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Accompagnant l’essor de l’économie sociale et solidaire, la Recma s’étoffe de numéro en numéro. Celui-ci comprend huit articles : un dossier de cinq articles sur les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), introduit par Laurent Fraisse et Patrick Gianfaldoni, et trois articles hors dossier.
Nos collègues québécois Marie-Claude Beaudin et Michel Séguin se demandent si la finalité des coopératives bancaires constitue un avantage pour attirer de futurs diplômés. Le point semble acquis pour des coopératives dont l’objectif de service aux membres paraît constituer un atout décisif face à la concurrence des banques visant le profit. En réalité, et c’est tout l’intérêt de l’article, il ne l’est qu’à certaines conditions.
Dans son article « L’émergence du marché des consultants associatifs : le dispositif local d’accompagnement (DLA), un “plan Marshall associatif” ? », Simon Cottin-Marx étudie les nouveaux consultants associatifs. Il montre la place prise par la puissance publique et précise les contours des consultants qui jouent, entre autres rôles, celui de passeurs de pratiques gestionnaires.
Tsvetelina Marinova et Nikolay Nenovsky livrent une passionnante réflexion sur l’histoire et la transformation institutionnelle des banques coopératives bulgares. Ils soulignent en particulier l’ancrage du crédit social dans les formes communautaires (les zadrugas) et étudient les interrelations entre le crédit coopératif, le marché et l’Etat. Ce parti pris constitue le caractère le plus novateur de ce travail.
A côté de l’intérêt constant suscité par l’essor des associations et leur professionnalisation, abordée ici à partir des consultants associatifs par S. Cottin-Marx, la coopération est un nouveau champ qui motive de nombreux travaux. Nouveau parce qu’il s’agit d’un intérêt qui dépasse le cadre classique des coopératives.
Certes, les coopératives ne sont pas en reste : comme en témoignent les comptes rendus d’ouvrages publiés dans ce numéro, elles sont à nouveau sur le devant de la scène. Le regain d’intérêt touche surtout la coopération de production : les Scop, les Scic et les CAE. Il s’élargit désormais aux autres types de coopératives : artisanales, agricoles, de consommateurs, de crédit… Il y a quelques années encore, les grandes maisons d’édition ne se risquaient pas à publier des ouvrages sur les coopératives. La recherche coopérative trouve désormais un écho au-delà des cercles militants, ce qui n’était pas arrivé depuis de nombreuses décennies.
Mais cet écho porte également sur la coopération au sens large : de nombreux travaux utilisent le terme de coopération sans étudier les coopératives. C’est en ce sens par exemple que les PTCE parlent de coopération, qui désigne ici essentiellement le travail commun d’acteurs d’un territoire. Collectivités, associations, petites et moyennes entreprises classiques, centres d’études et de recherches sont les acteurs les plus fréquents des PTCE, et la présence de coopératives, si elle est bienvenue, n’est pas requise.
La première interprétation qui peut être faite de cet élargissement est que la coopération est abordée, non sous l’angle juridique, ni même sous l’angle strictement économique, mais selon une pluralité d’approches intégrant la dimension sociale de l’action : fondamentalement, coopérer, agir ensemble, équivaut à échanger de façon non conflictuelle et non concurrentielle ; on coopère en collaborant avec d’autres en vue d’une fin commune. La coopération témoigne donc non seulement de l’adoption de règles formelles mais également d’un état d’esprit, d’une posture, voire d’une philosophie. Sans doute peut-on faire l’hypothèse que nos sociétés ressentent un besoin de coopération, de cohésion, de solidarité dont un individualisme envahissant suscite le manque ?
Dans ce cadre large, la coopération a déjà fait l’objet de nombreuses définitions qui ne sont pas toutes congruentes : la coopération Nord-Sud, la coopération verticale, la coopération décentralisée, la coopération internationale ou encore les accords de coopération horizontale traduisent des volontés politiques de collectivités publiques ; la coopération économique, la coopération dans le travail (terme déjà utilisé par Marx pour désigner le travail dans les grandes entreprises), l’intercoopération entre coopératives, la coopération dans l’entreprise (initialement promue par Taylor), le management coopératif, le groupement coopératif social et médico-social (GCSMS), ont l’entreprise pour cadre ou acteur majeur ; la coopération dans le jeu, la coopération dans l’économie du Net, considérée comme premier stade d’une véritable économie collaborative, témoignent d’autres élaborations récentes.
Cette appropriation, réjouissante, n’est sans doute pas sans produire des effets sur la coopération au sein des coopératives. En effet, les coopératives ne sont logiquement pas en capacité d’intégrer l’ensemble des formes de la coopération telles qu’elles sont déployées aujourd’hui. Et, tout aussi inévitablement, des conflits de sens ou de postures naissent de la dissociation des domaines d’application de la coopération.
Ainsi, la « coopération » entre producteurs et consommateurs est aujourd’hui majoritairement réalisée par des entreprises coopératives : les coopératives agricoles, artisanales ou de production alimentent le commerce équitable, les coopératives de commerçants de type Biocoop ou Système U, de même que les coopératives de consommateurs observent une attention particulière aux producteurs, de nombreuses coopératives agricoles associent producteurs et consommateurs, telles les sociétés d’intérêt collectif agricole (Sica) en France – mais le modèle existe dans de nombreux pays de l’hémisphère Sud et dans d’anciennes républiques soviétiques et se réinvente actuellement aux Pays-Bas –, les sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic) associent salariés et usagers, les Teikei japonais, les Amap françaises font de même. Ces organisations sont autant de formes coopératives intégrant la coopération entre producteurs et consommateurs.
Face à cette explosion de « coopératives coopérantes », ainsi qu’Henri Desroche les nommait déjà, et face à l’essor de la coopération dans les échanges les plus variés entre les individus et les groupes sociaux, les entreprises coopératives peuvent-elles ne pas intégrer plus largement la coopération – qu’il s’agisse de celle qui anime le développement des territoires ou de celle qui bouleverse le rapport au travail et à la consommation – sans prendre le risque d’un affaiblissement de l’ensemble du mouvement coopératif ?