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Le présent numéro de la Revue musicale oicrm fait écho à la rencontre Épistémuse qui eut lieu à Montréal en septembre 2018 et qui portait le titre « Musicologies francophones. Nouvelles frontières disciplinaires et nouvelles technologies ». Épistémuse est un réseau international francophone (Belgique, France, Liban, Québec et Tunisie) piloté par Cécile Davy-Rigaud et Catherine Deutsch (Iremus, cnrs, France) et qui a pour vocation de réunir des chercheurs et des chercheuses travaillant sur l’histoire, l’historiographie et l’épistémologie de la musicologie, envisagée dans son acception la plus large, telle qu’elle est et fut pratiquée dans l’espace francophone.
Lors de cette rencontre Épistémuse, il s’agissait de réfléchir sur la constitution et l’évolution du périmètre des musicologies francophones et sur les rapports qu’elles entretiennent avec les autres disciplines des sciences humaines et sociales (histoire, histoire de l’art, sociologie, ethnologie, anthropologie, psychologie, linguistique, sémiotique, études de genre, etc.), des sciences cognitives et des sciences exactes (mathématique, physique, acoustique, etc.) dans un contexte de développement des nouvelles technologies numériques. Les interventions ont permis de distinguer assez clairement deux grandes orientations : les technologies comme nouveaux outils pour la recherche (et la création) en musique et les technologies en musique comme objet de recherche. Si cette distinction n’a rien de très surprenant, elle a néanmoins permis de prendre conscience du remarquable élargissement que connaît la discipline en s’appropriant les nouvelles technologies. Nous avons donc réuni quatre articles sur le thème du rapport entre l’étude de la musique et les technologies dont trois sont issus de présentations données lors de la rencontre d’Épistémuse à Montréal. L’analyse musicale est certainement l’une des grandes gagnantes de l’incorporation de ces technologies à la pratique musicologique : c’est ce que révèlent les textes de Pierre Couprie (« Quelques propos sur les outils et les méthodes audionumériques en musicologie. L’interdisciplinarité comme rupture épistémologique ») et de Christophe Guillotel-Nothmann (« Les signes musicaux et leur étude par l’informatique. Le statut épistémologique du numérique dans l’appréhension du sens et de la signification en musique »). L’article de Jonathan Goldman (« La migration numérique d’une oeuvre pionnière avec live electronics. Mesa (1966) de Gordon Mumma ») rend compte des possibilités offertes par les technologies du numérique dans la construction de l’histoire de la musique du xxe siècle, offrant au chercheur la capacité de reconstituer des oeuvres qui dépendent de technologies disparues. Paradoxe qui n’est pas sans nous interroger sur l’usage des technologies en création et la pérennité toute relative de ces oeuvres conçues pour des instruments éphémères.
Le quatrième texte du dossier (« Musicologie pratique à l’ère des réseaux sociaux. Le cas des notes de programme numériques de l’osm au sein du paysage musical francophone ») est le fruit d’un travail de doctorat de Justin Bernard qui s’est donné comme objectif de repenser la note de programme à l’aune des possibilités techniques offertes par le numérique. Si la note de programme est un exercice qui est toujours donné dans les classes d’initiation à la musicologie et est considéré comme l’expression par excellence d’une musicologie « pratique », l’expérience de Justin Bernard suggère que l’usage des technologies donne aux musicologues des outils remarquables, mais que leur usage est encore très dépendant de la capacité de mobiliser un savoir-faire en termes de communication et de la toujours très difficile adéquation entre objectifs musicologiques de diffusion du savoir et contraintes communicationnelles. Il ressort de ce dossier que notre rapport à la musique a peut-être changé en termes d’accessibilité, mais ce qui fait que la musique occupe un espace singulier et privilégié dans nos vies tient moins aux technologies qu’à notre capacité à lui donner un sens.
Pour créer un intéressant contrepoids à ce dossier, la revue propose deux contributions libres, de Konstantinos G. Alevizos et de Nathanaël Eskenazy, qui abordent de manière plus « conventionnelle » des oeuvres du répertoire classique et qui nous rappellent que la cohabitation des répertoires, des outils et des méthodes constitue une richesse intellectuelle qui permet à la fois de prendre la mesure de l’évolution de la musicologie et de ses remarquables permanences.
Ce sont enfin deux comptes rendus complémentaires qui concluent ce numéro. Le premier, signé par Sophie Renaudin, s’intéresse à l’étude dirigée par Marie-Hélène Benoit-Otis, Philippe Despoix, Djemaa Maazouzi et Cécile Quesney autour de Germaine Tillion et du Verfügbar aux Enfers, oeuvre singulière dont il a d’ailleurs été question ici même dans les pages de la revue, en 2016, dans le cadre d’un numéro dirigé par Marie-Hélène Benoit-Otis et Philippe Despoix. Le second compte rendu, réalisé par Marc-André Roberge, discute du récent livre de Marie-Hélène Benoit-Otis et Cécile Quesney consacré à la Semaine Mozart du Reich allemand, organisée à Vienne en 1941, et ses « invités français ». L’ouvrage vient par ailleurs d’obtenir le prix Opus du Livre de l’année décerné par le Conseil québécois de la musique (cqm).
Appendices
Note biographique
Michel Duchesneau est professeur titulaire à la Faculté de musique de l’Université de Montréal et directeur de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (oicrm). Il est l’auteur du livre L’avant-garde musicale en France et ses sociétés de 1871 à 1939 (Mardaga, 1997), le coéditeur des collectifs Musique et modernité en France (pum, 2006), Musique, art et religion dans l’entre-deux-guerres (Symétrie, 2009), Charles Koechlin, compositeur et humaniste (Vrin, 2010), Écrits de compositeurs (Vrin, 2013) et l’éditeur de deux volumes consacrés aux écrits du compositeur et pédagogue français Charles Koechlin (Mardaga, 2006 et 2009).