Abstracts
Résumé
La pièce de théâtre Kanata, mise en scène par le dramaturge québécois Robert Lepage et jouée par la troupe française du Théâtre du Soleil, avait provoqué une forte polémique au Québec, où de nombreux artistes et militants Autochtones ont dénoncé l’absence des artistes autochtones. Dans cet article, je propose de réfléchir sur ce que signifie de « jouer à l’Indien » (dans le sens que lui donne Deloria) dans le contexte québécois, particulièrement lorsque ce jeu invoque une vision du monde complice entre des figures emblématiques des scènes artistiques québécoise et française quant à l’effacement des Autochtones. Il s’agira de s’interroger sur le sens de cette complicité France-Québec, et sa portée politique face à l’évincement des Autochtones dans une pièce qui prétend raconter leur histoire. Pour ce faire, je rendrai compte des principaux arguments repérés dans les discours médiatiques et artistiques blancs qui ont justifié la tenue de la pièce, afin de mettre en lumière les logiques coloniales qui soutiennent cette production, où l’auto-autochtonisation occupe une place importante.
Mots-clés :
- Kanata,
- jouer à l’Indien,
- Québec,
- auto-autochtonisation,
- innocence blanche
Abstract
Kanata, a play directed by Quebec playwright Robert Lepage and performed by the French troupe Théâtre du Soleil, caused a strong controversy in Quebec where many Indigenous artists and activists denounced its absence of Indigenous artists. In this article, I reflect on what it means to “play Indian” (in the Deloria’s sense) in the Quebec context, particularly when this performance calls for a vision of the world that unites emblematic figures in the Quebec and French artistic scenes in order to erase Indigenous peoples. I discuss the meaning of this France-Quebec complicity in the eviction of Indigenous peoples in a play that claims to tell their story. To do this, I report on the main arguments identified in mainstream media and artistic discourses that justified the holding of the play, to highlight the colonial logic that supports this production, one in which the specter of self-indigenization looms large.
Keywords:
- Kanata,
- playing Indian,
- Quebec,
- self-indigenization,
- white innocence
Resumen
La obra teatral Kanata, dirigida por el dramaturgo quebequés Robert Lepage e interpretada por la compañía francesa Théâtre du Soleil, provocó una gran polémica en Quebec, donde muchos artistas y activistas Indígenas denunciaron la ausencia de artistas indígenas. En este artículo me propongo reflexionar sobre lo que significa «jugar al Indio» (en el sentido que le da Deloria) en el contexto quebequés, sobre todo cuando este juego invoca una visión del mundo en la que las figuras emblemáticas de las escenas artísticas quebequesa y francesa colaboran para borrar a los pueblos Indígenas. Se trata de examinar el sentido de esta complicidad franco-quebequense y su significado político ante la exclusión de los Indígenas en una obra que pretende contar su historia. Para ello, examinaré los principales argumentos identificados en el discurso mediático y artístico blanco que justificó la puesta en escena de la obra, con el fin de iluminar sobre las lógicas coloniales que sustentan esta producción, en la que la auto-indigenización desempeña un papel importante.
Palabras clave:
- Kanata,
- playing Indian,
- Quebec,
- self-indigenization,
- white innocence
Article body
Nous ne sommes pas invisibles et nous ne nous tairons pas. Nous avons nos plumes à la main et nous vous dirons encore et pour longtemps : je suis, NOUS SOMMES.
Texte collectif 2018
Le théâtre et les arts de la scène sont parfois des esp aces de résistances et des sites de production de pédagogies de libération. On peut penser aux pièces du poète antillais Aimé Césaire, dont les personnages sont souvent des révolutionnaires Noirs guidés par leur force de libération contre la violence coloniale et esclavagiste. C’étaient aussi probablement les aspirations du dramaturge brésilien Augusto Boal pour un théâtre de lutte des opprimés face à une dictature écrasante, ou encore l’espoir décolonial de l’écrivain algérien Kateb Yacine, qui proclamait « À peuple libre, théâtre libre ». S’inspirer de ces oeuvres ne peut qu’insuffler et revitaliser les luttes décoloniales comme pratiques politiques et esthétiques.
Selon le dramaturge Ojibwé Drew Hayden Taylor, « le théâtre apparaît comme le moyen d’expression par excellence des Autochtones au Canada » (Hayden Taylor 2018 : 53). Taylor nous apprend que la tradition orale des Premiers Peuples fait du théâtre un art qui s’inscrit quasi naturellement dans les cultures artistiques de ces derniers. À l’inverse du théâtre occidental, dont le conflit est essentiel dans la trame narrative, le théâtre autochtone se distingue en mettant l’accent sur l’art de raconter (ibid. : 59). Dès lors, face à la violence coloniale et les nombreuses tentatives d’effacement des récits et des esthétiques autochtones, l’art de raconter des histoires devient aussi un moyen de résistance. Aujourd’hui, le théâtre, comme d’autres arts de performance, représente un lieu privilégié d’affirmation et de rassemblement politique pour les Premières Nations (Mojica et Knowles 2003).
Pour reprendre l’expression de l’écrivaine, artiste et professeure Michi Saagiig Nishnaabeg Leanne Betasamosake Simpson, la performance est ici un lieu commun, un espace politique d’imagination anticoloniale, « une expérience à la fois individuelle et collective, dont le but, en nous faisant imaginer de nouvelles réalités, est de nous délivrer du fardeau du colonialisme » (Simpson 2020 : 42). L’esthétique autochtone est appréhendée par elle comme une pratique quotidienne de résurgence, elle permet de « perturber le bruit du colonialisme » et met en scène des formes productives du refus (Simpson 2017 : 200). Ce refus, fortement théorisé par l’anthropologue Mohawk Audra Simpson, est une posture politique et épistémique fondamentale dans la résurgence autochtone, il « s’accompagne de l’exigence de voir sa souveraineté politique reconnue et maintenue » (Simpson 2014 : 11). Ainsi, l’art autochtone participe à contrecarrer les possibilités d’effacement que perpétue le colonialisme de peuplement. En effet, les forces coloniales constituent une menace constante face au territoire, mais aussi aux mondes du sensible, elles « menac[ent]e toujours de se réapproprier, d’assimiler, de subsumer/consommer et de réprimer les voix et la visualité autochtones, leurs formes et leur esthétique, dans sa logique hégémonique de domination » (Martineau et Ritskes 2014 : 1).
Ce refus est articulé de manière forte par les artistes autochtones qui ont critiqué la pièce de théâtre Kanata, car elle proposait « une relecture de l’histoire du Canada à travers le prisme des rapports entre Blancs et Autochtones » [sic] en excluant ces derniers. Cette pièce, mise en scène par le célèbre dramaturge québécois Robert Lepage et jouée par la troupe française du Théâtre du Soleil, avait provoqué une forte polémique au Québec. Lepage et ses collaborateurs ont été vivement critiqués pour avoir exclu les artistes autochtones de la pièce et pour avoir voulu parler à leur place.
Alors qu’elle n’a pas été produite au Québec, car plusieurs financements lui ont été retirés, la pièce modifiée s’est tout de même produite en France sous le titre Kanata. Épisode 1 : La controverse. La pièce relate plusieurs éléments des violences coloniales sur les Autochtones du Canada, notamment celles sur les femmes autochtones disparues et assassinées. Alors que la pièce a été applaudie par les critiques françaises, les critiques autochtones qui ont vu la pièce, comme Maya Cousineau-Mollen, Kim Obomsawin et Guy Sioui, ont exprimé leur déception. Selon les artistes, une telle pièce n’aurait pas pu être présentée au Canada tant la représentation de la violence envers les femmes autochtones était graphique, et dénote bien la compréhension superficielle de la violence coloniale (Couture 2018).
Dans cet article, il sera question d’analyser les enjeux politiques qui entourent la production de la pièce Kanata, et de réfléchir sur ce que signifie de « jouer à l’Indien » dans le contexte franco-québécois, à l’ère de la « réconciliation », de l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA), de la résurgence autochtone, et des enjeux liés à l’auto-autochtonisation. Il s’agira de s’interroger particulièrement sur le procédé politique qui rend les voix et les luttes des Premières Nations inaudibles, au profit du « mythe du métissage ».
Mon propos s’inscrit dans le sillage des analyses critiques des productions culturelles afin de rendre compte des relations qu’elles entretiennent, et qu’elles occultent, avec le colonialisme. Il ne s’agit pas ici d’une analyse dramaturgique du théâtre, mais davantage, à la manière de l’analyse de Philip Howard de la pièce SLĀV, de considérer « que le théâtre et la performance au Québec sont toujours implicitement liés à l’articulation de l’identité québécoise » (Howard 2020 : 134), et que les arts constituent un espace privilégié dans l’établissement de l’identité québécoise et de ses altérités racialisées (ibid. :128). Bien que les deux pièces ne soulèvent pas les mêmes questions, elles ont en commun que les critiques émises par les communautés directement concernées par les sujets des pièces (noires et autochtones) n’ont pas été considérées par les producteurs blancs. Elles ont aussi en commun qu’elles portent sur des communautés qui ont subi les violences brutales qui continuent à structurer le racisme et le colonialisme de peuplement toujours en cours : l’esclavage des personnes noires et le génocide des peuples autochtones.
Ainsi, soutenir l’idée, comme le propose Howard, que le théâtre est un récit identitaire et en considérant comme trame de fond ces violences et leurs articulations contemporaines, oblige à interroger les rôles attribués aux altérités noires et autochtones dans ce récit identitaire québécois et invite à sortir du discours d’innocence blanche[1]. Si l’affaire SLĀV a suscité une controverse autour de l’appropriation culturelle, j’avance que ce qui se joue dans Kanata est à analyser au prisme du « tournant métis » de l’identité québécoise (Burelle 2019 ; Leroux 2019b ; Scott 2014). Dans ce qui suit, je présenterai d’abord les principales critiques des artistes autochtones et qui résonnent avec celles adressées à une autre pièce de Lepage, SLĀV, à quelques semaines d’intervalle. J’analyserai par la suite les principaux arguments soutenus par Lepage et ses collaborateurs, et le sens de cette complicité de figures emblématiques des scènes artistiques québécoise et française.
Retour sur une mise en scène
Afin de mieux saisir les enjeux entourant l’effacement des artistes et comédiens autochtones de Kanata, et de mieux comprendre les arguments qui ont poussé Robert Lepage et ses collaborateurs à aller de l’avant malgré la critique, il est important de revenir sur la controverse autour de SLĀV. Cette pièce a été présentée au Festival de Jazz de Montréal (FJM) en juin 2018, et mettait en scène la chanteuse Betty Bonifassi dans ce qui devait être « une odyssée théâtrale à travers les chants d’esclaves ». Plusieurs mois auparavant, l’artiste Marilou Craft (2018) interpellait Lepage et Bonifassi sur l’appropriation de chants d’esclaves Noirs dans une production blanche. Lors de la sortie de la pièce, de nombreux militants afro-descendants et antiracistes[2], dont un regroupement d’artistes et de militantes et militants Noirs qui s’est constitué comme le Collectif SLĀV Résistance[3], ont aussi vivement dénoncé l’appropriation culturelle, et le manque d’implication d’artistes Noirs[4]. Cette même critique avait été faite par le rappeur et historien Webster, et qui avait cessé sa collaboration avec la production quelques mois plus tôt pour les mêmes raisons. Malgré ces critiques, Bonifassi et Lepage ont vigoureusement soutenu leur production, insistant sur leur liberté artistique, tout en soulignant qu’ils étaient sensibles aux enjeux de l’esclavage, et qu’ils tentaient par la pièce de rendre hommage aux personnes ayant subi l’esclavage, dont les Afro-américaines, mentionnant aussi les Irlandaises (Lauzon 7 juillet 2018). Or, Philip Howard montre, en s’appuyant sur les travaux de Saidiya Hartman, que parler à la place des personnes Noires, même avec sollicitude, est une pratique instaurée par les oppressions structurelles de l’esclavage. Pour sa part, le dramaturge montréalais Rahul Varma a critiqué plusieurs fois la perspective « daltonienne » (colorblind), et donc aveugle aux rapports de pouvoir de race, qui caractérise le travail de Lepage et qui a un effet important dans l’effacement des résistances des personnes Noires. Il souligne que
SLĀV n’est pas un récit fictif – c’est un spectacle construit sur les artefacts de la souffrance d’un peuple, et ce peuple est visiblement absent de la scène. Si Lepage et Bonifassi avaient consulté et travaillé activement avec des artistes Noirs, au-delà de leurs deux choristes, SLĀV n’aurait pas été un spectacle sur l’esclavage, l’oppression, la migration et l’incarcération de masse. Il aurait été un spectacle de résistance et de libération.
Varma 2018
Malgré les fortes protestations, la pièce a tout de même été présentée à trois reprises à Montréal, dans des conditions troubles. En effet, plusieurs reportages montraient, à l’entrée du Théâtre du Nouveau Monde, des policiers venus « protéger la liberté d’expression » (Craft 2018) face à des manifestants majoritairement Noirs.
Finalement, à la suite de nombreuses pressions, notamment le soutien du chanteur afro-américain Moses Sumney aux militants Noirs, le FJM a annulé les représentations de la pièce[5]. Les militants Noirs furent alors accusés de vouloir censurer l’art, étant représentés comme des « intégristes » faisant du « terrorisme intellectuel » (Doyon 2018), du « racisme inversé » et un « apartheid culturel » (sic) (Rioux 2018).
La controverse autour de Kanata a eu lieu quelques semaines plus tard, et plusieurs éléments la rendaient prévisible. En effet, Lepage a lui-même admis qu’il avait été averti par des consultants Autochtones qu’il faisait fausse route en écartant les comédiens Autochtones de cette pièce. Aussi, le Conseil des Arts du Canada lui avait également refusé une importante subvention par manque de collaboration avec les premiers concernés, c’est-à-dire les Premiers Peuples[6].
La pièce Kanata est née à la suite de l’invitation d’Ariane Mnouchkine, qui a créé le Théâtre du Soleil à Paris en 1996, et qui, pour la première fois dans l’histoire de ce théâtre, a demandé à un autre metteur en scène de diriger sa troupe. Dans plusieurs entrevues des deux dramaturges, on retrouve l’accent mis sur cette expérience unique offerte à Lepage, un signe de confiance et d’appréciation mutuelles entre les deux artistes. Lepage a alors sollicité en 2015 le comédien et metteur en scène québécois Michel Nadeau à coproduire avec lui une pièce dont l’objet était l’histoire coloniale du Canada. C’est ainsi qu’est née cette production, qui n’incluait aucun artiste Autochtone, et qui était jouée par « [u]ne troupe métissée et française à la fois » (Lalonde 2018).
L’une des premières critiques publiques à la pièce a été une chronique de l’artiste et militante crie Maïtée Labrecque-Saganash, qui s’interrogeait sur l’absence d’acteurs et d’actrices Autochtones, et a émis des doutes légitimes quant à la capacité des Allochtones de rendre compte des souffrances et des traumas des pensionnats. Elle souligne que « [l]es plaies béantes de la colonisation sont encore vives et seuls des gens qui portent encore ces traumatismes savent rendre justice à ce sentiment collectif » (Labrecque-Saganash 2018). Quelques jours plus tard, un collectif de différentes nations, regroupant des Innu, des Anishnabe, des Huron-Wendat et autres[7] a publié une lettre dans Le Devoir intitulée « Encore une fois, l’aventure se passera sans nous, les Autochtones ? ». La lettre dénonçait l’exclusion des Autochtones dans une pièce qui prétend pourtant raconter leur histoire :
Madame Mnouchkine a exploré nos territoires, elle n’a plus besoin de nos services. Exit ! Elle aime nos histoires, mais n’aime pas nos voix. Il nous semble que c’est une répétition de l’histoire et de tels agissements nous laissent un certain sentiment de déjà-vu. On nous inventera, on nous mimera, on nous racontera, parce qu’elle a compris, parce qu’ils ont compris. Pardonnez notre cynisme, mais avons-nous vraiment été compris ?
Texte collectif 2018
Ce qui est alors mis de l’avant, c’est l’argument défendu par les artistes et les peuples Autochtones depuis plusieurs décennies déjà : il n’est plus question que les Autochtones fassent l’objet d’extractivisme colonial. Cette critique collective soutenue est à comprendre comme « une affirmation des corps politiques autochtones, de leur souveraineté dans les territoires imaginaires des arts vivants, de la place des voix autochtones dans ces espaces de représentation, au Québec et ailleurs. » (Nepton Hotte 2022 : 31).
Toujours dans le coeur de cette controverse, les réactions provenaient de tout le Canada. Par exemple, Kevin Loring, artiste Nlaka’pamux de la Première Nation Lytton en Colombie-Britannique, et directeur artistique du théâtre autochtone du Centre national des arts, a publié une lettre ouverte largement diffusée et soutenue par plus de 500 artistes de différentes nations qui clamaient « rien sur nous sans nous ». Dans cette lettre, Loring rappelait l’importance du contexte du génocide culturel toujours en cours, et des violences physiques, psychiques et économiques :
En excluant délibérément les artistes autochtones de la création et de la présentation de cette pièce, vous choisissez d’être ignorant. Vous choisissez de n’entendre que vous-mêmes dans une perspective imaginaire où les peuples Autochtones sont une idée, un concept sans contexte ni authenticité inhérente. Nos histoires sont des histoires humaines, mais, en excluant notre présence dans la narration de ces histoires, vous généralisez nos luttes très spécifiques et rejetez nos cultures spécifiques comme dénuées de sens. En les présentant dans ce qui équivaut à du Red Face, vous banalisez notre existence et perpétuez un génocide culturel.
Loring 2018
Ainsi, les arguments soutenus avaient en commun ce que précisément ni Lepage ni Mnouchkine ne voulaient considérer comme une réalité tangible : le rôle de l’art dans la violence coloniale et dans l’effacement des Autochtones. Les artistes Yves Sioui Durand et Catherine Joncas, cofondateurs du théâtre Ondinnock, ont aussi mis en évidence le lien entre la production de Kanata, les propos de Lepage et Mnouchkine, et la violence coloniale :
Cette expression « se glisser dans la peau de l’autre » que vous employez pour qualifier le jeu du comédien qui pourrait représenter mieux que l’original, nous fait mal. Combien de bons prêtres, de bonnes soeurs, de sadiques de tout acabit, se sont glissés dans notre peau, manipulant nos corps et nos esprits, combien se sont glissés dans la peau et dans le corps de générations d’enfants des Premières Nations du Canada ?
Sioui Durand et Joncas 2020 : 150
La réalité décrite ici est au coeur même des luttes anticoloniales que les peuples Autochtones continuent à mener jusqu’à aujourd’hui : la dénonciation de l’appropriation des corps, des histoires, et des territoires des Premiers Peuples. L’écrivaine Innu An Antane Kapesh le décrivait de manière majestueuse dans l’important ouvrage Je suis une maudite Sauvagesse, où elle dénonçait les multiples stratégies coloniales du blanc. Une de ces stratégies est la liberté que le blanc s’octroie pour déposséder les Autochtones :
(…) notre territoire ne nous appartient plus aujourd’hui, c’est le territoire du Blanc. Dans notre territoire, il n’y a que lui qui aille où il veut aller et partout où il veut se construire une maison, il peut s’en construire une. À présent, il écrit des choses partout dans notre territoire, partout dans la forêt il pose des pancartes sur lesquelles il dit : PROPRIÉTÉ PRIVÉE.
Kapesh 2019 [1976] : 191
Kapesh porte une voix anticoloniale et s’oppose à cette dépossession. Avec elle, on peut penser le territoire comme un lieu en lien avec les vies, les récits et les esthétiques des Premiers Peuples. Et c’est là même le sens politique de la position des artistes Autochtones face à la production de Kanata : c’est une critique anticoloniale de l’usage qui est fait de leur territoire en matière d’histoire et d’identité, de leur présent, dans une pièce où ils et elles sont exclues de la scène. Cette lutte s’articule de différentes façons dans le mouvement de résurgence autochtone, qui se pose comme force politique pour lutter « contre les forces dépossédantes du capitalisme, de l’hétéropatriarcat et de la suprématie blanche » (Simpson 2017 : 34 dans Nepton Hotte : 2022). Cette résurgence est principalement portée par celles qui sont le plus souvent les principales cibles des violences coloniales, et ironiquement, la pièce expose de manière graphique celles qui les subissent sans même les consulter : les femmes Autochtones. Caroline Nepton Hotte (2022) rappelle que le slogan « rien sur nous sans nous » a été largement porté par les femmes Autochtones, tout comme Idle No more, et les demandes de justice qui ont abouti à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées. C’est en ayant cela à l’esprit que l’autrice, professeure en histoire de l’art et membre de la communauté Mashteuiatsh, refuse le silence et dénonce Kanata au-delà de l’appropriation culturelle, il s’agit pour elle d’une tentative d’« appropriation des corps, des voix et récits des femmes autochtones » (Nepton Hotte 2022 : 31).
Le théâtre apparaît alors être un outil de ces forces dépossédantes, un lieu de performance d’auto-autochtonisation à l’image de la dépossession et de l’extractivisme matériel sur les territoires des Premières Nations.
Chosification des Autochtones et métissage
La critique sur l’effacement des artistes Autochtones n’est pas uniquement un problème d’attribution des rôles, mais touche plutôt des enjeux relatifs au colonialisme et aux rapports de pouvoir qui sous-tendent l’appropriation de la parole des Autochtones. Ici, l’effacement constitue un discours politique : c’est celui qui présente les Autochtones comme une histoire du passé, une « chose » qu’on peut interpréter, jouer, remplacer. Cette « chosification » est un processus continu qui aurait pris des allures officielles et bureaucratiques à partir de la Loi constitutionnelle de 1867, où l’article 91(24) créa le statut « Indien » (Ross-Tremblay et Hamidi 2013 : 53). C’est cette « chose indienne » que regarde Bruno Cornellier (2015) dans les politiques de représentation au Québec et au Canada et qui invite à ne pas verser dans une opposition entre « la réalité indienne et son absence discursive » (ibid. : 85). En effet, Cornellier complexifie les analyses existantes sur l’objectivation des Autochtones, comme celle de l’Indien imaginaire chez Gilles Thérien, et nous invite à une analyse qui rend compte à la fois des rapports de pouvoir dans une société coloniale de peuplement libérale et de l’agentivité des Autochtones :
Née de l’intervalle creusé par la rencontre coloniale, cette « chose » est l’objet d’une lutte continuelle à travers la frontière coloniale et de chaque côté de celle-ci. En somme, il n’y a pas que le Blanc qui, de sa vigie, pointe l’index de cette « chose » indienne lui permettant de (se) penser (dans) le voisinage colonial (…) l’Autochtone aussi désigne, plutôt qu’il révèle, des subjectivités nouvelles émergeant de la rencontre coloniale et du travail constituant de la représentation.
ibid. : 94
La production de Kanata participe à la chosification en plaçant les Autochtones dans la figure de l’absence, de l’imaginaire, telle une tentative de mise à silence. En étant le producteur et le chef d’orchestre de la pièce, Lepage prend et monopolise la parole, et il raconte dans le même mouvement l’histoire des Autochtones et de leur exclusion. En les écartant de la production, c’est cette subjectivité politique souveraine qui est mise à l’écart et dès lors, Lepage et ses collaborateurs ne peuvent produire qu’une mise en scène de la liberté d’appropriation que s’octroie le blanc, ce que Kapesh dénonçait dans ses propos cités précédemment. Le Blanc est ici une identité politique construite au sein du contrat racial né de la modernité européenne, et s’appuyant sur les violences historiques du colonialisme et de l’esclavage (Mills 1997). Comme le montre le philosophe Noir Charles Mills, ce contrat racial permet aux blancs de continuer à exploiter les terres, les ressources et les vies des non-blancs en toute ignorance, et « [t]ous les blancs sont bénéficiaires du Contrat, bien que certains blancs n’en soient pas signataires ». (ibid. : 11).
Malgré les sentiments de « bienveillance » et de proximité qu’expriment Lepage et Nadeau, l’exclusion des Autochtones redonne l’autorité et l’exclusivité du récit historique à des blancs. C’est là un problème majeur et structurel au Québec, où la narration de l’histoire des Autochtones « reste l’apanage des non-Autochtones, notamment dans le milieu universitaire » (Burelle 2019 : 66). Même si Lepage s’en défend en invoquant qu’il a consulté des Autochtones en amont, et qu’il intégrait des vidéos de témoignages d’Autochtones dans la pièce, il reste qu’il a le pouvoir de choisir qui consulter, et la manière dont il rendra compte de ces consultations. Sans surprise, plusieurs des consultants Autochtones se sont distanciés de la production et ont dénoncé le fait d’être utilisés pour légitimer cette pièce, alors que leurs recommandations n’ont pas été considérées. Par exemple, Guy Sioui affirme qu’il a été consulté pour un rituel iroquois, mais qu’il ignorait qu’aucun artiste Autochtones ne collaborait à la production (Walter 2018). Le cinéaste Cowboy Smithx a aussi déclaré que malgré les conseils qu’il a donnés à Lepage, ce dernier ne les a pas considérés (Hamilton 2018). Ainsi, dans Kanata, les Autochtones deviennent une arrière-scène, ils et elles ont servi pour la consultation, mais d’un point de vue symbolique et politique, lorsque les projecteurs s’allument et que les félicitations foisonnent, c’est Lepage et ses collaborateurs qui auront le rôle principal. Ce qui est en réalité une histoire tragique de souffrance coloniale devient un site productif du capital artistique et politique pour des producteurs blancs.
Bien que Lepage et Mnouchkine aient rencontré les artistes Autochtones pour dialoguer sur des pistes d’entente, les dramaturges occidentaux ont décidé qu’il était impossible de transformer la pièce. Pour eux, la troupe du Théâtre du Soleil était indivisible et déjà formée[8].
La chosification dont il est question ici met en scène la « mythologie du métissage » et donne à voir un mouvement paradoxal : on retrouve à la fois l’idée de « l’amour » et de la solidarité envers les Autochtones, où « jouer à l’Indien » (Deloria 1999) permet de poser au centre le projet colonial et la narration de « l’innocence blanche » (Wekker 2016).
Adam Gaudry et Darryl Leroux montrent comment s’articule la « mythologie du métissage » à partir d’« un passé utopique de mixité raciale » (Leroux 2019 : 5). Ce métissage, qui se présente comme une « hybridité raciale », sert en fait à consolider le colonialisme d’occupation blanche (ibid. : 15) et plus spécifiquement le colonialisme de peuplement français dans le contexte québécois et acadien (Gaudry et Leroux 2017). Autrement dit, cette revendication du métissage n’est en fait qu’une modalité des techniques du colonialisme de peuplement. Il faut donc replacer les discours de « ressemblance », de « proximité » et de « mixité » entre les Autochtones et les descendants de colons dans le contexte sociopolitique de l’émergence des mouvements « néo-métisses ». Se« sentir » proche des Autochtones au point de prendre leur place en niant leur subjectivité politique donne à voir une énonciation coloniale qui nie sa violence en mobilisant, pour reprendre la conceptualisation de Mark Rifkin, une « structure coloniale du sentiment » (Rifkin 2013 dans Cornellier 2017). C’est dans la même veine que Julie Burelle (2019) remarque ce qu’elle appelle « le tournant métis » au Québec, qui est véhiculé notamment par les productions culturelles comme les documentaires l’Empreinte et Québécoisie. Dans ces productions, tout un appareillage mémoriel et sensoriel, et un discours sur la fraternité et la solidarité entre colons français et Autochtones, sont mobilisés pour montrer comment les Québécois « pure laine » se sentent Autochtones (chap. 2). Dans le cas qui nous intéresse, il ne s’agit pas ici de dire que Robert Lepage s’inscrit dans un discours d’hybridité raciale, mais plutôt de voir comment les arguments mobilisés montrent que la production de Kanata s’inscrit dans une géographie du colonialisme et participe à une performance du métissage qui rend possibles l’effacement et le remplacement des Autochtones par les bénéficiaires du colonialisme de peuplement français.
Dès lors, je m’attacherai à analyser ce paradoxe qui consiste à la fois de vouloir être les alliés des Autochtones, tout en les excluant, et la façon dont il permet de déformer l’histoire coloniale au profit d’une fiction sur le métissage et d’une « autochtonie ressentie » (Burelle 2019 : 72-76). Trois éléments interreliés se dégagent et qui montrent comment se déploient ici la narration du métissage : 1) jouer à l’Indien ; 2) l’innocence blanche ; 3) la résurgence du sujet transatlantique franco-québécois.
Jouer à l’Indien et appropriation
Lepage, Nadeau et Mnouchkine ont réaffirmé à plusieurs reprises la supériorité du théâtre, présenté comme au-dessus et dépassant les questions raciales et coloniales[9]. Ce qui est alors revendiqué, c’est le droit de jouer à l’Autre à partir d’une position « universaliste humaniste libérale » (Carson 2021 : 14) où, selon Lepage, « la pratique théâtrale repose sur le principe simple de ‘jouer à être quelqu›un d›autre’, ce qui peut exiger que ‘l’on emprunte à l’autre son allure, sa voix, son accent et à l’occasion son genre’ » (Caillou 2018). Dans une entrevue à Radio-Canada (2021), Lepage souligne plusieurs affects, dont les sentiments d’empathie et de compréhension face à la méfiance des Autochtones, mais qu’il n’avait aucune mauvaise intention en produisant Kanata. S’il a réalisé cette production, dit-il, c’est par compassion pour les Autochtones « à qui on a tout pris ». Or, si le dramaturge admet avoir été naïf dans sa démarche, il l’explique par le fait qu’il a eu plusieurs collaborations avec les Autochtones dans le passé et qu’il pensait que cela l’autorisait à faire un tel projet.
Jouer à être l’Autre Autochtone dans le contexte d’une société coloniale de peuplement comme le Québec, et dans le contexte de l’ancien empire colonial français, n’est pas un geste apolitique. Cela a pour fonction de renouer avec l’invention occidentale de « l’Indien » (Vizenor 2018 :45) et, de manière plus large, s’inscrit dans un mouvement d’auto-autochtonisation qui traverse les sociétés coloniales de peuplement comme le Canada, l’Australie et les États-Unis (source). Par exemple, pour Shari Huhndorf, qui a analysé plusieurs productions culturelles aux États-Unis, on retrouve une fascination et des fantasmes coloniaux dans jouer à l’Indien, permettant de « devenir autochtone » afin d’arriver jusqu’au bout de la conquête (Huhndorf 2001). Les travaux majeurs de Philip J. Deloria montrent que « jouer à l’Indien » est une vieille pratique qui permet aux États-Uniens d’alimenter une certaine ambiguïté identitaire, « une performance de doubles identités » (Deloria 1999 : 34). De cette manière, la nouvelle identité créée, l’américaine, devenait à la fois « autochtone et européenne, mais qui n’était ni l’une ni l’autre » (idem). Dans le contexte québécois, Corrie Scott montre à partir d’une analyse littéraire comment la figure de « l’Indien » est centrale dans la construction de l’identité québécoise et, de par son antériorité aux Canadiens français, elle perturbe et dérange. Dès lors, le « désir métis », un élément tout aussi central dans cette identité, apparaît comme une voie fructueuse pour résoudre « le problème Indien » et se « l’accaparer » (Scott 2014).
Cette ambiguïté identitaire constitue une performance très utile dans le mythe du métissage. Elle conjugue un mouvement paradoxal ; celui qui lie « l’amour » des Autochtones avec leur évincement. Rayna Green souligne que les Européens aiment particulièrement ces performances, et que cela se fait aux dépens de la mort réelle et actuelle des « Indiens » :
Ainsi, nous devons examiner ce spectacle [jouer à l’Indien] et tous les aspects de sa forme artistique afin de comprendre les conséquences extraordinaires, historiques, culturelles, psychologiques et sociales, de son maintien en général, sur les Européens qui le chérissent, et sur les Américains les plus profondément affectés par le spectacle – le peuple appelé « Indiens ». En effet, j’insiste sur le fait de « jouer aux Indiens » par des non-Indiens dépend de la disparition physique et psychologique, voire de la mort, de véritables Indiens. Dans ce sens, la performance prétendument souvent réalisée par un amour déclaré et implicite pour les Indiens, est en réalité l’inverse d’un autre phénomène culturel bien connu, la « haine des Indiens », telle qu’elle s’exprime le plus souvent dans un autre genre de performance mortelle appelée ‘génocide’.
Green 1988 : 31, les guillemets sont dans le texte
Ce que Green nous aide à comprendre, c’est le procédé subtil par lequel se continue le génocide sur les Premiers Peuples, celui-là même que les artistes Autochtones dénoncent et perturbent par leurs pratiques esthétiques.
Dans le documentaire Lepage au Soleil : À l’origine de Kanata[10], les acteurs et actrices du Théâtre du Soleil sont invités à parler d’eux-mêmes à travers l’histoire des Autochtones. Ce documentaire a été filmé en grande partie à la Cartoucherie à Paris, où on en apprend aussi davantage sur les histoires personnelles des membres, dont certains sont des réfugiés, ou descendants de familles ayant survécu à des dictatures ou des persécutions. On suit aussi la troupe dans son voyage au Canada, où elle rencontre plusieurs Autochtones : des survivants des pensionnats, des Ainés et des artistes. On assiste également à certaines scènes des répétitions et les recommandations que fait Lepage à la troupe. Le documentaire offre plusieurs témoignages où les actrices et acteurs à la fois témoignent de la peine ressentie face à la violence coloniale que subissent les Autochtones et expriment leur sentiment de proximité avec ce vécu. On apprend que les acteurs afghans, irakiens, chiliens se reconnaissent dans la souffrance autochtone. Par exemple, un acteur afghan témoigne des points communs entre certains rituels autochtones et afghans et de l’attachement aux montagnes. Un acteur d’origine arménienne fait aussi référence aux points communs avec le génocide subi par son peuple. Finalement, peut-être que le seul parallèle qui s’inscrivait dans le même contexte sociohistorique est le commentaire d’une actrice chilienne qui voyait des liens avec le sort des Mapuches au Chili. C’est là tout l’objectif de Lepage, qui explique qu’« on se sert de leurs histoires [les Autochtones] pour parler de notre misère à nous, de nos combats à nous, de nos contradictions, de nos paradoxes, c’est important dans le projet ». Dans ce documentaire, Lepage fait aussi l’éloge du métissage et estime qu’on fait une erreur au Québec en parlant de « pure laine », qui ne serait que fiction. Selon lui, la grande richesse des peuples est le métissage. Cela dit, ce qui semble absent dans cet éloge romantisé du métissage ce sont les rapports de pouvoir et les violences coloniales, ainsi que la résistance et luttes des Autochtones contre la disparition. Cette romantisation se constitue comme une narration constante qui donne le potentiel à tout le monde de devenir Autochtone comme si c’était un geste banal et exotique, sans porter ses souffrances ni ses luttes, au nom de l’universalité de l’humanité :
L’idée maîtresse du Théâtre du Soleil est que le théâtre rassemble les humains au-delà de leurs différences. C’est pourquoi ces acteurs ne se considèrent pas comme Français ou Chinois ou Iraniens, mais comme des artistes sensibles à toutes les histoires et les cultures humaines. C’est pourquoi le Théâtre du Soleil s’est intéressé au Japon, à l’Inde, au Cambodge, entre autres, à travers de grandes formes artistiques, la plupart du temps venues de l’Orient. Alors quand Robert leur a parlé de la situation des Premières Nations du Canada et de ce que le pays leur avait fait subir, les Brésiliens et les Australiens ont reconnu ce qui se passait dans leur pays, les Afghans qui avaient fui les Talibans se retrouvaient dans cette histoire de répression, idem pour les Arméniens, et pour plusieurs autres. La situation des Autochtones du Canada s’élargissait et devenait la métaphore de la tragédie de la perte d’identité de tous les peuples.
Nadeau 2018
Universaliser l’expérience de la violence coloniale que subissent les Autochtones jusqu’à présent est une manière de la diluer, de lui enlever sa singularité, et surtout, d’effacer le colonialisme de peuplement et, par le fait même, les Autochtones. Mobiliser des comparaisons entre l’Afghanistan, l’Irak ou l’Arménie brouille les cartes et ne permet pas de saisir comment le colonialisme de peuplement opère et se distingue d’autres violences politiques. Cet effacement déguisé en un discours universel s’articule aussi comme une forme d’empathie dans la manière dont on se reconnaît dans l’Autre. Or, malgré l’élan de solidarité exprimé par ce discours qui voudrait que tout le monde puisse se reconnaître dans l’histoire autochtone, de nombreuses limitations politiques apparaissent. En devenant une métaphore, la condition autochtone se transforme en un site où tout le monde peut y poser ses bagages, y projeter ses propres récits, imaginaires et fictions. Il n’y a alors plus d’Autochtones, mais uniquement des « Indiens » joués par des « non-Indiens ». Si tout le monde est en mesure de prendre un bout de l’histoire autochtone, c’est une manière de déposséder l’Autochtone de ses propres subjectivités et luttes. C’est bien là ce que nous décrivait Rayna Green, jouer à « l’Indien » par des non-Autochtones, peu importe les intentions, c’est participer à la mort des Autochtones.
Dès lors, il ne suffit pas d’un ensemble d’énonciations de solidarité et d’affects (compassion, amour, admiration) pour sortir du paradigme colonial. C’est ce paradigme qui semble dans l’angle mort des positions de Lepage et de ses collaborateurs et qui se dégage de plusieurs de leurs déclarations. C’est aussi cela même qui se joue dans l’affirmation d’une forte proximité et d’empathie avec les Autochtones, comme en témoigne Nadeau :
Je suis très déçu de la situation, mais je n’ai pas baigné trois ans dans cette culture sans comprendre la colère légitime dont Kanata a fait les frais, et tout le processus de guérison dans lequel sont plongées les personnes des nations autochtones. Quelqu’un a dit : « Ils nous ont volé nos terres, ils nous ont volé nos ressources, ils nous ont volé nos enfants, maintenant, ils veulent voler nos larmes. » La formule est très forte. C’est vrai, tout leur a été volé, mais nous, les larmes, nous voulions les partager.
Nadeau 2018, je souligne
Les larmes « partagées » permettent ici un geste double : d’une part, de se confondre avec les Autochtones au point de les remplacer et de les posséder ; d’autre part, reposer la blanchité au centre. Se confondre dans les larmes des Autochtones, se « glisser dans la peau de l’Autre », partager sa peine, témoigne d’une volonté de rapprochement au point de « ressentir » et de devenir autochtone. On peut y lire le « désir métis », c’est à dire cette manière qu’ont les personnes blanches de se penser Autochtone, et qui, dans les faits, « consolide l’identité québécoise tout en assurant la déchéance amérindienne » (Scott 2014 : 112). Ici, partager les larmes est aussi une manière de s’approprier la lutte de l’Autre (Cornellier 2017) en dépolitisant les positions des colons et des Autochtones pour les rendre symétriques et interchangeables. Cette symétrisation a une fonction : assurer l’innocence blanche.
Innocence et ignorance blanches
Dans une critique de la pièce Kanata, le New York Times écrivait : « Dans « Kanata » de Robert Lepage, le réalisateur joue aussi le rôle de la victime. » (Cappelle 2018) C’est en effet ce qui se dégage de plusieurs déclarations des coproducteurs, qui, non seulement ignorent leur blanchité, mais prennent aussi position comme défenseurs de la liberté de création, que la résurgence Autochtone semble « menacer ». Cela s’est également reflété dans la nouvelle version de la pièce, présentée en France, où un nouveau personnage, une artiste française, s’interroge sur sa liberté artistique, à savoir si elle peut peindre des portraits de femmes Autochtones. Selon le critique d’art Guy Sioui, « [c]’est comme si, en mettant la controverse dans le théâtre, Lepage et le théâtre se posent en victimes, à travers les victimes que sont ces femmes assassinées et disparues » (Valiante 2018).
Si Lepage et ses collaborateurs ne disaient cependant pas ignorer le colonialisme et affirmaient comprendre les demandes des Autochtones, ils se pensaient néanmoins à l’extérieur du paradigme colonial, et revendiquaient du même souffle une position d’innocence dépolitisée, au point de se penser comme des victimes des critiques autochtones.
Plusieurs travaux, dont ceux de Charles Mills, ont montré que l’innocence blanche est liée à l’ignorance et n’est pas un hasard, mais plutôt une production active et organisée. Cette innocence soutient une narration blanche sur la nation, elle structure les enjeux de la mémoire et de l’imaginaire collectifs (Burelle 2019 ; Cornellier 2010, 2015 ; Larochelle et Hubert 2019), et du révisionnisme historique (Leroux 2019). L’ignorance blanche est une action stratégique et structurelle dans la construction politique de l’identité blanche (Bailey 2007 : 80). L’innocence comme narration nationale maintient un paradoxe qui se réactualise par différentes techniques et dont les productions culturelles sont un élément essentiel. Ce paradoxe est décrit par Gloria Wekker (2016) comme suit : la nation se présente comme inoffensive, fragile et menacée (par les migrants, les réfugiés, les personnes racisées). Elle projette l’image d’un espace sécuritaire, incapable de racisme et de violence, tout en maintenant les privilèges de la blanchité (ibid. : 16-17).
Ce paradoxe se maintient par l’ignorance épistémique qui, suivant Mills, est rendue possible, car « une épistémologie blanche de l’ignorance l’a protégée contre les dangers d’une éclairante noirceur [Blackness] ou d'une autochtonie, protégeant ceux qui, pour des raisons ‘raciales’, ont décidé de ne pas savoir » (Mills 2007 : 35). C’est ce que montrent les historiens Catherine Larochelle et Ollivier Hubert (2019), qui soutiennent qu’il existe un imaginaire social, soutenu par une production académique, qui présente le colonialisme comme une domination uniquement britannique, où le Québec serait « une nation colonisée ou hostile au colonialisme » (Larochelle et Hubert 2019 : 11). Dans cette narration se dessine alors une histoire nationale qui, au mieux, reconnaît, mais minimise, le colonialisme de la culture nationale, et au pire, fait et du négationnisme et du déni colonial (Gettler 2016). L’un des procédés utilisés revient notamment à soutenir l’idée qu’il aurait existé une relation « particulière » entre les Canadiens français et les Autochtones qui se distinguerait de celles établies par l’Empire britannique. Cette relation serait « positive », celle des échanges et de la solidarité, mais jamais de la dépossession, de la violence ou de l’extractivisme colonial. Ce procédé est important, car il permet, dans le passage de la nation canadienne-française vers la nation québécoise, un renversement et un effacement de l’impérialisme et du colonialisme dans le récit national à partir de la Révolution tranquille, c’est-à-dire que « l’imaginaire colonisateur et impérialiste des Canadiens français du Québec, banal au xixe siècle, est devenu au siècle suivant un imaginaire de colonisés » (Larochelle et Hubert 2019 : 15). Ce reversement permet l’effacement des Autochtones et du colonialisme français et présente le Québec comme minorité colonisée par le Canada « anglo » (Burelle : 2019 : 13). C’est ce que Julie Burelle caractérise comme « l’ambivalence stratégique à l’égard du colonialisme de peuplement » (2019 : 13), où les colons québécois « pure laine », c’est-à-dire les héritiers blancs francophones de la Nouvelle-France, se considèrent comme les « natifs ». Par exemple, bien que Nadeau et Lepage aient témoigné à plusieurs reprises de leur sensibilité face aux vécus des Autochtones, cela se fait sans reconnaître leur position dans la cartographie coloniale. Autrement dit, leur subjectivation de Québécois blancs francophones ne semble pas être une positionnalité qu’ils reconnaissaient comme étant la leur, ce qui a pour effet d’ignorer les enjeux de pouvoir produits par le colonialisme. Au contraire, leurs propos témoignent plutôt d’une volonté de partager la souffrance autochtone en adoptant une compréhension symétrique des enjeux de pouvoir. Comme le souligne Nadeau dans une déclaration écrite :
Je trouve dommage qu’on n’ait pas vu en nous, et [en] toute l’équipe, des alliés, des artistes qui tentent de faire la lumière sur une situation tragique auprès de leurs publics respectifs, au-delà de nos appartenances réciproques, ce qui est une des missions de l’art. Je trouve dommage qu’on ait fait de nous des « Blancs » (…).
Nadeau 2018
Kanata apparaît alors comme une porte de sortie de la blanchité, une stratégie caractéristique de la « mythologie du métissage » permettant « le mouvement des colons vers l’innocence » (Tuck et Yang 2012). Ce mouvement est une manière de lutter contre la culpabilité blanche que peuvent éprouver les bénéficiaires du colonialisme où différentes stratégies sont alors à l’oeuvre pour « soulager les colons de leurs sentiments de culpabilité ou de responsabilité sans renoncer à la terre, au pouvoir ou aux privilèges, sans devoir changer quoi que ce soit » (ibid. : 10). C’est ainsi que se déploie le paradoxe théorisé par Wekker : c’est-à-dire s’autoproclamer comme alliés des luttes des Autochtones tout en étant aveugles à sa blanchité. Ce déni de sa blanchité coloniale est un enjeu majeur au Québec, comme le montre Corrie Scott, où la notion de Québécois « de souche » permet d’occulter les privilèges de race et les responsabilités historiques dans la violence coloniale envers les Autochtones. Elle explique que c’est cela même qui transparaît du célèbre livre N**** blancs d’Amérique de Pierre Vallières. Or, l’identification aux colonisés et aux opprimés « finit par camoufler la blancheur des ‘souches’ québécoises, une blancheur normalisée et invisibilisée ironiquement par la mise en relief d’une identité québécoise marginale » (Scott 2014 : 216). De plus, dans un contexte où il y a au Québec des efforts soutenus tant de la part de l’État que des forces politiques nationalistes visant à « rappeler à nos consciences contemporaines l’indemnité du Québec moderne devant l’histoire de la colonie de peuplement » (Cornellier 2015 : 78), cela empêche les possibilités de solidarité avec les peuples Autochtones.
La résurgence du sujet transatlantique franco-québécois
Mnouchkine et Lepage partagent une conception humaniste du théâtre et de la liberté artistique, niant ainsi les rapports de pouvoir coloniaux, et cette position est maintenue malgré toutes les critiques de la part des Autochtones. Pour eux, travailler avec les artistes Autochtones ne pouvait se faire que selon les conditions et les termes que les dramaturges avaient choisis : les règles de fonctionnement du Théâtre du Soleil, et plus tard, les lois de la République française. Autrement dit, les Autochtones avaient l’injonction de suivre les règles, ou encore d’accepter une autre « proposition » qui convenait à Mnouchkine et Lepage. C’est ainsi que le Théâtre du Soleil se positionnait :
Ne s’estimant assujetti qu’aux seules lois de la République votées par les représentants élus du peuple français et n’ayant pas, en l’occurrence, de raison de contester ces lois ou de revendiquer leur modification, n’étant donc pas obligé juridiquement ni surtout moralement de se soumettre à d’autres injonctions, même sincères, et encore moins de céder aux tentatives d’intimidation idéologique en forme d’articles culpabilisants, ou d’imprécations accusatrices, le plus souvent anonymes, sur les réseaux sociaux, le Théâtre du Soleil a décidé, en accord avec Robert Lepage, de poursuivre avec lui la création de leur spectacle et de le présenter au public aux dates prévues, sous le titre Kanata – Épisode I – La Controverse.
Théâtre du Soleil : 5 septembre 2018
Malgré le refus de plusieurs membres des nations des Premiers Peuples, la pièce continue de se produire, et la République française y est célébrée comme une protection de la liberté artistique contre « l’Indien », imaginé comme une menace. C’est cela même qui caractérise la « rencontre impériale » : elle énonce la supériorité morale et culturelle de la position du dominant, face à un peuple « indigène » à qui il faut expliquer les valeurs civilisationnelles comme la liberté (Saïd 2008 [1993]). C’est le coeur de la critique d’Edward Saïd, qui montre comment l’impérialisme et le colonialisme sont davantage que des entreprises de possession ; ils sont aussi une entreprise de domination où jouer à l’Autre participe à le définir à sa place et donc à le dominer. Ils produisent « un engagement toujours renouvelé, qui, d’une part, permettait à des hommes et des femmes dotées d’un sens moral d’accepter l’idée qu’il fallait assujettir les territoires lointains et leurs peuples indigènes » (ibid. : 46-47). Ce droit que s’octroient les dramaturges de faire jouer la pièce, malgré tout, trahit un sentiment de « droit de posséder », « [c]’est que l’entreprise impériale repose sur l’idée d’avoir un empire » (ibid. : 46). C’est ce droit de posséder l’Autre, un réflexe propre au colonialisme et à l’impérialisme, qui est invoqué pour représenter des Autochtones contre leur gré, au nom de certains idéaux et lois de la République française.
D’autre part, invoquer les lois de la République française contre les Autochtones comme le fait le Théâtre du Soleil peut être lu aussi comme un attachement à ce que représente la République comme projet racial et colonial. C’est ce qui fait dire à l’acteur Wendat Charles Bender[11] que cela s’apparente au procédé du Requerimento[12], où « la lecture du document fournissait une justification suffisante pour la dépossession des terres et l’asservissement immédiat des peuples autochtones » (Carrey-Web 1992 : 9, cité dans Mills 2007 : 23). Invoquer des codes de loi européens pour soutenir la production de Kanata et faire taire les critiques autochtones comme le fait Mnouchkine correspond à la même logique coloniale que l’usage du Requerimento par les colons européens pour la conquête des Amériques. En soutenant un argument circulaire qui s’autoréférence, le Théâtre du Soleil tente de réaffirmer une supériorité coloniale. Il faut y voir une symbolique forte de la résurgence d’un appareillage colonial qui stipule la supériorité de la France (la République, l’universalisme, la civilisation) face aux peuples « indigènes », colonisés.
Du même coup, les dramaturges et le Théâtre du Soleil se positionnent en porte-à-faux face aux nombreuses luttes artistiques antiracistes et décoloniales qui sont menées en ce moment en France, et qui questionnent les politiques de représentation et les enjeux de pouvoir de race dans les productions culturelles. C’est le cas par exemple de l’association « Décoloniser les arts », dont les membres ont été solidaires avec les artistes Autochtones[13]. La France est également fortement critiquée pour sa non-reconnaissance de ses responsabilités dans les violences coloniales, et où on assiste dangereusement à la célébration des « bienfaits » de la colonisation (Slaouti et Le Cour Grandmaison 2020 : 15-16).
Finalement, c’est la colonialité, comme matrice de la modernité européenne, qui permet de faire jouer Kanata en Europe (puisqu’il y a eu toute une tournée européenne). Selon Lepage, comme le spectacle se déroulait en France, le contexte politique se prêtait à une telle performance :
Je comprends leur point de vue, « Nothing about us without us » (« rien sur nous sans nous »), parce que leur culture a été trop longtemps filtrée par une vision colonisatrice qui ne leur laissait aucune place. Mais pour Kanata, le contexte est différent : on est en France, je travaille avec les acteurs du Théâtre du Soleil, dont je sens que ce qui les intéresse le plus, dans l’histoire du Canada, c’est la question autochtone.
Salino 2018, je souligne
Jouer la pièce en France offre les conditions politiques pour jouer à l’Indien sans être inquiétés. Ce qui est en jeu est la fonction coloniale de cette performance, jouer à l’Indien pour réaffirmer la modernité coloniale européenne, tout en retournant physiquement et symboliquement en Europe comme lieu de refuge de la colonialité. Comme le rappelait Rayna Green, jouer « l’Indien » est une stratégie essentielle dans le projet colonial qui permet de s’enraciner en Amérique (Green 1988 : 30) et de se distinguer de l’Europe. Cette stratégie est utilisée depuis le début de la colonisation, où « les Européens ont jugé utile, voire essentiel, de ‘jouer aux Indiens’ en Amérique, d’exiger des peuples autochtones qu’ils ‘jouent aux Indiens’ et d’exporter ces performances en Europe, où elles se développent encore aujourd’hui » (idem). Le rôle de Kanata – Épisode I — La Controverse est donc double : enraciner le Québec sur le territoire autochtone, tout en l’inscrivant dans la modernité coloniale européenne. Autrement dit, les productions culturelles et artistiques deviennent un espace propice pour réaffirmer la proximité coloniale France-Québec. C’est aussi le constat de Melissa Templeton (2019), qui a analysé le cadrage colonial coconstruit entre le Québec, la France et l’Europe, face à l’art et aux danses africaines, dans le cadre du Festival international de danse à Montréal. Cet espace artistique, où l’Afrique y est un objet exotique et « primitif », permet de glorifier la culture coloniale européenne, et de lier les productions culturelles du Québec à celles de la France et de l’Europe (ibid. 13).
C’est aussi ce que donne à voir l’analyse de Darryl Leroux des célébrations du 400e anniversaire de la ville de Québec qui utilise les travaux de Bill Marshall sur « l’Atlantique français » et Paul Gilroy sur « l’Atlantique Noir ». Il montre comment le colonialisme redevient cet espace liant le Québec et la France, en effaçant du même coup la violence de la traite transatlantique des esclaves et du génocide des peuples Autochtones (Leroux 2011 : 384). La figure du sujet transatlantique franco-québécois apparaît alors non seulement comme une « cartographie d’origine » comme le suggère Leroux, mais elle agit aussi comme un véhicule d’appareillage colonial toujours opérationnel au Québec. La résurgence de ce sujet montre comment les réflexes coloniaux s’entretiennent et circulent dans « l’Atlantique français », et cela nous ramène à cette idée forte que « le colonialisme de peuplement est une structure, et non un événement » (Wolfe 2006 : 390).
Conclusion
Si le théâtre, qui a existé dans différents espaces culturels et sous différentes formes, est souvent célébré, ses visées et ses impacts politiques ne sont pas toujours inoffensifs. Le théâtre peut aussi être violence lorsqu’il est « écrit pour plaire au Prince [14] » (Martelly 2021). Ce qui semble particulièrement troublant dans les affaires SLĀV et Kanata est que tout se passe comme si les communautés Noires et les peuples Autochtones étaient inaudibles. Pourtant, c’est au coeur de leurs savoirs, de leurs histoires, de leurs chants de résistance, de leurs luttes, que les producteurs de ces pièces ont puisé leurs inspirations. La production de Kanata devient alors non pas le récit du colonialisme, mais plutôt celui de l’innocence blanche qui met de l’avant le mythe du métissage. Elle permet de maintenir la visée du projet colonial, qui, pour reprendre la célèbre expression de Patrick Wolfe, « détruit pour remplacer » (Wolfe 2006 : 388). Mais le colonialisme de peuplement est faillible et c’est là toute la puissance de la résurgence autochtone et de la lutte pour la libération des Noirs qui n’ont de cesse de nous montrer que le seul horizon possible de toute revendication pour la liberté de création, artistique, d’expression ou autres, est la dignité.
Appendices
Note biographique
Leila Benhadjoudja est professeure agrégée à l’institut d’études féministes et de genre et à l’École d’études sociologiques et anthropologiques de l’Université d’Ottawa. Ses intérêts de recherche portent sur le racisme, l’islamophobie et la colonialité. lbenhadj@uottawa.ca
Notes
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[1]
Bien que cela dépasse l’objectif de cet article, il est nécessaire de croiser une analyse des pièces SLĀV et Kanata à partir d’une perspective critique du colonialisme de peuplement et de considérer le traitement qui y est fait des corps des personnes Noires et des Autochtones, dans les pièces et à l’extérieur de celles-ci. Les deux altérités sont fondamentales dans la narration d’innocence blanche, où, comme le montrent plusieurs, dont Charles Mills, la modernité raciale construit la blanchité en hiérarchisant et en opposant blancs et non-blancs.
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[2]
Une pétition importante a alors circulé où plusieurs demandes ont été articulées pour lutter contre le racisme dans le milieu culturel et dans la société. Voir : <https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLSd7L0DB4ymb6vJ1Uz9DA_Utd0vf5NX9H64eb0jYj2E34KGTog/viewform>.
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[3]
Le Collectif était notamment composé des artistes Lucas Charlie Rose, Harris, Ricardo Lamour, Elena Stoodley, et Po BK Lomami.
-
[4]
La production comptait deux choristes Noires seulement ; Betty Bonifassi interprétait Harriet Tubman.
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[5]
Le FJM déclarait que l’annulation ne faisait pas suite à l’appropriation culturelle, mais plutôt au désistement de Bonifassi pour des raisons de santé.
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[6]
Exceptionnellement, le Conseil des Arts du Canada avait émis un communiqué à la suite de la polémique : <https://conseildesarts.ca/medias/2018/08/mise-au-point>.
-
[7]
Les signataires étaient principalement des artistes, dont : Kateri Aubin-Dubois, Carole Charbonneau, Maya Cousineau Mollen, Yvon Dubé, André Dudemaine, Dave Jeniss, Maïtée Labrecque-Saganash, Yvette Mollen, Caroline Monnet, Émilie Monnet, Nakuset, Caroline Nepton Hotte, Kim O’Bomsawin, Cyndy Wylde, Kevin Loring, Yves Sioui Durand, Catherine Joncas et plusieurs autres. Des personnes alliées non Autochtones ont également cosigné la lettre.
-
[8]
En revanche, ils proposaient une réparation qui consistait à proposer aux artistes Autochtones de jouer leurs pièces à la Cartoucherie à Paris.
-
[9]
Cette posture n’est pas nouvelle dans le travail de Lepage, et cela lui a déjà valu des critiques dans le passé. Alors que l’Autre est un élément central dans ses créations, il est mobilisé comme métaphore afin de se comprendre soi-même (Fricker 2008 : 86), ce qui constitue une entreprise très risquée en matière de reproduction de clichés et d’appropriation des Autres.
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[10]
Ce documentaire autour du processus de production de la pièce Kanata a été réalisé par Hélène Choquette et tourné entre août 2016 et février 2018, avant même que la controverse ne commence.
-
[11]
Voir son entrevue dans Espaces autochtones : <https://www.primary-colours.ca/projects/93-espaces-autochtones-en-direct-l-appropriation-culturelle?locale=fr>.
-
[12]
Le Requerimiento est un document colonial du xvie siècle qui stipule la supériorité de la chrétienté, et qui servait comme justification légale à la violence de la conquête. Selon l’historien Mark Cartwrightt (2022), le Requerimientoci, qu’il qualifie d’absurde, servait à donner bonne conscience aux colonisateurs.
-
[13]
D’ailleurs, l’association a invité Maya Cousineau-Mollen et Kim O’Bomsawin à Paris pour que celles-ci donnent une conférence et présentent les luttes Autochtones.
-
[14]
C’est dans ces termes que l’écrivaine Stéphane Martelly décrit par exemple la pièce Fredy, une pièce intreprétée à Montréal, malgré l’objection de la mère, qui a perdu son fils sous les balles d’un policier.
Références
- Bailey, Alison. 2007. « Strategic Ignorance ». Dans Race and Epistemologies of Ignorance. Sous la direction de Shannon Sullivan et Nancy Tuana, 7794. Albany : State University of New York Press.
- Burelle, Julie. 2019. Encounters on Contested Lands: Indigenous Performances of Sovereignty and Nationhood in Québec. Performance Works. Evanston, Illinois : Northwestern University Press.
- Caillou, Annabelle. 2018. « Robert Lepage déplore le ‘muselage’ de ‘SLĀV’ ». Le Devoir, 7 juillet. https://www.ledevoir.com/culture/theatre/531876/robert-lepage-reagit-a-l-annulation-de-slav.
- Cartwright, Mark. 2022. « Spanish Requirement ». World History Encyclopedia. Consulté le 12 décembre 2023. https://www.worldhistory.org/Spanish_Requirement/.
- Cappelle, Laura. 2018. « Review: In Robert Lepage’s ‘Kanata,’ the Director, Too, Plays the Victim ». The New York Times, 17 décembre. https://www.nytimes.com/2018/12/17/theater/robert-lepage-kanata-review.html.
- Choquette, Hélène. 2019. Lepage au Soleil : À l’origine de Kanata. Filmoption International, Québec, 94 min.
- Couture, Philippe. 2018. « À Paris, ‘Kanata’ agite le drame des femmes autochtones disparues ». Le Devoir. 17 décembre. https://www.ledevoir.com/culture/theatre/543744/a-paris-kanata-agite-le-drame-des-femmes-autochtones-disparues.
- Cornellier, Bruno. 2010. « JE ME SOUVIENS (MAINTENANT): altérité, indianité. Et mémoire collective ». Canadian journal of film studies 19(2) : 99-127.
- Cornellier, Bruno. 2015. La « chose indienne »: cinéma et politiques de la représentation autochtone au Québec et au Canada. Études culturelles. Montréal : Nota bene.
- Cornellier, Bruno. 2017. « The Struggle of Others: Pierre Vallières, Quebecois Settler Nationalism, and the N-Word Today ». Discourse (Berkeley, Calif.) 39(1) : 31-66.
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