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Parce qu’il s’intéresse à l’évaluation – un sujet maintes fois traité par d’autres et par lui-même –, l’auteur de cet ouvrage pose le problème de « bien évaluer » en le traitant à partir de son omniprésence parfois menaçante dans la société actuelle. Avant même de plonger dans l’évaluation à l’école, Hadji fait remarquer que « tout » est évalué par la⋅le consommateur⋅rice, l’employeur⋅se, l’inconnu⋅e sur les médias sociaux. Ce sont les notes, les avis, les étoiles accordées aux produits ou aux services qui garantissent leur légitimité sociale : l’absence d’évaluation ou des évaluations négatives entrainent le risque d’être écarté⋅e, oublié⋅e ou méprisé⋅e. D’entrée de jeu, il met en évidence les risques idéologiques liés à l’évaluation, dans le choix des évaluateur⋅rice⋅s, des dispositifs et des finalités qui la sous-tendent. Patiemment, l’auteur fait entrevoir toute la complexité des choix et des principes à respecter pour permettre une évaluation qui dépasserait les limites d’une société de performance.

Deux questions organisent son propos : comment évaluer de façon techniquement efficace ? Comment évaluer de façon légitime ? La première partie de l’ouvrage répond à la première question. L’auteur y développe et y justifie une démarche simplifiée d’évaluation rigoureuse. Pour y arriver, il s’appuie à la fois sur une analyse descriptive de l’état des pratiques dans le cas de l’éducation artistique et culturelle en France et sur une analyse réflexive ancrée dans la recherche de ce qu’il faudrait faire pour évaluer efficacement et avec légitimité. La démarche à laquelle il parvient est à la fois simple – dans sa présentation – et complexe – dans sa mise en application – tout en ayant le mérite d’être bien articulée. Elle soulève parfois plus de questions que de réponses, surtout lorsque la⋅le lecteur⋅rice constate l’ampleur de la tâche et les changements qu’elle implique.

Il faut d’abord expliciter les objectifs de l’évaluation. Devant cette tâche, l’évaluateur⋅rice doit naviguer entre les objectifs prescrits et ceux du milieu, souvent formulés plus ou moins explicitement ou bien trop rares ou trop nombreux. Il faut ensuite définir très précisément les espaces d’observation qui serviront à colliger des signes probants. Ces espaces peuvent être subdivisés en champs, à partir desquels seront construits des descripteurs comportementaux qui permettent l’observation. Finalement, il faut prélever des signes probants dans les espaces d’observation désignés. À plusieurs occasions, l’auteur met la·le lecteur·rice en garde contre l’idée que la démarche garantisse la collecte de signes indiscutablement probants. Cette posture critique est habilement présentée tout au long de l’ouvrage. Elle rappelle à la⋅au lecteur⋅rice que l’évaluation scolaire ou sociale permet d’obtenir une lecture approximative de la situation actuelle, en jugeant de la position de celle-ci entre une situation de départ (avant l’application d’une action sociale) et une situation idéale qui répond parfaitement aux objectifs poursuivis.

Alors qu’un questionnement technique soutient la première partie, la deuxième partie est portée par un questionnement éthique qui n’est pas facilement accessible dû à la complexité de son raisonnement philosophique. Pour l’auteur, évaluer de façon légitime doit se faire à partir d’évaluations démocratiques, libres de peur et raisonnées. Pour cela, une évaluation doit être construite en tenant compte de tou⋅te⋅s les acteur⋅rice⋅s, idéalement dans un débat collectif. L’évaluateur⋅rice doit restituer le processus, les choix opérés et transmettre les résultats de l’évaluation à celle⋅celui qui est évalué⋅e. L’évaluation doit se sortir du carcan de la finalité unique de la sélection. Elle doit poursuivre d’autres finalités qui reposent sur le développement de la personne pour faciliter son apprentissage plutôt que son élimination basée sur une valeur scolaire qui se confond à une valeur identitaire. De cette façon, on peut éviter que l’évaluation ne serve qu'à se conformer aux exigences d’une société de performance. On voudrait plutôt juger l’acceptabilité de construits par rapport à un seuil de réussite en lien avec une cible déterminée bénéfique pour le développement de la personne.

Bien que l’ouvrage place la⋅le lecteur⋅rice – futur⋅e évaluateur⋅rice – devant un énorme chantier pour mettre en application les principes d’une évaluation techniquement efficace et légitime, il crée toutefois une envie presque irrépressible de se mettre à la tâche. Dans le contexte québécois, où la pression évaluative s’incarne entre autres dans les épreuves uniques ministérielles ou dans les demandes de reddition de comptes axées sur les performances des élèves et des enseignant⋅e⋅s, le travail de l’auteur ouvre la porte à une réflexion profonde sur les pratiques évaluatives. Cette réflexion, déjà entamée et accélérée en raison des bouleversements liés à la pandémie, s’approche de la réflexion de Hadji sur l’évaluation, ses moyens et ses finalités. L’ouvrage convainc facilement l’optimiste, mais montre la nécessité d’un changement profond des pratiques sociales et des finalités associées à l’évaluation qu’il ne sera pas aisé de mettre en place.