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L’essai de Turgeon, divisé en deux grandes parties et vingt-trois courtes sections, propose une suite de considérations, d’idées et d’anecdotes sur le rapport entre éducation, école et culture. Dans la première partie de l’ouvrage, l’effort nécessaire d’une redéfinition et d’une clarification du concept humaniste de culture, la mise en lumière de la distinction entre pensée et connaissance et le questionnement du lien entre État et culture se font, chez l’auteur, par une mise en dialogue des pensées de John Stuart Mill, Hannah Arendt, Socrate et Friedrich Nietzsche; la seconde partie, pour sa part, traite plus spécifiquement d’un enjeu social et politique particulier, celui de l’uniformité des parcours scolaires et de l’homogénéité des programmes éducatifs : sont alors convoquées les réflexions de Readings, Nussbaum, Gutmann, Dubet, Rancière et Jacotot. Malgré la structure particulièrement découpée de l’essai, la cohésion des différentes sections du texte est soutenue tout au long du livre : ainsi, l’auteur pose dès le début les jalons d’une pensée et les appuis d’un argumentaire sur les enjeux actuels du rapport entre culture et éducation, fondements qu’il approfondit tout au long de l’ouvrage.
Le principal intérêt de l’ouvrage de Turgeon réside dans ses appels à la pensée de certains philosophes, pédagogues et sociologues plus rarement évoqués en éducation : en effet, puisque les considérations de Turgeon ne sont pas originales en elles-mêmes et relèvent souvent de préoccupations déjà explorées en philosophie de l’éducation (le contrôle de l’État sur les programmes scolaires, la culture bureaucratisée, l’application d’une logique de travail au monde scolaire, etc.), il est surtout instructif de découvrir en quoi les propos avancés par l’auteur peuvent être articulés à la réflexion de divers penseurs. Par contre, les références de Turgeon sont souvent inégales, ou trouées : le plaidoyer de l’auteur pour une pédagogie de la liberté ne fait aucune mention de pédagogues critiques (Freire, Giroux, Apple), tout comme sa prise de position pour une éducation profondément empreinte de responsabilité éthique, de délibération rationnelle et de normes dans l’espace commun ne laisse aucune trace de la pensée d’Habermas, malgré l’indéniable parenté entre les concepts présentés et les théories habermassiennes…
D’autre part, si l’écriture de Turgeon a le mérite d’être nuancée et d’éviter le registre souvent manichéen des débats en éducation, elle l’est peut-être à l’excès : certes, l’auteur affirme la nécessité d’une école commune, prône un parcours scolaire propre à chacun et se méfie de l’ingérence de l’État dans la constitution des programmes scolaires, mais il le fait toujours en accordant une certaine place au privé, une certaine place à l’évaluation, à une certaine méritocratie… L’approche est peut-être louable et évite le ridicule des extrêmes, mais il n’en demeure pas moins qu’elle semble davantage relever du compromis relativisant, du « politiquement correct » que d’une prise de position profondément ancrée et assumée. D’ailleurs, l’auteur l’annonce dans l’avant-propos de son ouvrage : il ne s’agit pas d’une philosophie de l’éducation, d’une théorie englobante. Et, en effet, le livre relève beaucoup plus du commentaire philosophique que d’une tentative théorique propre ou originale.