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Dans cet ouvrage, bell hooks analyse un pan de l’histoire des femmes noires aux États-Unis, qui a été pendant très longtemps systématiquement évacuée de l’histoire du pays. En effectuant une analyse rigoureuse, l’auteure cherche à documenter la situation des femmes noires aux États-Unis depuis le XIXe siècle. Écrit à partir d’un paradigme féministe, le livre examine les impacts de la marginalisation des femmes noires à l’époque esclavagiste et les effets du sexisme et du racisme sur les femmes noires aux États-Unis. Ainsi l’objectif de l’auteure est de développer une analyse dénuée de sexisme et de racisme qui avait, jusqu’à présent, teinté les analyses faites sur celles-ci. Le livre est séparé en cinq chapitres. Le premier chapitre dresse un portrait de la situation des femmes noires à l’époque de l’esclavage aux États-Unis, tandis que le deuxième porte sur la perpétuelle dévaluation de la féminité noire. Le troisième chapitre analyse les effets de l’impérialisme patriarcal sur les femmes noires, le quatrième chapitre examine l’enjeu du racisme et du sexisme et, finalement, le cinquième chapitre explore la participation des femmes noires dans le mouvement féministe.
Dans le premier chapitre du livre « sexisme et vécu des femmes noires esclaves », l’auteure nous plonge dans le contexte des femmes noires à l’époque de l’esclavage aux États-Unis. hooks souligne que, dès le début de la traite négrière, les femmes noires avaient considérablement moins de valeur que les hommes noirs esclaves. L’auteure développe son argument en soulignant que le patriarcat blanc a influencé les hommes noirs à maintenir un rôle masculin dans la culture esclave; ceux-ci étaient encouragés à adopter un rôle masculin dans le foyer familial et étaient seulement obligés d’accomplir des tâches dites masculines. En contraste à cela, les femmes noires esclaves ont été affectées à des tâches plus laborieuses et étaient fréquemment victimes de viols et d’agressions physiques. Il s’ensuit un processus de masculinisation de la femme noire, ce qui mène au développement de clichés négatifs sur celle-ci. Finalement, l’auteure explique que c’est au cours du XIXe siècle qu’on assiste à la propagation d’images racistes et sexistes de la femme noire. À cette époque, les images de la femme noire sont peu glorifiantes : celle-ci est souvent dépeinte comme une sauvage, une tentatrice et une prostituée. Quant à la femme blanche, celle-ci est perçue comme étant pure et délicate.
Dans le deuxième chapitre, l’auteure nous démontre de quelle façon la dévaluation de la féminité noire s’est poursuivie après la période de l’esclavage. hooks adresse une critique aux féministes blanches, qui ont omis de mentionner dans leurs discours l’oppression sexiste à laquelle étaient assujetties les femmes noires après leur affranchissement. Pour cette raison, l’exploitation sexuelle des femmes noires durant la période d’esclavage et de ségrégation n’a jamais reçu le même niveau d’attention et d’outrage de la part du public que celle des femmes blanches. hooks explique que le système esclavagiste a contribué à dépeindre la femme noire comme une dépravée sexuelle et une immorale. Par conséquent, les femmes noires étaient alors perçues comme ne pouvant être violées, vu leur appétit sexuel et leur envie d’être violées. Dans l’optique de démontrer l’idéologie raciste qui a influencé l’association du terme « femme » à celui de « femme blanche », l’auteure pointe vers les féministes blanches qui ont été incapables de distinguer entre les différentes formes d’oppression et de discrimination chez les femmes. Elle souligne que les femmes blanches qui ont intégré le mouvement féministe ont dépeint une image d’elles-mêmes en tant que victimes, dans l’optique d’intégrer le marché du travail. Cependant, cette image de la victime contraste fortement avec celle des femmes noires qui avaient déjà intégré le marché du travail bien avant les femmes blanches, et ce, à défaut de ne pas avoir de privilèges leur permettant de ne pas être obligées de travailler, comme les femmes blanches de la classe moyenne et aisée.
Le troisième chapitre du livre pointe vers les effets du patriarcat sur les femmes et le privilège qui est octroyé de facto aux hommes sans égard à la race et au statut socioéconomique. De plus, le sexisme et la non-reconnaissance que le racisme et le sexisme peuvent régir la vie des femmes noires contribuent à l’invisibilisation de celles-ci. L’auteure explique que l’organisation du pouvoir entre les sexes et la hiérarchie raciale dans la société des États-Unis contribuent à la conception que l’homme blanc est supérieur à l’homme noir, à la femme blanche et à la femme noire, et l’homme noir est supérieur à la femme noire. En plus, en effectuant une analyse de la place des femmes noires dans le mouvement abolitionniste et des droits civiques, l’auteure expose l’invisibilisation des femmes noires à l’intérieur de ces deux mouvements. Elle démontre de quelle façon les divers groupes de défense de droits et les adeptes de la Nation of Islam ont exacerbé le pouvoir et l’autorité de l’homme noir. Elle souligne avec véhémence que les hommes noirs ont contribué à l’invisibilisation de l’impact du sexisme chez les femmes noires, en argumentant que le racisme dont étaient victimes les Noirs devait avoir priorité sur le sexisme dont étaient victimes les femmes noires.
Dans le quatrième chapitre du livre, hooks documente en détail les diverses façons dont les féministes blanches ont hésité à prendre en considération les inquiétudes des femmes noires. Par exemple, en dépit des arguments avancés par certaines féministes blanches, qui ont prétendu que le mouvement féministe a toujours adopté une posture antiraciste, l’auteure démontre que le mouvement a plutôt tendu vers une posture antiesclavagiste qu’antiraciste. En effet, les efforts des femmes blanches à l’époque du mouvement abolitionniste ont été motivés par un désir d’empêcher toute forme de rapprochement entre la femme noire et l’homme blanc. Par ailleurs, de nombreuses féministes blanches ont argumenté que les femmes blanches devraient avoir le droit de voter puisque cela favoriserait le maintien de la suprématie blanche. Lorsque confrontées à ces situations de racisme, certaines féministes noires ont répondu en créant des groupes féministes réservés aux femmes noires. L’auteure admet que la formation de ces groupes a entraîné des effets positifs; ils ont facilité les échanges entre les femmes noires et leur ont donné un sentiment d’appartenance et de devoir envers leur communauté. Cependant, elle souligne également les aspects négatifs de la formation de ces groupes séparés. Premièrement, les groupes ségrégés perpétuent le racisme, ce qui ne fait qu’accentuer la polarité entre les deux mouvements féministes. Deuxièmement, cela ne favorise pas une prise de conscience et une analyse critique quant à la notion du racisme à l’intérieur du mouvement féministe. Troisièmement, ces deux groupes féministes ont manqué une opportunité de former une alliance, ce qui permet aux féministes blanches de continuer de croire que le racisme et le sexisme ne sont pas liés entre eux. hooks conclut en expliquant que la séparation favorise seulement les intérêts des hommes blancs.
Le cinquième chapitre du livre examine la participation des femmes noires dans le mouvement féministe aux États-Unis. Dans cette partie du livre, hooks met l’accent sur les disparités entre le salaire, les promotions et les opportunités qui sont accordées aux femmes noires et aux femmes blanches. Cependant, dans ce dernier chapitre, l’auteure souligne aussi les différentes actions féministes prises par les femmes noires au cours de l’histoire. En citant les ouvrages de plusieurs femmes africaines américaines, hooks montre qu’en dépit des maintes frustrations des femmes noires, celles-ci ont continuellement lutté contre le sexisme, le racisme et le classicisme. Elle note aussi que certaines féministes blanches ont préféré concentrer leurs efforts à lutter dans le mouvement abolitionniste, alors que d’autres ont préféré lutter au sein du mouvement des droits civiques. Quoi qu’il en soit, ces deux groupes féministes ont concentré leurs efforts afin de démontrer que l’homme blanc est la première cause de l’oppression des femmes, et ce, alors que leur propre oppression à l’égard des femmes noires passait inaperçue. hooks expose alors les éléments qui divisent et séparent les femmes noires et blanches ainsi que les hommes, et montre l’importance de la responsabilisation, de la redevabilité et de la mise en place d’un dialogue sincère entre les trois parties dans le but d’atteindre une liberté qui est réellement inclusive pour tous. Finalement, elle souligne l’importance pour le mouvement féministe d’être plus flexible et inclusif à l’égard des différentes voix et expériences des femmes.
En conclusion, nous avons apprécié cet ouvrage, qui constitue un livre d’une grande importance dans la littérature sur la pensée féministe noire. Enfin traduit en français, Ne suis-je pas une femme? : Femmes noires et féminisme nous montre l’importance de rallier le concept du féminisme, de la féminité, de l’impérialisme, du racisme ainsi que le capitalisme afin d’en arriver à une meilleure compréhension de l’expérience des femmes noires. Que l’on soit d’accord ou non avec les formules et les analyses de hooks, ce livre plaira sans doute à toute personne curieuse d’en connaître davantage sur la pensée féministe noire. De plus, cet ouvrage réaffirme la pertinence du mouvement féministe et de l’approche intersectionnelle axée sur la pluralité et la complexité des expériences des femmes noires. Somme toute, cet ouvrage ouvre la porte au développement et à l’amélioration de la pratique et de la pensée féministe noire, et oblige le lecteur et la lectrice à concevoir le concept de la libération à partir d’une perspective collective.