Abstracts
Résumé
Quelle est la différence entre le soin de l’âme, du coeur et de l’esprit en fin de vie ? Dans cet article sont explorés les défis conceptuels et pratiques auxquels sont confrontées les infirmières japonaises en soins palliatifs lorsqu’elles prodiguent des soins spirituels aux personnes mourantes. En me basant sur des entretiens menés avec des infirmières, j’explique comment celles-ci interprètent ces soins spirituels et comment les distinguer de ceux religieux et psychologiques. J’examine également la façon dont les infirmières tentent de s’occuper des patients qui hésitent à demander du soutien et la manière dont elles évaluent l’efficacité des soins qu’elles prodiguent. En analysant les récits de ces infirmières, je me demande pourquoi le kokoro (« coeur » ou « esprit ») est si important dans les soins spirituels et je pose le postulat que le réflexe consistant à délimiter l’« âme » ou la « spiritualité » en tant qu’aspect central des soins spirituels ne correspond pas à l’idée que les infirmières se font de leur travail.
Mots-clés :
- Soins spirituels au Japon,
- la spiritualité japonaise,
- kokoro,
- soins palliatifs,
- entretiens avec des infirmières en soins palliatifs
Abstract
What is the difference between caring for the soul, heart, and mind at the end of life? This article explores the conceptual and practical challenges that Japanese hospice nurses face while providing spiritual care to those who are dying. Drawing on interviews with nurses, I discuss how they interpret the meaning of spiritual care and how to distinguish it from religious and psychological care. I also examine the ways nurses try to care for patients who are reluctant to ask for support and how they evaluate the effectiveness of the care they provide. Through analysis of these nurses’ narratives, I consider why the kokoro (“heart” or “mind”) is so central to spiritual care and suggest that the impulse to delineate the “soul” or “spirituality” as the focus of spiritual care often goes against the grain of what the nurses see themselves doing.
Keywords:
- Spiritual care in Japan,
- Japanese spirituality,
- kokoro,
- palliative care,
- interviews with palliative care nurses
Article body
Introduction
Un jour de mai 2015, alors que je menais une recherche sur mon terrain au Japon, je me suis entretenu avec une anthropologue japonaise dans un café pendant une pause dans le cadre d’une conférence universitaire. Ce que j’ignorais à ce même moment, c’est que notre conversation allait profondément façonner mon parcours de recherche. Alors que j’expliquais les grandes lignes de mon projet, à savoir une étude sur l’accompagnement spirituel dans les hospices japonais, j’ai mentionné au passage que, dans la pratique, une grande partie de l’accompagnement spirituel ressemblait au « kokoro no kea » ou « soin du coeur », c’est-à-dire à un type d’accompagnement psychothérapeutique que l’on propose généralement aux victimes de catastrophes ou de traumatismes. Pendant que nous en discutions, l’universitaire a suggéré que je conserve le terme kokoro en japonais au lieu de le traduire en anglais par « coeur » (heart) ou « esprit » (mind). Après tout, le terme kokoro, qui signifie coeur, esprit, volonté et bien plus encore, est reconnu pour sa difficulté à être traduit en anglais par un seul mot. Alors que le coeur et l’esprit sont souvent considérés séparément en anglais, l’un représentant le siège des émotions et l’autre celui de la cognition, cette distinction est brouillée dans le cas du kokoro (Kasulis 2011).
À la suggestion de cette chercheuse, j’ai revu mes notes de terrain et mes entretiens avec les patients, les infirmières, les médecins et les aumôniers dans l’intention de remplacer mes traductions des mots « coeur » ou ’ « esprit » par le mot original, kokoro. J’ai alors fait le constat que le mot kokoro était omniprésent dans mes notes de terrain. En fait, c’est à ce moment-là que j’ai commencé à comprendre que le souci du kokoro n’était pas seulement adjacent à l’accompagnement spirituel, mais qu’il en était, qui plus est, l’élément central. Mais pourquoi ?
L’objectif de cet article est de chercher à répondre à cette question en analysant les principaux défis conceptuels que rencontrent aujourd’hui les infirmières qui pratiquent les soins spirituels au Japon, ainsi que la manière dont leur compréhension des soins du kokoro est concrètement mise en oeuvre. Lesdits défis conceptuels consistent notamment à définir des termes tels que « spiritualité », à expliciter leur relation avec la religion, et à faire la différence entre les soins psychologiques et ceux spirituels. Sur le plan pratique, en raison du faible nombre de patients ouvertement religieux au Japon, les soignants spirituels doivent trouver des moyens d’entrer en contact avec les patients sans s’appuyer sur des pratiques religieuses. Il convient également que le personnel infirmier invente des méthodes permettant d’aborder les patients qui éprouvent une souffrance spirituelle, mais qui hésitent à solliciter du soutien. Enfin, même lorsque les patients sont prêts à partager leurs angoisses spirituelles ou existentielles, les infirmières peinent à réussir à déterminer comment évaluer l’efficacité des soins qu’elles prodiguent. En me concentrant sur les expériences des infirmières qui travaillent en première ligne dans les milieux de soins palliatifs, je soutiens que ces défis découlent en grande partie d’un problème de cadrage (framing). Pour le dire plus simplement, lorsqu’au Japon les soins spirituels ne se conforment pas aux cadres que nous utilisons, nous devons parfois en trouver d’autres, tels que le kokoro.
Comme je l’ai indiqué ailleurs, une grande partie des soins spirituels dispensés au Japon mettent l’accent sur le soutien du kokoro des patients par le biais d’activités conviviales qui les aident à se sentir appréciés et valorisés plutôt que par des formes de soins sacramentels ou d’autres types de consolation à caractère religieux (Benedict 2023). Bien qu’à première vue, les soins de type « coeur à coeur » puissent paraître éloignés des formes de soins spirituels que l’on retrouve dans les manuels scolaires, l’insistance sur le fait de soigner le kokoro des patients et de permettre à celui du soignant d’être l’instrument principal des soins spirituels découle en partie du fait que l’on accorde, au Japon, une grande importance aux dimensions affectives de l’identité religieuse (Benedict à paraître). Cet article s’appuie sur ces observations pour démontrer plus concrètement comment les infirmières conçoivent le travail de soin spirituel. En particulier, je soutiens que la tendance, dans les études plus générales portant sur les soins spirituels, à désigner l’« âme » ou la « spiritualité » comme l’élément central des soins spirituels ne correspond souvent pas à l’idée que les infirmières se font de leur travail. Dans les études universitaires portant sur les soins spirituels, la notion de soins du kokoro est parfois utilisée comme un euphémisme pour parler des soins psychosociaux (Kubotera 2011, 22) et ailleurs, comme un terme large qui inclut les soins religieux et spirituels (Taniyama et al. 2020, 30). Bien que les infirmières reconnaissent que les soins spirituels impliquent souvent quelque chose de « plus profond » que les soins psychosociaux, elles considèrent en fin de compte que ce type de soins est indissociable de ceux du kokoro. Autrement dit, en présentant leur travail comme des soins au kokoro, conçu historiquement comme le réceptacle de « l’âme », il est possible de résoudre de nombreuses tensions conceptuelles que les infirmières ressentent vis-à-vis des études qui font des distinctions entre les dimensions spirituelle et psychosociale des soins (Kubotera 2000, 54 ; Ozawa 2008, 11 ; Hirayama 2011, 140). Je soutiens que si ces distinctions s’avèrent utiles sur le plan théorique, elles doivent pourtant être nuancées par une perspective émique qui fait tomber bon nombre de distinctions dans la pratique.
Dans cet article, je fournis tout d’abord un bref aperçu du contexte des soins palliatifs et spirituels avant de m’appuyer sur une série de dix entretiens menés avec des infirmières en soins palliatifs pour exposer les défis conceptuels et pratiques auxquels elles sont confrontées dans le cadre de leur prestation de soins spirituels.[2] J’accorde une attention particulière à la façon dont les infirmières interprètent les soins spirituels, à leur conception du rôle que joue le kokoro dans ceux-ci et à leurs souvenirs d’anciens patients. Il convient de noter que si les aumôniers demeurent les principaux prestataires de soins spirituels, les infirmières, quant à elles, deviennent souvent des personnes-clés en raison de leur proximité avec le patient et du fait qu’elles sont fréquemment appelées à fournir des soins spirituels aux patients, en particulier dans les hospices dépourvus d’aumônier.
1. Contexte
1.1 Les soins palliatifs au Japon
L’intérêt pour les soins palliatifs au Japon a commencé à se manifester à la fin des années 1970 et le mouvement des hospices a officiellement démarré quand le premier a été créé en 1981. Le nombre d’unités de soins palliatifs a augmenté de façon exponentielle après que les soins palliatifs sont devenus un service couvert par le régime national d’assurance maladie, au début des années 1990. Il est passé de seulement 5 établissements en 1990 à 463 en 2022. Bien que 60 % des patients japonais atteints d’un cancer décèdent encore à l’hôpital et seuls 12 % en soins palliatifs, le Japon compte aujourd’hui 9 579 lits réservés aux soins palliatifs. Le personnel attitré y aide les patients mourants à atteindre une meilleure qualité de vie dans leurs derniers jours au lieu de poursuivre des traitements médicaux dont les bénéfices demeurent négligeables (Kikuike et al. 2023). Il importe de noter que, contrairement à d’autres régions du monde où les soins palliatifs à domicile sont très répandus, la plupart des hospices du Japon sont encore situés à l’intérieur ou à proximité de grands établissements médicaux et ils revêtent la forme d’unités spéciales réservées aux soins palliatifs qui proposent un environnement semblable à celui de la maison.
2.2 Les soins spirituels au Japon
Le développement des soins palliatifs au Japon s’est accompagné d’un intérêt pour les soins spirituels. Au cours des quarante dernières années et à l’initiative de quelques aumôniers qui travaillaient dans des hôpitaux confessionnels dans les années 1980, de nombreux programmes de formation à l’accompagnement spirituel ont été mis en place afin de permettre aux aumôniers et aux professionnels de la santé en exercice ou en devenir d’acquérir les compétences nécessaires pour assurer l’accompagnement spirituel des patients. Bon nombre de ces programmes sont aujourd’hui affiliés à la Japan Society for Spiritual Care (JSSC) qui octroie une certification en matière de soins spirituels à ceux et celles qui suivent la formation requise. Lors de son assemblée annuelle en 2022, la JSSC a fait état de plus de 300 diplômés certifiés de son programme et de plus de 800 membres inscrits à la société (JSSC 2022).
Malgré une sensibilisation accrue et un intérêt croissant pour les soins spirituels, le nombre d’aumôniers travaillant dans les hospices demeure faible. À l’exception d’une concentration d’aumôniers dans les hôpitaux confessionnels, où se trouvent environ 70 % d’entre eux, une enquête réalisée en 2011 par la Japan Hospice Palliative Care Association a révélé que 84 % des 225 hospices interrogés se trouvaient dépourvus d’aumônier (Taniyama et al. 2020). Dix ans plus tard, en 2021, ce chiffre est demeuré relativement stable, à savoir que 86,4 % des 308 hospices interrogés ont indiqué ne pas avoir d’aumônier. En fait, malgré l’inclusion de 83 hospices supplémentaires dans la dernière enquête, le nombre réel d’établissements disposant d’un aumônier en 2011 et en 2021 n’a pas changé, soit seulement 36 (Miyashita, Imai et Watanabe 2013, 57 ; Kikuike et al. 2023, 70). Si ces chiffres ne tiennent pas compte des aumôniers qui travaillent bénévolement ou à temps partiel, le nombre de professionnels de l’accompagnement spirituel au Japon demeure relativement faible dans l’ensemble, ce qui confère aux infirmières une importance encore plus grande pour répondre aux besoins spirituels des patients.
2. Défis conceptuels en matière de soins spirituels
2.1 Comprendre les soins spirituels
L’une des raisons pour lesquelles les soins spirituels professionnels ont tardé à s’implanter dans les milieux médicaux japonais tient aux difficultés conceptuelles qui entourent le mot « spirituel » (supirichuaru) au Japon. Pour la plupart des infirmières, la pratique des soins spirituels commence par la tentative de comprendre ce que le mot « spirituel » a précisément à voir avec les patients dont elles s’occupent. En Amérique du Nord, par exemple, l’on considère généralement que les soins spirituels constituent une sorte d’accompagnement des patients en quête de transcendance. Ils revêtent la forme d’un mélange de rituels sacramentels pour ceux qui en font la demande, tels que la communion, la prière, l’allumage des bougies de shabbat, et d’une sorte de psychothérapie spirituelle qui mêle la sagesse religieuse à des méthodes de consultation psychologique (Puchalski et al. 2014 ; Cadge 2012). Le personnel médical et en particulier les aumôniers, sont chargés de soulager la « douleur spirituelle » des patients, selon un concept proposé par Cicely Saunders, pionnière des soins palliatifs, qui définit cette douleur comme un sentiment désolant d’absence de sens face à la mort (1991, 7). L’aumônerie est aussi communément décrite comme un « ministère de la présence » (Sullivan 2014). L’objectif prioritaire des soins spirituels n’est pas seulement de faire des choses pour le patient, mais aussi d’être avec lui, ce qui est fort bien illustré par l’une des devises de l’accompagnement spirituel, « être, ne pas faire » (being not doing). Cette expression signifie que l’accompagnement spirituel est centré sur l’empathie et la solidarité avec les patients qui sont confrontés à des problèmes auxquels ils n’ont pas de réponse claire, plutôt que sur le traitement ou la résolution de leurs problèmes. Elle montre également qu’il est important d’utiliser le terme « soin » (kea) en japonais, plutôt que d’autres mots comme « traitement », ou « remède » (chiryō), ou bien « thérapie » (serapī). Le terme « soin » sous-entend des sentiments profonds de sollicitude et d’empathie. Pendant l’accompagnement spirituel, le patient doit être traité comme une personne plutôt qu’en tant que malade, ce qui implique une attitude de soutien à l’égard de la personne, une attitude qui ne transparaît pas forcément dans le dossier médical ou qui consiste simplement à partager les peines de celle-ci (Kubotera 2004a, 62).
Au Japon, la plupart des infirmières sont confrontées pour la première fois à l’expression « soins spirituels » après avoir commencé à travailler dans un hospice.
Infirmière 1 : Lorsque je travaillais dans l’unité ordinaire, ce terme ne m’était pas familier. Ce n’est qu’après mon arrivée à l’unité de soins palliatifs, il y a deux ans, que j’ai entendu les termes « douleur spirituelle » et « soins spirituels » pour la première fois.
Cela ne veut pas dire pour autant que les Japonais d’aujourd’hui ne connaissent pas du tout le terme « spirituel » (supirichuaru). Comme l’a montré le spécialiste des religions Shimazono Susumu, la popularisation du terme « spirituel » remonte en effet aux années 1970, époque où l’intérêt pour les croyances et les pratiques du Nouvel Âge a jeté les bases d’un mouvement du « monde spirituel » axé sur les pratiques de modification mentale et la quête du soi, et dans lequel figuraient des personnalités connues et des guides spirituels tels qu’Ehara Hiroyuki (Shimazono 2007a ; 2007b). Des travaux plus récents ont fait remarquer que ce prétendu « essor » ne s’est peut-être répercuté que dans certains secteurs de la société japonaise et que sa popularité apparente a pu être en partie due à un effet de boucle qui s’est produit lorsque les portraits médiatiques sensationnels de leaders spirituels ou de praticiens sont entrés en collision avec l’intérêt des chercheurs pour ce qui semblait être à l’époque un domaine d’étude en pleine expansion (Gaitanidis 2023a, 11). Comme Ioannis Gaitanidis l’a souligné de manière incisive, « l’intérêt du public pour le “monde spirituel” n'était pas simplement motivé par quelques figures spirituelles comme Ehara, il était enraciné dans une culture plus large et plus ancienne marquée par un intérêt pour la guérison (iyashi) » (Gaitanidis 2023a, 8-10). Ceux qui ont participé à la création de ce « monde spirituel » se considéraient avant tout comme des guérisseurs et des psychothérapeutes et non comme des pionniers d’un nouveau paysage religieux désinstitutionnalisé (Gaitanidis 2023a, 13 ; Koike 2023, 150). Cependant, pour les infirmières en soins palliatifs, le terme « spirituel » semble toujours étroitement lié à des personnalités comme Ehara. On comprend donc pourquoi ces infirmières demeurent perplexes lorsqu’elles sont encouragées à prodiguer des soins spirituels aux patients. Selon la plupart des infirmières japonaises, le mot « spirituel » (supirichuaru) renvoie encore au spiritualisme ou à des pratiques de modification mentale plutôt qu’à l’accompagnement des personnes en fin de vie.
La combinaison de « supirichuaru » et « soins » (care) ne s’est pas faite immédiatement. Au tout début du mouvement des hospices, les dimensions spirituelles des soins palliatifs étaient traduites par l’expression « reiteki kea » ou encore par « soins du kokoro » (Benedict 2016). Les personnes qui travaillaient au sein des hospices chrétiens utilisaient aussi parfois les termes « soins pastoraux » (pasutoraru kea) et « soins de l’âme » (tamashii no kea). Cependant, la translittération de « soins spirituels » (spiritual care) en syllabaire katakana sous la forme simple de « supirichuaru kea » a fini par se répandre dans la littérature médicale[3]. Alors que la traduction la plus directe de l’expression « soins spirituels » serait « reiteki kea », cette terminologie a été largement abandonnée, sans doute parce qu’on l’associait davantage au spiritualisme, rapprochement que le personnel des hospices s’efforçait précisément d’éviter. Par conséquent, la plupart des membres du personnel soignant utilisent aujourd’hui l’expression supirichuaru kea, mais généralement pas devant les patients qui sont encore plus susceptibles de mal l’interpréter.
2.2 La religion et les soins spirituels
La difficulté à saisir le terme « spirituel » au Japon tient également à sa relation complexe avec la religion.
Infirmière 3 : Je suis bouddhiste et je suis également non-religieuse, comme beaucoup de Japonais, et je n’ai donc jamais vraiment réfléchi à la religion. Après être venue ici, j’en ai appris davantage sur le christianisme et sur la façon dont Dieu peut soutenir ou contribuer à guérir le kokoro des patients. Il s’agit moins de la dimension psychiatrique (seishinteki) que du soutien de l’âme (tamashii). Je ne connaissais pas du tout les soins spirituels auparavant et je me suis rendu compte que ces choses pouvaient apporter un soutien. Je pense que c’est une bonne chose que les gens se sentent soutenus, même si j’ai été un peu surprise.
Cette infirmière, tout en se disant bouddhiste, se considérait comme non religieuse, à l’instar de nombreux Japonais. Elle a donc été surprise par l’idée que les soins spirituels pouvaient contribuer à soutenir ou à guérir le kokoro des patients, car elle considérait à tort que les soins spirituels étaient uniquement religieux. Comme cette infirmière me l’a fait remarquer plus tard, « pour les patients qui ne sont pas religieux, mais qui ressentent clairement une douleur spirituelle, il est difficile de savoir comment les soutenir et les approcher » (infirmière 3). Étant donné que la plupart des aumôniers ont une formation religieuse, de nombreuses infirmières supposent que les soins spirituels s’adressent principalement aux patients religieux. Mais que peuvent-elles faire pour ceux qui n’ont pas de besoins religieux ? Ce présupposé est abordé dès le début d’un manuel populaire portant sur les soins spirituels destinés aux infirmières.
Dans le contexte clinique japonais, la plupart des patients, des membres de la famille et du personnel médical ont tendance à refuser les interventions religieuses. En fait, on pourrait dire qu’il n’y a guère de réelles possibilités d’atténuer la douleur spirituelle des patients par le biais des soins religieux. Par conséquent, les soins spirituels qui ne dépendent pas de ces derniers sont nécessaires dans les milieux cliniques japonais
Tamura, Kawa et Morita 2012, 4
En fait, durant les premières années du mouvement des hospices, les soins religieux jouaient un rôle important dans les soins palliatifs, d’autant plus que quatre des cinq premiers hospices du Japon ont été établis au sein d’hôpitaux chrétiens. Cependant, au fil du temps, et en réaction à l’image négative des groupes religieux véhiculée par les médias à la suite des attentats au gaz sarin perpétrés par Aum Shinrikyo en 1995, les membres du personnel des hospices ont, à quelques exceptions près, de plus en plus insisté sur la nécessité de séparer les soins religieux de ceux spirituels. Comme l’affirme Kubotera Toshiyuki, un éminent praticien et chercheur en soins spirituels, la spiritualité est axée sur la « guérison » (iyashi) tandis que la religion l’est, pour sa part, sur le « salut » (sukui) (Kubotera 2011, 23). Cette association entre la spiritualité et la « guérison » concordait bien sûr avec le « monde spirituel » et le mouvement de développement personnel qui se manifestaient au même moment, ainsi qu’avec le déplacement de la focalisation des médias japonais en matière de spiritualité, qui est passée de l’actualisation du potentiel individuel à la guérison des traumatismes (Horie 2019, 20).
Dans le contexte des soins palliatifs, cependant, les expressions « soins spirituels » et « douleur spirituelle » étaient rarement utilisées pour désigner ce contexte plus large. Les infirmières ne suggéraient pas aux patients de soulager leurs angoisses existentielles par des pratiques de modification mentale. Au contraire, le terme « spirituel » demeurait plus étroitement lié à son usage anglais, tel que nous le rencontrons dans des formules comme « spirituel, mais pas religieux » (spiritual but not religious). Comme l’a fait observer Gaitanidis, au Japon, le terme « spirituel » est à la base un marqueur de différence car il permet d’imaginer des alternatives à la religion, au sécularisme, à la science, bref, à presque n’importe quoi. Cette conception de la spiritualité en tant que signifiant vide qui sert de médiateur entre le religieux et le séculier est évidemment bien connue des chercheurs en spiritualité (Bender 2003 ; Ammerman 2013 ; Herman 2014). La fonction médiatrice de ce terme a été particulièrement amplifiée au Japon, puisque ce mot a été laissé en syllabaire katakana, comme une sorte de tabula rasa permettant aux praticiens des soins spirituels d’y inscrire à peu près tout ce qu’ils voulaient. En tant que signifiant vide, ce mot était très pratique dans la mesure où il permettait d’indiquer une prise de distance vis-à-vis de la religion. Mais il était aussi susceptible de montrer une proximité par rapport à cette dernière. Ainsi, dans les hospices, les soins spirituels pouvaient dégager « l’odeur de la religion » (shūkyō no nioi) sans y faire pourtant directement référence.
Cet équilibre peut toutefois s’avérer difficile à maintenir. Par exemple, lors de la réunion annuelle de la Japan Society for Spiritual Care qui s’est tenue à Okinawa en 2020, l’on a organisé une table ronde à laquelle ont participé un psychothérapeute agréé spécialisé dans les thérapies de guérison alternatives, ainsi qu’un yuta, ou chaman, en guise de clin d’oeil aux riches traditions religieuses d’Okinawa. Les présentations colorées des intervenants ont cependant suscité des réactions négatives de la part de certains membres qui étaient contrariés par le fait que les soins qu’ils prodiguaient à leurs patients se trouvaient minimisés car ils étaient qualifiés de « malédictions » (tatari) et de « nouvelle naissance » (umarekawari), ce qui a contraint la JSSC à formuler des excuses à la suite de cet événement (Kashiwagi 2020). Ainsi, le concept de « spirituel » continue à faire l’objet de discussions vives auprès des différents acteurs oeuvrant au sein du mouvement des hospices, parmi les professionnels religieux, et même parmi les universitaires qui aimeraient que la religion joue un rôle plus actif dans la société, ou auprès de ceux qui estiment qu’elle est dangereuse et devrait donc être mise de côté dans le milieu des soins palliatifs (Benedict 2023, 4).
2.3. Comparer le kokoro aux soins spirituels
Si les infirmières considèrent que la dimension « spirituelle » des soins renvoie à quelque chose de profond, de philosophique ou de semi-religieux, comment les distinguent-elles des soins du kokoro ? La polysémie du terme kokoro est caractéristique des religions japonaises et de la culture dans son ensemble, mais l’ambiguïté sémantique qu’il engendre obscurcit souvent son sens. Si certaines des infirmières que j’ai interrogées ont eu du mal à expliquer la différence entre le kokoro et les soins spirituels, la plupart d’entre elles ont malgré tout laissé entendre que les soins du kokoro n’étaient pas aussi approfondis que ceux spirituels. Lorsque j’ai interrogé une infirmière au sujet des soins du kokoro, elle a répondu comme suit :
Infirmière 3 : [Je pense que cela signifie] être mentalement (seishinteki) détendu. Par exemple, si quelqu’un aime sentir des parfums, vous pouvez lui faire un massage à l’huile et si cette personne dit « Oh, cela m'a aidé à détendre mon kokoro », il s’agit d’un soin du kokoro. Parler avec elle de ses bons souvenirs ou lui permettre de changer de décor en allant se promener ; j’ai l’impression qu’il s'agit là d’un soin du kokoro. Pour ce qui est du spirituel, je ne suis pas tout à fait certaine, mais [je pense] qu’il s’agit de quelque chose de caché au plus profond de soi. C’est difficile à exprimer.
Infirmière 2 : Je pense que les soins du kokoro sont le genre de soins dont on a besoin dans la vie de tous les jours, ou que l’on peut aller consulter pour recevoir des soins du kokoro lorsqu’on vit quelque chose de douloureux. L’accompagnement spirituel se réfère à quelque chose de grand, une chose à laquelle vous accordez beaucoup de valeur, ou à un vide qui apparaît au niveau de ces valeurs. Par exemple, dans un hospice, il se produit de grands changements auxquels vous n’êtes pas habitué, des choses relatives à la fin de la vie, à la valeur de la vie, à la maladie, etc. Cela vous fait, comment dire, perdre l’équilibre de votre kokoro, et c’est le type de soins dont vous avez besoin lorsque cette détresse se produit. J’ai l’impression que les soins spirituels incluent les soins du kokoro, mais que les soins spirituels, eux, ne sont pas inclus dans les soins du kokoro. Mais c’est difficile à dire.
Une autre infirmière a quant à elle expliqué cette différence en se concentrant sur la distinction entre ce qui est visible et invisible.
Infirmière 10 : C’est peut-être la différence entre le kokoro et l’âme (tamashii). Le kokoro apparaît au cours d’une conversation. On peut le déceler dans les mots ou les réactions d’une personne ; mais si la personne ne comprend pas sa propre âme (tamashii), ce n’est pas quelque chose qui se manifestera dans la conversation.
Il est important de noter qu’une telle différenciation entre le kokoro et l’âme remonte à l’établissement de la psychologie en tant que discipline académique au Japon. Le mot japonais pour psychologie, « shinrigaku », a été utilisé à l’origine par Nishi Amane (1829-1897) comme abréviation de shinri-jo-no-tetsugaku, qui signifie « philosophie mentale ». Les premiers cursus scolaires en psychologie se situaient alors dans le domaine de la philosophie (Takasuna 2012, 348 ; Ōizumi 1998, 4). En fait, dans les écrits de Nishi, l’âme (tamashii) et le kokoro pouvaient à peine être distingués (Nishikawa 2005, 22). Même au début du XXe siècle, des philosophes bouddhistes comme Inoue Enryō (1858-1919) et Nishida Kitaro (1870-1945) démontraient qu’il existait un chevauchement entre la religion et la psychologie puisque ceux-ci donnaient des cours de psychologie et publiaient dans des revues de psychologie (Sato 2002, 40 ; Yamashita 2004, 147). Ainsi, au fil de l’histoire, le kokoro, la spiritualité (rei) et l’âme (tamashii) étaient abordés en termes philosophiques et de manière interchangeable. Cependant, avec l’essor de la « psychologie scientifique » au milieu du XXe siècle, le mot kokoro a été souvent remplacé par des termes tels que le « mental » (seishin) et la « conscience » (ishiki) pour distinguer l’étude académique de la « vie intérieure » (Ichiyanagi 2014, 16 ; Nishikawa 2005, 22). À l’instar de ce qui est advenu dans de nombreuses contrées du monde, ce qui était une science de l’âme relevant du domaine de la religion s’est transformé en science de l’esprit (Reed 1997). Au fur et à mesure que la psychologie moderne s’est développée en tant que discipline, les perspectives religieuses sur la nature de l’esprit, du coeur et de l’âme furent écartées pour satisfaire aux exigences de ce nouveau domaine scientifique.
Ainsi, avant l’avènement de la psychologie moderne au Japon, le kokoro était largement considéré comme le réceptacle physique de l’âme (Saigo 1993, 51). Tous deux étaient vus comme intimement liés, même si l’âme se distinguait par le fait qu’elle pouvait être séparée du corps (Ichiyanagi 2014, 16). Cependant, à mesure que les études scientifiques faisaient abstraction de ces concepts, l’âme et le kokoro ont été assimilés à la notion psychologique de « soi intérieur » (inner self), qui est devenu un véritable point d’attraction pour la psychologie scientifique moderne. Naturellement, après plus d’un siècle d’études psychologiques sur le « soi intérieur », lorsque je demandais aux infirmières si elles pouvaient démêler la relation entre le mot « spirituel » et le kokoro, elles peinaient à le faire. L’une d’elles a tenté d’expliquer la relation existant entre les soins spirituels et les dimensions psychologiques des soins du kokoro en disant : « Je pense que la psychiatrie est aussi un soin du kokoro. Mais je ne pense pas que la psychiatrie soit un soin spirituel, bien qu’il soit possible que les soins spirituels deviennent des soins du kokoro » (entretien 4) . Autrement dit : « Je pense que x est y, mais je ne pense pas que x est z. Mais z peut éventuellement devenir y. ». Cette difficulté à démêler les relations entre ces concepts a incité certaines infirmières à conclure que de telles distinctions n’étaient pas utiles pour la pratique clinique quotidienne.
Infirmière 6 : Par le passé, on m’a enseigné que la « douleur totale » incluait les types de douleur physique, sociale, psychologique et spirituelle, et que la douleur spirituelle n’était pas la même que la douleur psychologique. La douleur psychologique était davantage liée à la dépression ou à la démence, ou encore au domaine de la psychiatrie. En revanche, la douleur spirituelle était liée à des problèmes existentiels ou religieux. C’est comme cela que je comprenais les choses il y a dix ans. Mais aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il n’y a pas vraiment de ligne de démarcation entre les deux. Elles sont souvent mélangées et au lieu de dire que ceci est une [douleur] du kokoro et que cela est une [douleur] spirituelle, je pense que la douleur découle des relations que l’on trouve au sein de chacune d’entre elles et que la source de toute la douleur, au fond, c’est la douleur spirituelle. C’est ainsi que je vois les choses maintenant.
Du point de vue de cette infirmière, les distinctions entre les soins du kokoro, qu’elle considérait comme essentiellement psychologiques, et ceux spirituels, étaient très floues. Si, en théorie, la douleur spirituelle peut renvoyer à des questions religieuses ou existentielles ou à des angoisses chez les patients, dans la pratique, très peu de patients lui exposeraient leurs problèmes de cette manière. De plus, ce qui peut sembler être une douleur psychologique peut en fait être causé par une douleur spirituelle. D’après cette infirmière, il était plus logique de penser que chaque patient mourant ressentait une douleur spirituelle et que celle-ci s’exprimait simplement de différentes manières selon le patient : psychologiquement, religieusement ou même physiquement.
En revanche, traiter chaque patient comme s’il souffrait d’une douleur spirituelle risquerait également de vider ce concept de son sens.
Infirmière 2 : En dehors des hospices, je ne pense pas que le terme « spirituel » soit beaucoup utilisé, mais comme il s’agit d’hospices et de soins palliatifs, même les petites souffrances sont considérées comme des douleurs spirituelles. En fait, il n’y a pas de distinction et tout est qualifié de douleur spirituelle. J’ai souvent l’impression que des affirmations telles que « cette personne a besoin de soins spirituels » sont traitées un peu trop à la légère. Bien sûr, il y a une [douleur] spirituelle, mais parfois je pense que ce n’est pas vraiment quelque chose qui a besoin d’être verbalisé. Lors de discussions avec d’autres membres du personnel médical, certains diront que ceci ou cela est une douleur spirituelle. Oui, c’est vrai, mais les gens ont des valeurs différentes et chaque personne a probablement une compréhension différente des soins spirituels et de la douleur spirituelle.
Comme l’a perçu cette infirmière, l’ambiguïté conceptuelle du terme « spirituel » fait qu’il peut être utilisé dans presque n’importe quelle situation. Mais si tel est le cas, son utilité en situation clinique s’en trouve diminuée. Pour les infirmières chargées de s’occuper des patients jour et nuit, qui passent d’innombrables heures à mesurer et à consigner l’état des personnes qu’elles soignent, de telles abstractions sont difficiles à exploiter sur le plan clinique.
3. Défis concrets
3.1 Prendre soin des patients non religieux
L’un des premiers défis d’ordre pratique en matière de soins spirituels auxquels les infirmières sont confrontées consiste à déterminer comment s’occuper des patients non religieux. En Amérique du Nord, par exemple, si une patiente dit à une infirmière qu’elle a peur de ce qui se passe après la mort, cette dernière peut lui proposer de faire venir l’aumônier. Au Japon, en revanche, l’idée même qu’un professionnel religieux vienne au chevet d’un patient mourant demeure étrangère à la plupart des gens, et très peu de patients en feraient la demande. Dans une enquête réalisée en 2008 par la fondation Japan Hospice Palliative Care, on demandait à l’ensemble de la population de désigner les personnes capables de soutenir leur kokoro en fin de vie, seuls 4,7 % des répondants ont estimé qu’un représentant religieux serait utile, loin derrière d’autres choix évidents tels que les conjoints (77,4 %), les enfants (71,4 %), les amis (30 %) et même le médecin (27,8 %). Lorsqu’on leur a demandé, dans la même enquête, s’ils pensaient que la religion pourrait les aider au moment de la mort, 39,8 % ont répondu que oui (JHPF 2008). Lorsque cette même question a été posée en 2012, le nombre de personnes pensant que la religion pourrait soutenir leur kokoro en fin de vie est passé à 54,8 %, avant de retomber à 32 % en 2018 (JHPF 2012, 2018). Les auteurs de l’étude de 2018 ont émis l’hypothèse que cette incohérence pouvait être liée à la catastrophe du tsunami de 2011, c’est-à-dire à un moment où les médias ont accordé une grande attention aux groupes religieux qui prodiguaient des soins aux victimes de catastrophes (JHPF 2012). Dans l’enquête la plus récente qui a été réalisée en 2023 le nombre de personnes ayant déclaré que leur kokoro pouvait être soutenu par la religion au moment de la mort est passé à 20,1 % (JHPF 2023). Bien que l’on ne sache pas exactement ce qui a provoqué cette forte baisse, il se peut qu’elle soit en partie due à l’impression négative qu’ont les gens des groupes religieux à la suite des scandales associés à l’Église de l’Unification qui sont survenus au cours de l’année précédente.
Si la fluctuation de ces chiffres peut donner l’impression que les Japonais ont une opinion inconstante à l’égard de la religion, il s’avère toutefois important de noter que ces chiffres ne représentent pas uniquement les Japonais non religieux. Par exemple, dans l’enquête de 2023, seule la moitié (51,1 %) des personnes interrogées qui s’identifiaient comme religieuses pensaient que la religion pouvait les soutenir au moment de la mort. Pris ensemble, ces chiffres laissent penser que la plupart des Japonais, y compris certains qui se considèrent comme religieux, ont du mal à imaginer comment la religion pourrait soutenir leur kokoro au moment de la mort. L’on a même constaté que seul un très petit nombre de patients qui connaissent un peu le concept des soins spirituels en font la demande dans la pratique.
Infirmière 6 : Les Japonais ne parlent pas beaucoup de la vie après la mort ou de choses comme ça. Je pense que le nombre de personnes qui parlent directement de ces choses est assez faible.... Pour certaines personnes, le fait d’en parler peut les aider à faire face à la situation. Le fait d’être écouté par quelqu’un les aide à guérir leur kokoro petit à petit et ils ont donc besoin d’une écoute empathique et de quelqu’un qui soit présent avec eux. D’un autre côté, les Japonais n’aiment pas vraiment parler des choses, donc il m’arrive de penser qu’ils ont une douleur spirituelle et que j’aimerais les écouter, mais comme beaucoup de gens n’expriment pas leurs sentiments par la parole, cela peut être difficile.
Comme l’a fait remarquer cette infirmière, de nombreux patients sont peu enclins à parler de sujets religieux ou existentiels, même lorsqu’ils ressentent une certaine forme d’angoisse spirituelle. Cela ne veut pas dire pour autant que les aumôniers n’ont pas leur place dans les hospices. Au cours de mon travail de terrain, j’ai en effet constaté que les patients non religieux aimaient assister aux services à la chapelle, écouter des hymnes ou des prières et célébrer diverses fêtes religieuses organisées par les aumôniers et d’autres membres du personnel de l’hospice. Cependant, dans la mesure où les patients hésitent à exprimer leurs préoccupations spirituelles, les soins que les aumôniers et les autres membres du personnel d’un hospice fournissent aux patients ont souvent moins à voir avec des formes explicitement religieuses de soins spirituels qu’avec une approche menée par le kokoro qui témoigne d’empathie, de respect et d’une volonté de les aider à se sentir valorisés en fin de vie (Benedict, 2023). Il convient aussi de noter que cela ne signifie pas pour autant que les aumôniers ou les infirmières estiment que leur travail est nécessairement « moins profond » que les formes de soins davantage religieux. Si le personnel des hospices reconnaît que prier avec une patiente peut sembler plus « spirituel » que de l’emmener faire une promenade, le fait qu’une infirmière prenne le temps, malgré son emploi du temps chargé, d’aller dehors avec une patiente pour voir les cerisiers en fleurs, par exemple, montre à cette dernière à quel point elle est appréciée, au même titre que la prière accompagnée, puisque les soins spirituels mettent fondamentalement l’accent sur la « présence » auprès des patients.
3.2 Aider les patients à ouvrir leur kokoro
Les soins apportés au kokoro dans le cadre des soins palliatifs s’avèrent particulièrement importants lorsque les infirmières sont confrontées à un patient qui pourrait traverser une période d’introspection, mais qui est réticent à s’exprimer.
Infirmière 5 : Lorsque les patients disent qu’ils ont peur ou qu’ils sont anxieux, c’est normal. Mais il y en a d’autres, ceux qui ne peuvent rien dire ou ceux qui ne s’ouvriront pas, même si vous le leur demandez. Je sais que ces patients pensent certainement à quelque chose, mais même si je leur demande, ils ne le disent pas, et cela devient un problème. Ce n’est peut-être pas vraiment un problème, puisque vous pouvez simplement résoudre la situation en acceptant que « c’est ce qu’ils sont » et il est donc peut-être un peu étrange de dire que c’est un problème.
Dans de tels cas, les infirmières et les aumôniers font face à un dilemme. L’un des mantras en soins palliatifs consiste à aider les patients à « être eux-mêmes » (jibunrashiku) jusqu’à la fin de leur vie, ce qui signifie qu’ils peuvent également refuser les soins spirituels. Dans ces cas, les infirmières soutiennent généralement le patient par le biais d’activités ou d’un plan de soins personnalisé qui communique indirectement à celui-ci combien il est apprécié, tout en lui laissant la possibilité d’ouvrir son kokoro s’il le souhaite.
Cette approche peut s’avérer fructueuse, comme l’a constaté une infirmière qui travaillait auprès d’un patient octogénaire (le sexe du patient n’a pas été précisé). Cette personne avait besoin d’aide pour manger et avait perdu l’usage de la parole avant d’arriver dans l’unité de soins palliatifs. Environ une semaine après son arrivée à l’hospice, où les soins prodigués étaient bien meilleurs, la personne a lentement recommencé à parler, montrant ainsi qu’elle n’avait en fait pas perdu la voix. Il s’est avéré que cette personne s’était simplement repliée sur elle-même au cours de sa maladie, car à l’hôpital, on la traitait comme une personne âgée et mourante parmi d’autres. Elle attendait simplement de mourir. Mais étant donné que le personnel de l’hospice continuait à la saluer et à l’inviter à participer à diverses activités qui y étaient proposées, elle a fini par s’ouvrir en disant : « Je suis vraiment content.e d’être venu.e ici. Avant, je ne trouvais pas de sens à la vie et je voulais juste me dépêcher de mourir. Mais après avoir constaté qu’il y avait encore des gens qui m’appréciaient, je me suis dit que si j’étais ici, je pourrais peut-être vivre un peu plus longtemps » (infirmière 2).
Comme l’illustre ce témoignage, il faut du temps pour que les patients expriment leur douleur spirituelle. Naturellement, le personnel des hospices comprend que de nombreux patients hésitent à faire part de leurs préoccupations personnelles, voire existentielles, s’ils en ont. Les soins spirituels exigent de la patience. Comme me l’a dit un médecin, il ne faut pas « entrer dans leur kokoro avec nos chaussures » (Benedict 2023, 40). Au contraire, les infirmières poursuivent leur routine de soins et invitent le patient à des événements ou à des activités spéciales pour montrer à quel point elles s’intéressent à lui. Il s’agit d’une sorte de travail émotionnel (Larson et Yao 2005). Un aumônier d’un autre hospice à qui j’ai parlé plus tard a décrit ce type de soins spirituels comme un « engagement de son kokoro dans les soins » (kokoro o kometa kea). Dans ce type de soins, le fait de s’impliquer avec tout son coeur pour faire en sorte que le patient se sente valorisé l’aide à trouver un sens à sa vie.
Enfin, dans certains cas, le patient peut exprimer très clairement sa douleur spirituelle, mais les infirmières ont tout de même du mal à savoir comment intervenir. Tel fut le cas pour un patient septuagénaire qui disait tous les jours au personnel de l’hospice qu’il voulait simplement mourir.
Infirmière 1 : Ce patient était le genre de personne qui voyait quelqu’un dehors en train de pousser une personne en fauteuil roulant et qui disait : « Sortir comme ça et imposer ça aux autres, ça ne sert à rien de vivre comme ça ». Il était du genre à dire que la vie des personnes âgées ou handicapées était insignifiante. Donc quand il est tombé malade et qu’il devait se déplacer en fauteuil roulant, il ne pouvait plus s’accepter. Il voulait vraiment sortir prendre un verre, mais il disait qu’il préférait mourir plutôt que de se montrer aux autres en fauteuil roulant. Son épouse et son fils ont essayé de lui suggérer de sortir pour changer d’air, mais il n’en démordait pas. [...] Il nous disait sans cesse : « C’est trop dur, trop dur, je veux mourir, je veux mourir », et je me suis dit que le meilleur soin que je pouvais lui apporter était de rester à ses côtés et de l’écouter. Mais en fin de compte, il a continué à répéter jour après jour qu’il voulait mourir. Comme équipe, nous avions l’impression de ne pas l’aider du tout. Nous avons organisé une réunion entre infirmières pour discuter de ses antécédents, de son parcours professionnel et du rôle qu’il avait joué dans la société. Après avoir écouté les avis de mes collègues, j’ai compris qu’il était normal qu’il soit bouleversé. Nous avons décidé que le mieux que nous puissions faire pour lui était de l’écouter.
Les cas de patients comme celui-ci mettent en évidence la difficulté d’évaluer l’efficacité des soins spirituels. Comme l’a noté l’infirmière, ce patient avait mené une vie difficile qui aggravait la douleur spirituelle qu’il ressentait à mesure que son état physique se détériorait. S’il est possible qu’il ait pu atteindre un certain apaisement par une sorte de transcendance de soi, il est toutefois clair que ce n’était pas ce qu’il recherchait. Les infirmières ont simplement fait de leur mieux pour soutenir son kokoro en l’écoutant. Elles n’avaient cependant aucun moyen de savoir s’il se sentait soutenu.
4. Que penser du kokoro ?
Les témoignages de ces infirmières nous montrent que, dans la pratique, les soins spirituels sont souvent interprétés comme des soins du kokoro. Alors que le kokoro est aussi associé à la dimension psychologique des soins, en milieu de pratique, les infirmières considèrent que les soins spirituels se situent dans les interstices des soins du kokoro. Même si, en théorie, les soins spirituels sont souvent considérés comme quelque chose de plus profond ou de plus religieux que les soins du kokoro, dans la pratique, le kokoro n’est pas seulement lié aux soins spirituels, il en constitue un élément central. En fait, cet argument est parfois même avancé involontairement par des spécialistes de l’accompagnement spirituel comme Kubotera, qui vulgarise la notion de « spiritualité » en disant qu’il s’agit du « “kokoro” à l’intérieur du kokoro » (kokoro no naka no « kokoro ») (Taniyama, Itō et Kubotera 2004, 3).
Bien que je propose d’enrichir notre compréhension de l’accompagnement spirituel au Japon en l’abordant sous l’angle des soins du kokoro, je tiens toutefois à conclure en formulant deux mises en garde. La première concerne le risque de réifier ou même d’orientaliser le kokoro. Plus précisément, ma décision de ne pas traduire kokoro par « coeur » ou « esprit » crée un risque d’orientalisation ou de mystification de ce mot, comme on le craignait lors des débats universitaires autour de la question de la traduction en anglais des dieux japonais par kami (Gaitanidis 2023b). À cet égard, il est important de comprendre que les soins du kokoro sont loin d’être une exclusivité japonaise et qu’ils peuvent même être prodigués dans presque tous les milieux de soins palliatifs du monde. Les soins apportés au kokoro sont, tout à la fois, spécifiques à la pratique de l’accompagnement spirituel au Japon et très proches de ce que font les aumôniers dans d’autres pays. Il est également important d’éviter l’autre extrême qui consiste à réifier les soins spirituels en suggérant que le Japon a importé le concept « étranger » de la spiritualité, y compris ses influences chrétiennes, avant de s’efforcer de l’adapter aux besoins locaux. Il faut plutôt chercher à déterminer comment des concepts tels que « spirituel », « coeur », « âme » et « esprit » se heurtent à des résistances lorsqu’ils franchissent les frontières culturelles et donnent lieu à de nouvelles interprétations dans de nouveaux contextes. Ils « n’appartiennent » à personne.
En second lieu, si le fait de se focaliser sur les soins du kokoro permet de mieux cerner la spécificité des soins spirituels au Japon, cela risque également d’occulter le contexte socio-politique dans lequel les soins du kokoro se sont popularisés. Les praticiens en milieu de soins palliatifs au Japon ont raison de reconnaître l’importance du kokoro lorsqu’il s’agit de s’occuper de patients mourants. En même temps, la popularité des soins du kokoro s’est étendue au-delà des murs de l’hospice pour intervenir dans toutes sortes de cas de traumatisme, y compris dans les écoles où les conseillers pédagogiques sont appelés à fournir davantage de soins du kokoro aux élèves qui sont victimes d’intimidation ou qui refusent de quitter leur domicile (hikikomori). Comme me l’a fait remarquer un sociologue,
si ces interventions témoignent d’une plus grande reconnaissance de l’importance des soins holistiques, elles peuvent aussi être considérées comme un cas typique de gouvernementalité contemporaine où l’individu est gouverné non pas par la force coercitive, mais par la tendresse
Abe 2023
Ces possibilités se sont en fait concrétisées en Chine, où le gouvernement a tenté, à plusieurs reprises, d’utiliser la psychothérapie pour détourner l’attention des conditions qui contribuent à produire des crises de santé mentale. Par exemple, les femmes qui souffrent d’une dépression légère sont souvent encouragées à se faire diagnostiquer et à recevoir un traitement de santé mentale; l’on évite ainsi de s’attaquer pleinement aux problèmes sociopolitiques, aux pressions et aux conditions qui sont à l’origine de cette dépression (Yang 2018). En ce sens, le fait d’insister sur les soins du kokoro des patients entraîne également le risque de prôner par inadvertance le « doux pouvoir disciplinaire » de ces soins. En fait, bien que les soins spirituels aient tout d’abord été proposés comme une alternative permettant d’atténuer les rapports de pouvoir entre médecins et patients, le principe fondamental des « soins intégraux » (total care) qui sous-tend le mouvement des hospices pourrait engendrer une extension du regard clinique (clinical gaze) de la biomédecine, en plaçant ainsi sous surveillance non seulement le corps, mais aussi l’âme (Clark 1999, 734).
Conclusion
Dans sa préface à un ouvrage volumineux qui traite du concept de kokoro dans la pensée bouddhiste, le spécialiste du bouddhisme Nakamura Hajime souligne que les significations du kokoro sont presque infinies (Nakamura 1984, 2). Pour les infirmières en soins palliatifs qui souhaitent pratiquer des soins spirituels, les défis liés à la compréhension de ces derniers et à la manière de soutenir le kokoro sont tout aussi redoutables. Dans cet article, j’ai démontré comment la relation entre les soins spirituels et le kokoro est comprise par les infirmières dans le contexte des soins palliatifs japonais. Comme l’ont expliqué de nombreuses infirmières, les difficultés conceptuelles liées à la compréhension des soins spirituels sont avant tout liées à l’ambiguïté de la notion de « spirituel », terme qui continue à être utilisé par le personnel soignant, mais rarement en présence des patients. Dans leur travail quotidien, les infirmières pensent que la façon la plus pratique de fournir des soins spirituels est de s’occuper du kokoro. Cependant, ce qui peut apparaître comme un compromis pragmatique est aussi, d’une certaine manière, une réintégration de « l’âme » dans la sphère du kokoro. En considérant les soins spirituels comme des soins du kokoro, les distinctions entre les soins psychosociaux et ceux spirituels deviennent moins contestables sur le plan conceptuel et leur mise en pratique, plus intuitive. Comme l’a exprimé Nakamura Hajime, si tenter de définir et de comprendre le kokoro est une tâche sans fin qui évoque l’image du Bodhisattva Kannon aux mille bras, il offre également, en fin de compte, mille façons différentes d’atteindre le même état d’éveil (Nakamura 1984, 2).
Appendices
Note biographique
Timothy O. Benedict est professeur associé et spécialiste de la religion, de la mort et de l’anthropologie médicale à l’école de sociologie de l’université Kwansei Gakuin, au Japon. Il est titulaire d’un doctorat de l’université de Princeton et d’une maîtrise de l’université de Harvard. Dans une autre vie, il a également travaillé en tant qu’aumônier à l’hôpital. Américain né et élevé au Japon (de la 3e génération), il vit près de Kobe, au Japon, avec sa femme et ses trois jeunes enfants pleins de vie qui l’aident à ne pas penser à la mort. Il est l’auteur du livre Spiritual Ends: Religion and the Heart of Dying in Japan (University of California Press, 2023).
Notes
-
[1]
La version anglaise de cet article a été traduite en français par Katrina Kardash.
-
[2]
Ces entretiens ont été réalisés entre janvier et février 2015 dans un hospice chrétien près d'Osaka. L'un de ces entretiens a également été cité dans Benedict 2023. Bien que l'hospice soit d'origine chrétienne, à ma connaissance, une seule des dix infirmières s'est identifiée comme chrétienne. La transcription de ces entretiens a été financée par la subvention JSPS Kakenhi numéro JP21K10601.
-
[3]
Le syllabaire katakana est souvent utilisé pour représenter les mots d'emprunt transcrits en japonais, comme c'est le cas ici. Le concept de soins spirituels est entré dans le discours médical japonais sous l'influence des pratiques occidentales.
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