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1. Introduction

La schizophrénie est l’un des troubles mentaux les plus graves et difficiles à traiter. Elle constitue un problème de santé publique mondial en termes de prévalence (juste en dessous de 1 %) (Goeree et al., 2005 ; Kahn et al., 2015 ; Perälä et al., 2007), d’impact sur les patient(e)s et de charge économique pour la société (Goeree et al., 2005 ; Kennedy et al., 2014).

La relation thérapeutique (RT) représente l’un des éléments clés de la prise en charge de la schizophrénie (Farrelly et al., 2014 ; Frank et Gunderson, 1990 ; Goldsmith et al., 2015 ; McCabe et al., 2012 ; O’Brien et al., 2009). La RT est le lien collaboratif existant entre un(e) thérapeute et un(e) patient(e) (Svensson et Hansson, 1999). Une RT négative est corrélée à une moindre adhérence aux médicaments (McCabe et al., 2012 ; Tessier et al., 2017), une augmentation des réhospitalisations (Frank et Gunderson, 1990), davantage de symptômes négatifs et une réduction de la fonctionnalité sociale (Browne et al., 2019), ainsi qu’une moindre estime de soi et un désengagement aux services de santé mentale (Shattock et al., 2018).

Selon le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, il est attendu qu’un(e) résident(e) en psychiatrie soit capable « d’établir une relation thérapeutique positive avec les patient(e)s et leur famille, caractérisée par la compréhension, la confiance, le respect, l’honnêteté et l’empathie » (RCPFC, 2015).

Pour des raisons multidimensionnelles, les psychiatres peuvent toutefois rencontrer des difficultés à établir une RT optimale avec les personnes souffrant de schizophrénie. Certains facteurs sont liés aux patient(e)s (Charpentier et al., 2009 ; Martin et Franck, 2013 ; Shattock et al., 2018), tels que la méfiance, les hallucinations auditives, les évènements traumatiques dans l’enfance, les expériences négatives avec la psychiatrie, l’autostigmatisation, le trouble des relations interpersonnelles, un manque d’autocritique (Kvrgic et al., 2013), les altérations de l’empathie cognitive (Berger et al., 2019), et la sévérité des troubles de la pensée (Cavelti et al., 2016). D’autres facteurs sont liés aux psychiatres, comme une mauvaise compréhension des symptômes dont le fait d’entendre des hallucinations auditives, des difficultés à reconnaître la détresse, un déclin de l’empathie pendant les études de médecine (Hojat et al., 2009 ; Neumann et al., 2011), ou une stigmatisation des symptômes (Stip et al., 2006), pour ne citer que quelques exemples. Finalement, certains autres facteurs sont liés à la situation entourant la rencontre entre patient(e)s et psychiatres, comme dans l’hospitalisation, le contexte de crise ou les soins forcés.

Dans le contexte de la pédagogie médicale, il est donc nécessaire de prendre en compte les facteurs cités ci-dessus liés aux psychiatres pour les améliorer.

Les hallucinations auditives, ou dites autrement, l’entente de voix, étant une expérience subjective et intime (Ait Bentaleb et al., 2000), les psychiatres éprouvent souvent de la difficulté à la comprendre et conséquemment, à faire preuve d’empathie envers les personnes qui souffrent de cette réalité. Afin de favoriser une RT positive, il serait bénéfique que les psychiatres puissent mieux comprendre cette expérience. Or, il n’existe actuellement aucun outil pédagogique validé pour améliorer cette compréhension, que ce soit pour les résident(e)s en psychiatrie ou pour les psychiatres plus expérimenté(e)s (Pelletier et al., 2021).

Les simulateurs sont des outils d’apprentissage de plus en plus utilisés en pédagogie médicale. Ils reposent sur l’apprentissage par expérience (Kolb, 2015) et ont prouvé leur efficacité. Ils permettent aux apprenant(e)s d’acquérir une compréhension subjective d’une gamme de compétences souhaitées (Yardley et al., 2012).

Plusieurs études ont évalué l’impact d’un simulateur d’hallucinations auditives sur les professionnel(le)s de la santé (Patterson et al., 2014) : étudiant(e)s en soins infirmiers (Kim & Wojnar, 2019 ; Orr et al., 2013), psychologues clinicien.ne.s (Riches et al., 2019), étudiant(e)s en médecine (Bunn et Terpstra, 2009 ; Galletly et Burton, 2011), étudiant(e)s en pharmacie (Skoy et al., 2016). Ces études ont utilisé des simulateurs en sons stéréophoniques, principalement le simulateur de Deegan : The Hearing Voices That Are Distressing (Deegan, 2006). Cependant, aucune étude n’a été menée sur la réaction des résident(e)s en psychiatrie à un tel simulateur.

Une revue systématique sur l’impact des outils de simulation d’hallucinations auditives dans la formation des professionnel(le)s de la santé a montré que les simulateurs peuvent améliorer l’empathie, l’intelligence émotionnelle, les attitudes, les connaissances, la compréhension de l’entente de voix et augmenter la confiance dans sa propre pratique (Bradshaw et al., 2021). La simulation d’hallucinations auditives y est décrite comme une expérience d’apprentissage enrichissante qui permet de réduire la stigmatisation en changeant les pratiques vis-à-vis des patient(e)s (en étant plus patient(e)s, plus ouvert(e)s d’esprit, plus compréhensif(-ve)s et moins jugeant(e)s.

En revanche, le son stéréophonique utilisé par les simulateurs de ces études permet seulement de produire un son localisé dans la tête. Il ne permet pas de reproduire l’externalisation des hallucinations comme peuvent le décrire les entendeur(se)s de voix. Par conséquent, ces simulateurs ne rendent pas compte d’une partie importante de l’expérience incarnée de la réalité des hallucinations auditives.

Afin de pallier cette limite, la technologie sonore de reproduction binaurale est intéressante puisqu’elle a le potentiel de recréer des sons en les spatialisant à l’extérieur de la boîte crânienne (Blauert, 1996 ; Reardon et al., 2018 ; Schneider, 2021), offrant ainsi un réalisme accru aux simulateurs d’hallucinations auditives.

Dans cette étude pilote descriptive, nous explorons la réaction des résident(e)s en psychiatrie face au simulateur audio 3D de voix (3DV), cocréé avec des entendeur(-euse)s de voix, et utilisant la technologie sonore de reproduction binaurale. Il s’agit d’une étude de l’étape 1 (étude de la réaction des participants) du modèle Kirkpatrick (Smidt et al., 2009). Ce modèle classe les études de recherche en pédagogie.

Nous formulons l’hypothèse que ce simulateur aura un effet positif sur les résident(e)s en psychiatrie, notamment sur leur empathie, et sera bien toléré.

Nous envisageons le simulateur 3DV comme un outil pédagogique potentiel et souhaitons le mettre en développement par cette étude pilote, dont l’approche est inclusive, bien intentionnée et potentiellement intéressante pour les clinicien(ne)s et les chercheur(e)s du domaine. Cette intention pédagogique suit les traces d’autres programmes universitaires établissant des cours pour enseigner l’empathie aux étudiant(e)s en médecine (Shapiro, 2011).

2. Matériels et méthodes

2.1 Description de l’équipe de recherche et de la cocréation du simulateur

La création du scénario de 3DV a été réalisée en collaboration avec une équipe inclusive et transdisciplinaire. Cette équipe fût composée de 3 entendeur(euse)s de voix du Réseau des entendeurs de voix québécois (Le REVQuébécois), 2 psychiatres, 1 résidente en psychiatrie, des chercheurs spécialisés en recherche qualitative, 2 chercheurs en génie acoustique et 2 acteur(trice)s-auteur(trice)s, dont l’un est également entendeur de voix. Cette approche inclusive est innovante et repose sur l’entremêlement des savoirs expérientiels et académiques. Nous avons favorisé la participation des entendeur(-euse)s de voix dans les équipes de travail et de recherche, car nous considérons qu’ils et elles sont des chercheur(-euse)s non traditionnel(le)s à part entière (Dos Santos et Beavan, 2015).

Étant donné que nous avions besoin d’un simulateur en français canadien, nous ne pouvions pas utiliser le simulateur fabriqué en anglais par Deegan (Deegan, 2006). Nous avons donc décidé de concevoir notre propre simulateur et de rédiger un nouveau scénario en collaboration avec notre équipe multidisciplinaire. La rédaction du scénario s’est faite sur la base d’un dialogue ouvert, lors de 4 demi-journées d’ateliers où les idées et les savoirs ont été partagés et compilés. Les acteur(-trice)s-auteur(-trice)s apportaient des esquisses écrites ou sonores à chaque début de nouvelle séance, en fonction de l’atelier précédent, et les entendeur(-euse)s de voix ainsi que les autres chercheur(-euse)s fournissaient ensuite des commentaires pour améliorer le scénario.

Le script final comprend un contenu auditif varié allant du silence aux bruits, en passant par les mots et les discours (Ait Bentaleb et al., 2000, 2002). Il englobe des voix positives et négatives, une gamme diversifiée d’émotions (p. ex. le plaisir, la peur, la colère et l’anxiété), sans pour autant atteindre des contenus dérogatoires, suicidaires ou homicidaires. Étant donné que les entendeur(-euse)s de voix ont insisté sur la manière dont les hallucinations auditives les affectent subjectivement, nous avons mis l’accent sur des contenus jugés pertinents pour les participant(e)s de l’étude, c’est-à-dire des dilemmes professionnels communs aux résident(e)s en psychiatrie, tels que l’estime de soi, les expériences difficiles de supervision, les insécurités professionnelles, le manque de soutien de leur superviseur(e), le syndrome de l’imposteur et la solitude.

Une fois le scénario finalisé, une première version du simulateur 3DV a été produite dans un studio de son haut de gamme (chambre semi-anéchoïque). Nous avons utilisé la description fournie par les entendeur(-se)s de voix en ce qui concerne les aspects de la localisation et de l’externalisation de leurs hallucinations pour enregistrer les sons. Deux acteur(-trice)s ont interprété le scénario en se déplaçant autour d’une tête factice d’enregistrement binaural (le modèle Neuman KU 100), d’un torse factice (B&K), et d’une paire stéréophonique de microphones (ORTF). Tous les sons ont été enregistrés à l’aide d’équipements et de configurations professionnels (carte son RME-Audio Fireface, taux d’échantillonnage de 48 kHz, résolution 24 bits). Une fois les captures sonores terminées, un montage et un mixage ont été effectués pour conserver les prises les plus précises et régler le rythme final. Aucun effet audio n’a été appliqué en dehors de l’édition pour préserver les indices binauraux et spectraux associés au Head-Related Transfer Functions (HRTFs), qui codent les indices de localisation sonore dans les enregistrements binauraux. La durée du montage sonore final est de 15 minutes et il peut être écouté avec des écouteurs standards à 2 canaux. L’ensemble de l’équipe a écouté le résultat et a demandé des modifications supplémentaires pour établir la version finale utilisée lors de l’expérimentation de la présente recherche.

2.2 Contexte de la technologie sonore de reproduction binaurale

L’adjectif « binaural » fait référence à tout ce qui est lié à l’audition avec 2 oreilles (Blauert, 1996 ; Reardon et al., 2018 ; Schneider, 2021). Dans l’audition binaurale naturelle, les oreilles externes, y compris la tête, les pavillons, ainsi que le torse, filtrent les sons selon leur direction et leur distance afin d’aider à leur localisation. Ce filtrage s’effectue aussi par l’intermédiaire des HRTFs, qui sont également essentielles à l’externalisation du son, c’est-à-dire que le son est compris comme ne provenant pas de l’intérieur de la tête. La technologie sonore de reproduction binaurale utilise les caractéristiques des HRTFs d’une tête factice ou réelle et recrée une scène sonore immersive et externalisée à l’aide d’un casque audio ordinaire (Blauert, 1996 ; Reardon et al., 2018 ; Schneider, 2021).

2.3 Participants

L’échantillon de cette étude est constitué de 12 résident(e)s en psychiatrie de l’Université de Sherbrooke, située dans la province de Québec, au Canada. Les participant(e)s ont été recruté(e)s via des courriels internes et des communications entre pairs. Afin de garantir une meilleure représentativité dans l’échantillon, nous avons inclus 2 à 3 résident(e)s par niveau de résidence, avec une représentation de genre à peu près équivalente. Les critères d’inclusion étaient d’être en résidence de psychiatrie de la 2e à la 5e année, d’avoir entre 18 et 40 ans et d’avoir un minimum de 3 mois d’expérience clinique avec des patient(e)s psychotiques. Les critères d’exclusion étaient d’avoir des problèmes auditifs connus ainsi que d’avoir expérimenté des phénomènes d’hallucinations auditives.

2.4 Mesure de l’empathie

Nous avons choisi l’échelle The Jefferson Scale of Physician Empathy pour les professionnel(le)s de la santé (JSPE©) parmi les différents outils de mesure de l’empathie, car elle semble être la plus appropriée pour les professionnel(le)s de la santé prodiguant des soins aux patient(e)s (Hojat et Gonnella, 2015). Une revue récente de la littérature a classé cet outil parmi les 3 meilleurs instruments pour évaluer l’empathie (Hong et Han, 2020). Cette échelle autoadministrée est composée de 20 items, dont la traduction française a été validée (Bitoun et al., 2020). Le score varie de 20 à 140, et plus le score est élevé, plus le comportement des individus est considéré comme empathique. Les propriétés psychométriques de l’échelle sont de bonne qualité, avec un alpha de Cronbach de 0,87 dans un échantillon de résident(e)s (Hojat et al., 2001).

2.5 L’intervention

L’intervention pédagogique dure 35 minutes pour chaque participant(e) et se compose des 5 étapes suivantes : a) une présentation générale de l’intervention, une orientation sur l’utilisation du casque et des équipements connexes, ainsi qu’un questionnaire sociodémographique à remplir ; b) la complétion de l’autoquestionnaire JSPE© ; c) l’écoute du simulateur 3DV pendant 15 minutes avec un casque d’écoute standardisé (marque Sennheiser, modèle HD600) ; d) une période de débriefing ; e) une deuxième complétion du JSPE©. L’intervention pédagogique a été menée par la même personne, qui a utilisé à chaque fois le guide d’entretien prévu à cet effet. Pour l’écoute du simulateur, chaque résident(e) était seul(e) dans la pièce, assis(e) devant un bureau fixé à un mur, sans stimulation externe ni tâche cognitive à effectuer. Les participant(e)s ont été invité(e)s à retirer le casque d’écoute à tout moment s’ils ou elles se sentaient mal à l’aise. Ensuite, une séance de débriefing spontanée, non enregistrée et non protocolisée, d’une durée de 5 minutes environ, réalisée par une présente autrice (LP) visait à un court entretien semi-dirigé qui débutait par une question commune générale ouverte sur leur expérience et leur vécu de cette intervention (Comment avez-vous vécu cette expérience ?), puis à des questions additionnelles pour préciser certains éléments dans la réponse. Durant cette séance, LP a collecté des notes de terrain concernant les réponses des participant(e)s. L’audition des participant(e)s n’a pas été testée formellement avant l’expérience, mais nous avons confirmé qu’ils ou elles entendaient bien les sons prévus sur l’écouteur droit puis gauche au début de l’écoute. Cela nous aidait par ailleurs à nous assurer que l’appareil fonctionnait correctement. Le même appareil a été utilisé pour chaque participant(e) et le niveau sonore du simulateur a été systématiquement réglé à 80 % d’un niveau de conversation normale, conformément aux commentaires des entendeur(-euse)s de voix. Les résident(e)s ont été expressément invité(e)s à ne pas toucher aux appareils ni à ajuster le volume du simulateur pour garantir la reproductibilité de l’expérience.

2.6 Méthode et analyse statistique

Pour évaluer la significativité statistique de la différence observée du score total de la JSPE© avant et après le simulateur 3DV, nous avons effectué une analyse de test de rangs signés de Wilcoxon (voir Tableau I).

Tableau I

Test de rangs signés de Wilcoxon

Comparaison des scores totaux avant et après l’écoute du simulateur 3DV

Test de rangs signés de Wilcoxon

-> See the list of tables

Pour l’analyse des notes de terrain (prises par LP) de la séance de débriefing (Halcomb et Davidson, 2006), 2 des auteurs (KZ et LP) ont divisé les observations en 2 sections, notamment l’appréciation générale et les thèmes ressortis.

2.7 Aspects éthiques

Le projet a été approuvé par le comité d’éthique de la recherche du Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, Hôtel-Dieu (#2021-3303).

3. Résultats

3.1 Caractéristiques sociodémographiques

Au total, 13 resident(e)s en psychiatrie ont participé à l’étude, dont 12 ont achevé l’intervention complète. Un(e) participant(e) a été exclu(e) en raison d’expériences antérieures d’hallucinations auditives hypnopompiques et hypnagogiques. Parmi les 12 participant(e)s, 7 étaient des femmes et l’âge moyen (ET) était de 28,8 (3,8) ans. Dix participant(e)s avaient une expérience de formation antérieure de plus de 6 mois avec des personnes atteintes de troubles du spectre de la schizophrénie, tandis que les 2 autres avaient une expérience comprise entre 3 et 6 mois. Aucun(e) des participant(e)s n’avait de connaissances préalables sur la technologie de reproduction binaurale, et un(e) seul(e) avait entendu une simulation stéréophonique d’hallucinations auditives sur la plateforme numérique YouTube. Plus de détails sont disponibles dans le matériel supplémentaire 1.

3.2 Résultats quantitatifs

Les résultats du test de Wilcoxon signé ont révélé que la différence observée entre les scores de la JSPE© avant et après l’écoute du simulateur n’était pas statistiquement significative (p = 0,767, z = -0,297 ; Tableau I). Le rang moyen était de 5 avant l’utilisation du simulateur et de 5 après.

3.3 Résultats des notes de terrain (matériel supplémentaire 2)

3.3.1 Appréciation globale

De manière générale, les participant(e)s (n = 10) ont considéré l’expérience du simulateur 3DV comme intéressante, utile et propice à l’acquisition d’une empathie accrue envers les patient(e)s. Voici quelques verbatims : « Beau projet de recherche (…) Faire ça au niveau académique ça pourrait être pertinent » ; « Vraiment intéressante comme expérience » ; « Super, ça atteint bien le travail sur l’empathie » ; « Je me rends compte que l’empathie est aussi importante que la médication » ; « C’était bien le fun d’expérimenter différentes sortes d’hallucinations auditives. On lit là-dessus, on en parle, mais on n’en a jamais expérimenté. ».

3.3.2 Les thèmes ressortis

Après l’expérience, la plupart des participant(e)s (n = 10) ont déclaré qu’ils ou elles pouvaient mieux comprendre que vivre continuellement avec des hallucinations auditives pouvait avoir un impact négatif sur la qualité de vie, l’estime de soi et être angoissant. Voici un verbatim : « Souvent les voix venaient chercher quelque chose d’intense, no wonder que nos patients sont anxieux ou désagréables ». Certain(e)s (n = 9) ont également exprimé qu’ils ou elles pouvaient imaginer qu’il y avait une certaine réalité aux voix : comme si il y avait quelqu’un d’autre dans la pièce ou comme si il fallait discuter ou écouter l’ordre des voix s’ils ou elles n’avaient pas su que c’était une expérience de recherche. Voici un verbatim : « J’avais l’impression d’une voix juste derrière [la tête], j’avais le goût de tourner la tête. Certaines phrases étaient physiquement achalantes et me donnaient le goût de me gratter les oreilles ». Certains (n = 7) ont reconnu que le contenu du simulateur avait été conçu pour leur contexte, ce qui les a aidé(e)s à s’immerger dans la simulation. Deux personnes participantes ont suggéré que la personnalisation pourrait être améliorée par la création de scénarios spécifiques à chaque genre. De plus, certain(e)s (n = 4) ont déclaré qu’ils ou elles auraient bénéficié davantage de la simulation s’ils ou elles avaient été soumis(e)s à une tâche cognitive ou qu’ils ou elles ont tenté, par eux(elles)-mêmes, de le faire pendant la simulation.

4. Discussion

4.1 Résultats principaux

Le résultat principal de cette étude pilote descriptive est que le simulateur de voix en 3 dimensions (3DV), développé de manière inclusive et participative, a été globalement bien accueilli par les résident(e)s en psychiatrie. Cependant, en raison de la nature exploratoire de cette recherche, les résultats sont mitigés et semblent dépendre de la manière dont l’empathie a été évaluée. D’une part, il n’y a pas eu de différence statistiquement significative dans le score total de l’échelle autoadministrée (JSPE©) sur les 12 participant(e)s, en partie en raison d’un manque de puissance statistique. D’autre part, les déclarations spontanées des participant(e)s lors du debriefing ont été très encourageantes.

Un autre aspect important est que l’échelle JSPE© ne semble pas être l’instrument psychométrique le plus adapté pour évaluer l’empathie chez les résident(e)s en psychiatrie, car les scores préintervention sont déjà très élevés, rendant difficile la détection d’une différence même avec un plus grand nombre de participant(e)s. Par ailleurs, nous réalisons que le JSPE© est un outil qui manque de sensibilité temporelle.

4.2 Pour enseigner l’empathie

Bien que de nombreux manuels pédagogiques et le Collège royal des médecins et chirurgiens au Canada mettent l’accent sur le rôle et l’importance de l’établissement d’une RT positive, une revue systématique de la littérature réalisée par 3 des présents auteur(-trice)s (KZ, LP et SG) sur les outils pédagogiques visant à améliorer la RT des psychiatres et des résident(e)s en psychiatrie avec des patient(e)s souffrant de psychose montre qu’il n’y a qu’un nombre limité d’étude sur ce sujet, et qu’elles ont une faible puissance statistique (Pelletier et al., 2021). Par conséquent, il est impératif de poursuivre la recherche dans ce domaine et de développer de nouveaux outils pédagogiques, tels que le simulateur 3DV.

4.3 Résultats quantitatifs

Étant donné le faible nombre de participant(e)s, la puissance statistique de cette étude pilote est limitée. Par conséquent, l’absence de différence statistiquement significative trouvée avec le test de Wilcoxon peut être simplement liée à la faible puissance de l’étude et non à l’absence de différence réelle.

Des études futures avec une puissance suffisante doivent être menées pour compléter cette étude exploratoire et déterminer si le simulateur 3DV agit de manière statistiquement significative sur l’empathie des participant(e)s.

En revanche, nous remettons en question l’utilisation de l’échelle JSPE© pour les prochaines études. Bien que cette échelle soit considérée comme l’autoquestionnaire le plus approprié pour les participant(e)s qui dispensent déjà des soins aux patient(e)s, (Hojat et Gonnella, 2015), selon une récente revue systématique de la littérature (Hong et Han, 2020), nous avons constaté que les scores de JSPE© avant l’intervention 3DV étaient encore plus élevés que prévu par rapport aux résultats des concepteur(-trice)s de l’échelle. En effet, le JSPE© est conçu pour tous les professionnel(le)s de la santé, sans distinction de leur spécialité (Hojat et al., 2001).

Les médecins exerçant dans des spécialités axées sur les personnes ont tendance à obtenir des scores plus élevés que ceux exerçant dans des spécialités axées sur la technologie, tels que l’anesthésiologie, l’anatomopathologie, la radiologie et la chirurgie. Nous avons remarqué que puisque la psychiatrie est une spécialité axée sur les personnes qui utilise l’empathie comme outil de travail, les scores initiaux du JSPE© sont plus élevés que ce que nous anticipions. Cet aspect peut réduire la marge d’amélioration des scores et entraîner artificiellement de faux négatifs.

Dans ce sens, nous pensons que le JSPE© n’est peut-être pas approprié pour mesurer l’empathie en psychiatrie, car les scores préintervention sont saturés vers le haut et empêchent de mesurer une amélioration d’empathie postintervention. Cette observation pourrait également aider à comprendre pourquoi nous n’avons pas trouvé de différence statistiquement significative sur le score JSPE© avant et après l’intervention 3DV.

4.4 Résultats sur les notes de terrains

Les participant(e)s (83,3 %) ont convenu que vivre quotidiennement une expérience telle que celle vécue avec le simulateur 3DV d’hallucinations auditives rendrait impossible la possibilité de se concentrer et de mener une vie normale. En effet, l’hallucination auditive est décrite comme distrayante, intrusive et anxiogène. Malgré cela, le même pourcentage de participant(e)s ont principalement décrit leur expérience avec le simulateur comme quelque chose de positif et aidant à être plus empathique et à mieux comprendre la réalité des patient(e)s. À leurs yeux, la simulation a agi comme une nouvelle référence pour comprendre les hallucinations auditives.

De tels commentaires nous informent que notre objectif exploratoire de reproduire l’expérience d’hallucination auditive avec un haut degré de réalité a été subjectivement réussi, du moins du point de vue humain et qualitatif.

L’empathie se définit comme un processus (Thompson et al., 2019), et nous distinguons les empathies cognitives et affectives de l’empathie motivationnelle (Weisz et Zaki, 2018), qui sont respectivement les moyens et la fin. D’autres dimensions constitutives, non abordées dans le présent article, peuvent aussi être retrouvées comme le souci de l’autre, la régulation des émotions et la distinction soi-autrui (Decety et Fotopoulou, 2015).

La partie cognitive de l’empathie est la compréhension théorique de l’expérience de l’autre, qui correspond pour les résident(e)s en psychiatrie aux apprentissages à l’université. Shapiro retrouve que cette composante de l’empathie est valorisée durant les études de médecine (Shapiro, 2011).

La partie affective de l’empathie est le sentiment chaleureux émotionnel et affectif de l’expérience de l’autre. Un simulateur de voix, tel que 3DV, tente d’agir sur l’empathie affective.

Lorsque ces 2 moyens cognitifs et affectifs sont réunis, une personne peut décider d’agir positivement et de manière empathique, soit, faire preuve d’empathie motivationnelle.

Cependant, étant donné que les empathies cognitives, affectives et motivationnelles sont généralement confondues dans la population non experte de l’empathie, il existe une possibilité importante que dans le cadre de notre étude, les résident(e)s en psychiatrie aient fait l’amalgame entre les 3 formes différentes de l’empathie en répondant au questionnaire. En effet, le JSPE© n’évalue pas les différentes formes d’empathie, cette échelle mesure un amalgame des empathies cognitives, affectives et motivationnelles, ce qui peut participer à masquer certains résultats. Ainsi, en remplissant l’échelle, il est possible qu’un(e) participant(e) se concentre une première fois sur l’empathie cognitive (c’est-à-dire le savoir issu de l’université), et ensuite à l’empathie affective (c’est-à-dire au savoir issu de l’expérience simulée) en la remplissant à nouveau après avoir fait la simulation. Dans ce cas, une personne utilisant 2 fois une même échelle pourrait ne pas penser à la même chose en la remplissant.

Plusieurs indices nous permettent d’inférer cette hypothèse. Tout d’abord, les participant(e)s ont admis qu’ils ou elles étaient plus surpris(e)s qu’ils ou elles ne le pensaient quant à leur compréhension des hallucinations auditives. Bien qu’ils ou elles semblaient démontrer une compréhension théorique des hallucinations, leur expérience avec le simulateur a révélé un écart entre leurs connaissances théoriques et leurs compréhensions pratiques. Par conséquent, lors de la 1ere passation de l’échelle, les participant(e)s ont été plus enclin(e)s à penser à leur empathie cognitive, tandis que lors de la 2e passation, soit après avoir vécu la simulation, ils ou elles ont été plus enclin(e)s à penser à leur empathie affective. Cela peut participer à expliquer l’absence de différence observée pré et postsimulateur sur l’échelle JSPE©.

Bien que l’empathie motivationnelle n’ait pas été évaluée formellement dans cette étude, un(e) participant(e) a mentionné vouloir agir différemment après avoir écouté le simulateur 3DV.

4.5 Limites

Ce projet pilote présente plusieurs limitations. Tout d’abord, la faible puissance statistique due au nombre limité de participant(e)s (n = 12) est inhérente à la nature exploratoire et descriptive d’un projet pilote.

De plus, les auteur(-trice)s de cet article sont principalement des universitaires menant des recherches avec des résident(e)s et des collègues de leur département. Cela pourrait être considéré comme une limitation en termes de validité interne puisque les participant(e)s étaient connu(e)s de membres de l’équipe. En outre, la participation des participant(e)s était volontaire, ce qui peut biaiser les résultats, car ces dernièr(e)s peuvent avoir un intérêt particulier pour la recherche sur l’empathie et les hallucinations auditives. Nous n’avons pas recueilli les données liées aux consommations de drogues, puisqu’il est admis que les participant(e)s n’étaient pas sous l’influence de consommations sur leur lieu de travail.

Enfin, les évaluations ont été effectuées immédiatement après l’expérience, ce qui ne permet pas de mesurer les effets à long terme de l’utilisation du simulateur et de la technologie binaurale.

Un autre biais potentiel est l’absence de groupes témoins, à savoir un groupe sans simulateur et un groupe avec le même scénario, mais sans la technologie binaurale. Cette absence limite notre capacité à déterminer l’impact de la technologie sonore binaurale sur les résultats. En effet, l’effet recherché par la technologie binaurale était de répondre à l’une des limites des simulateurs existants en son stéréophonique, soit l’impossibilité d’externaliser les sons. Toutefois, il est difficile de déterminer si cette technologie a un impact significatif sur les résultats de cette étude.

Malgré le fait que les résident(e)s en psychiatrie partagent des dilemmes professionnels communs tels que l’anxiété de performance et le syndrome de l’imposteur, comme évoqués dans le scénario du simulateur 3DV, il est important de noter que le contenu des hallucinations peut les affecter différemment en raison de l’expérience subjective unique de chaque individu. Par conséquent, nous ne pouvons pas garantir une reproduction fidèle de l’expérience d’hallucinations auditives dans notre simulateur. En outre, le scénario ne contient pas de contenu dérogatoire, suicidaire ou homicidaire pour des raisons éthiques, ce qui ne représente pas une partie significative du contenu des hallucinations des patient(e)s qui leur cause souvent une grande détresse.

Notre étude présente également des limites de validité externe, car les résultats ne peuvent pas être généralisés à d’autres spécialités, locuteurs d’autres langues ou autres professionnel(le)s de la santé. En outre, la manière dont nous avons évalué l’empathie est une limitation, car les résultats qualitatifs à partir d’entretiens semi-structurés sont souvent plus appropriés pour comprendre la perception des participant(e)s et pour compléter les notes de terrain (Halcomb et Davidson, 2006). De plus, l’échelle JSPE© ne semble pas la plus appropriée pour évaluer un changement à travers le temps. Enfin, les patient(e)s n’ont pas été impliqué(e)s dans l’évaluation de l’empathie des résident(e)s, ce qui pourrait être exploré dans des recherches futures.

5. Conclusion

Les résultats de cette étude pilote soulignent l’importance de poursuivre les efforts pour améliorer les interventions pédagogiques destinées à renforcer l’empathie des résident(e)s en psychiatrie, et préparent le terrain pour des études plus vastes, analysant la réaction, mais aussi les acquis et leurs maintiens.

Ils indiquent également que le simulateur 3DV a été bien accueilli par les résident(e)s et encouragent la réalisation d’études à plus grande échelle, avec la participation continue des entendeur(-euse)s de voix dans toutes les phases de la recherche.

En effet, en plus de son aspect thérapeutique, une RT positive comporte 2 autres aspects. Le premier est diagnostique, soit, le fait que les patients qui se sentent compris et en sécurité sont plus enclins à fournir des détails pertinents pour le diagnostic. Le second est préventif, soit, le fait que l’empathie est un facteur de protection contre l’épuisement professionnel chez les médecins (Thirioux et al., 2016). Ainsi, en plus de favoriser une meilleure compréhension du vécu des patient(e)s qui souffrent d’hallucinations auditives, le simulateur 3DV est un outil supplémentaire pour lutter contre l’épuisement professionnel des résident(e)s et améliorer la qualité de leurs diagnostics (Gleichgerrcht et Decety, 2013 ; Riess et al., 2012).

En somme, le simulateur 3DV contribue à améliorer la qualité des soins et la satisfaction tant des patient(e)s que des soignant(e)s.

5.1 Propositions de recommandations

  1. Pour construire un simulateur d’hallucinations auditives, plusieurs points doivent être pris en compte :

    1. La coconstruction du scénario des hallucinations doit être réalisée par une équipe multidisciplinaire, comprenant des entendeur(-euse)s de voix, des psychiatres et des chercheur(-euse)s, dans une atmosphère de mise en horizontalité des connaissances ;

    2. Nous avons appris que l’expérience d’hallucinations auditives est une expérience plus large que ce qui est traditionnellement rapporté dans les manuels de psychiatrie, en particulier en ce qui concerne la subjectivité propre à chaque personne. Nous recommandons ainsi de cibler la subjectivité de chaque personne participante ou groupe homogène de participant(e)s. Il est préférable de créer plusieurs scénarios spécifiques aux participant(e)s plutôt que de tenter d’écrire un scénario pour un simulateur visant la « population générale » ou un groupe « universel », qui manquerait la subjectivité individuelle.

  2. Pour améliorer la puissance statistique des études :

    1. Augmenter la taille de l’échantillon, la diversité des populations étudiées ;

    2. Mettre l’accent sur les données qualitatives, car elles évaluent davantage la réalité et la subjectivité de l’expérience ;

    3. Construire une échelle spécifique pour mesurer la totalité des différentes facettes de l’empathie (les empathies cognitives, affectives et motivationnelles) ;

    4. Associer des tâches cognitives à l’écoute du simulateur afin que l’expérimentation soit plus proche de l’expérience d’entendre des hallucinations auditives ;

    5. Évaluer dans le temps si les effets persistent.

  3. Étapes suivantes dans la recherche pédagogique. Les études de niveau 1 du modèle Kirkpatrick sont importantes afin d’explorer une nouvelle technologie (comme pour notre étude). Cependant, il faut poursuivre vers les études de plus haut niveau de ce modèle afin d’évaluer si les changements persistent dans le temps, et si l’amélioration de l’empathie des professionnel(le)s de la santé obtenue grâce au simulateur 3DV a un effet positif sur la santé des patient(e)s.