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La performance émerge au même moment que le féminisme : engendrée pour s’émanciper du capitalisme, la performance est apparue pour bousculer le marché de l’art. Se voulant éphémère et impulsive, la démarche performative implique de prendre le corps comme outil premier de création. De cette manière, féminisme et performance ont trouvé l’un dans l’autre une combinaison efficace pour lier expression plastique et luttes sociales. Comme le note Andrieu (2013), les femmes ont pu imposer leur vision propre, prenant congé de tout contrôle masculin, mais ont également porté en elles autre chose que leur matrice reproductrice à laquelle elles pouvaient, dans certaines représentations artistiques et littéraires, être substituées entièrement. De ce fait, elles en ont constitué une puissance cathartique et revendicative à la fois : une énergie permettant le truchement d’un combat féministe. Cette force, soulevée par leur présence physique, extérieure et explicite, favorise une construction culturelle faisant de l’intime et du foyer familial des espaces remis en cause publiquement. Elles ont pu jouir d’une liberté d’action et de parole qui jusque-là n’était accordée qu’aux hommes et réécrire, à partir des années 60 et 70, une histoire non pas du, mais des corps féminins, sans passer par des interprètes ou médiateurs de leur volonté.

Depuis, le féminisme a traversé plusieurs générations. Son aspect communautaire, de par son organisation, ses réseaux sociaux, les plateformes de rencontres qu’il peut mettre en place, favorise les créations diverses et variées, en particulier dans le domaine de l’art performance.

Par l’héritage de la scène musicale punk, du mouvement queer ou du mouvement post-pornographique (post-porn), la performance féministe recoupe de nombreux domaines et vient lier les disciplines comme le théâtre ou la théorie universitaire, ou encore la pornographie, pour infiltrer les lieux publics, sans réduire la pensée féministe à un seul milieu culturel ou à une classe sociale unique. Les artistes remettent en question l’espace public et l’espace intime du corps comme des lieux de confusion entre la pratique et la théorie, le « dedans » et le « dehors » ou encore la pluralité des richesses esthétiques et intellectuelles. Comment la performance peut-elle devenir un outil féministe qui permet d’ouvrir, de transgresser et de transmettre? En quoi cette transmission conduit-elle les femmes à créer et à penser à leur tour, dans une logique d’expression féministe toujours plus libre et singulière? Comment les différents milieux alternatifs peuvent-ils se répondre et tisser des liens entre eux?

Le féminisme et les actions

La vie privée et les enjeux sociaux

Se sentir au coeur d’une pluralité d’individus ayant un vécu analogue au sien est une stratégie qui permet de visualiser son identité comme une puissance politique et de reformuler les injonctions « naturalisées » mises en place par l’éducation. C’est à partir de ce constat que l’expression plastique peut entrer en jeu, comme une invitation à repousser les possibilités qu’offre la réalité. Pour les féministes, qu’elles appartiennent à la deuxième ou à la troisième génération, ce qui importe avant tout, c’est de ne rien tenir à l’écart : il est important de mettre au même niveau l’intime et les enjeux collectifs. Venu d’Amérique, le mouvement des femmes, inscrit dans la perspective de Mai 68, a permis une redéfinition des priorités sociales. La volonté de changement devait s’inscrire dans les rapports individuels et non rester cramponnée à une image, prétendument intouchable. Le « tout est politique », exprimé alors, signifiait avant tout que rien n’était fatal et que les décisions communes devaient se faire en fonction des individus, donc des femmes, lesquelles n’étaient plus cantonnées dans l’image du foyer. L’envie de décider pour elles-mêmes, de gouverner leur vie était leur première bataille : une révolution de l’intérieur, par la force interne, et non plus une représentation, une passivité, une hiérarchisation des pouvoirs. Dans cette optique de changer la vie privée en un combat collectif et vital, le féminisme constitue, aujourd’hui encore, une revendication collective où la vie amoureuse, la sexualité ou les questions d’ordre familial entretiennent un rapport direct avec les notions de pouvoir et d’exploitation à combattre, ce qui place le corps au centre de la lutte.

Le corps comme force politique

Cependant, force est de constater que les combats actuels ne visent plus un seul ennemi commun, ce qui fait de la lutte une épreuve qui se joue à plusieurs mains, mais qu’ils s’accordent souvent avec un certain individualisme, produit même du capitalisme. L’État n’hésite pas à se servir du féminisme afin de mettre en place certaines lois d’ordre sécuritaire (Power 2010), toujours plus contraignantes pour certaines populations, en particulier pour certaines femmes (Merteuil 2012). De ce fait, la stigmatisation d’un groupe d’individus « au nom » du féminisme interpelle les artistes et certaines militantes contemporaines, héritières des revendications passées. Disposer librement de son corps : voilà une requête toujours d’actualité qui a pris plusieurs formes, diverses teintes, mais dont l’art performance peut être l’éclatante manifestation. Baqué (2002) remarque justement que la volonté de certaines femmes de ne pas se plier à la beauté « blanche » et « lisse » des magazines, mais également à la récupération du marché de l’art, permet la transmission d’une force combative, profondément féministe. Cette concentration d’énergie puise son héritage dans le travail de nombreuses femmes, dont certaines viennent d’outre-Atlantique comme Annie Sprinkle (1998), Lydia Lunch, Ana Mendieta ou encore Valie Export… Ces femmes ont réussi à faire passer leurs idées politiques et leurs protestations à travers une matière qui leur est propre : pour le public comme pour elles-mêmes, l’usage du corps comme outil artistique s’avère aussi une façon de participer à la création de la culture. En constituant une formule à la fois sensible et réflexive, elles ont pu mener une politique sociale tout en partageant leurs ressentis de même qu’en investissant intimité et sphère publique.

Mises à l’écart de la scène artistique depuis si longtemps, les femmes n’ont eu comme seule solution que de s’imposer d’elles-mêmes par leurs actions. C’est peut-être même, pour certaines, la colère d’avoir été si longtemps écartées qui les a propulsées et les a amenées à investir le monde de l’art par la performance, donc par une action directe, fruit d’une certaine rage à laquelle s’ajoute une maturité. Ainsi, dans ce dialogue entre politique et poétique, le champ des possibles s’est ouvert non seulement pour elles, mais aussi pour celles qui les ont suivies. Cette transmission de leur intention a favorisé l’écoute et l’échange entre les femmes en ouvrant de nouveaux horizons pour la création. Faisant du corps l’élément central d’une expression qui favorise l’autonomie individuelle et la liberté, l’outil de création qu’est la performance est un débat contre la pensée dominante – pensée qui fait du corps et de ses désirs un lieu cadré, intime et miné de tabous. Ainsi, en voyant une femme ou une personne transgenre agir et poser publiquement des problématiques – qui sont considérées comme « taboues » ou intimes ou encore qui n’ont aucun rapport direct avec le champ social –, certaines femmes ont pu avoir la « preuve » réelle que leur propre existence, leur physique ou leur sexualité n’avaient rien d’« anormal » et pouvaient tout à fait être mis en lumière par une prise de parole ou d’action publique afin d’offrir une manière d’exister socialement et ainsi bouleverser l’ordre établi par la norme. Ce phénomène de transmission/destruction a été en premier lieu amené par la vague punk qui, dès les années 70 puis durant les années 80, a offert l’occasion de penser en son nom à travers une philosophie du « fais-le toi-même » (do-it-yourself) et un insoutenable abandon de soi dans le présent, à travers la devise « aucun avenir » (no future) qui préfigurait déjà une perte des repères que le système avait pu mettre en place jusque-là.

La révolte de l’idéologie punk et la mascarade comme arme

Le cabaret punk et burlesque

Au cours des années 80 et 90, les artistes punks américaines avaient déjà donné le ton, en réinterrogeant la représentation féminine par l’entremise de leurs accoutrements. Blondie, Joan Jett puis Courtney Love… Les femmes n’étaient plus le sujet des chansons, ni un objet de désir, ni des personnes associées à une image romantique, ni des groupies. L’idéologie punk a permis d’ouvrir un « front de libération », une nouvelle figure pour la féminité. Artistes totales pour la plupart (telle Patti Smith qui utilise le chant, la peinture, la photographie ou la poésie), ces artistes multidisciplinaires ont ouvert une brèche dans la scène musicale jusque-là conduite par les hommes. Les codes utilisés par les punks, comme le maquillage, les talons aiguilles, les blousons en cuir et tous les stéréotypes liés à la féminité (bas mis en évidence, porte-jarretelles, seins nus sur scène) deviennent des signes d’une liberté d’expression comme d’une provocation évidente. Associés à un comportement dissident, ces symboles appartiennent au registre du vulgaire, du « trop ». Ils provoquent rires, répulsion ou fascination et permettent de renverser la représentation féminine et masculine, tout en utilisant ses codes et en inversant ses pôles représentatifs. Cependant, ce « trop » sous-entend également une volonté de changement, de dépassement. Ainsi, des artistes comme L7 durant les années 90 aux États-Unis ont pu se servir du médium de l’expression scénique afin de faire entendre leurs revendications féministes pour l’interruption volontaire de grossesse (IVG) ou pour une sexualité libre. Les spectacles (shows) proposés par les femmes punks favorisent l’esthétique brute en proposant un contrôle de soi et de sa vie par un lâcher-prise excessif.

Le cabaret du type « nouveau burlesque » (new Burlesque) apparaît dans la lignée de cette théorie en tant que mouvement artistique féministe, danseurs et danseuses se revendiquant comme performeurs et performeuses qui pratiquent le strip-tease, dans un style humoristique d’autodérision, et élaborent des spectacles populaires à la frontière entre le contemplatif, l’humoristique et le politique. Associé aux cabarets parisiens de la fin du xixe siècle, le nouveau burlesque naît aux États-Unis et revendique l’effeuillage comme action militante en lutte contre l’image du corps de « la » femme soumise aux canons de la minceur et de la chirurgie plastique. Le corps des danseuses rondes et tatouées rappelle celui des punkettes militantes et construit, avec la même énergie revendicative, une communauté de femmes se jouant des codes féminins en les exacerbant. Cet intérêt pour le spectaculaire et les danses sensuelles s’inspire aussi du monde du cirque. De nombreuses « foires aux monstres » étaient organisées à la fin du xixe siècle et au début du xxe. D’ailleurs, la thématique du cirque est fortement reprise par les groupes punks (Marcil 1997), car ils proposent des spectacles qui extrapolent l’idée de la fragilité de l’être et de sa puissance à surpasser la nature.

Parmi les Françaises inspirées par le burlesque américain, on trouve les Kisses Cause Trouble, troupe parisienne de performeuses extraverties. Elles renversent clairement ce que le cabaret parisien se veut être, c’est-à-dire un peep-show pour classes sociales aisées ou touristes – tel le Crazy Horse – où toutes les femmes ont la même allure et les mêmes mensurations. Les Kisses Cause Trouble s’opposent radicalement à cette image en s’adressant, elles, surtout aux femmes. En se déclarant fièrement différentes, « monstrueuses » par rapport à la norme, elles se revendiquent comme des êtres « chaotiques » et « dangereux», du moins sur un pied d’égalité, sur le plan de la représentation, avec le monde masculin. Entre spectacles clownesques et strip-teases se construisent des représentations féminines hors normes. L’image féminine de la contrainte et de la séduction vient se heurter à l’image clownesque bien connue : figure (la plupart du temps) masculine, elle symbolise la perte de contrôle par le rire (le maquillage déformant à outrance) et la dégradation sociale. Il s’agit de pouvoir faire passer, par l’humour et le grotesque, de nombreuses idées stratégiques. Entre la négation de la pudeur et des complexes que s’autorisent ces figures féminines et leur incroyable humour, il est clair que les Kisses Cause Trouble, ainsi que de nombreuses performeuses politico-burlesques, proposent aux femmes qui les regardent une réflexion alliée à un soulagement, à un relâchement de la pression sociale. Entre un bien-être évident et un positionnement politique, les performeuses offrent un champ de liberté féministe qui ne pourrait exister autrement que par le passage à l’acte, par l’acte performatif. Leur énergie, inspirée par des troupes de burlesques américaines comme le Velvet Hammer ou encore par l’idéologie punk, fait de ce style de performances burlesques un genre à part, à visée « sociale », a inspiré ensuite de nombreux artistes de la scène parisienne alternative, seuls ou en troupe.

La communauté queer et l’identité

Une performeuse contemporaine mêle le nouveau burlesque et le féminisme prosexe : Louis(e) de Ville. Américaine, elle vient à Paris pour étudier les sciences politiques mais, très vite, elle devient strip-teaseuse burlesque, déclarant que l’on peut faire passer des idées beaucoup plus facilement en « étant en petite culotte » (Lag 2011). Entre scène de show et théâtre engagé, Louis(e) de Ville réalise une pièce intitulée Betty Speaks, où il est question d’une femme au foyer névrosée qui découvre le féminisme. Son approche de la sexualité et ses réflexions sociologiques s’opèrent dans une veine analogue à celle de l’américaine Carol Queen. Louis(e) de Ville créait ainsi en 2000 un atelier drag king à Paris pour inviter les femmes à repenser le cloisonnement du genre en se travestissant en homme. Par ces actions, Louis(e) de Ville met en lumière le caractère performatif du genre, tout comme Judith Butler a pu le soulever dès 1990 : la traduction française de son ouvrage (Trouble dans le genre) paraîtra en 2005. En liant performatif du genre et performance artistique, Louis(e) de Ville met en évidence le caractère constructiviste de l’éducation et les possibilités liées au domaine de l’expression artistique. Ainsi, elle pointe avec pertinence l’idée que l’art et la sexualité sont deux choses qui invitent à soulever la puissance politique de l’individu. En effet, d’après Michel Foucault, l’espace du corps peut être investi comme un terrain politique, permettant de s’émanciper de toute forme de stigmatisation : « Nous avons à peine le souvenir de cette idée dans notre société, idée selon laquelle la principale oeuvre d’art dont il faut se soucier, la zone majeure où l’on doit appliquer des valeurs esthétiques, c’est soi-même, sa propre vie, son existence » (Foucault 1994 : 402). Le pseudonyme « Louis(e)» est un choix qui délimite son corps performatif en deux espaces : un féminin et un masculin, tous deux habitant la même enveloppe charnelle. Cette double lecture inclut l’acte performatif jusqu’au langage qui le désigne, construisant son identité artistique dans la lignée d’une identité queer.

La communauté queer se base sur le concept d’autodésignation, de construction genrée en opposition avec le sexe « naturel » d’un individu. Toutes les actions politiques du mouvement queer se revendiquent comme spectaculaires et carnavalesques (comme les Pink Bloc! à Paris ou à Montréal, qui favorisent l’idée de construire un mouvement basé sur l’affectif et le collectif, plutôt que sur une quelconque hiérarchie, en prônant la culture populaire, le punk, le marxisme, l’anarchisme et le féminisme radical, le tout en étant coloré, travesti et festif) et fonctionnent dans la même lignée que celle des activistes punks, certaines danseuses burlesques et leurs attitudes clownesques. Pour Welzer-Lang (2008), ces actions marquent symboliquement l’existence des individus exclus de la norme sociale et qui revendiquent leur appartenance à une communauté construite sur cette exclusion. On passe ainsi d’une expérience sociale de stigmatisation, d’une expérience subie, à une autoproclamation individuelle comme fierté à part entière. Cette assertion indique un choix d’appartenance et dénonce en même temps la norme sexuelle comme aliénante et cloisonnée. Le terme queer, employé en premier lieu comme une insulte à l’égard des personnes homosexuelles, se retourne contre ceux et celles qui commettent l’agression pour devenir une revendication identitaire à travers des groupes de militants et de militantes, puis une théorie en s’infiltrant dans un courant universitaire, subissant l’influence de la philosophie poststructuraliste. L’affirmation du « hors norme », du « freak » (au sens circassien) devient une fierté, un choix de vie, alors qu’au départ il s’imposait de lui-même comme une évidence subie et non choisie. De ce fait, la violence infligée par le regard ou le jugement de l’autre se transforme en une autre violence – mais celle-ci est choisie – et fait de la création performative le revers positif d’une énergie bénéfique, à la base vouée à être perdue dans l’aliénation de sa cible. Avec cette « performativité » du langage mais également l’engagement performatif de ses auteures et auteurs, la notion de victime n’a plus lieu d’être et tout son champ lexical judéo-chrétien s’annule. Elle devient un jeu qui se positionne du côté de celle dont la parole est souvent remise en cause ou passée sous silence : les handicapées, les lesbiennes, les femmes non blanches, les personnes transidentitaires et transgenres, les travailleuses du sexe… La fierté d’être en marge se manifeste alors par des créations qui bousculent la représentation dite du courant de pensée majoritaire (mainstream) et s’incarne fréquemment dans une pédagogie sexuelle, puisque l’oppression des femmes passe le plus souvent par une choséification de leur corps, une négation de leur consentement, de leur parole et de leur volonté. De ce fait, quand les femmes prennent le parti de parler en leur nom, elles peuvent manifester une part plus vindicative que la création masculine, puisque leur approche du corps n’a pas sa place dans la représentation normative, d’une part, mais également parce qu’elles ont pris le parti d’exister à travers un témoignage franc et à fleur de peau, d’autre part. Ainsi, pratique et théorie peuvent être une manière de porter leur propos toujours plus loin, dans le champ aussi bien universitaire que populaire ou encore dans le monde de l’art.

Entre la théorie et la dissidence sexuelle : la post-pornographie

La pornographie et la liberté

Les productions artistiques sont renforcées par une conviction personnelle, amenée par l’expérience. Cependant, elles sont impulsées par une volonté de remise en cause non pas de soi mais des valeurs établies, ce qui fait de l’expérience sensible un moteur politique. C’est pourquoi les artistes utilisent de nombreux codes transgressifs appartenant souvent aux registres de la pornographie et de l’érotisme, puisque ces derniers interrogent la dichotomie intime/public. La post-pornographie, mouvement performatif, est née de cette volonté de ne pas taire les corps féminins et transgenres ayant des pratiques sexuelles dites « déviantes » (Borghi 2013). La question entre création et sexualité, mais aussi entre art et pornographie, se pose : en quoi ces deux pratiques, opposées sur le plan esthétique et culturel ainsi que dans leur finalité, peuvent-elles se rejoindre et former une revendication? Surtout comment le mouvement queer, se voulant en rupture totale avec toute pensée impérialiste héritière de la construction occidentale dont l’art serait le paroxysme, pourrait-il à son tour devenir paradoxalement une démarche artistique, puisqu’il se trouve être le point de départ de cette pratique radicale?

Les créations se revendiquant explicitement comme post-pornographiques, queers ou transféministes brisent la lisière qui sépare le privé du public, pour libérer les individus mais surtout l’espace social. Pornographie ou art ont alors été investis par certaines femmes, afin de redonner à ces zones longtemps inoccupées par les fantasmes féminins, un nouvel angle de vue bénéfique. À l’heure actuelle, de nombreux films pornographiques sont réalisés par des femmes (Ovidie, Angela Tiger, Monika Treut, Courtney Trouble…). Est à l’origine de cette mouvance, le féminisme prosexe, pensée politique engagée par des Américaines comme Annie Sprinkle, Veronica Vera, Scarlot Harlot ou Betty Dodson… Ces féministes ont voulu ouvrir les horizons sur les plaisirs sexuels féminins, largement occultés par l’éducation mais aussi par certaines femmes elles-mêmes se revendiquant d’un courant féministe antipornographie. Les féministes prosexe sont très attentives à toutes les formes de luttes concernant l’industrie du sexe et sont à la source de beaucoup de mobilisations contre le sida, les violences sexuelles ou encore le statut des transgenres. Pour elles, la pornographie ne doit pas être interdite ni censurée, mais, au contraire, être un espace de liberté à prendre soi-même en favorisant l’émergence de nouvelles esthétiques. Pour Sprinkle, plus les femmes prendront en main leur corps et plus elles auront envie d’exprimer leurs pulsions jusqu’ici réprimées et « filtrées » par les hommes (du regard du père ou du grand frère, en passant par le spéculum du gynécologue et la jalousie de l’époux…). Cette ex-prostituée, actrice pornographique et sexologue a inspiré de nombreuses travailleuses du sexe, notamment en France où les militantes féministes du Syndicat du travail sexuel (STRASS)[1], souvent discréditées par la majorité des féministes abolitionnistes, continuent de citer ses écrits en de multiples occasions : conférence, table ronde ou manifestation. Cette inspiration, véhiculée de femmes en femmes, est le moteur principal de la performance féministe. Filmer, écrire ou agir pour ses droits et sa liberté devient, avec ce médium, un mode de vie plus qu’un simple moyen de s’exprimer puisque le lien qui se créait entre les féministes n’est désormais plus un simple lien basé sur l’oppression subie : cette fois, il se construit à travers une trajectoire de vie choisie et un certain « sacrifice » de soi-même dans la création.

Une trajectoire intellectuelle et géographique : le voyage (road trip) féministe

La photographe et vidéaste française Émilie Jouvet incarne l’artiste dont l’approche sexuelle est positive (sex positive), souhaitant faire de la sexualité des femmes, en particulier des lesbiennes, une zone d’exclusion de la honte et du mépris. Jouvet filme et photographie celles qui composent sa communauté de femmes : à la manière de Nan Goldin, elle propose des photographies qui offrent un regard sensible, empreint de force et de fragilité. En 2009, elle réalise un film (sorti dans les salles en 2011) portant le titre suivant : Too Much Pussy, Feminist Sluts, A Queer X Show. Ce documentaire relate un voyage fait avec une troupe éphémère de performeuses féministes : Wendy Delorme, Judy Minx, DJ Metzgerei, Mad Kate, Sadie Lune et Madison Young. Ce film de route propose de montrer la sexualité lesbienne de façon positive, drôle, engagée et subversive. Dans une dynamique de liberté, d’émotivité et de partage, Jouvet choisit de montrer que le féminisme, c’est aussi du « savoir-vivre ensemble » sans rivalité – comme l’éducation l’encourage – et sans honte de sa sexualité, de ses plaisirs et de l’expérience de ses limites. Travaillant entre Berlin et Paris, elle a choisi volontairement des performeuses venues de différentes villes, mettant en valeur l’engagement physique et intellectuel de chacune au service d’une idéologie féministe commune. Les performeuses du film parcourent l’Europe en faisant de leur corps, de leur sexualité et de leurs désirs un espace artistique en soi, où poésie et militantisme se rencontrent pour émerveiller, faire rire, sourire ou dénoncer. La trace des actions éphémères performatives est enregistrée par la vidéo, à la lisière entre l’oeuvre filmique et le documentaire. Cette mise en abyme performative fait du travail de Jouvet un témoignage sur la durée, l’itinéraire réalisé symbolisant le temps nécessaire pour partager ses passions, ses convictions.

L’idée de transmettre est fondamentale dans l’exercice de création artistique. Du latin trans et mittere, le verbe signifie « envoyer au-delà[2] » et induit une traversée (trans) impulsée par un envoi (mittere). À partir de ces deux verbes, le nom transmissio a été créé, qui a donné transmission. Il ne s’agit pas de définir un envoi, comme pourrait le sous-entendre la définition initiale, mais plutôt une traversée, un passage. L’idée de la création d’une route semble primer dans cette étymologie, qui s’est construite aussi à partir du latin transmitto qui signifie « envoyer d’un lieu à l’autre ». La route qui se forme entre la personne qui donne et celle qui reçoit devient lien : fil conducteur ou emprise, cette liaison s’établit grâce au désir (Ausina 2014). L’attente dans laquelle ce dernier plonge est l’entrée symptomatique qui marque le début d’un possible trajet. Le film de route de Jouvet symbolise le chemin que parcourt cette recherche du don de soi, d’une manière profondément active puisque mouvante. Ainsi, le camion conduit par l’une d’entre elles devient une maison, un abri, un lieu de partage. Il ne se limite plus à être un outil de déplacement pouvant aller d’un point A à un point B : il est un territoire que ses habitantes se sont appropriés. Les images prises durant le voyage remettent en question non pas le but de celui-ci, mais bien le cheminement, que les artistes elles-mêmes associent à une volonté de construction de leur personne et du monde qu’elles partent « conquérir ». La route qu’elles suivent et qu’elles « habitent » par leur présence et la quotidienneté que Jouvet filme – qui s’installe au fur et mesure que les kilomètres défilent – participe à une représentation d’un féminin particulièrement libre puisqu’elle se situe en dehors du foyer, qu’elle est non hétérosexuelle et ouvertement polygame. Par la forme esthétique du film de route, Jouvet invite à penser le féminisme non pas comme une idéologie acquise et bien installée, mais bien comme une voie à conduire et à construire au quotidien, au fur et à mesure des rencontres et des aventures que la vie offre.

Chez Virginie Despentes, il est également possible de ressentir ce besoin de donner, de transmettre. Romancière et vidéaste, elle a publié en 1994 son premier roman (Baise-moi) – qu’elle a adapté au cinéma en collaboration avec Coralie Trin Thi en 2000. Ce roman est également présenté sous la forme d’un film de route. Cependant, c’est dans son documentaire Mutantes que la cinéaste a le mieux exploré la question de l’échange par le voyage[3], lequel favorise les rencontres artistiques. En allant aux États-Unis et en Espagne s’entretenir avec les artistes et les réalisatrices de la scène post-pornographique, Despentes a élaboré un film documentaire présentant les activistes performeuses de la scène alternative. On y constate l’extériorisation de la sexualité, les gestes explicites, la masturbation, l’utilisation de la force, de la violence dans les représentations… En faisant des femmes des êtres explicites et actifs, Despentes propose un modèle de représentation qui défie l’éducation et offre un souffle de liberté aux femmes et à leur représentation. Réalisé de 2005 à 2009 en France, ce documentaire est son deuxième film après Baise-moi. Dans la continuité de King Kong théorie (1996), le documentaire Mutantes est surtout un hommage à la contreculture punk et lesbienne. Il présente des théoriciennes sur le genre, mais également des auteures de pornographie telles que Jackie Strand ou Lynnee Breedlove, des films sadomasochistes et fétichistes de Maria Beatty, de Betony Vernon, de Madison Young, des actrices comme Nina Roberts et Coralie Trinh Thi, qui apportent leur témoignage sur la pornographie hétérosexuelle associée au courant de pensée majoritaire, le collectif suédois Dirty Diaries produit par Mia Engberg et le film Too Much Pussy d’Émilie Jouvet. On peut y voir aussi les performeuses barcelonaises contemporaines telles que Itziar Ziga, Maria Llopis de même que les collectifs Post OP et Quimera Rosa. La sollicitation de leur corps comme outil s’avère pour Despentes « un front de résistance important pour le féminisme » (Del Aguila 2009). Entre une fiction romanesque reflétant une réalité et un documentaire bien réel exposant des Wonderwomen, Despentes joue avec les limites des possibles, du fantasme et des représentations visuelles. Ces dernières seraient « masculines » selon la norme qui accorde à l’expression explicite un genre bien défini (Beauvoir 1949). Mais Despentes le dit bien au début du documentaire : son « ambition [est] de jouer un rôle salvateur, parce que tranchant sur le discours ambiant qui voudrait que le sexe ne soit jamais aussi bien pratiqué que dans la chambre, que la dignité des femmes dépende toujours de leur sagesse et passivité ». C’est pour Despentes une manière de donner à voir des images de sexualité positive, à l’échelle internationale et pour les travailleuses du sexe, les lesbiennes et les performeuses dissidentes en particulier. Le documentaire Mutantes affirme des prises de risque politiques et esthétiques puisque, d’un côté, il est engagé et que, de l’autre, il se sert d’une forme cinématographique qui invite à penser le féminisme comme un choix de vie et non comme une simple théorie, le voyage de Despentes, caméra à l’épaule, témoignant. Elle déclare dans l’entretien pour le journal Têtu (Del Aguila 2009) qu’« il [lui] semblait bien de faire un documentaire qui ne parlait pas des hommes, ni de maternité ni de contraception ». Puis elle ajoute, en parlant au nom des femmes minorisés « juste un cadeau pour nous! »

Ce cadeau, c’est le droit de s’accorder des images qui sortent des stéréotypes de la féminité ou de l’homosexualité. C’est donner la parole à des femmes qui agissent au quotidien et qui apportent au féminisme une libération quant à la sexualité et à ses nombreux tabous. Toute l’oeuvre de Despentes traite de la chair comme d’une donnée évidente à reconnaître avant de reconnaître le genre d’un individu. Elle bouscule certaines féministes françaises abolitionnistes par sa franchise et sa créativité multidisciplinaire, à la fois légitime et démesurée qui ne voient « dans la prostitution (et l’univers pornographique) que la cristallisation la plus obscène de la soumission de la femme à l’ordre patriarcal et à la domination masculine » (Sauzon 2012).

La création et l’héritage culturel féministe

La performance : entre trace et diffusion

Par sa parole incisive et réaliste, Despentes a été reprise dans de nombreux textes et performances, comme le groupe Carmen Blaix ou encore le Collectif Cocktail dirigé par la metteuse en scène Claire Balerdi. Despentes s’oppose à l’image de la féministe dite « bourgeoise », issue d’une classe sociale aisée et d’une formation bien spécifique qui est l’université : une respiration pour les nouvelles générations (Power 2010).

C’est ainsi que la performance peut être militante, car elle répond soit frontalement à une recherche d’émancipation, soit d’une manière plus subtile à une pensée théorique. Elle enrichit le dialogue féministe, puisqu’en plus de la réflexion et des positionnements intellectuels, elle agit, directement. Son éphémérité est ce qui rend l’action intéressante, car elle participe ainsi réellement à la construction du présent. À l’heure des films réalisés grâce au téléphone portable, des réseaux sociaux, des écrans toujours plus présents dans la vie des individus, la performance n’est pas que présence, elle peut être véhiculée par l’intermédiaire de l’empreinte vidéo ou photographique et laisser de nombreuses traces. Surtout, la création performative peut s’infiltrer partout, se manifester par la vidéo, l’enregistrement audio, la photographie et ainsi construire un cheminement fertile, avec les moyens que chacune se donne.

Il est important, pour de nombreuses performeuses, d’écrire ou de mener une recherche en parallèle avec l’utilisation directe du corps et de la mise en scène. Certaines féministes militantes complètent leurs actions performatives par une théorisation prenant sa source dans l’écriture d’ouvrage ou dans la mise en place d’ateliers, de débats ou de conférences ou encore dans un travail de recherche universitaire. L’idée d’une oeuvre d’art intouchable et sacrée n’existe plus : l’art devient populaire, constructif, éducatif, pédagogique, ludique, burlesque… Et il se construit comme l’individu construit sa propre vie, c’est-à-dire au rythme que chaque personne choisit, avec le corps que chacune détient, saccadé par les rencontres et les moyens qui se présentent. L’appropriation des outils technologiques – par exemple, l’utilisation d’Internet par les blogues, les réseaux sociaux ou les forums – devient également une stratégie de visibilité et de diffusion de l’information, une forme de transmission artistique et politique à la fois. Le partage d’idées par l’entremise de Facebook, de Twitter ou de Tumblr, permet aux lesbiennes, aux prostituées ou aux communautés sadomasochistes (SM) de communiquer et de s’organiser de façon à mieux diffuser l’organisation de débats, de soirées ou de manifestations et, surtout, cela permet de se regrouper afin de créer des espaces dénués de toute pression et ainsi sortir certaines personnes de l’exclusion (Califia 2008). Cette place sur Internet constitue une zone de liberté et d’échange où ni le jugement ni la condamnation verbale n’ont leur place. L’art performance y trouve une place de choix : c’est en mettant à la disposition de tous et de toutes leurs propres recherches plastiques et leurs mises en scène que les mêmes membres d’une communauté peuvent créer des débats entre eux et également s’ouvrir à d’autres publics. Cette formule créative et technologique apporte au féminisme actuel une dimension « pirate » (hacking), pouvant s’infiltrer de tous les bords et permettant une libre circulation des idées, des possibilités ou encore de certains aspects préventifs. L’idée de « performer » son féminisme s’impose comme une métaphore de la vie même, donnant aux modes d’expression un travestissement ludique mais toujours instructif puisqu’il est basé sur une recherche de pédagogie pour ceux et celles qui s’y confrontent.

Un héritage théorique dé-construit

Reconnue pour son côté « féministe pirate » (hacker), l’artiste Poussy Draama mélange le théâtre, la danse, l’atelier et la conférence. Elle remet en question les limites entre l’institutionnel et le distractif, entre le sérieux et l’amusement, entre le politique et le créatif. En effet, en utilisant les codes universitaires de la conférence, mêlés à ceux de l’atelier collectif de divertissement, elle stimule deux manières fortes de s’adresser aux spectateurs et aux spectatrices, tout en s’interrogeant sur les limites entre le loisir et l’apprentissage. De cette manière, elle s’oppose à l’idée que la culture passe forcément par une certaine hiérarchie sociale (l’université) : Poussy Draama montre que la culture peut être accessible par toutes les voies du plaisir et du loisir (le jeu, la rue, Internet…). Elle fait ainsi des espaces cybersociaux et de la scène où elle « performe », une sorte de cour de récréation où tout le monde peut s’autoreprésenter et échapper à la « colonisation » du regard de l’autre. Sa pièce intitulée I still believe I can find the nigga woman in me n’est pas amenée comme une performance féministe, mais comme une intervention politique présentée dans un théâtre, sous l’approche d’une conférence. Sa performance a été proposée au festival INACT à Strasbourg en 2013, événement qui explore l’art performatif et la représentation « active » sans distinction de médias artistiques. Des textes sociologiques et journalistiques y sont lus dans sa performance (études culturelles (cultural studies), études sur le genre (gender studies), féminisme de troisième génération, intersectionnalité) et amènent des questionnements de Binyavanga Wainaina, d’Audre Lorde, de Jean Rouch, de Slavoj Zizek, de Haunani-Kay Trask et de l’artiste elle-même. Petit à petit, la conférence se transforme et les textes ne sont plus lus, mais dits, du chant et de la danse s’y ajoutent, par exemple le coupé-décalé, le booty shake ou encore la banana dance de Joséphine Baker. L’oeuvre de Poussy Draama est une oeuvre féministe. Pour elle, la performance est comme une sculpture de la pensée : elle génère du mouvement et permet de se former avec le temps, à la manière des oeuvres de Despentes ou de Jouvet, mais sous une forme plus pédagogique et théâtralisée. Ce médium est d’autant plus bouleversant lorsqu’il implique des questionnements intellectuels forts et à visée humaine. La performance ne peut se dissocier d’une contextualisation sociale, mais elle peut encore moins s’affranchir d’une position esthétique, et si celle-ci bouleverse l’ordre d’une représentation normée, elle n’en est que plus efficace, puisqu’elle permet de révéler certains groupes de personnes et de pratiques et ainsi d’éloigner la stigmatisation dont ils sont l’objet, et ce, grâce à une visibilité essentielle. C’est parce qu’elles percutent l’image de « la » femme imprégnée dans les consciences collectives et représentée dans les médias que certaines performeuses féministes dérangent et permettent d’ouvrir un chemin pour d’autres femmes : pilosité non entretenue, tour de taille non conforme aux images publicitaires, cheveux rasés ou colorés, tatouages, sexualité « déviante » et non taboue, mots crus, films pornographiques, consommation d’alcool, booty shake… Les corps s’émancipent du seul modèle commun pour toutes : celui de la femme blanche hétérosexuelle filiforme et issue de la bourgeoisie[4].

C’est par l’expérience que les choses passent, et il semblerait que la performance fasse partie de ces expériences : c’est à vrai dire une sensation de mise en valeur des craintes et des limites. Chaque participation prend de l’importance et se révèle une « leçon » à la fois pour la personne qui agit et pour celle qui regarde. Ce sont alors deux lectures qui se nourrissent l’une l’autre dans un dialogue métaphysique, cherchant avant tout à renverser le « pouvoir » du politique en puissance individuelle (Foucault 1994). Cette lutte prouve aujourd’hui que créer signifie résister et que cette résistance sous-entend qu’il faut savoir dire « non » si les individus veulent faire avancer les droits de la personne, d’expression et s’autoriser à exister en tant que tels. Savoir dire « non », c’est aussi savoir débattre, donc savoir provoquer, car il est impensable que le débat ne se fasse pas sans bouleverser l’autre, à un moment ou à un autre. Selon Torres (2011), cette opposition/provocation s’avère le moteur de certaines artistes.

Le point de vue des artistes féministes mentionnées plus haut est structuré par le choix de parler en leur nom, ce qui façonne ainsi une oeuvre sociale et politique où le « je » devient un « nous », de manière à consciencieusement diriger le spectateur ou la spectatrice, sans prendre la parole de quiconque. Ce faisant, ces artistes féministes, selon Preciado (2008), « soignent » d’une certaine manière les préjudices moraux qu’une société peut générer, en faisant de la performance un espace de liberté, entre expression cathartique et réécriture du présent. Cependant, ce « soin », même s’il peut prendre des apparences cathartiques pour certaines, n’est amené que par le lien, la transmission qui peut se donner de femmes à femmes et les nouveaux territoires qu’elles conquièrent par la communication qui s’établit entre elles. Les vastes possibilités d’expression que ces artistes s’autorisent – qu’il s’agisse d’une vidéo, d’un atelier, des réseaux sociaux, d’un cabaret, d’un concert, d’une conférence ou d’une pièce de théâtre – font de leur message une filiation qui traverse les frontières géographiques, les médias artistiques, mais également les mouvements artistiques (art corporel (body art), post-pornographie, nouveau burlesque, scène musicale punk…). La performance est une manière de « prêter son corps au mythe » (Creissels 2009) et cette démarche ne fait que réaffirmer que, dès l’instant où un être prend position avec son corps, c’est pour redéfinir ses limites, ses extensions et ses possibles et, ainsi, avancer avec lui plutôt que contre lui. C’est finalement une position féministe que de créer librement par l’entremise de son enveloppe physique : cela offre une lecture positive du corps pour celles et ceux qui regardent et n’ont pas forcément pu auparavant songer à ces possibles souffles d’affranchissement. À l’heure actuelle, où les libertés individuelles sont menacées, prendre position avec son corps devient un véritable besoin vital. À la fois outil de controverse et espace personnel, le corps qui s’exprime déambule entre transgression des règles et quête d’un souci de soi. La performance devient une sorte de réponse à la contrainte, démontrant qu’il y a autant de corps en création que de manières de résister.