référence aux problèmes de renouvellement des cartes de séjour, à l’emprunt d’une adresse extérieure pour attester une domiciliation reconnue, au rôle de l’institutrice ou du postier qui remplit les formulaires administratifs, à l’attente parfois angoissée du courrier... Les injonctions bureaucratiques envers les administrés se répercutent dans les faits et les comportements, se rendent visibles à travers les prises d’écriture, autant que dans les écrits eux-mêmes. Gestes anodins et écrits — souvent collectifs — de l’ordinaire. Rendez-vous multiples avec les travailleurs sociaux. Dossier incomplet : revenir plus tard. Retracer sa carrière en attestant ses actes. Parents décédés : reste à prouver, etc. Les membres des classes populaires doivent faire preuve de diligence, écrire et faire écrire sans relâche l’évolution des instabilités. On est tous dans le brouillard, lorsqu’il s’agit d’exposer sa trajectoire, d’autant plus que l’on sait l’incidence des mots et des prises d’écriture sur les situations, on sait que les écrits des professionnels de l’assistance entraînent ou non l’obtention du droit sollicité.
La question soulevée par Colette Pétonnet, de la détérioration des boîtes aux lettres dans les cités HLM, renvoie au poids des décisions qui s’annoncent par écrit. Ne serait-il pas pertinent de considérer ces objets métalliques comme étant le support privilégié des relations avec l’État social qui, par ses multiples services, gère et contrôle des vies qui ne cessent d’être dirigées ? Les boîtes aux lettres sont des réceptacles investis par l’annonce des changements, elles portent les bonnes comme les mauvaises nouvelles. Elles siègent en bonne place dans la gestion et les préoccupations quotidiennes des individus et localisent les éventuelles névralgies qui se diffusent et se répercutent sur l’histoire familiale.
Ces idées corroborent celle de la violence et des répercussions du relogement contraint sur la vie des familles, décrite par l’auteure. Sans maîtriser le sujet de l’expropriation, il me semble important de souligner la manière dont il infléchit les trajectoires individuelles et familiales. C’est presque par hasard que je peux illustrer l’idée avec une anecdote signifiant la pérennisation de cet évènement à travers le dépouillement d’archives privées. J’ai eu l’occasion dernièrement de débarrasser un appartement après un décès. C’est au pied du lit de la chambre à coucher que j’ai découvert un petit carton décoloré par le temps, dans lequel s’entassaient quelques manuscrits. Les lettres du père lorsqu’il était prisonnier de guerre, les courriers envoyés par le fils lors de son service militaire effectué au Sénégal en 1967 et enfin le dossier constitué pendant la saisie d’un logement situé au coeur des Halles, juste avant la destruction des bâtiments qui a donné lieu à l’actuel Forum. Ces trois corpus assemblés, minutieusement conservés, marquent des temps forts qui ont forgé la vie de cet homme : l’absence du père, le devenir adulte à la découverte de contrées éloignées, l’univers de l’armée contre lequel il se heurte, du moins par écrit, et une bataille contre la destruction d’un appartement. Une expulsion, la distance qui sépare les êtres, tout comme d’autres moments où l’insécurité se fait sentir, entraînent des dispositifs de prise d’écriture. Ils ne s’inscrivent pas dans l’instantané, ils ne sont même pas exclusivement circonscrits aux solutions qui adviennent pour réparer le manque. En subsistant dans les archives, tels des mémentos du passé, les écrits donnent des clefs à la compréhension des différentes attaches et fissures qui marquent les trajectoires individuelles et qui retentissent dans la manière de se construire en tant qu’être social. Plus encore, cette anecdote peut servir à démontrer qu’il ne s’agit pas nécessairement de rencontrer les gens ou de les faire parler pour considérer le social enfermé jusque dans les boîtes jaunissantes. Il ne s’agit parfois même pas de décortiquer l’ensemble des écrits pour comprendre le statut de ce qui est conservé, pour rendre compte des prises d’écriture qui ont donné corps aux écrits. Faire parler les faits par les actes d’écriture est une autre démarche possible qui alimente celle de l’analyse des écrits en tant que tels.
The Uses of Literacy, le titre suggère concrètement les usages de l’écrit. En découvrant Richard Hoggart, je m’attendais à récolter quantité de réflexions autour des écritures. Cette ethnographie minutieuse qui s’attache aux variations des attitudes populaires urbaines dans le temps, à travers différents domaines d’activité, différents loisirs et espaces de vie, sous des aspects des plus subtils (décor, odeurs, vocabulaire, etc.), ne propose aucune description ni analyse des écrits issus des agissements populaires. De manière allusive et éparse, il est fait référence à la gestion de budgets familiaux, d’envois de cartes de Noël ou d’anniversaire, de recueils de chansons. Des pratiques populaires, l’écrit n’est pas absent, il est même souvent central dans l’organisation de l’ordinaire de la vie. Hoggart le souligne lorsqu’il dresse un tableau des sentiments de différence ressentis par les individus vis-à-vis des « autres », ceux des « autres classes », qui disposent d’un « pouvoir presque discrétionnaire sur l’ensemble de la vie ». L’auteur note : « Les gens du peuple savent bien qu’ils ne bénéficient pas des services publics avec la même rapidité ni aussi pleinement que les gens qui peuvent téléphoner ou qui savent écrire une lettre bien tournée » (1970 : 119). Sans discuter le fond de l’argument ici proposé, il semble indéniable que le rapport à l’écrit engage l’individu dans ses relations avec les institutions ou tout du moins avec leurs agents, de même que les répercussions des écrits engagent des modalités et des formes particulières de conditions d’existence. Un dossier bien monté pour l’obtention de l’aide médicale d’État permet de se soigner autrement que si aucune allocation ne vient renflouer le budget familial ; on économise davantage sur le ravitaillement alimentaire la veille de la perception de l’assurance-chômage que le jour J (Lazarsfeld, 1933).
Faut-il s’étonner si les écrits infiltrés dans les actes quotidiens des membres de ce milieu social sont nettement plus présents dans l’autobiographie (réellement auto-bio-graphique) publiée par Hoggart quelques années après ? Dans 33 Newport Street (1988), la gestion domestique mise en place par sa mère fonctionne à flux tendu. Elle est seule à subvenir aux besoins de ses trois enfants et doit effectuer sans cesse des démarches pour obtenir des bons d’habillement, pour avoir de quoi les soigner, etc. La présentation qu’Hoggart fait de son caractère est indéniablement liée à son administration du foyer. Elle touche des allocations de l’Assistance publique tout en se défendant de tenir sa maisonnée sur les seuls apports extérieurs. Les calculs d’économie domestique sont d’après son fils extrêmement précis, parce qu’ils sont serrés. Puis son décès survient, les frères et soeurs Hoggart sont placés chez des oncles et tantes. Les visiteurs de l’Assistance publique viennent régulièrement contrôler les conditions de vie des enfants. Devant les professionnels du social, il faut montrer patte blanche. À n’en pas douter, la rédaction d’un mauvais rapport entraînerait la suppression des droits. Ce sont des moments clefs d’enregistrement des situations sociales. Qu’ils proviennent des spécialistes ou des administrés, ces écrits consignent et actent les manières de vivre et de penser des interlocuteurs. En vrac, Hoggart fait aussi référence à quelques prises d’écriture ordinaires : à sa belle-soeur qui ne cesse d’écrire à sa famille, aux télégrammes souvent porteurs de mauvaises nouvelles, aux courriers qu’il a reçus et qui sont parfois cités dans le texte, aux formulaires ou autres lettres administratives qu’il remplissait pour sa famille...
Plus encore, Hoggart expose à deux reprises le poids des écrits dans la construction de la mémoire et des souvenirs familiaux. Au sujet de son père qu’il n’a guère connu, l’auteur remarque le peu de « bagage matériel » qui a été transmis à sa génération. Quelques objets : une montre rouillée, une médaille de service de guerre, quelques photographies, une plaque d’identité et, surtout, un livre de prières que sa mère avait dédicacé à son jeune époux pour lui apporter « amour » et « bénédiction ». Autrement dit, les mémoires matériels de la famille tiennent à peu de choses. Toutefois, Hoggart s’y réfère, et avec émotion :
Quand je lus ceci, [...] c’était comme si je rencontrais notre père et notre mère, ensemble, pour la première fois. [...] Il y a de l’amour dans ces trois lignes, écrites dans le style de ce temps et de cette guerre, des styles qui, pour nous, ont perdu leur naturel. Je me donne du mal, c’est évident, pour expliquer et pour justifier les sentiments puissants que cette page a éveillés en moi.
1991 : 78-79
Quelques pages en amont, l’auteur raconte qu’il découvre dans les armoires de sa tante récemment décédée « une pile de coupures de journaux jaunissantes qui retraçaient [sa] carrière, au fil des années » (1991 : 61). Il voit dans cet archivage la matérialisation d’une certaine fierté, un « reflet de gloire », qui pointait dès lors que sa tante montrait ce recueil à ses alter ego. Les anciens (sont-ils les seuls ?) conservent et concentrent des souvenirs dans les objets, dans les odeurs. Les monographies cherchent d’ailleurs à rendre vivante la subtilité contenue dans les détails des espaces et des habitats. Les bibelots exposés sur les cheminées, les objets scrupuleusement rangés au bas des armoires sont autant d’indicateurs qui donnent à voir ce que les gens ont dans la tête et comment ils s’organisent. Dans le même esprit, Ulf Hannerz proposait l’utilisation des albums de famille comme support d’investigation (1983 : 381). J’y vois effectivement quelques avantages : partir des photographies pour faire parler les gens de leurs souvenirs et évoquer des anecdotes (Lahire, 1993 : 150), observer les techniques du corps et la mise en représentation physique devant un objectif extérieur, remonter les réseaux pour faire le tour du petit monde des enquêtés, décortiquer les annotations et inscriptions qui jouxtent les photographies.
Ces pistes ne peuvent écarter la composante principale de l’assemblage des articles opéré par la tante Hoggart : son neveu souligne la preuve d’amour qu’il entend en découvrant ce recueil. Amour qui apparemment avait du mal à s’exprimer et à s’extérioriser dans le présent. L’importance accordée à ces petits riens permet d’affirmer qu’il serait dommageable de faire comme si les objets, photos, correspondances ou archives rassemblés par les individus n’étaient pas dignes d’intérêt sociologique : ils sont conservés, classés, amassés tout au long de la vie et concentrent en eux l’histoire de leur propriétaire et de ses proches autant que celle de pratiques sociales.
Que s’est-il passé ces dernières décennies pour que sociologues et anthropologues commencent à questionner les objets des enquêtés et leurs intérieurs, à s’attacher aux petits gestes d’écriture, aux graphies qui consignent les pratiques, au lieu d’utiliser les techniques déjà existantes ? On peut renverser la question et se demander pourquoi les chercheurs ont souvent tourné autour des écrits produits sur leurs terrains d’enquête en les écartant systématiquement de leurs analyses. Il est certainement question d’un glissement des attentions sociologiques sur les pratiques des individus, d’un resserrement sur des sphères difficilement abordables dans le passé. Le monde privé, le familier, comme le langage de l’intimité, sont des thèmes qui ont longtemps été refoulés dans l’ombre des préoccupations sociologiques. Pensés comme antagonismes du collectif, susceptibles de produire des données sensibles trop proches des considérations personnelles ou des subjectivités, ils étaient abandonnés à d’autres disciplines. Les recherches réalisées dans les années 1970/1980 marquent de nouvelles formes d’appréhension du social, non seulement par l’accréditation progressive de techniques nouvelles, mais aussi parce qu’il était question de déceler du social là ou précédemment les chercheurs refusaient d’en voir : les enquêtes par observation in situ ou entretiens enregistrés ont révélé qu’il était possible de s’attacher de plus près aux individus, tout en éliminant le risque d’étudier les faits psychiques ou les consciences individuelles. Ce sont les zones multiples de confluences au sein desquelles les relations privées interpellent et intègrent l’espace public qui commencent à être révélées.
Toutefois, l’intimité, le familier et le domestique vont prendre d’autres figures du social mis en scène avec des approches de plus en plus resserrées sur les actes quotidiens. Dans les années 1990, les travaux pionniers dirigés notamment par Daniel Fabre abordent les « écritures ordinaires », celles de « gens ordinaires » qui n’ont aucune ambition littéraire. On est loin des statistiques lorsque l’on imagine le sociologue armé de son microscope et de sa loupe pour décrypter d’infimes écrits. Cette posture de micro-analyse qui s’applique au déchiffrement des mots graphiques saisit l’individu porteur de social au plus profond de son intérieur.
Quelles tensions étaient masquées derrière le peu de curiosité scientifique autour des écritures des enquêtés ?
Elles étaient controversées, jugées synonymes d’infimes réalités personnelles, de faits trop minuscules pour donner à voir du collectif. Issues de la plume des individus, elles concentrent la crainte de la production d’analyses psychologisantes. Et elles sont suspectées d’être la projection mentale de leur rédacteur, ce qui va de pair avec la volonté de s’éloigner des affects.
L’attention accordée aux membres des classes populaires, aux gens ordinaires, s’est construite à partir du discours et de la parole des principaux concernés. L’idée — critiquable — que les « pauvres » maîtrisent mal l’écrit, s’en servent peu, voire même qu’ils n’écrivent pas, est encore prégnante aujourd’hui, y compris en sociologie. À cela s’ajoute le fait que les gens sont là pour s’exprimer, qu’ils peuvent dire et se raconter, tandis que le document écrit serait un pis-aller, celui de l’historien qui ne peut plus rencontrer des vivants.
Les écrits sont facilement écartés parce qu’ils appartiennent traditionnellement à d’autres disciplines. Les belles oeuvres sont l’apanage des littéraires. Les archives sont la prérogative des historiens. Il est des cas ou psychanalystes et médecins ont travaillé à partir d’écrits de déviants. Les écrits ordinaires, les archives des individus, sont quant à eux principalement exploités par les juristes, dont le regard professionnel s’exerce au plus près des plaintes, litiges ou autres phénomènes actés qu’il faut écrire. Cependant, les hommes de loi n’interprètent pas les écrits, ils les rassemblent, les organisent, les utilisent comme preuve. Ils sont dans le rouage de la machine à écrire l’évolution (juridique) des faits.
La récente focale sur les archives des enquêtés et sur les écritures de l’ordinaire, par de nombreux chercheurs en sciences humaines[12], marque un changement d’échelle qui ne pouvait s’opérer dans le passé, ainsi qu’une nouvelle conception de la place accordée aux écrits. Regarder ce que font les gens, écouter ce qu’ils disent qu’ils font est une approche qui a fait étape. Apprendre à lire ce que font les gens à partir de leurs mots en est une autre, plus serrée, mais pas moins cruciale pour atteindre autrement les expériences des individus avec l’existant, ce qu’ils vivent ou endurent, les manières d’exposer et de penser le monde qui les entoure.
Il est question d’ethnographies, non pas des lieux, ni des interactions, mais des prises d’écriture, des relations graphiques qui marquent l’organisation des espaces collectivement partagés. Les questionnements qui en découlent portent sur les formes d’exposition des réflexivités individuelles (en ce qu’elles sont historiquement et localement situées), sur le travail qu’effectue l’individu sur lui-même par l’écriture pour rendre compte de ses conditions d’existence, autant que sur les formes d’agencement du vivre ensemble.
Est-ce une conception renouvelée du social qui comprend la « subjectivité » ? Je dirais plutôt que c’est une approche qui cherche à capter, à travers les multiples prises sur le réel, les transformations historiques des manières de vivre et de penser. Ces mises en scène graphiques de la vie quotidienne, pour remanier l’heureuse expression d’Erving Goffman, offrent à la lecture les différents cadres qui forment et forgent la pensée autant que les actes individuels. Des prises subjectives, des traces d’autoréflexion, peut-être, mais qui s’expliquent par ce que la société, à un moment donné, autorise ou condamne, par ce qui est dicible ou qui ne l’est pas, par des critères de la morale et du droit. Les écritures ordinaires du passé proche font valoir les transformations sociales. Celles du présent offrent du collectif en pleine formation. Pourquoi s’épargnerait-on l’analyse de tant de mots écrits qui donnent accès aux rêves, proposent des portraits de soi, fixent la violence des relations humaines et fabriquent du futur ?
Appendices
Notes
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[1]
Retracé par Stéphane Beaud (1996).
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[2]
Réflexive, dans le sens où les écritures carcérales ont suscité des réflexions sur mes propres pratiques et manières de penser l’organisation de la vie en collectivité. Elles m’ont aussi permis de questionner les postures méthodologiques et, par prolongement, les positionnements théoriques propres à la sociologie.
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[3]
Jean-Pierre Guéno, écrivain français, lance en 1998 l’opération « Paroles de Poilus » mise en oeuvre pour commémorer le 80e anniversaire de l’armistice. Par l’intermédiaire de plusieurs antennes radio, il est demandé aux auditeurs d’envoyer lettres et journaux intimes rédigés entre 1914 et 1918. Plus de 8 000 lettres sont rassemblées et les plus beaux textes sont publiés dans deux recueils : Lettres de la Grande Guerre et Lettres et carnets du front. Suite au succès de ce premier essai, Guéno décide de réitérer chaque année les « Paroles de... » et choisit comme second thème les Paroles de détenus.
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[4]
Quelques mots sur la technique que j’utilise pour interagir avec les gens. Au préalable de la constitution d’un corpus d’archives privées (sauf à l’acheter déjà constitué), il est souvent nécessaire de passer énormément de temps avec les enquêtés. Généralement, seules les relations d’extrême confiance ouvrent les portes des armoires et donnent accès aux cartons de souvenirs. J’avais donc opté pour des discussions libres et non enregistrées. La première raison est logique : mon corpus portait sur l’écrit, l’oralité ajoutait de la matière mais ne constituait pas mes données principales. Mes informateurs me permettaient d’accéder à la compréhension des mystères des écrits rassemblés. Aucun discours n’était préconstruit, car ce sont les lettres elles-mêmes qui définissaient les thèmes des conversations. Il me suffisait presque de relire certains courriers pour retracer le fil de la discussion. Le deuxième argument est plus perceptif, tout en étant un ricochet du premier. J’ai d’emblée su que les enquêtés allaient m’accorder beaucoup de temps. Les quelques entretiens semi-directifs enregistrés se sont vite avérés moins riches de données que les discussions autour des correspondances. De plus, je n’éprouvais aucune difficulté à revenir régulièrement vers eux pour délier les noeuds de mes incompréhensions ou de leurs contradictions.
-
[5]
Les monographies rédigées par les étudiants de l’université de Chicago sont largement étudiées aujourd’hui, mais l’utilisation faite à l’époque de documents personnels (journaux intimes, lettres privées, agendas, etc.) suscite encore des résistances. De plus, il faut noter que c’est à Robert E. Park que l’on attribue l’invention d’une nouvelle méthode de terrain. Pour approfondir ce sujet, se référer aux écrits de Jean-Michel Chapoulie et de Jean Peneff.
-
[6]
La synthèse proposée sur ces expérimentations américaines est issue d’un article précis et complet rédigé par Anna Iuso (2005).
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[7]
Les ethnologues de terrain les utilisent depuis Franz Boas, parti en expédition vivre avec des Inuit dès 1883. En sociologie, la méthode proposée par Frédéric Le Play est analogue (« Instruction sur la méthode d’observation dite des monographies de familles », in Les ouvriers européens, Paris, Société d’économie sociale, 1862). Ce qui me paraît dissembler dans le cas Marienthal tient dans l’adjonction de données écrites de la plume des enquêtés.
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[8]
Le lecteur reste tout de même frustré de ne pouvoir accéder aux données brutes, puisque ces documents personnels ne sont que succinctement listés comme types de matériaux recueillis.
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[9]
Janina Markiewicz-Lagneau retrace en 1976 l’épopée des moyens utilisés pour récolter des témoignages écrits.
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[10]
Cité par Janina Markiewicz-Lagneau (1976 : 604).
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[11]
Sans oublier les enquêtes canadiennes menées par Fernand Dumont et ses pairs dans les années 1970 sur les mutations du vécu des Québécois à travers leurs récits de vie, notamment les réflexions suggérées par Gilles Houle (1997) sur l’approche biographique, puisqu’il propose d’exploiter les récits de vie conjointement aux données autobiographiques, correspondances et journaux intimes. L’auteur se réfère à plusieurs enquêtes menées à partir des années 1980 sur la prise en considération des matériaux écrits.
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[12]
Les travaux sur ces questions remontent aux années 1990. Du côté de la sociologie, il faut retenir principalement Bernard Lahire, Jean Peneff et Jean-François Laé. La variété des objets et terrains d’étude constitués depuis vingt ans, ainsi que la qualité des travaux publiés, sont le fruit d’une réelle pluridisciplinarité des équipes. Cf. les recherches menées sous les directions de Daniel Fabre, Roger Chartier, Béatrice Fraenkel, Anni Borzeix, etc.
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