Abstracts
Mots-clés :
- Linguistique,
- sémiotique,
- ethnographie,
- psychanalyse,
- phénoménologie,
- écriture
Keywords:
- Linguistics,
- Semiotics,
- Ethnography,
- Psychoanalysis,
- Phenomenology,
- Writing
Article body
Ferdinand de Saussure reste sans doute aujourd’hui le linguiste le plus illustre dans le monde. Même s’il n’est peut-être plus celui qui est le plus abondamment lu. Il a en tout cas cessé d’être celui qui est le plus fréquemment cité par les chercheurs, quelle que soit leur discipline : Noam Chomsky le devance, assez largement, en dépit du retard d’une cinquantaine d’années que le hasard lui a fait prendre sur Saussure. Faut-il préciser que Chomsky est favorisé par la langue qu’il pratique? L’anglais, depuis pas mal de temps, garantit d’emblée, quels que soient l’ouvrage et ses mérites, beaucoup plus de lecteurs que le français. En témoigne la comparaison, pour les deux auteurs, de la densité des citations qui sont faites de leurs travaux et de leurs traductions. Les traductions anglaises de Saussure sont plus fréquemment citées que les textes originaux, en dépit de leur manifestation évidemment beaucoup plus récente. C’est l’inverse pour les traductions françaises de Chomsky, et de façon particulièrement accusée. Quelles sont les causes de cet état de fait? Une différence de valeur ou d’efficacité – à supposer ces notions clairement définies – entre les deux appareils théoriques? Ou des circonstances socioculturelles générales, qui, sans tenir aucun compte de la valeur des textes, privilégient une langue et les modes de diffusion, notamment d’édition, qu’elle comporte? C’est d’évidence la seconde raison qui joue. Le résultat? Une perte d’influence, lente, mais progressive pour le linguiste le moins cité. Et pour les modes de pensée et de recherche que son oeuvre continue, mais de façon de moins en moins extensive, à promouvoir. De façon exactement simultanée, Gilbert Lazard et Alain Lemaréchal ont attiré l’attention, en 2014, sur cette situation de l’influence de Saussure. Ils tombent l’un et l’autre d’accord sur l’indissolubilité du lien entre la science du langage et “l’épistémologie saussurienne, en particulier la théorie du signe tel que Saussure l’a défini” (Lemaréchal 2014 : 5; en accord total avec Lazard 2014 : 93). Lemaréchal précise explicitement que cette théorie du signe s’inscrit dans une conception de la langue “comme un système fermé sur lui-même au sein duquel chaque signe ne tient sa valeur que de son opposition aux autres signes” (ibid.) : c’est résumer exactement et élégamment ce qu’il y a de plus central dans l’enseignement de Saussure et son effet sur la linguistique. C’est alors à Lazard d’analyser, avec une lucidité désabusée, les aspects socioculturels de la perte d’influence subie par Saussure et le saussurisme :
J’aimerais désigner la tradition structuraliste européenne comme le paradigme saussurien et la tradition américaine actuelle comme le paradigmepostchomskyen, la figure tutélaire du premier étant naturellement Ferdinand de Saussure, celle du second Noam Chomsky. En fait la rivalité entre eux est presque illusoire, car le combat est trop inégal, la suprématie du second étant trop éclatante. […] Elle a pour arme l’impérialisme anglophonique, auquel il est difficile de résister, car il coïncide avec l’intérêt matériel des maisons d’édition.
2014 : 92
Cependant, pour la “bibliographie secondaire”, Saussure, pour l’instant, caracole encore largement en tête. Cette différence trouvera peut-être un début d’explication dans la suite de cette introduction. C’est un fait en tout cas que les articles qui prennent pour objet l’oeuvre de Saussure se comptent par milliers, et continuent à proliférer. Une revue, les Cahiers Ferdinand de Saussure, lui est consacrée, à lui et à l’“École de Genève”, depuis 1941. Les documents proprement saussuriens qu’elle a publiés sont innombrables et indispensables. Les ouvrages? Le recensement complet en est malaisé, car ils sont publiés en de très nombreuses langues : outre le français, ce sont l’anglais, l’allemand, l’italien, l’espagnol, le portugais, le japonais, le coréen, et il y en a sans doute d’autres. J’ai formé un moment le projet d’en établir la liste, si possible exhaustive. J’y ai vite renoncé, devant la difficulté de la tâche et, surtout, l’inachèvement qui la guette à tout instant : entre le moment où j’aurais cru l’achever et la publication de ce numéro de Recherches sémiotiques/Semiotic Inquiry plusieurs livres seraient parus. Je crois pouvoir gager que leur nombre au moment où j’écris ces lignes (mai 2015) atteint et, sans doute, dépasse, peut-être largement, la centaine. Tous les ans plusieurs colloques sont organisés autour de son oeuvre. L’année 2013, celle du centenaire de sa mort, a été marquée par de nombreuses manifestations, à Genève, certes, mais aussi en France, au Brésil, en Corée, au Japon, etc. L’an 2016, centenaire de la publication du Cours de linguistique générale, sera, est déjà à sa hauteur, notamment par la publication de ce numéro de RS/SI. Le Cercle Ferdinand de Saussure organise dès maintenant un colloque qui se dédoublera, de Paris en juin 2016 à Genève en janvier 2017. Plusieurs autres colloques se tiendront, notamment à Rome, Jerusalem, Zagreb, Natal, Campinas, Ljubljana, sans doute encore en d’autres lieux.
Cette notoriété trouve naturellement son origine dans le rôle qu’a exercé la réflexion de Saussure dans l’évolution au XXe siècle non seulement des sciences du langage mais encore de plusieurs autres sciences humaines.
Pour les premières, on entend parfois dire, même de la part de certains linguistes, que “Saussure a fondé la linguistique”. La formule est inexacte : la linguistique était bien vivante, et même en pleine expansion, notamment en Allemagne, au moment où le jeune Saussure abandonna pour elle, en 1876, ses premières études de physique et de chimie. Mais il est incontestable que l’oeuvre de Saussure a eu une influence décisive sur l’évolution de la linguistique. Sans entrer dans le débat, complexe, des relations entre Saussure et le structuralisme – car Saussure n’utilise pas ce terme, et fort peu celui de structure – je me contente de citer quelques noms : Meillet, accompagné par Vendryès, Troubetzkoy, Jakobson, Jespersen, Hjelmslev, Martinet, Benveniste, Guillaume, Tesnière, le monstre bicéphale de Damourette et Pichon, Gougenheim, Wagner, Coseriu, Prieto et, parmi les contemporains, outre Lazard et Lemaréchal dèjà nommés, Dubois, Pottier, Hagège, Milner, Rastier – et de nombreux autres, moins connus – se réfèrent tous, de façon insistante et répétitive, à la réflexion du maître de Genève. Même quand – c’est fréquent – cette référence s’accompagne de critiques, explicites (de la part, entre autres, de Hjelmslev) ou feutrées (ainsi chez Benveniste), parfois même violentes (par exemple chez Jakobson et Troubetzkoy), parfois aussi déguisées de façon différemment subtile (notamment chez Guillaume, qui fait glisser la terminologie saussurienne vers des sens non prévus, qui contredisent parfois leur valeur originelle), l’influence exercée est fondatrice. Chez d’autres chercheurs, elle est plus discrète, ou moins affichée, voire complètement occultée, mais cependant présente, même si c’est parfois de façon indirecte : c’est ici qu’il faut citer les Américains Sapir, à ne pas séparer de Whorf, Bloomfield et Zellig S. Harris[1]. Elle est rarement totalement absente, même si elle se manifeste parfois de façon apparemment négative : Chomsky (1968 : 37-38) se flatte de prendre Saussure à contre-pied, même si la lecture qu’il fait (et qu’il publie) du Cours de linguistique générale n’est peut-être pas d’une pertinence absolue. Faut-il en outre rappeler que deux au moins des dichotomies saussuriennes – celles de la synchronie et de la diachronie et du signifiant et du signifié – sont entrées dans l’usage de la plupart des linguistes, et tendent à s’introduire non seulement dans plusieurs lexiques scientifiques, mais encore dans le vocabulaire quotidien?
Du côté des sciences humaines, le spectacle n’est pas moins impressionnant. Le XXe siècle nous a fait assister à une expansion de l’influence de Saussure à des domaines dont certains sont apparemment éloignés du langage. La sémiologie? C’est la discipline qui reste, par les objets qui lui sont attribués : “les systèmes de signes”, la plus proche de la linguistique. Saussure l’a programmée, dès les dernières années du XIXe siècle, en lui faisant englober la linguistique, qu’il lui donne, non, parfois, sans quelque hésitation, comme modèle : “Si, pour la première fois nous avons pu assigner à la linguistique une place parmi les sciences, c’est parce que nous l’avons rattachée à la sémiologie” (1916 [1922 : 33-34]). On le voit, à son habitude, hésiter douloureusement sur les relations entre la sémiologie et la linguistique : laquelle des deux disciplines doit être le modèle de l’autre? Barthes, qui fera connaître au grand public la réflexion de Saussure dès 1957 (dans “Le mythe, aujourd’hui”, texte terminal de Mythologies), puis en 1964 (dans les “Éléments de sémiologie”), tout comme les successeurs de Martinet lui conserveront son nom originel. Greimas et ses successeurs préféreront, à partir de 1969, le terme sémiotique, jugé plus “international”. Sémiotique reçoit en outre le secours du terme anglais semiotics, qui trouve son origine chez Peirce (voir, ici-même, l’article de Jean Fisette). Les sémioticiens n’en continueront, pas moins, Greimas en tête (voir notamment Greimas 1956 [2000]), mais aussi Zilberberg (1985) et bien d’autres, à marquer, sous des formes diverses, l’enracinement saussurien de leurs réflexions. Faut-il préciser que les distances, souvent considérables, qu’il leur arrive de prendre – et de faire prendre à la sémiotique – trouvent généralement une manifestation explicite, par exemple chez Greimas, qui s’en prend souvent au “modèle du signe”?
Avec l’ethnographie on semble s’éloigner du langage. C’est pourtant Lévi-Strauss qui, envisageant l’attitude de l’ethnographe, évoque, “au-delà du rationnel, une catégorie plus importante et plus fertile, celle du signifiant qui est la plus haute manière d’être du rationnel” (dans Tristes tropiques [1955 [1990 : 73]). Et il remarque ironiquement que de cette catégorie “nos maîtres, plus occupés sans doute à méditer l’Essai sur les données immédiates de la conscience [Bergson 1889] que le Cours de linguistique générale, ne prononçaient pas le nom” (Lévi-Strauss 1955 [1990 : 73]). C’est dès 1948, dans les Structures élémentaires de la parenté (publiées en 1949) qu’il fait intervenir la notion. Il est sans doute, trente ans bien comptés après la publication du CLG, le premier à procéder à cette opération, qui est à la fois emprunt – envisagé, quoique de façon plutôt réservée, par Saussure lui-même (CLG : 21) – déplacement et extension. Dans Tristes tropiques, ouvrage où le théorique se glisse sous le narratif, la prise en compte du signifiant n’est pas toujours explicite. Elle l’est pleinement certes, dans ce passage où l’auteur oppose énergiquement Bergson à Saussure :
À la place des actes de foi ou des pétitions de principe du bergsonisme, réduisant êtres et choses à l’état de bouillie pour mieux faire ressortir leur nature ineffable, je me convainquais qu’êtres et choses peuvent conserver leurs valeurs propres sans perdre la netteté des contours qui les délimitent les uns par rapport aux autres et leur donnent à chacun une structure intelligible.
1955 [1990 : 73]
Mais elle est à tout moment sous-jacente, par exemple dans l’analyse de ces objets sémiologiques que sont les peintures de corps des Caduveo (ibid. : 240-247]). C’est le concept de système – inséparable de ceux de signe et de valeur – qui apparaît quand l’auteur analyse la structure des “villages circulaires” des Bororo (ibid. : 277-282). Parle-t-il de la musique? C’est encore Saussure qu’il allègue, et précisément l’opposition entre “l’axe des successivités” et “l’axe des simultanéités”, pour présenter l’opposition du musicologue du XVIIIe siècle Michel de Chabanon entre mélodie et harmonie (dans “Les paroles et la musique” [Lévi-Strauss 1993 : 101]).
Contemporain à peu près exact de Freud, Saussure ne l’a sans doute connu que de façon indirecte et superficielle, même si son ami Théodore Flournoy le cite explicitement, à plusieurs reprises, dans son ouvrage de 1900 – Des Indes à la planète Mars – à l’élaboration duquel Saussure a été associé et que, on le sait par Flournoy lui-même, il a nécessairement lu. L’inconscient, sans être absent de sa réflexion (comment le pourrait-il?), n’est pas au premier rang de ses préoccupations. Quand il intervient, c’est plutôt sous l’aspect d’un “inconscient descriptif”, lié à une conception des degrés de conscience, qui passe de “l’inconscience” à la “conscience latente” jusqu’à la conscience aiguë, en tout cas voulue telle, du “grammairien”, en passant par la “demi-conscience”. Taxinomie qui rencontre l’une de celles qu’établit Freud, par exemple dans cet article fondateur qu’est “L’inconscient” (1915). Mais “l’inconscient topique” freudien, celui qui est mis en place en 1915 dans son opposition à l’inconscient descriptif, ne semble pas avoir été rencontré par Saussure. En tout cas il n’est pas mis en scène explicitement. C’est peut-être ce qui a empêché Freud de citer Ferdinand de Saussure, qu’il ne pouvait cependant pas ignorer : car il fut, dans les années 1920, l’analyste d’un des fils de Ferdinand, Raymond. Il alla même, en 1922, jusqu’à préfacer sa thèse – La méthode psychanalytique – qui cite explicitement le Cours de linguistique générale.
Mais ne se pourrait-il pas que l’inconscient fût “structuré comme un langage”? C’est en tout cas ce que pose Lacan, de façon explicite et redondante. Intercesseur, après coup, entre Freud et Saussure, il s’appuie sur l’analyse saussurienne du signe. Il la soumet, certes, à de considérables mutations, notamment en instituant une relation hiérarchique entre le signifiant et le signifié (voir par exemple Arrivé 1986 et 1994 [2005]). Elle se lit d’emblée dans la forme spécifique donnée par Lacan, en 1957, à “l’algorithme saussurien” : le grand S du signifiant, composé en caractère romain, surplombe, au-dessus de la barre qui les sépare, le petit s du signifié, qui se contente de l’italique. Le schéma saussurien s’en trouve bouleversé, ce qui autorise la mise en place chez Lacan de relations entre les deux faces du signe qui ne sont sans doute pas possibles chez Saussure, par exemple le “glissement du signifié sous le signifiant”. L’analyse s’appuie sur une lecture, comment dire? littérale? non, préférons minutieuse, car l’objet commenté n’est pas un texte, mais un dessin, celui qui illustre, par des lignes en effet pointillées, ce “fait en quelque sorte mystérieux que la ‘pensée-son’ implique des divisions” (Saussure 1916 [1922 : 156]) :
La notion d’un glissement incessant du signifié sous le signifiant s’impose donc – que F. de Saussure illustre d’une image qui ressemble aux deux sinuosités des Eaux supérieures et inférieures dans les miniatures des manuscrits de la Genèse. Double flux où le repère semble mince des fines raies de pluie qu’y dessinent les pointillés verticaux censés y limiter des segments de correspondance.
Lacan 1957 [1966 : 502-503]
En dépit de ces considérables divergences – qui ont pu d’ailleurs donner lieu à des efforts intéressants de conciliation – le signifiant lacanien, signifiant devenu quotidien dans l’usage de nombreux analystes, conserve au moins certaines des propriétés de son étymon saussurien : celle, notamment, d’être articulé, au sens de nouveau précisément saussurien de l’adjectif. Elle est évidemment fondamentale :
Or la structure du signifiant est, comme on le dit communément du langage, qu’il soit articulé. Ceci veut dire que ses unités, d’où qu’on parte pour dessiner leurs empiètement réciproques et leurs englobements croissants, sont soumises à la double condition de se réduire à des éléments différentiels derniers et de les composer selon les lois d’un ordre fermé.
Lacan 1957 [1966 : 501]
La philosophie ne reste pas à l’écart de l’influence saussurienne. Je ne prendrai ici que l’exemple de la phénoménologie, ne citant que pour mémoire Deleuze, chez qui la référence à Saussure cède une large place à celle de son successeur réputé le plus exact : Hjelmslev, et la grammatologie de Derrida, où le Saussure du CLG intervient – pour la position qui lui est prêtée sur l’écriture – comme modèle qui, pour être rejeté, n’en confère pas moins une part de sa pertinence à celui qui lui est substitué.
“Saussure distinguait une linguistique synchronique de la parole et une linguistique diachronique de la langue” : c’est ce qu’affirmait Merleau-Ponty en 1951, dans une longue méditation “Sur la phénoménologie du langage” (Merleau-Ponty 1951 [1997 : 76]). Le propos risque, peut-être, de sembler un peu trop tranché. Car Saussure pratique, certes, “une linguistique diachronique de la langue” : on oublie parfois que la diachronie occupe dans le CLG plus de place que la synchronie. Mais ce n’est évidemment pas à dire qu’il néglige, pour la langue, la linguistique synchronique. C’est au contraire une part fondatrice de son enseignement. Envisage-t-il la parole dans la synchronie? À n’en point douter. Mais la diachronie, sous une forme spécifique, n’est pas absente de la parole. Car le discours, produit de la parole, s’inscrit dans le temps. D’une façon qui a semblé parfois paradoxale, au point, souvent, d’être passée sous silence par ses commentateurs, Saussure compare, en plusieurs points, la relation qui s’établit entre un mot prononcé plusieurs fois de suite dans un discours et celle qui semble avoir modifié, au cours des siècles, le statut d’un signe, par exemple calidum devenu chaud. Ont-ils l’un et l’autre été transformés sous l’effet du temps? Ou sont-ils restés, paradoxalement, “identiques à eux-mêmes”? C’est la question qui est posée dans le passage suivant :
Il est tout aussi intéressant de savoir comment Messieurs! répété plusieurs fois de suite dans un discours est identique à lui-même que de savoir pourquoi pas (négation) est identique à pas (substantif) ou, ce qui revient au même, pourquoi chaud est identique à calidum.
Saussure 1916 [1922 : 250]
Les doutes qui s’élèvent sur ces questions, chez Saussure lui-même et chez ses lecteurs, le mode, en ce point peut-être un peu rapide, qu’adopte Merleau-Ponty pour les régler, sont significatifs. Ce sont précisément ces doutes qui expliquent pourquoi, dans l’Éloge de la philosophie, Merleau-Ponty (1953 [1997 : 56]) en vient à avancer que “Saussure pourrait bien avoir esquissé une nouvelle philosophie de l’histoire”. Et il présente ainsi, d’une façon cette fois peu discutable, l’effet de la conception saussurienne de la langue comme système de signes sur l’analyse de ces “systèmes symboliques” que sont les institutions humaines :
Aux rapports réciproques de la volonté expressive et des moyens d’expression correspondent ceux des forces productives et des formes de production, plus généralement des forces historiques et des institutions. Comme la langue est un système de signes qui n’ont de sens que relativement les uns aux autres et dont chacun se reconnaît à une certaine valeur d’emploi qui lui revient dans le tout de la langue, chaque institution est un système symbolique que le sujet s’incorpore comme style de fonctionnement, comme configuration globale, sans qu’il ait besoin de le concevoir.
1953 [1997 : 56-57]
Faut-il préciser que l’influence de Saussure perdure encore aujourd’hui, sous des formes, certes, un peu différentes de celles qu’elle prenait au siècle dernier? On en a aperçu deux traces, toutes récentes, dans les textes cités au début de cette introduction. Rigoureusement contemporains, aux deux sens du mot, ils sont le signe, parmi beaucoup d’autres, de la persistance de l’effet de la réflexion de Saussure sur la linguistique. Et j’ai passé sous silence l’effet produit par la recherche sur les anagrammes sur certains travaux “littéraires”. Ici les directions sont fort différentes, du travail de Barthes jusqu’à la textique de Jean Ricardou et de ses proches, notamment Gilles Tronchet (1995) en passant par la “Sémiologie des paragrammes” (1966 [1969]) de Julia Kristeva. La contribution de Milner à ce volume marque, d’une autre façon – car c’est surtout le CLG qui est convoqué – la pertinence de la réflexion saussurienne à l’égard de la littérature.
Pour les linguistes – il y en a, un peu partout – qui ne lisent pas Saussure, une question se pose : n’est-il pour eux qu’un nom? Je ne crois pas. La terminologie qu’ils lui empruntent souvent – et, nécessairement, la conceptualisation qu’elle recouvre et la méthodologie qu’elle implique – continuent, sans même parfois qu’ils le sachent, à influencer leur approche des faits. Je n’en citerai aucun.
Pas plus que je ne citerai ici aucun des très nombreux spécialistes de l’étude de Saussure, les “saussuriens” au sens strict ou, si on veut, les “saussurologues”. Beaucoup d’entre eux interviennent comme auteurs dans ce numéro de Recherches sémiotiques /Semiotic inquiry. Les autres, pour la plupart, y sont cités.
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La linguistique, après la brève période du structuralisme triomphant, recommence à ennuyer. Elle a cessé d’être la “science pilote” qu’on célébrait avec euphorie dans les années 1960. Greimas pouvait, en 1966, avancer que, “en ce qui concerne les sciences humaines, la théorie du langage manifeste la vocation à fournir le modèle épistémologique à l’ensemble de ces sciences” (Greimas 1966a : 27). 1966, c’était, faut-il le rappeler, l’année de la publication non seulement de Sémantique structurale (Greimas 1966b), mais aussi des Problèmes de linguistique générale de Benveniste, des Écrits de Lacan et de Les mots et les choses de Foucault. Cinquante ans après, la “théorie du langage” retrouve le statut que Sapir, dans un contexte historique et culturel tout différent, décrivait, en 1924, avec une lucidité ironique qui est redevenue pleinement pertinente : “L’homme normalement intelligent éprouve un certain mépris pour les études linguistiques, convaincu que rien ne saurait être plus inutile” (Sapir 1924 [1968 : 117]). Saussure s’est posé aussi la question de l’utilité de la linguistique dans des propos qui sont manifestés, dans le Cours de linguistique générale, de la façon suivante :
Quelle est enfin l’utilité de la linguistique? Bien peu de gens ont là-dessus des idées claires; ce n’est pas le lieu de les fixer. Mais il est évident, par exemple que les questions linguistiques intéressent tous ceux, historiens, philologues, etc. qui ont à manier des textes. Plus évidente encore est son importance pour la culture générale : dans la vie des individus et des sociétés, le langage est un facteur plus important qu’aucun autre. Il serait inadmissible que son étude reste l’affaire de quelques spécialistes.
1916 [1922 : 21]
Mais les aspects négatifs de la réponse telle qu’elle a été effectivement donnée par Saussure dans son enseignement oral ont été pudiquement effacés par les éditeurs.
Prélevés, un peu au hasard, dans l’actualité, quelques témoignages donnent une idée de la façon dont aujourd’hui on voit et on reçoit la linguistique. Ainsi Jean-Luc Godard, dans un entretien relatif à son film Adieu au langage tient, au sujet d’un problème d’homonymie – celle du Front national du Conseil de la Résistance et du Front national d’aujourd’hui – des propos assez étonnants, mais d’autant plus signifiants :
Si on dit que ce n’est qu’une synonymie, on reste dans les mots, pas dans les faits. C’est un fait. Vu l’importance de la nomination, et de nommer, bien sûr que c’est une synonymie. Encore faut-il s’intéresser à la linguistique… Je ne sais pas si vous connaissez un petit film de Michel Gondry, très joli, une conversation avec Chomsky. C’est un travail incroyable qui, à la longue, devient un peu répétitif.
Le Monde, 12 juin 2014 : 18
Attitude pleinement significative, de la part de ce cinéaste évidemment attentif, au plus haut point, aux problèmes du langage : il marque, avec lucidité, “l’importance de la nomination”. Je passe naturellement sur la confusion entre homonymie et synonymie – qui n’a pas été remarquée par l’interlocuteur de Godard. Lapsus de “nomination” qui s’explique sans doute, négativement, par le refus de voir une synonymie entre deux noms homonymes, désignant deux organisations absolument différentes. L’essentiel, c’est que c’est pour lui un geste insolite que de “s’intéresser à la linguistique”. Illustrée par Chomsky. Et, si “joli” qu’il puisse être, l’exercice devient “à la longue un peu répétitif” (et ennuyeux?). Quoi qu’il en soit, “on reste dans les mots, pas dans les faits”. C’est aujourd’hui en cet état que la linguistique réussit tant bien que mal à survivre. Par les gens “normalement intelligents”, le langage est alternativement considéré de deux façons opposées, qui ne se rencontrent que dans la déchéance à laquelle elles le condamnent, ainsi que, dans la foulée, toute analyse scientifique qui pourrait le prendre pour objet. On le conçoit le plus souvent comme un mode de communication totalement transparent et de ce fait négligeable. Voyez le dédain qui s’attache le plus souvent, par exemple dans le discours politique, aux “spéculations sémantiques” jugées par essence aussi futiles qu’inutiles : “on reste dans les mots, pas dans les faits”, pour reprendre Godard. Cependant on n’ignore pas que le langage peut être un mode d’action entre tous efficace : c’est à ce moment qu’on le prend au sérieux. Il se trouve alors livré aux sordides manipulations d’escouades de “communicants” stipendiés, parfois parés euphémiquement du titre de “sémiologues” : ils se mettent en quête des “éléments de langage” jugés les plus efficaces. Bien loin, naturellement, de toute analyse visant à le décrire scientifiquement. S’ensuit le mépris qui se porte sur toute approche scientifique du langage. Essayez donc de chercher, dans les librairies, le rayon réservé aux ouvrages de linguistique, ou, dans la presse, les comptes rendus de ces ouvrages. Vous ne trouverez plus rien. Sauf Saussure.
* * *
À quoi doit-il cette survie et même ce surcroît de notoriété? Les raisons théoriques et historiques qui viennent d’être énumérées jouent leur rôle, certes, de façon déterminante : elles lui permettent de surmonter les réactions négatives qui se dressent contre la linguistique. Et de résister tant bien que mal à la concurrence des publications anglophones. Mais elles ne sont pas les seules. D’autres raisons interviennent. Elles sont intimement liées aux premières, mais s’exercent de façon complémentaire.
Elles tiennent à la façon dont son oeuvre a été révélée. C’est qu’elle l’a été selon des modalités singulières. Elles peuvent faire penser au sort d’une oeuvre de fiction plutôt que d’un travail théorique. Serait-ce que sous le théoricien – le chercheur, le Forscher, pour parler comme Freud – se dissimule un écrivain, au sens habituel, je veux dire traditionnel, du terme : un auteur de littérature, un Dichter, toujours au sens freudien? C’est peut-être l’ambiguïté de ce statut qui détermine, chez certains lecteurs, une curiosité aiguë pour la biographie de Saussure : deux livres importants (Joseph 2012; Mejía Quijano 2008, 2012) lui ont été récemment consacrés. Sans parler d’un recueil de ses lettres (Mejía Quijano : 2014), y compris un bon nombre d’entre elles qui ne présentent apparemment qu’un intérêt personnel, je n’ose dire anecdotique.
Quoi qu’il en soit, les modalités progressives de la révélation de l’oeuvre jouent leur rôle dans l’intérêt qui persiste et se développe pour elle. Voyons ce qu’il en est, par un bref regard historique.
De son vivant, Saussure n’a publié que deux ouvrages. Le premier très tôt dans sa carrière : c’est à vingt et un ans qu’il fait paraître, en décembre 1878 – le volume porte la date de 1879 – son Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes. C’est un gros volume de 268 pages très denses, à tous les sens de l’adjectif. Il lui vaudra à la fois une précoce notoriété – qui semble avoir agacé certains de ses bons collègues plus âgés – et de sévères inimitiés. L’utilisation qui est faite de la notion de “système”, qui apparaît dès le titre de l’ouvrage et qui fonde la recherche, est, en elle-même, vivement contestée. Cependant Saussure continue à publier : il fait paraître en 1881 sa thèse, De l’emploi du génitif absolu en sanscrit (selon l’orthographe de l’époque : on écrit aujourd’hui sanskrit). Cet “opuscule”, comme il dit lui-même, de 70 pages est une recherche syntaxique rigoureuse, parfaitement informée, mais, sans nul doute, dépourvue de la totale nouveauté théorique du Mémoire. Cette brève thèse est le dernier des ouvrages qu’il ait fait paraître. Il avait vingt-quatre ans. Précocité rarement vue, plus rarement encore dans le domaine “scientifique” et, spécifiquement, linguistique, que dans celui de la littérature, où l’on pense immédiatement à ces trois contemporains que furent Rimbaud, Jarry et Roussel.
Après ces deux livres, Saussure, jusqu’à la fin d’une vie assez brève – il meurt en 1913 à l’âge de 55 ans –, ne publiera plus que des articles. Rarement très étoffés : les plus longs, relatifs par exemple à “Une classe de verbes latins en -eo”, à l’“Accentuation lituanienne”, ou encore au “Suffixe -t-” ou à “La déclinaison consonantique en lituanien”, ne comportent guère qu’une douzaine ou tout au plus une quinzaine de pages. Les autres? Ce sont souvent des notules, extrêmement précises et documentées, mais sur d’infimes points de détail, qu’il traite avec une élégance désinvolte en une ou deux pages : étymologies discutées de termes grecs, gotiques, vieux-prussiens ou lituaniens, remarques historiques sur la toponymie de la Suisse romande, etc. Ces textes ont été republiés après la mort de l’auteur dans Saussure (1922 [1984]).
En somme, l’oeuvre publiée qu’il laisse à la fin de sa vie n’a rien, selon les habitudes de l’époque, de particulièrement abondant. Et pourtant Saussure a beaucoup écrit. Dans de nombreux domaines. Ainsi, il passe beaucoup de temps à étudier les textes de la légende germanique. Ces travaux lui donnent l’occasion de mettre en oeuvre les méthodes de la sémiologie sur un “système de signes” qu’il ne signale pas ailleurs : celui du discours légendaire, qu’il qualifie souvent de “littéraire”. Mais ces textes devront attendre bien longtemps (voir Saussure 1986) pour être publiés, de façon à vrai dire encore incomplète, et assez imparfaite.
Pendant plusieurs années, Saussure a accumulé à longueur de pages les dépouillements de textes des anciennes littératures indo-européennes : latins, grecs, sanskrits, germaniques. Il est en quête de ce qu’il nomme, entre plusieurs autres désignations, les “anagrammes” : certaines des lettres (ou des phonèmes) du texte de surface – incantation, poème, discours, voire missive événementielle – révèlent, souterrain, un autre texte, nécessairement plus bref. Souvent réduit à un nom propre, il peut, quand le texte de surface est assez copieux, prendre jusqu’à la forme d’un court récit. Saussure interrompra cette recherche dès qu’il se sera persuadé que l’intentionnalité de l’anagramme ne peut être démontrée. L’anecdote est devenue célèbre : le professeur italien Giovanni Pascoli publiait des poèmes latins où Saussure, son exact contemporain, voyait “ruisseler les anagrammes”. Interrogé avec la plus grande précision par Saussure, il laissa sa demande sans réponse. Saussure interpréta ce silence comme une dénégation de l’intentionnalité, voire de la réalité de l’anagrammatisme. Cette recherche interrompue attendra elle aussi bien longtemps (Godel 1957; Starobinski 1964 et 1971) avant d’être révélée, d’une façon progressive, mais encore fortement lacunaire[2]. La linguistique au sens strict reste naturellement au centre des préoccupations de Saussure : un bref projet qu’il intitule “De la double essence du langage” devra attendre 2002 pour être révélé, mais de façon très imparfaite, dans les Écrits de linguistique générale, publiés chez Gallimard. Ce n’est qu’en 2011 qu’il sera publié de façon enfin satisfaisante (Saussure 2011). Entre de nombreux autres textes, les “Notes item”, ainsi dénommées selon l’adverbe de latin notarial qui les inaugure toutes, connaissent des sorts éditoriaux divers, mais toujours tardifs, qu’il n’est pas utile d’évoquer ici dans le détail.
Mais Saussure ne se contentait pas d’écrire : il enseignait. Son activité de professeur s’est déroulée en deux temps. À Paris, d’abord : en octobre 1881 il est nommé, il n’a toujours que vingt-quatre ans, maître de conférences “pour le gothique [selon l’orthographe de l’époque] et le vieux haut-allemand” à l’École Pratique des Hautes Études. Il y donne, de 1881 à 1891, des Cours sur les deux langues annoncées par sa charge, mais aussi sur le vieux-norrois. À partir de 1888, sous la nouvelle désignation de ses conférences de “grammaire comparée”, il enseigne le latin, le grec et le lituanien. Certains de ces Cours de l’EPHE sont en voie de publication.
Saussure regagne Genève en 1891. Il enseigne à l’Université, d’abord en qualité de “professeur extraordinaire”, c’est-à-dire non titulaire. Les disciplines qu’il aborde sont nombreuses et variées : le sanscrit [toujours selon l’orthographe de l’époque], la phonétique grecque et latine, la phonologie du français actuel, la grammaire historique de l’anglais et de l’allemand, jusqu’à la “Versification française”, à laquelle il consacre, plusieurs années de suite, un Cours dont les notes ont été conservées et partiellement publiées.
Le 8 décembre 1906, il prend la succession, en qualité de “Professeur ordinaire” (c’est-à-dire titulaire), de Joseph Wertheimer qui, par ailleurs Grand Rabbin de Genève, vient de prendre sa retraite. Il va enseigner la “linguistique générale”, en plus de “l’histoire et comparaison des langues indo-européennes” dont il était déjà chargé. Il s’acquittera de ces deux charges en alternance.
Ce programme est scrupuleusement respecté : Saussure donne successivement trois Cours de “linguistique générale” pendant les années universitaires 1906-1907 (Premier cours, commencé réellement en janvier 2007), 1908-1909 (Deuxième cours) et 1910-1911 (Troisième cours). Pour l’année universitaire 1911-1912, le cours de “linguistique générale” laissera, comme prévu, place à un cours d’étymologie latine et grecque, qui devra attendre 2013 pour être publié (voir Saussure 2013a). Et 1912-1913, la santé de Saussure l’empêchera de reprendre le cours de linguistique générale qui aurait dû avoir lieu.
Saussure ne semble pas avoir jamais eu l’intention de publier ses cours. L’ouvrage qui porte le titre de Cours de linguistique générale – où, on l’a remarqué, le terme Cours reste ambigu à l’égard du nombre : singulier ou pluriel? (voir Milner 2002 : 16) – est le résultat d’un travail, entrepris très tôt après la disparition du professeur, par deux de ses collègues. On se reportera à l’édition donnée par Estanislao Sofia de la Collation Sechehaye (2015), qui retrace avec précision l’histoire, complexe, de ce travail d’édition, mené pour l’essentiel par Charles Bally et Albert Sechehaye. Complexe, mais somme toute assez rapide : l’ouvrage est publié en 1916 et réimprimé, en seconde édition corrigée de quelques coquilles, en 1922, avec une pagination différente. La troisième édition, qui, en 1931, conserve la pagination de 1922, sera ensuite reprographiée à l’identique par Payot, son unique éditeur. À partir de 1972, le CLG sera augmenté d’excellentes “Notes biographiques et critiques sur F. de Saussure” dues à Tullio de Mauro, qui avaient déjà été manifestées dans l’édition italienne de 1967.
Pendant de longues années, le Cours de linguistique générale a été lu sans qu’aucune attention particulière fût jamais donnée à l’histoire de sa publication. Saussure en était considéré comme l’auteur, au sens traditionnel du terme. C’est ainsi qu’il est présenté en 1916 par la page de titre de l’ouvrage, qui nomme “Charles Bally et Albert Sechehaye, avec la collaboration de Albert Riedlinger” comme l’ayant “publié”. Même après la publication, en 1957, du livre de Robert Godel sur Les Sources manuscrites du “Cours de linguistique générale”, c’est par l’“édition standard”, bientôt dénommée “vulgate”, terme lancé, d’abord sans intention désobligeante, par Giulio Lepschy en 1962, que le Cours a été lu et a exercé son influence. C’est par elle que, pour d’évidentes raisons chronologiques, Meillet comme Troubetzkoy, Hjelmslev comme Merleau-Ponty, Guillaume comme Tesnière, et bien d’autres, en France et à l’étranger, ont reçu l’enseignement du Cours. Jakobson, Benveniste, Martinet, Lacan, Lévi-Strauss, Barthes et Greimas, là encore bien d’autres, ont été informés, à des moments et des degrés évidemment divers pour chacun d’eux, de l’existence des sources manuscrites et de leurs divergences avec le texte standard. C’est cependant pour une très large part la “vulgate” qui a informé leur réflexion. Je ne prends que deux exemples. Lacan, a, certes, dès leur première publication, en 1964, jeté un regard intéressé sur les travaux de Saussure relatifs aux Anagrammes. Il y remarque très justement la mise en cause de la linéarité du signifiant et “la polyphonie de tout discours, sur les plusieurs portées d’une partition” (Lacan 1966 : 503, n. 2). Il revient sur le problème, de façon plus explicite, dans le Séminaire de 1972-1973, Encore (voir Lacan 1975 : 88), en s’interrogeant, dans la suite de Saussure, sur l’“intentionnalité” de l’anagramme. Mais pour le CLG, il prend en compte de façon exclusive l’édition de Bally et Sechehaye. Derrida est allé plus loin, en prenant le parti, dans De la Grammatologie, de ne se référer qu’au CLG dans sa version de 1915, comme il dit, sans doute selon la date qui est donnée à la “Préface” dans l’édition de 1916 : “Nous nous sommes intéressés à un texte dont la littéralité a joué le rôle que l’on sait depuis 1915” (Derrida 1967 : 107). Attitude à la fois paradoxale, significative, et, compte tenu des très lucides explications fournies par l’auteur, pleinement pertinente. C’est en effet le Cours dans son état originel, inchangé depuis 1916, aux quelques détails près qui ont été signalés plus haut, qui a exercé son effet sur la linguistique, les sciences humaines et la philosophie au XXe siècle. Au point que les deux désignations “le Cours de linguistique générale” et “Saussure” en sont venues, souvent à cette époque, à s’utiliser de façon équivalente : Claudine Normand, encore en 2000, donne comme titre au premier chapitre de son Saussure “Le Cours de linguistique générale : un texte nommé Saussure”. Le point d’histoire sur lequel s’appuie cette assimilation est désormais fixé, et ne saurait être oublié. Ce qui n’empêche naturellement pas de porter un intérêt majeur à “la pensée même de Ferdinand de Saussure lui-même”, comme dit Derrida, en prenant en compte tous les moyens dont on dispose aujourd’hui pour la connaître aussi complètement et exactement qu’il est possible. Sans s’aveugler devant ce qui reste une spécificité évidente – intentionnelle? à quel degré? – des conditions non seulement de divulgation mais aussi d’élaboration de cette pensée.
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Les choses ont changé, de façon lente et progressive. D’abord très discrètement, de la part de certains contemporains de Saussure. Puis, de façon plus fréquente et plus explicite, à partir de 1957. C’est en effet cette année-là que le livre de Robert Godel sur Les Sources manuscrites du “Cours de linguistique générale” révèle les conditions dans lesquelles le livre a été publié. En 1968, Rudolf Engler publie une très scrupuleuse Édition critique du “Cours de linguistique générale” : sur les six colonnes verticales des doubles pages du premier tome de cet ouvrage on lit, de gauche à droite, d’abord le texte de l’édition originale de 1916, puis, sur les quatre colonnes suivantes, les notes prises par les auditeurs des trois Cours successifs, enfin, sur la sixième, les écrits préparatoires de Saussure lui-même, à vrai dire fort peu abondants. Le tome 2, “Appendice” publié en 1974, publie les “Notes de Ferdinand de Saussure sur la linguistique générale”.
En dépit de ses évidents défauts, la publication, en 2002, des Écrits de linguistique générale ravive les débats, en révélant un ensemble de manuscrits découverts en 1996 dans l’orangerie de l’hôtel genevois de la famille de Saussure.
La question qui est posée est simple : le Cours de linguistique générale reflète-t-il de façon absolument fidèle la pensée du maître de Genève?
Elle revient désormais, de façon insistante et souvent polémique, dans les travaux relatifs à Saussure. On assiste fréquemment à des mises en cause parfois violentes du Cours de 1916 : on parle de “texte apocryphe”[3], de “falsification”. Le terme “vulgate” est repris aujourd’hui de façon péjorative. Inversement, d’autres auteurs reconnaissent, certes, les inflexions apportées au discours didactique tenu par Saussure pendant ses leçons. N’étaient-elles pas indispensables à la présentation, rapide, d’un ouvrage accessible? Mais ils insistent en même temps sur la rigueur avec laquelle la pensée de Saussure a été respectée. À quelques exceptions près, peut-être quelque peu imprudentes. Pour ne donner qu’un exemple, la phrase sur laquelle se clôt le Cours de linguistique générale se présente, spectaculairement, sous la forme suivante : “La linguistique a pour unique et véritable objet la langue envisagée en elle-même et pour elle-même” (Saussure 1916 [1922 : 317]). Il est à peu près certain que Saussure n’a pas prononcé cette phrase sous cette forme littérale. Mais il a effectivement tenu des propos qui en sont bien proches :
La langue représente une unité satisfaisante pour l’esprit. On peut donner à cette unité la place prééminente dans l’ensemble des faits de langage. Comprendre les autres choses comme subordonnées. La langue sera au centre, le reste en dépendra.
Saussure 1993 : 276; Saussure 2005 : 214-215
Et dans la leçon suivante : “Il faut donc bien partir de la langue comme du seul fait essentiel” (Saussure 1993 : 284; Saussure 2005 : 219). Ce qui ne l’empêche nullement de tenir des propos apparemment en complète contradiction avec ce précepte. C’est que la réflexion de Saussure, dans ses apparentes contradictions, est en réalité profondément dialectique.
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Les travaux réunis dans ce numéro spécial de RS/SI l’ont été à l’occasion du centenaire de la publication du Cours de linguistique générale, qui survient en 2016. Ils contribuent donc à souligner l’importance de cet événement qui a marqué – et continue à marquer – l’histoire de la linguistique et des sciences humaines. Le premier article, celui d’Estanislao Sofia, pose avec détermination et rigueur le problème de l’“auteur” de l'ouvrage, sans négliger d’aborder implicitement le problème, complexe, de l’auteur des travaux scientifiques, notamment quand ils sont publiés à titre posthume. “La langue mise en échec(s)” repose, sous la plume de Pierre Swiggers, le problème d’une métaphore centrale dans le Cours : celle du jeu d’échecs. L’étude de Jacques Coursil jette un regard nouveau sur l’enseignement phonologique fourni par le Cours en décrivant “La topique des phonèmes” telle qu’elle se manifeste dans les “Principes de phonologie” (voir Saussure 1916 [1922 : 63-95]). L’article de Claude Hagège, “À propos de la vision saussurienne de la syntaxe”, éclaire les complexités de l’approche du problème dans le Cours.
Comme on vient sans doute de l’apercevoir en lisant cette introduction, l’étude du texte du CLG n’est guère séparable de l’ensemble de l’oeuvre de Saussure, non plus que des travaux de ses prédécesseurs ni de ses contemporains. Alessandro Chidichimo se penche sur les manuscrits saussuriens et en étudie, à partir des variantes qu’ils présentent, “l’écriture, la recherche et le style”. Plusieurs articles portent l’accent sur les questions posées par les relations qui se repèrent entre les travaux de Saussure et ceux des autres linguistes. Ainsi Didier Samain fait le “Portrait du linguiste en jeune grammairien” et Maria-Pia Marchese décrit “La formation indo-européenne de Saussure par rapport au CLG”. Gabriel Bergounioux examine “L’invention de la phonologie entre Saussure et le Cercle Linguistique de Prague”. John E. Joseph revient avec acuité, sous le titre “Saussure’s Value(s)” sur le problème central de la “valeur” saussurienne. Pierre-Yves Testenoire se livre à un historique détaillé de la réception de la recherche sur les Anagrammes dans son texte sur “L’ombre du Cours, 1960-1980”. Jean Fisette, dans “Peirce et Saussure : regards croisés et lectures en boucle” confronte les approches des fondateurs de la sémiotique et de la sémiologie. Jacques Fontanille réfléchit en sémioticien sur les relations entre “Immanence et créativité : du Cours de Saussure au Dictionnaire de Greimas”. Également sémioticienne, Anne Hénault dans “Saussure en toutes lettres” confronte l’attitude de recherche de Saussure telle qu’elle se manifeste dans sa correspondance et celle de Greimas. Enfin Jean-Claude Milner clôt ce recueil en procédant, à propos du mot ptyx, à une relecture de “Mallarmé selon Saussure” : nouveau point de vue sur ce que l’analyse du texte poétique peut recevoir du Cours de linguistique générale.
Ferdinand de Saussure undoubtedly remains the most renowned linguist in the world still today. Even if he is no longer the most widely read. In any event, he has ceased to be the linguist most frequently cited by other scholars, whatever their discipline : Noam Chomsky leads him by a fairly wide score on that point, despite fortune having put him a half-century behind Saussure. Need we point out that Chomsky has the advantage of the language in which he works? For quite some time now English has guaranteed many more readers from the outset than does French, whichever volume is in question and whatever its merits. This can be seen by comparing the citations of these two authors’ work and translations of it. English translations of Saussure are more frequently cited than the original texts, despite having clearly appeared much more recently. The opposite is true of French translations of Chomsky, and in a particularly pronounced manner. What are the causes of this state of affairs? Is it a difference in the value or effectiveness – supposing that these notions are clearly defined – between the two theoretical apparatuses? Or are there more general socio-cultural circumstances which, without taking any account of the value of the texts, privilege one language and the modes of dissemination, in particular publishing, that it brings with it? It is clearly the second reason that accounts for the situation. The result is that the less-cited linguist is experiencing a slow but creeping loss of influence. As are the ways of thinking and research that his work continues to promote, but less and less extensively. In 2014, Gilbert Lazard and Alain Lemaréchal, at exactly the same time, drew attention to this loss of Saussure’s influence. They both agreed on the indissoluble connection between the science of language and “Saussurian epistemology, in particular the theory of the sign as Saussure defined it” (Lemaréchal 2014 : 5, in complete agreement with Lazard 2014 : 93). Lemaréchal states explicitly that this theory of the sign is part of a conception of language “as a system closed in upon itself, within which each sign has value only in opposition to other signs” (ibid.) : this is a precise and elegant summary of Saussure’s most central lesson and of its effect on linguistics. It then falls to Lazard to analyse, with disillusioned lucidity, the socio-cultural aspects of the loss of influence of Saussure and his ideas :
I would like to describe the European structuralist tradition as the Saussurian paradigm and the contemporary American tradition as the post-Chomskian paradigm. The leading figure of the former naturally being Ferdinand de Saussure and that of the latter Noam Chomsky. In fact the rivalry between the two is almost illusory, for the battle is too lopsided, the supremacy of the latter too glaring. . . . Its weapon is Anglophone imperialism, which is difficult to resist, for it coincides with the material interests of publishing companies.
Lazard 2014 : 92
And yet, in the case of “secondary bibliographies”, Saussure for the moment is gambolling well out in front. The beginnings of an accounting for this difference may be found in the rest of this introduction. In any event articles taking as their subject Saussure’s work number in the thousands and continue to proliferate. A journal, Cahiers Ferdinand de Saussure, has been devoted to him and the “Geneva School” since 1941. It has published countless and indispensable properly Saussurian documents. And books on Saussure? A complete inventory is difficult, because they have been published in a great many languages : apart from French, there are English, German, Italian, Spanish, Portuguese, Japanese, Korean and no doubt various others. I once had the project of making a list, if possible exhaustive. I quickly gave the idea up in the face of the difficulty of the task and, especially, given that it would be incomplete the moment it was finished : between the time I felt I had finished it and the publication of this issue of Recherches sémiotiques/Semiotic Inquiry, several books would have appeared. I believe it is a safe bet that as I write these lines (May 2015) their number has reached and undoubtedly surpassed one hundred. Several conferences are organized on his work every year. The centenary of his death, 2013, was marked by numerous events, in Geneva naturally but also in France, Brazil, Korea, Japan, etc. The year 2016, the centenary of the publication of the Cours de linguistique générale, will be, is already, at its height, in particular with the publication of this issue of RS/SI. The Cercle Ferdinand de Saussure is presently organizing a two-pronged conference, to be held in June 2016 in Paris and in January 2017 in Geneva. Several other conferences are planned in Rome, Jerusalem, Zagreb, Natal, Campinas, Ljubljana and most likely in other cities around the world as well.
The origins of the notoriety naturally lie in the role played by Saussure’s ideas in the evolution not only of the sciences of language but also of several other fields in the humanities in the twentieth century.
In the case of the former, one sometimes hears it said, even by certain linguists, that “Saussure founded linguistics”. This claim is incorrect : linguistics was alive and well, and even rapidly expanding, particularly in Germany, when the young Saussure abandoned his early studies in physics and chemistry for it in 1876. But it is indisputable that Saussure’s work has had a decisive influence on the evolution of linguistics. Without entering into the complex debate over Saussure’s relations with structuralism – because Saussure did not use this term, and employed the term structure very little – I will limit myself to citing a few names : Meillet, accompanied by Vendryès, Trubetzkoy, Jakobson, Jespersen, Hjelmslev, Martinet, Benveniste, Guillaume, Tesnière, the two-headed monster Damourette and Pichon, Gougenheim, Wagner, Coseriu, Prieto and, among contemporary thinkers, apart from the previously named Lazard and Lemaréchal, Dubois, Pottier, Hagège, Milner, Rastier and numerous others, less well-known. All repeatedly give prominence to the ideas of the teacher from Geneva. This influence is fundamental, even when, and this occurs frequently, such references are accompanied by criticisms, whether explicit (on the part of Hjelmslev, among others) or muffled (as in the work of Benveniste), at times even violent (in Jakobson and Trubetzkoy for example) and sometimes even disguised in a more subtle manner (in particular in the work of Guillaume, who brings about a slippage of Saussurian terminology towards unexpected meanings which sometimes contradict the original sense). In the work of other scholars, these criticisms are more discreet, or at least less flaunted, and sometimes even completely obscured, yet present, even if indirectly : here is where we need mention American scholars such as Sapir, not to be separated from Wharf, Bloomfield and Zellig S. Harris.[1] These criticisms are rarely completely absent, even when they sometimes manifest themselves in a seemingly negative manner : Chomsky (1972 : 19-20) imagines himself to be reading Saussure against the grain, even though his reading of the Course in General Linguistics (which he published) may not be entirely relevant. Need we also recall that at least two of Saussure’s dichotomies – synchronic and diachronic and signifier and signified – have entered the language of most linguists and are present not only in several scholarly lexicons but also in everyday language?
The spectacle in the humanities is no less impressive. In the twentieth century we witnessed an expansion of Saussure’s influence into various fields, some of which would appear to be far removed from language. Semiology? This discipline, because of the objects of study attributed to it – the “system of signs” – remains the closest to linguistics. Saussure gave the discipline its program as early as the final years of the nineteenth century by making it encompass linguistics, which he offered to it, not without some hesitation, as a model : “if we have now for the first time succeeded in assigning linguistics its place among the sciences, that is because we have grouped it with semiology” (Saussure 1986 [1916] : 16). As was his habit, we see him here hesitating with distress on the question of the relations between semiology and linguistics : which of the two disciplines should be a model for the other? Barthes, who introduced Saussure’s ideas to the general public in 1957 (in “The Myth Today”, the final text in his volume Mythologies), and again in 1964 (in Elements of Semiology), kept its original name, like the successors of Martinet. Greimas and his successors, beginning in 1969, preferred the term sémiotique, deemed more “international”. Sémiotique also received a boost from the English term semiotics, which originated with Peirce (see the article by Jean Fisette in the present volume). Nevertheless, semioticians did not cease to demonstrate in various ways how their thinking was rooted in Saussure’s ideas – Greimas more than anyone (see in particular Greimas 1956 [2000]), but also Zilberberg (1985) and many others. Need it be pointed out that the often considerable distance they sometimes adopted – and made semiotics adopt – generally found explicit expression, for example in Greimas, who often took issue with the “model of the sign”?
With ethnography we appear to be moving away from language. And yet it was Lévi-Strauss who, thinking of the ethnographer’s attitude, remarked that “beyond the rational there exists a more important and valid category – that of the meaningful, which is the highest mode of being of the rational” (Lévi-Strauss 1975 [1955] : 55). And he noted ironically that “our teachers never so much as mentioned [this category] no doubt... more intent on Bergson’s Essai sur les données immédiates de la conscience [Bergson 1889] than on F. de Saussure’s Cours de linguistique générale” (Lévi-Strauss 1975 [1955] : 55). He introduced this concept in 1948 (it was published in 1949) in Structures élémentaires de la parenté (published in 1949; English translation in 1969 as The Elementary Structures of Kinship). Thirty years after the publication of the Course in General Linguistics, he was undoubtedly the first to carry out this operation, which was at once a borrowing – envisioned, albeit in a somewhat reserved manner, by Saussure himself in the Course (p. 6) –, a displacement and an extension. In Tristes tropiques, a volume where theory hides under the narrative, consideration for the signifier was not always explicit. It clearly was, though, in this passage, in which Lévi-Strauss energetically contrasts Saussure with Bergson :
Rejecting the Bergsonian acts of faith and circular arguments which reduced beings and things to a state of mush the better to bring out their ineffability, I came to the conclusion that beings and things could retain their separate values without losing the clarity of outline which defines them in a relationship to each other and gives an intelligible structure to each.
Lévi-Strauss 1975 [1955] : 55-56
Yet the signifier always lurks just beneath the surface, for example in the discussion of such semiological objects as the Caduveo body paintings (Lévi-Strauss 1975 [1955] : 161-76). What emerges in Lévi-Strauss’s analysis of the structure of the “circular villages” of the Bororo (Lévi-Strauss 1975 [1955] : 203-6) is the concept of system – inseparable from the concepts sign and value. And when he later discusses music, it is again Saussure he quotes, and more precisely the opposition between the “axis of successions” and the “axis of simultaneities”, to discuss the opposition established by the eighteenth-century musicologist Michel de Chabanon between melody and harmony (in “Speech and Music”, Lévi-Strauss 1997 [1993] : 102).
Saussure, an almost exact contemporary of Freud, undoubtedly only knew his work in an indirect and superficial manner, even though his friend Théodore Flournoy quoted him explicitly on several occasions in Des Indes à la planète Mars (1900), a book in whose elaboration Saussure played a role and, as Flouroy himself informs us, which he necessarily read. The unconscious, without being absent from Saussure’s ideas (how could it be?), was not at the forefront of his concerns. When it appears, it is more in the form of a “descriptive unconscious”, tied to a conception of degrees of consciousness, ranging from “unconsciousness” to “latent consciousness” to the acute consciousness (or at any rate desired to be such) of the “grammarian”, by way of “half-consciousness”. This taxonomy meets up with one of Freud’s, for example in his foundational article “The Unconscious” (1915). But Freud’s “topical unconscious”, which he established in 1915 in contrast with the descriptive unconscious, appears not to have been encountered by Saussure. In any event it is never referenced explicitly. This may be what prevented Freud from quoting Saussure, of whom he could not have been unaware, for in the 1920s he was the analyst of one of Saussure’s sons, Raymond. Freud even wrote a preface to Raymond’s dissertation, La méthode psychanalytique, which explicitly quotes the Course in General Linguistics.
Could it be that the unconscious is “structured like a language”? This in any event what Lacan proposed, explicitly and repeatedly. An intercessor after the fact between Freud and Saussure, he based himself on Saussure’s analysis of the sign. He subjected it to considerable changes, of course, particularly by establishing a hierarchical relation between signifier and the signified (see for example Arrivé 1986 and 1994 [2005]). This can be seen from the outset in the specific form Lacan gave to the “Saussurian algorithm” in 1957 : The large S of the signifier, in roman type, hangs over (a bar separates them) the small s of the signified, which makes do with italics. Saussure’s diagram is turned upside down, enabling Lacan to establish relations, undoubtedly not possible in Saussure, between the two sides of the sign, such as the “sliding of the signified under the signifier”. This analysis is based on a reading which is – how to describe it? – not literal : meticulous would be a better term, because the object being commented on is not a text, but a drawing, used to illustrate the “but a drawing that uses doted lines to illustrate “the somewhat mysterious fact […] that ‘thought-sound’ implies division” (Saussure 1983 [1916] : 112) :
The notion of an incessant sliding of the signified under the signifier thus comes to the fore – which Ferdinand de Saussure illustrates with an image resembling the wavy lines of the upper and lower Waters in miniatures from manuscripts of Genesis. It is a twofold flood in which the landmarks – fine streaks of rain traced by vertical dotted lines that supposedly delineate corresponding segments – seem insubstantial.
Lacan 2002 [1957] : 419]
Despite these considerable divergences – which have given rise, moreover, to interesting efforts to reconcile them – the Lacanian signifier, a signifier that has become common parlance in the hands of many analysts, retains at least some of the properties of its Saussurian etymon, that in particular of being articulated – once again, precisely, in the Saussurian sense of the adjective. It is obviously fundamental :
Now the structure of the signified is, as is commonly said of language, that it is articulated.This means that its units – no matter where one begins in tracing out their reciprocal encroachments and expanding inclusions – are subject to the twofold condition of being reduced to ultimate differential elements and of combining the latter according to the laws of a closed order.
Lacan 2002 [1957] : 418
Philosophy has not been untouched by Saussure’s influence. Consider only phenomenology and Deleuze, for whom references to Saussure give way considerably to the one linguist considered to be his most accurate successor, Hjelmslev; or else take Derrida’s grammatology, in which the Saussure of the Course in General Linguistics appears as a model – because of the position Derrida confers upon him with respect to writing – which, although rejected, nevertheless endows the model that replaces it part of its relevancy.
“Saussure distinguished a synchronic linguistics of speech from a diachronic linguistics of language”, Merleau-Ponty remarked in 1951, in a long meditation entitled “Sur la phénoménologie du langage” (Merleau-Ponty 1951 [1997] : 76). His comment may seem a little too cut and dried. Saussure certainly practised a “diachronic linguistics of language”, yet we sometimes forget that diachrony occupies a larger place in the Course than synchrony. Though this obviously does not mean that he neglects synchronic linguistics. On the contrary, it is a fundamental part of his teachings. Does he see speech as synchronic? Without a doubt. But diachrony, in a specific form, is not absent from speech. Because discourse, the product of speech, takes place over time. Saussure, in a manner which has sometimes appeared paradoxical, often to the point of being passed over in silence by his commentators, compared on several points the relations between a word pronounced several times in a row in a discourse and the relation which appears over the course of centuries to have modified the status of a sign, for example the way calidum became chaud. Was each transformed by the effects of time? Or have they remained, paradoxically, “identical to themselves”? This is the question Saussure poses in the following passage :
It is just as interesting to know how Messieurs! (‘Gentlemen!’) repeated several times in succession in the same speech is one and the same thing as it is to know how the negation pas (‘not’) is the same as the noun pas (‘pace’), or why chaud is the same as calidum.
Saussure 1986 [1916] : 180-81
The doubts raised by these questions, in Saussure himself and in the minds of his readers, and the manner in which Merleau-Ponty settles them, perhaps a little hastily, are significant. These doubts are precisely what explain why, in In Praise of Philosophy, Merleau-Ponty (1963 [1953] : 55) suggests that “Saussure . . . could have sketched a new philosophy of history”. He then describes, this time in a manner with which it is hard to argue, the effect of Saussure’s conception of language as a system of signs on the analysis of human institutions, seen as “symbolic systems” :
The reciprocal relations between the will to express and the means of expression correspond to those between the productive forces and the forms of production, and more generally, between historical forces and institutions. Just as language is a system of signs which have meaning only in relation to one another, and each of which has its own usage throughout the whole language, so each institution is a symbolic system that the subject takes over and incorporates as a style of functioning, as a global configuration, without having any need to conceive it at all.
Merleau-Ponty 1963 [1953] : 55-56
Need I point out that Saussure’s influence is still felt today – in ways, of course, somewhat different from the influence it exercised last century? We saw two quite recent indications of this in the texts quoted at the beginning of this introduction. These texts, rigorously contemporary in both senses of the word, are among many others the sign of the continuing effect of Saussure’s ideas on linguistics. And I have left unmentioned the effect on certain “literary” works of his research into anagrams. Here the directions taken are quite different, from the work of Barthes to the textique of Jean Ricardou and his circle, in particular Gilles Tronchet (1995), by way of Julia Kristeva’s “Sémiologie des paragrammes” (“Towards a Semiology of Paragrams”, 1998 [1966]). In a different manner, Milner’s contribution to the present volume indicates – for it is the Course in particular to which he refers – the relevance of Saussure’s ideas to literature.
In the case of linguists who do not read Saussure – they exist, pretty much everywhere – a question arises : is he for them nothing more than a name? I don’t think so. The terminology they often borrow from him – and, necessarily, the concepts underlying this terminology and the methodology it involves – continue to influence their approach, sometimes without their even knowing it. I will cite none of them.
Nor will I cite here any of the very numerous specialists in the study of Saussure, the “Saussurians” in the strict sense of the term or, if one prefers, the “Saussurologists”. Many of them appear as authors in this issue of Recherches sémiotiques/Semiotic Inquiry. The others, for the most part, are cited in it.
* * *
Linguistics, after the brief period of structuralism’s triumph, is beginning once again to bore. It has ceased to be the “driving science” it was celebrated as during the 1960s. In 1966, Greimas was able to claim that “with respect to the humanities, the theory of language manifests the vocation of supplying the epistemological model for every discipline in the humanities” (Greimas 1966a : 27). Nineteen sixty-six was, need we recall, the year not only of the publication of Sémantique structurale (Structural Semantics), but also of Benveniste’s Problèmes de la linguistique générale (Problems in General Linguistics), Lacan’s Écrits and Foucault’s Les mots et les choses (The Order of Things). Fifty years later, the “theory of language” has returned to the status that Sapir, in a much different historical and cultural context, described in 1924 with an ironic lucidity that is once again fully relevant : “The normal man of intelligence has something of a contempt for linguistic studies, convinced as he is that nothing can well be more useless” (Sapir 2008 [1924 : 167]). Saussure also asked himself the question of the usefulness of linguistics in this remark in the Course in General Linguistics :
Finally, we may ask, of what use is linguistics? Very few people have clear ideas on the subject, and this is not the place to give a detailed answer. However, what can be said is that for obvious reasons linguistic questions are of interest to all those, including historians, philologists and others, who need to deal with texts. Even more obvious is the importance of linguistics for culture in general. In the lives of individuals and of societies, language is a factor of greater importance than any other. For the study of language to remain solely the business of a handful of specialists would be a quite unacceptable state of affairs.
Saussure 1986 [1916] : 7
But the negative elements of the answer as it was effectively given by Saussure in his oral teaching was modestly erased by the volume’s editors.
A few examples taken somewhat at random from current events give an idea of the ways in which linguistics is seen and received today. Thus Jean-Luc Godard, in an interview about his film Adieu au langage, expresses some rather astounding but for that reason all the more significant ideas around homonymy – that of the Front national of the French Resistance and that of the Front national today :
If we say that it’s only a case of synonymy, then we remain in the realm of words, not of facts. It’s a fact. Given the importance of designating [nomination], and of naming, of course it’s synonymy. Still, one has to be interested in linguistics. . . . I don’t know if you’re familiar with a very nice little film by Michel Gondry, a conversation with Chomsky. It’s an incredible piece of work which, as it goes on, becomes a little repetitive.
Le Monde, 12 June 2014:18
Here is an extremely significant attitude on the part of a filmmaker obviously attentive to the highest degree to problems of language : he notes, with lucidity, “the importance of designating”. Naturally, I will overlook the confusion between homonymy and synonymy, which went unnoticed by Godard’s interlocutor : a lapse of “designating” no doubt accounted for, negatively, by a refusal to see a synonymy between two homonyms describing two completely different organizations. The essential point is that for Godard, being “interested in linguistics” is unusual. Illustrated by Chomsky. And, however “nice” it may be, the exercise becomes “a little repetitive as it goes on” (and boring?). In any event, “we remain in the realm of words, not of facts”. This is the state in which linguistics today manages somehow to survive. People of “normal intelligence” alternate in their view of language between two opposing ways which meet only in the degradation to which these ways condemn it and, as a result, any scientific analysis which might take it as its object of study. Most often, it is seen as a totally transparent means of communication, and thus insignificant. Think of the disdain that most often accompanies, for example in political discourse, “semantic conjecture”, deemed in essence both futile and pointless : “we remain in the realm of words, not of facts”, in Godard’s words. And yet we know that language can be a very effective form of action : this is when it is taken seriously. At that point it is yielded up to the sordid manipulations of squads of mercenary “communicators” who are sometimes adorned euphemistically with the title “semiologists” : they set out in search of the “elements of language” deemed the most effective. Quite far removed, of course, from any analysis whose aim is to describe scientifically. There follows the contempt that is heaped on any scientific approach to language. Try, then, to find the linguistics section in a bookstore, or reviews of these books in newspapers. You will no longer find any. Except Saussure.
* * *
To what does Saussure owe his survival and even his surfeit of notoriety? The theoretical and historical reasons I have just outlined play a decisive role, certainly : they enable him to surmount the negative reactions that rise up against linguistics. And to resist as best one can the rivalry of English-language publications. But they are not the only reasons; others are involved. These are closely connected to the former, but act in a complementary manner.
These reasons have to do with the way in which Saussure’s work was introduced to the world. This was done in a singular manner, reminiscent of a work of fiction rather than a theoretical project. Does there, beneath the theorist – the scholar, the Forscher, to speak like Freud – lie a writer, in the usual, meaning traditional, sense of the term : a writer of literature, a Dichter, in the Freudian sense again? Perhaps it is the ambiguity of this status which has determined that some readers have a keen curiosity for Saussure’s biography : two major books (see Joseph 2012; Mejía Quijano 2008, 2012) have recently been devoted to him. Not to mention a collection of his letters (see Mejía Quijano 2014), many of which seemingly hold only a personal interest, not to say anecdotal.
Whatever the case, the gradual way in which his work was disclosed plays a role in the continuing and growing interest in it. Let us take a closer look by way of a brief historical survey.
In his lifetime, Saussure published only two books. The first came very early in his career : in December 1878 – the book bears the date 1879 – at the age of twenty-one, he published his Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes (“Thesis on the Primitive Vowel System of Indo-European Languages”). This was a large volume of 268 very dense pages, in every sense of the term. It earned him both notoriety at an early age, which appears to have annoyed some of his older colleagues, and severe hostility. His use of the concept “system”, found in the very title of the book and which was the basis of his research, was itself hotly contested. And yet Saussure continued to publish : in 1881 came his dissertation, De l’emploi du génitif absolu en sanscrit (“Use of the Genitive Absolute in Sanskrit”). This “booklet” of seventy pages, as he himself described it, was a rigorous syntactical study, perfectly well-informed but without a doubt lacking the absolute theoretical novelty of the Mémoire. This brief dissertation was the final volume he published. He was twenty-four years old. It was a rarely-seen precociousness, rarer in the “scientific’ field and, more specifically, in linguistics rather than literature, where one thinks immediately of his contemporaries Rimbaud, Jarry and Roussel.
After these two books and until the end of his relatively brief life – he died in 1913 at the age of 55 – Saussure published only articles. They were rarely very extensive : the longest, such as “Une classe de verbes latin en -eo”, “Accentuation lituannienne”, “Suffixe -t-” and “La déclinaison consonantique en lituanien”, were barely a dozen or at most fifteen pages long. The others were often short notes, extremely precise and well documented but discussing minute points of detail which he treated in one or two pages with an off-hand elegance : contested etymologies of Greek, Gothic, Old Prussian or Lithuanian terms, historical remarks on French place names in Switzerland, etc. These texts were republished after his death (in Saussure 1922 [1984]).
In short, the published body of work Saussure left at the end of his life was not, by the standards of the day, particularly abundant. And yet he wrote a lot, in numerous fields. He spent a lot of time studying texts of German mythology, for example. This work gave him an opportunity to employ the methods of semiology on a “system of signs” which he did not draw attention to elsewhere : that of the discourse of mythology, which he often described as “literary”. But these texts would have to wait a long time to be published (see Saussure 1986), and even then, in truth, in an incomplete and rather imperfect manner.
For several years, Saussure accumulated pages of bits of text from ancient Indo-European literatures : Latin, Greek, Sanskrit, Germanic. He was searching for what he called, among other descriptions, “anagrams” : how certain letters (or phonemes) of the surface text – incantations, poems, speeches, even factual reports – revealed another, subterranean text, necessarily briefer. When the surface text is copious enough, this other text, often reduced to a proper noun, can even take the form of a short narrative. Saussure suspended this research as soon as he became convinced that the intentionality of the anagram could not be demonstrated. An anecdote became famous : the Italian professor Giovanni Pascoli published poems in Latin which Saussure, his exact contemporary, saw as “streaming with anagrams”. Questioned with great precision by Saussure, Pascoli did not reply. Saussure interpreted this silence as a denial of intentionality or even the reality of anagrammatism. A long time would also pass before this suspended research would also be made known, gradually but still in a highly spotty manner (Godel 1957; Starobinski 1964, 1971).[2] Linguistics in the strict sense of the term naturally remained at the heart of Saussure’s concerns : a brief project he entitled “De la double essence du langage” did not appear until 2002, in a highly imperfect form, in the volume Écrits de linguistique générale, published by Gallimard. It was only in 2011 that it was finally published in a satisfactory manner (Saussure 2011). Among the many texts, the “Notes item”, so called because of the notarial Latin adverb with which each begins, were always published belatedly, meeting various editorial fates which it is not worthwhile to discuss here in detail.
Saussure, however, did not content himself with writing : he taught. His work as a professor took place in two stages. First in Paris : in October 1881, at the age of twenty-four, he was named maître de conférences “for Gothic and Old High German” at the École Pratique des Hautes Études (EPHE). There, from 1881 to 1891, he gave courses on the two languages announced in his appointment, but also on Old Norse. Beginning in 1888, with his lectures newly described as “comparative grammar”, he taught Latin, Greek and Lithuanian. Some of his courses at the EPHE are presently being prepared for publication.
In 1891, Saussure returned to Geneva. He taught at the University of Geneva, initially as an “extraordinary professor”, meaning not a full professor. The disciplines he taught were numerous and varied : Sanskrit; Greek and Latin phonetics; the phonology of contemporary French; English and German historical grammar; and even “French versification”, to which he devoted a course several years in a row whose notes have been preserved and partially published.
On 8 December 1906, upon the retirement of Joseph Wertheimer, who was also Geneva’s Chief Rabbi, Saussure took over his position as a “Professeur ordinaire” (meaning a full professor). He would teach “general linguistics”, in addition to the “history and comparison of Indo-European languages”, which was already part of his teaching load. He taught these two topics in alternation.
This program was scrupulously observed : Saussure gave three successive courses in “general linguistics” in the years 1906-7 (the first course, in reality begun in January 1907), 1908-9 (the second course) and 1909-10 (the third course). In 1911-12 the course in “general linguistics” gave way, as planned, to a course in Latin and Greek etymology, which was not published until 2013 (see Saussure 2013a). In 1912-13, Saussure’s health prevented him from teaching the Course in General Linguistics which should have been offered.
It would appear that Saussure never intended to publish his course materials. The volume bearing the title Course in General Linguistics – in French the word Cours is ambiguous with respect to grammatical number : is it singular or plural? (see Milner 2002 : 16) – is the result of efforts undertaken very soon after Saussure’s death by two of his colleagues. Estanislao Sofia’s publication Collation Sechehaye (Sofia 2015) is a precise account of the complex history of the editorial work involved in this publication, carried out for the most part by Charles Bally and Albert Sechehaye. Complex, but in the end rather quick : the book was published in 1916 and republished in a second edition in 1922, correcting a few glitches and with different pagination. The third edition, in 1931, preserved the 1922 pagination and was later reprinted in an identical facsimile edition by Payot, his sole publisher. In 1972, the French edition of the Course was augmented with excellent “Notes biographiques et critiques sur F. de Saussure” prepared by Tullio de Mauro, which had already been published in the 1967 Italian edition.
For many years the Course in General Linguistics was read without much attention paid to the history of its publication. Saussure was seen as its author in the traditional sense of the term. This is how he was described in 1916 on the title page of the book, which names “Charles Bally and Albert Sechehaye, with the collaboration of Albert Ridelinger” as having “edited” it. Even after the publication in 1957 of Robert Godel’s book Les sources manuscrites du “Cours de linguistique générale”, it was the “standard edition” of the book, soon described as “vulgate” – a term introduced, initially without disobliging intent, by Giulio Lepschy in 1962 – that was read and through which it exercised its influence. It was this edition, for obvious chronological reasons, through which Meillet, as well as Trubetzkoy, Hjelmslev, Merleau-Ponty, Guillaume and Tesnière, along with many others in France and abroad, received the teachings of the Course. Jakobson, Benveniste, Martinet, Lacan, Lévi-Strauss, Barthes and Greimas, and here too many others, knew about (obviously at different times and to varying degrees) the existence of manuscript sources and their divergence from the standard text. And yet to a very large extent it was the “vulgate” edition that informed their ideas. I will mention just two examples. Lacan was certainly interested in Saussure’s work on anagrams from the moment of their initial publication in 1964. He saw in this work, quite rightly, a questioning of the linearity of the signifier and a “polyphony” : “all discourse is aligned along the several staves of a musical score” (Lacan 2002 [1966] : 419). He returned to the problem in a more explicit fashion in his 1972-73 seminar, Encore (see Lacan 1998 : 96), by exploring, following Saussure, the question of the “intentionality” of the anagram. With respect to the Course, however, he used the Bally and Sechehaye edition exclusively. Derrida went further by deciding, in De la Grammatologie (On Grammatology), to refer only to the 1915 edition of the book, as he describes it, undoubtedly going by the date given in the preface to the 1916 edition : “I have interested myself in a text whose literality has played a well-known role since 1915” (Derrida 1976 [1967] : 329). This position is both paradoxical and significant, and, given the highly lucid explanations provided by the author, quite a propos. For indeed it was the Course in its original state, unchanged since 1916 apart from the few details I have mentioned above, which exercised its influence on twentieth-century linguistics, the humanities and philosophy. To the extent that the two terms, “the Course in General Linguistics” and “Saussure”, often came to be interchangeable at the time. Even in 2000 Claudine Normand named the first chapter of her book Saussure “Le Cours de Linguistique générale : un texte nommé Saussure” (“The Course in General Linguistics : A Text Called Saussure”). The point in history on which this assimilation rests has now been fixed and cannot be forgotten. Naturally, this does not prevent us from expressing considerable interest in “the very thought of Ferdinand de Saussure itself”, as Derrida said, taking into account all the means at our disposal today to know it as completely and precisely as possible. Without blinding ourselves to what remains – intentionally? to what degree? – obviously specific about the conditions in which this thought was not only disseminated but also elaborated.
* * *
Slowly, gradually, things have changed. At first very unobtrusively in the case of certain contemporaries of Saussure. Then more frequently and more explicitly after 1957. For that was the year in which Robert Godel’s book Les Sources manuscrites du “Cours de linguistique générale” revealed the conditions under which the book was published. In 1968, Rudolf Engler published his very scrupulous Édition critique du “Cours de linguistique générale” : the six double-page vertical columns of the first volume of this work show, from left to right, first the text from the original 1916 edition; then, in the next four columns, the notes taken by those who attended the three successive courses; and finally, in the sixth column, Saussure’s own preparatory notes, in truth not very extensive. Volume two, Appendice, published in 1974, provides the “Notes de Ferdinand de Saussure sur la linguistique générale”.
Despite its obvious faults, the publication in 2002 of Écrits de linguistique générale gave new life to the discussion, bringing to light a range of manuscripts discovered in 1996 in the greenhouse of the Saussure family estate in Geneva.
The question it poses is simple : does the book Cours de linguistique générale reflect Saussure’s ideas in an entirely faithful manner?
This question has now returned, insistently and often polemically, in work on Saussure. We often witness sometimes violent reproaches against the 1916 edition : some speak of an “apocryphal text”[3] and “falsification”. Today the term “vulgate” is used pejoratively. Conversely, other authors clearly recognize the inflections that have been given to Saussure’s didactic discourse in his lessons. Were they not indispensable to the rapid presentation of an accessible volume? At the same, time, however, these authors insist on the rigour with which Saussure’s ideas were respected. With a few perhaps somewhat imprudent exceptions. To give just one example, the closing sentence of the Cours de linguistique générale takes the following spectacular form : “The only true object of study in linguistics is . . . la langue, considered in itself and for its own sake”. (Saussure 1986 [1916] : 230). It is almost certain that Saussure did not utter this remark in this literal form. But he did make the following very similar comment :
La langue represents a satisfying unit for the mind. We can give this unit the preeminent place amongst all the facts of language. Understand everything else as subordinate. La langue will be at the centre, the rest will depend on it.
Saussure 1993a : 276; 2005 : 214-15
And in the following lesson : “One must start with la langue as the sole essential fact” (ibid. 1993a : 284; 2005 : 219). All of which in no way means that he could not have said something seemingly in complete contradiction with this precept. The reason for this is that Saussure’s ideas, in their seeming contradictions, were in truth profoundly dialectical.
* * *
The articles published in this special issue of RS/SI have been brought together on the occasion of the centenary, in 2016, of the publication of the Cours de linguistique générale. They thus contribute to highlighting the importance of this event, which had and continues to have a great influence on the history of linguistics and the humanities. The first essay, by Estanislao Sofia, is a determined and rigorous examination of the Course’s “authorship”, without overlooking the complex problem of the authorship of scholarly work, particularly when it is published posthumously. Pierre Swiggers, in “La langue mise en échec(s)”, resituates the problem raised by the central metaphor of the Course : that of chess. Jacques Courcil’s study, “La topique des phonèmes”, takes a new look at the phonological teachings of the Course through a discussion of Saussure’s “Principles of Physiological Phonetics” (see Saussure 1986 [1916] : 39-63 ). The article by Claude Hagège, “À propos de la vision saussurienne de la syntaxe”, illuminates the complexities of the approach to the issue of syntax in the Course.
As the reader has no doubt noted in reading this introduction, the text of the Course cannot be separated from the rest of Saussure’s work, nor from that of his predecessors or contemporaries. Alessandro Chidichimo examines Saussure’s manuscripts and, using the variants found there, studies his “writing, research and style”. Several articles focus on the questions raised by the relations identified between the work of Saussure and that of other linguists. Didier Samain, for example, paints a “Portrait du linguiste en jeune grammarien”, and Maria-Pia Marchese describes “La formation indo-européenne de Saussure par rapport au CLG”. Gabriel Bergounioux examines “L’invention de la phonologie entre Saussure et le Cercle Linguistique de Prague”. John E. Joseph turns a keen eye to the question of “Saussure’s Value(s)” and the central problem of “value” in his work. Pierre-Yves Testenoire provides a detailed history of the reception of the research into anagrams in his essay “L’ombre du Cours, 1960-1980”. In his article “Peirce et Saussure : regards croisés et lectures en boucle”, Jean Fisette juxtaposes the approaches of the founders of semiotics and semiology. Jacques Fontanille takes a semiotician’s view of the relations between “Immanence et créativité : du Cours de Saussure au Dictionnaire de Greimas”. Another semiotician, Anne Hénault in “Saussure en toutes lettres”, juxtaposes Saussure’s attitude to research, as seen in his correspondence, with that of Greimas. Finally, Jean-Claude Milner closes this collection of papers with a re-reading of Mallarmé from the vantage point of Saussure with respect to the word ptyx; his article, entitled “Mallarmé selon Saussure”, presents a new point of view on what the Course in General Linguistics can lend to an analysis of poetry.
Appendices
Notes
-
[1]
J’indique ses prénoms pour éviter la confusion parfois faite avec son homonyme l’Anglais Roy Harris, éminent saussurologue, décédé en février 2015.
-
[2]
Godel la signale dans son livre de 1957. Après lui avoir consacré un premier article dans Le Mercure de France en 1964, Starobinski lui consacre, en 1971, son ouvrage Les mots sous les mots. Les anagrammes de Ferdinand de Saussure (Gallimard). La dernière publication en date, F. de Saussure, Les Anagrammes homériques (Lambert-Lucas 2013b) est due à Pierre-Yves Testenoire, dont c’est une partie de la thèse de doctorat (2013). Elle reproduit la totalité des cahiers de travail de Saussure sur L’Iliade et L’Odyssée. Voir l’article de Testenoire dans ce numéro.
-
[3]
Le premier à avoir osé l’adjectif est sans doute Jakobson : dans son Cours au Collège de France en 1972, il se laisse aller à “dire, sans blague, que ce texte a été un texte apocryphe”. François Rastier lui emboîte le pas, rechargeant (sans le savoir?) le mot de ses antiques connotations bibliques. C’est en 2003 qu’il en vient sans barguigner à décréter que “si dogme il y a, il se trouve dans un apocryphe, le Cours de linguistique générale, qui n’énonce son propos qu’en l’affaiblissant. Qu’ils les instaurent ou les contestent, les dogmes en effet sont l’oeuvre des disciples et non des maîtres” (Rastier 2003 : 23). Est-il utile de rappeler que Saussure refusait la qualité de “maître”? “Vous voulez bien m’appeler votre maître, et je serais bien flatté d’avoir mérité ce titre en quoi que ce soit” : c’est ce qu’il écrit avec une très bienveillante énergie à Antoine Meillet, dans le post-scriptum de sa lettre du 4 janvier 1894. Mais Rastier ne fut pas le dernier à parler d’apocryphisme. Après Simon Bouquet, un peu plus timide – il affecte l’adjectif d’un prudent point d’interrogation – Jacques Philippe Saint-Gérand (2013 : 423-425) reprend énergiquement la déjà vieille antienne : en 2013. il allègue “l’édition d’un Cours (apocryphe) de linguistique générale”.
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Appendices
Notes
-
[1]
I provide the author’s first name in order to avoid confusion with the eminent Saussure scholar Roy Harris, who died in February 2015.
-
[2]
Godel pointed this out in his 1957 book. After devoting an initial article to him in Le Mercure de France in 1964, in 1971 Starobinski wrote a book on Saussure, Les mots sous les mots : Les anagrammes de Ferdinand de Saussure (Paris : Gallimard). The latest publication of Saussure’s writings, Les Anagrammes homériques (Limoges : Lambert-Lucas 2013), was prepared by Pierre-Yves Testenoire and forms a part of his doctoral dissertation (2013). This volume reproduces in their entirety Saussure’s working notes on The Iliad and The Odyssey. See the article by Testenoire in the present issue.
-
[3]
The first to have dared use this adjective was undoubtedly Jakobson : in his course at the Collège de France in 1972, he went so far as to say, “without joking, that this text was an apocryphal text”. François Rastier followed suit, giving the word back (without realizing it?) its ancient biblical connotations : in 2003. without beating around the bush, he declared that “if dogma exists, it is found in an apocryphal book, the Course in General Linguistics, which expresses its ideas in a form which weakens them. Whether founding or contesting ideas, dogmas are the work of disciples and not of masters” (Rastier 2003 : 23). Is it useful to recall that Saussure rejected the description “master”? “You would like to call me your master, and I would be quite delighted to have deserved this title in anything”, he wrote kindly but forcefully to Antoine Meillet in a post-scriptum to his letter of 4 January 1894. But Rastier was not the last person to speak of the apocryphal. Following Simon Bouquet, who was a little more timid – he adds a prudent question mark to the adjective – Jacques Philippe Saint-Gérand (2013 : 423-25) energetically takes up the now old refrain : in 2013. he quotes “an (apocryphal) Course in General Linguistics”.
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