Article body
Dans la foulée des fêtes du 400e anniversaire de la ville de Québec, l’historien Jean Provencher convie le lecteur à la redécouverte d’un Vieux-Québec déjà investigué par plusieurs spécialistes. Il crée un rendez-vous multidisciplinaire et met en lumière la richesse des contributions. Jean Provencher propose une excellente synthèse, anime le discours qui s’en dégage et s’applique à aborder des aspects peu retenus. Il souligne le travail des organismes et des individus qui ont enrichi la connaissance de cet arrondissement historique. La liste est longue et, tout à son honneur, il rend justice à ces nombreux collaborateurs et complices engagés dans l’aventure de la recherche. Jean Provencher introduit le lecteur dans l’univers d’acteurs de l’histoire : Marie de l’Incarnation (1644), Henry David Thoreau (1850) et Wilfrid Laurier (1889). Cette mise en contexte faite, il entame une trajectoire chronologique des premières occupations jusqu’à la situation contemporaine. Il conjugue ensuite les informations issues des fouilles archéologiques menées sur les sites stratégiques de l’arrondissement : la cour du Séminaire de Québec, la Place d’Youville, la Place Royale, la colline de Québec. Provencher fait une mise à jour des connaissances et pose une question toujours non résolue : mais où est donc Stadaconé ?
Une fois les entrailles de Québec investiguées afin d’apprécier sa profondeur historique, c’est l’emplacement de la ville qui est examiné. Toujours particulièrement intéressé par la vie quotidienne, l’histoire dans l’Histoire, Provencher met en lumière ce qu’on mange à l’Habitation de Champlain ; ici encore, les fouilles archéologiques sont une source de découvertes incontournables. Peu à peu, Québec prend forme, à la Basse-Ville puis dans la Haute-Ville, mais la guerre entre la France et l’Angleterre alerte la colonie fragile. La signature du traité de Saint-Germain-en-Laye (1632) permet néanmoins aux immigrants français de venir s’installer au pays. Ces bâtisseurs – et ici, ces bâtisseuses – sont évoqués chez les religieuses, notamment les Ursulines et les filles du roi… Cette période de 1608 à 1690 a laissé un legs architectural encore observable aujourd’hui, malgré l’incendie de la Basse-Ville, en 1682, qui a entraîné des modifications majeures dans la construction dorénavant réglementée des maisons.
Le rappel des épisodes belligérants est propice au traitement de plusieurs sujets dont l’édification des fortifications de Québec et les réalisations du grand ingénieur Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry. Retiennent aussi l’attention les poussées démographiques, le développement des quartiers de la Haute-Ville, l’activité incessante de la Basse-Ville, la constitution de trésors religieux et de collections d’oeuvres d’art, le rôle majeur des artisans dans la reconstruction du pays et qui colore le visage de la colonie. Malgré les périodes difficiles dues aux guerres, Jean Provencher nous fait ressentir la vie qui avait cours à cette époque, au quotidien, dans les monastères, chez les soldats et dans les auberges et cabarets qui se multiplient alors.
À la fin du XVIIIe siècle s’entame une période de prospérité. Le commerce de gros, les services gouvernementaux et la présence de l’armée contribuent à faire de Québec le centre financier de la colonie. La présence militaire engendre certaines tensions dans la ville, mais cette présence et l’érection de la Citadelle concourent néanmoins à accroître les activités et à augmenter la richesse. L’influence britannique est ainsi visible et participe à l’élaboration d’une architecture québécoise qui intègre diverses influences nord-américaines et européennes. Le premier architecte « professionnel », Thomas Baillairgé, modèlera l’image de la ville classique. Au fil des rues et des quartiers, Jean Provencher nous parle des gens, des grands carrossiers de la rue Sainte-Anne, des artisans, des humbles comme des gens riches et célèbres, des Canadiens, Amérindiens, Anglais, Écossais, Irlandais, Américains qui se sont côtoyés et qui ont habité les lieux. Un « art de vivre » règne. « En 1866, Londres retire une partie de ses troupes du Canada. » C’est alors la fin d’une époque.
S’impose la modernité qui emprunte la voie des améliorations urbaines, qui explose dans l’architecture redevenue à la française… La gouvernance de Dufferin et les architectes Lynn, Taché et Peachy y seront pour quelque chose. Québec renforce son image de carte postale. Mais il n’y a pas que les bâtiments qu’il faut remarquer ; certaines personnes ont changé le visage de Québec, les Chinois par exemple, ou Gérard Thibault qui accueillera un grand nombre de célébrités françaises au grand plaisir du public fidèle. Des rues se spécialisent et animent les quartiers des affaires et de l’imprimerie. La Place Royale a une nouvelle vocation et l’on recycle certains bâtiments en les transformant de publics à privés.
Patrimoine, voilà le mot clé. L’auteur nous plonge dans cette problématique d’un patrimoine à conserver, à restaurer, à enrichir et à habiter. Tout un siècle de controverses et de remises en question caractérise ce cheminement vers une ville finalement reconnue dans ses vieux murs comme un trésor du patrimoine mondial. Le Vieux-Québec est un tout et s’embellit toujours d’expressions et de témoignages qui marquent la ville. Lorsque l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) inscrit l’arrondissement historique du Vieux-Québec sur la liste du patrimoine mondial, de beaux défis se posent. L’auteur remet en contexte ce « joyau lentement parfait », aimé de ses habitants, qui ravit les visiteurs et qui impose certaines exigences.
L’histoire du Vieux-Québec à travers son patrimoine est une belle synthèse qui offre au lecteur un parcours agréable. Fort bien illustré, l’ouvrage soutient l’attention en faisant défiler le Vieux-Québec pour l’expliquer, le contextualiser, parler des grands événements mais aussi de la vie quotidienne. La présentation chronologique guide le lecteur qui peut néanmoins se perdre un peu lors de sauts dans le temps comme à la mention de la Place de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) créée en 1995 mais annoncée dans le chapitre couvrant 1870-1945. Jean Provencher est un chercheur dont l’expertise est reconnue ; il sait de plus diffuser de façon juste et vivante. Dans cette publication, il se fait truchement, mettant à contribution nombre de chercheurs qui se sont intéressés au Vieux-Québec. Ce savoir est toujours replacé en contexte et l’histoire qu’il reconstruit établit des liens entre le passé et le présent. Provencher est un historien de l’actuel.