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Le droit fondamental de la personne humaine à un logement convenable est le droit de tout homme, femme, jeune et enfant d’obtenir et de conserver un logement sûr dans une communauté où il puisse vivre en paix et dans la dignité.

Rapporteur spécial, Nations unies

Le 17 juillet 2019, Leilani Farha, rapporteuse spéciale sur le logement, transmettait à l’Assemblée générale des Nations unies un rapport accablant sur le racisme systémique touchant la situation des Autochtones au Canada dans lequel on affirme sans ambages : « Les peuples autochtones sont victimes de discrimination pour tous les aspects du droit au logement. Il s’agit là d’un legs colonial qui persiste, la dépossession des terres, des territoires et des ressources, la marginalisation et l’exclusion, qui sont fondées sur des notions intrinsèquement discriminatoires à l’égard des peuples autochtones » (Farha 2019 : 9). Dans son rapport périodique portant sur la situation du logement (2015), le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones reconnait, lui aussi, l’état de crise qui perdure tout en insistant, du même coup, sur le fait que les conditions de logement varient de façon significative d’une communauté autochtone à l’autre à travers le pays.

Depuis plusieurs décennies, la précarité du logement est dénoncée par les leaders autochtones. À l’automne 1974, la caravane des peuples autochtones signale la mauvaise qualité du logement en milieux autochtones et l’urgence à investir massivement dans ce secteur. Au cours des années 1970, diverses initiatives autochtones sont mises en branle dans le but de pallier la surpopulation des logements, l’absence de contrôle autochtone sur la production du bâti et la discrimination raciale en milieu urbain. Citons, à titre d’exemple, la création en 1971 par trois entrepreneurs métis − Herb Belcourt, Orval Belcourt et Georges Brosseau − de la société de logement Canative à Edmonton (Kermoal 2017). En Abitibi-Témiscamingue, la création en 1972 de la Corporation Waskahegen par l’Alliance autochtone du Québec entend répondre aux besoins criants de logements adéquats à prix modiques pour les personnes autochtones vivant hors réserves (Beaulieu 2010 ; Brisson et Girard 2018 : chap. 4). Pensons aussi au Projet Nunaturliq mené au Nunavik pour l’élaboration de résidences construites avec des matériaux locaux et l’énergie solaire et éolienne (Saladin d’Anglure 1973 ; Baillargeon 1975 ; Brière et Laugrand 2017).

Au milieu des années 1970, un autre projet méconnu, certes moins ambitieux, mais non moins unique, est mis en chantier sur le site du collège Manitou/Manitou community college, situé à La Macaza (Québec) à quelque 170 km au nord de Montréal. Intitulé : « Appropriate Energy and Building Systems for Housing/Quebec Indian Communities » (Systèmes de chauffage et de construction appropriés pour l’habitat résidentiel/Communautés indiennes du Québec), ce projet expérimental, auquel collabore l’architecte innu Guy Courtois, est dirigé par Brian McCloskey, professeur en architecture à l’Université McGill et Tom Lawand, directeur des opérations au Brace Research Institute. Dans un contexte géopolitique marqué par la crise pétrolière qui éclate à l’automne 1973, ce projet de construction résidentielle à énergie solaire participe d’une approche fondée sur la recherche de nouveaux modes de consommation d’énergie renouvelable. Il se veut, en outre, une solution à la précarité du logement autochtone. Face à cette double crise, de l’énergie et du logement autochtone, le projet que mènent McCloskey et Lawand entend réaliser des prototypes solaires adaptés à la spécificité culturelle de communautés autochtones ciblées et aux caractéristiques géographiques et climatiques de trois grandes régions : la Baie-James, la Côte-Nord et la région plus au sud du Québec.

Telle que présentée par le Brace Institute à George Miller, directeur du collège Manitou, la construction de prototypes solaires sur le campus devait satisfaire certains objectifs d’insertion sociale et de formation aux métiers du bâtiment, justifiant ainsi son implantation à La Macaza. Occupant les locaux de l’ancienne base militaire de missiles BOMARC, le collège Manitou, seule institution autochtone bilingue d’enseignement supérieur dans l’est du pays, accueillait une population étudiante venue du Québec, du Canada et des États-Unis. Outre les profils artistiques, professionnels et préuniversitaires, les axes programmatiques du Collège prévoyaient l’apprentissage de techniques et de métiers ciblés, aptes à répondre aux besoins spécifiques des communautés autochtones. L’acquisition de compétences et de savoir-faire dans le domaine de la construction résidentielle répondait justement à un besoin criant. On peut penser que la nature expérimentale du projet s’inscrivait de façon cohérente avec les ambitions de recherche du collège Manitou. En effet, bien que ses programmes d’enseignement étaient accrédités par des cégeps − le collège Dawson dès 1973 et le cégep Ahuntsic à partir de 1974 −, la direction envisageait dès le lendemain de la création de Manitou, le développement de programmes de recherche et d’enseignement de niveau universitaire. Son programme de formation des maîtres autochtones, le programme d’« Amérindianisation », était par ailleurs accrédité par l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAT).

État de la littérature

Les projets expérimentaux qui nous intéressent dans cet article ont fait l’objet de nombreuses études, dont plusieurs, par des acteurs directement impliqués dans la conception et la construction des prototypes. Déjà en 1975, Brian McCloskey publiait dans la présente revue un article décrivant les caractéristiques architecturales et techniques des quatre prototypes prévus. L’article, illustré de plans, de coupes et de vues de maquettes pour chacune des maisons, montre l’état de leur conception à la veille de ce qui devait être leur mise en chantier. Cet article sera suivi entre 1977 et 1980 par quatre mémoires de maîtrise abordant tour à tour le projet pour en évaluer exclusivement la performance thermique[1]. Tout d’abord celui de Blair Hamilton de l’Université McGill qui, à titre d’architecte, de chercheur, et bientôt de directeur adjoint du projet, collabore à la conception et à la réalisation de la maison « Côte-Nord », le seul des quatre prototypes initialement envisagés à avoir été édifié[2]. Son mémoire s’appuie sur des résultats d’observation recueillis entre décembre 1975 et mai 1976 grâce à des instruments de mesure. En 1978, Richard Gordon Kerr (Université Concordia) poursuit les observations sur la période allant du 1er octobre 1976 au 31 mars 1977, soit au moment où la maison est habitée par des membres de la communauté de Manitou, et conclut à l’efficacité du système et à la satisfaction générale de ses occupants. La même année parait l’étude comparative de Garo Kevorkov (Université McGill, 1978) analysant quinze maisons solaires, dont les quatre prototypes qui nous intéressent. Il y démontre la faisabilité et l’efficacité des constructions résidentielles à l’énergie solaire adaptées aux conditions climatiques canadiennes. Enfin, Andrew Yager (Université Concordia, 1980) poursuit également les études de performance du système pour la période 1978-1979, après la fermeture du Collège et à la suite d’ajustements recommandés par Kerr.

À bon droit, ces études se sont intéressées exclusivement à la question de la performance thermique, en particulier celle du seul prototype édifié, à savoir la maison « Côte-Nord ». Or, depuis quelques années, la multiplication des recherches réalisées sur le logement en milieux autochtones ou sur l’histoire de l’architecte solaire au xxe siècle justifie, selon nous, de réactualiser les pièces du dossier Manitou. En effet, sans négliger la question incontournable du rendement thermique, les travaux récents nous invitent à écouter différemment les projets de logements portés par des allochtones agissant en milieux autochtones, tout particulièrement lorsqu’ils sont animés par un discours d’optimisation technique. Nous tenterons donc dans cette étude d’aborder le projet Manitou en tenant compte aussi des questions qu’il suscite du point de vue culturel, politique et architectural. Prenant appui sur des sources primaires inédites provenant des archives du collège Manitou, mais aussi sur des entrevues récentes menées par Edith-Anne Pageot avec l’architecte innu Guy Courtois, concepteur du prototype « Côte-Nord », cet article présentera tout d’abord la genèse de ce projet expérimental. Puis, à partir de l’étude des différentes phases d’élaboration et de réalisation du chantier, il évaluera l’originalité du projet en mesurant le degré d’adéquation entre les objectifs énoncés et les prototypes.

Genèse du projet

L’idée initiale de ce projet surgit dans la foulée de l’enquête sur le logement menée par l’Association des Indiens du Québec auprès de ses membres. Rappelons que les années 1960 sont un moment charnière dans la mobilisation des forces politiques autochtones. Au cours de cette période, plusieurs groupes se dotent de structures organisationnelles et juridiques. La question du logement en milieux autochtones préoccupe de façon prioritaire les leaders autochtones. L’Association des Indiens du Québec, fondée en 1965, confie au géographe Georges Bacon la compilation de données pour faire un état des lieux sur la question. Treize réserves du Québec et divers organismes autochtones sont consultés au cours de l’année 1973. On constate, sans surprise, la piètre qualité des conditions d’habitation et l’absence de mécanismes pouvant assurer l’autodétermination des Autochtones dans la gestion du logement. On estime alors que les montants consentis pour rendre les habitations autochtones conformes aux normes canadiennes correspondent finalement à une « politique de rapiéçage » (Lefebvre 1975 : 24). On note, de plus, que la tutelle du Département des affaires indiennes entraîne des blocages juridiques qui rendent peu accessibles les programmes mis en place par la Société d’habitation du Québec et par la Société canadienne d’hypothèques et de logement. L’Alliance laurentienne des Métis et Indiens sans statut conclut, quant à elle, que « les Métis du Québec ont les pires conditions de logement de la Province » (Chalifoux 1975 : 71).

Dans ce contexte, le projet « Appropriate Energy and Building Systems for Housing/ Quebec Indian Communities » entend proposer des éléments de solution à la crise. Aussi, McCloskey tisse des liens avec les interlocuteurs autochtones de la province. Ce serait d’abord par l’entremise d’un étudiant – fort probablement Blair Hamilton – que McCloskey serait entré en contact pour la première fois avec les membres de l’Association des Indiens du Québec qui se sont montrés favorables à la construction de prototypes sur le site du collège Manitou (McCloskey 1975 : 26). Or, l’Association des Indiens du Québec joue un rôle de levier politique important dans la création du collège Manitou en participant à sa gouvernance puisqu’un siège est réservé à un de ses représentants. Philip Awashish (l’un des négociateurs en chef représentant la Nation crie d’Eeyou Istchee dans le processus qui mènera en 1975 à la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois) et le Grand Conseil des Cris (GCC) souscrivent eux aussi à cette idée de construction d’un prototype dans leur communauté.

Forts de ces appuis, Brian McCloskey et Tom Lawand soumettent leur projet au Programme canadien d’innovation urbaine le 30 novembre 1974. Ce programme avait été mis sur pied par l’éphémère[3] ministère d’État chargé des Affaires urbaines. McCloskey et Lawand bénéficient des enveloppes budgétaires réservées à l’innovation au sein de ce ministère. Outre les Affaires urbaines, McCloskey et Lawand sollicitent, et obtiennent, le soutien financier de la fondation Donner qui leur octroie une subvention de 62 100 $ pour un budget total estimé à 167 270 00 $ (BAC 1971-1976 : 5). Le bureau régional de Québec du Département des affaires indiennes et du Nord contribue également au financement du projet, pour retenir notamment les services de l’architecte innu Guy Courtois. Enfin, le Conseil de bande de Mistassini [sic] (Conseil de bande de la Nation crie de Mistissini) participe au financement d’un prototype qui devait être construit pour Philip et Anne Awashish en terre crie.

Le projet devait satisfaire six grands objectifs : être fidèle aux aspirations de la Fraternité des Indiens ; promouvoir le contrôle autochtone sur le bâti ; encourager le recours aux matériaux locaux et donc, réduire les coûts de construction ; renforcer les savoirs traditionnels autochtones jugés respectueux de l’environnement naturel ; faire de ce chantier une occasion de formation pour les apprentis constructeurs autochtones ; et, enfin, servir de fer de lance pour l’établissement au collège Manitou d’un programme de logement.

On prévoyait un processus de consultation auprès de différentes communautés autochtones. Une équipe devait, en effet, faire un premier voyage de consultations en décembre 1974 et se rendre à « Pointe Bleue » (Mashteuiatsh), « Manouan » (Manawan), « Obedjuan » (Obedjiwan), poste de « Mistassini » (Mistissini). Deux autres visites de validation, en janvier et février 1975 respectivement, étaient prévues au cahier de charges. L’état parcellaire des archives ne permet pas de confirmer que toutes ces visites de consultation ont eu lieu. Aux dires de Hamilton, le processus de consultation aurait, au moins, influencé la conception de la distribution intérieure de la maison « Côte-Nord » qui fut, semble-t-il, le résultat d’une synthèse des commentaires recueillis lors des visites dans les réserves : soit des chambres et des espaces d’entreposage spacieux et une centralité accordée à la cuisine (Hamilton 1977 : 4).

Le collège Manitou était un lieu de rencontres pour plusieurs groupes autochtones, les promoteurs prévoyaient donc profiter de cette affluence pour présenter les maquettes à d’autres interlocuteurs autochtones. L’Office national du film avait consenti son soutien à Buckley Petawabano, professeur de photographie au Collège, afin qu’il puisse filmer le processus d’implantation du projet sur le campus. Morley Loon, qui travaillait aux presses du Collège, Thunderbird Press, devait quant à lui, réaliser un rapport qui aurait été distribué aux communautés autochtones à travers tout le pays. Le Collège fermant ses portes intempestivement en décembre 1976, ces projets de documentation n’ont sans doute pas été terminés, voire réalisés. Quoi qu’il en soit, ils n’ont pas été retrouvés.

Les prototypes

L’évolution du design des quatre prototypes est documentée par d’abondantes sources visuelles qui en facilitent l’analyse. Soit, tout d’abord, une série d’esquisses conceptuelles réalisées en septembre-novembre 1974 au commencement du projet. Puis, un ensemble abouti de plans et de coupes datant du printemps 1975. Enfin, une série de photographies de la maison « Côte-Nord ».

Septembre-novembre 1974 : les esquisses conceptuelles

Les premières idées pour les quatre prototypes apparaissent dans un ensemble de onze esquisses datées de l’automne 1974, intitulées Prototype design development. Cet ensemble fait figure d’exercice d’idéation général, mais sans que les dessins ne soient pensés en fonction d’une communauté en particulier. Ainsi, la série débute par un dessin montrant une maison en bois rond assemblée par empilage et stabilisée par des poteaux ancrés dans le sol (fig. 1). Représentée suivant une coupe nord-sud, la maison est d’un seul niveau avec un vide sanitaire sous la partie centrale. Un poêle à bois fait office de surface de cuisson et de système de chauffage. On note la présence de tuyaux circulant dans le vide sanitaire et distribuant la chaleur dans les pièces. L’absence de tout système de chauffage solaire, passif ou actif[4], laisse deviner qu’il s’agit là d’une interprétation d’un logement autochtone traditionnel. De toute évidence, c’est une adaptation d’un camp de chasse des communautés cries dont la construction est présentée dans le documentaire Cree Hunters of Mistassini de Boyce Richardson et Tony Ianzelo (1974), une source explicitement mentionnée dans l’énoncé du projet. Les rapprochements sont trop nombreux entre les images du documentaire et l’esquisse pour ne pas voir dans les unes, les sources de l’autre (fig. 2). Outre la technique de construction, c’est le versant nord de la toiture dans la continuation d’un talus de terre avec lequel il se confond, et le tout couvert de neige, qui est directement repris d’une séquence du documentaire.

Figure 1

Logement autochtone traditionnel hors réserve, coupe conceptuelle, septembre-novembre 1974

Logement autochtone traditionnel hors réserve, coupe conceptuelle, septembre-novembre 1974
(Bibliothèque et Archives Canada (BAC)/RG-10 1996-97/978, boîte 34 dossier : McGill Housing Prototypes) © Gouvernement du Canada. Reproduit avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (2021)

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Figure 2

Vue d’un camp de chasse Cri tirée du documentaire Chasseurs cris de Mistassini, 1974, Boyce Richardson et Tony Lanzelo, cinéastes

Vue d’un camp de chasse Cri tirée du documentaire Chasseurs cris de Mistassini, 1974, Boyce Richardson et Tony Lanzelo, cinéastes
© Office national du Film du Canada

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Les esquisses conceptuelles qui suivent, identifiées respectivement par les lettrines « A, B, C, D, E » (fig. 3 à 6), représentent en coupe et en plan cinq variants de ce camp de chasse cri, mais dont la morphologie a été repensée afin d’exploiter le rayonnement solaire et l’énergie éolienne. Ainsi, les variants conservent un poêle pour la cuisson et le chauffage d’appoint, ou du moins un espace réservé à les recevoir, mais à cela s’ajoute des éoliennes à axe rotatif vertical pour l’électricité, des chauffe-eaux solaires et des murs collecteurs.

La modification la plus importante entre le camp de chasse et les prototypes esquissés touche toutefois la disposition d’ensemble de ces derniers. En effet, alors que le camp de chasse s’élève sur un seul niveau horizontal, avec mezzanine sous comble, les prototypes sont représentés construits sur un terrain en pente, orienté sud, permettant un aménagement intérieur étagé en deux ou trois paliers. La coupe du prototype A illustre bien cet aménagement en gradin (voir fig. 3). Les autres esquisses montrent des aménagements assez semblables.

Bien que l’intention des promoteurs du projet ait été d’opérer une synthèse entre l’architecture solaire et les manières autochtones de concevoir l’espace habité, les formes des maisons telles qu’elles apparaissent dans ces esquisses font écho, dans la réalité, à des maisons édifiées aux États-Unis. Ainsi, la construction intérieure en gradin s’observe dans d’autres projets de maisons solaires mises en chantier entre 1974 et 1975, telle la maison Karen Terry à Santa Fe au Nouveau-Mexique (fig. 7). La comparaison entre cette maison et le prototype A laisse voir un aménagement des masses et des espaces à peu près identique. Quant au profil extérieur d’ensemble, caractérisé par une façade principale épousant complètement l’inclinaison du terrain, il évoque l’ascendance énorme sur toute l’architecture de villégiature des années 1970 exercée par le complexe résidentiel Sea Ranch édifié en 1967 en Californie. Bien que climatisé de manière conventionnelle, Sea Ranch fut célébré à l’époque comme un exemple d’architecture écosensible, ses concepteurs ayant intégré le design à la topographie des prairies environnantes. Le profil de Sea Ranch se distingue en effet par une façade donnant sur l’océan Pacifique inclinée suivant un angle de 40° − en « pare-brise » −, subordonnant l’architecture au paysage ambiant (fig. 8).

Figures 3 à 6

Études conceptuelles des prototypes, septembre-novembre 1974

Études conceptuelles des prototypes, septembre-novembre 1974
(BAC/RG-10 1996-97/978, boîte 34 dossier : McGill Housing Prototypes) © Gouvernement du Canada. Reproduit avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (2021)

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Figure 7

Coupe de la maison Karen Terry, Santa Fe (Nouveau-Mexique), 1974-1975

Coupe de la maison Karen Terry, Santa Fe (Nouveau-Mexique), 1974-1975

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Figure 8

Esquisse du complexe résidentiel The Sea Ranch, Californie, 1964

Esquisse du complexe résidentiel The Sea Ranch, Californie, 1964
(Collection SFMOMA) © MLTW

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Cette proximité formelle avec des modèles américains s’observe aussi dans les premières esquisses pour la maison de la famille Awashish (fig. 9), seul prototype dont la conception, à l’automne 1974, avait fait l’objet de discussions préalables avec les futurs occupants. Pour autant, son plan alvéolaire se révèle très proche de celui de la maison solaire Steve Baer édifiée à Corrales au Nouveau-Mexique en 1972 (fig. 10).

Figure 9

Plan et vue intérieure, maison Awashish, septembre-novembre 1974

Plan et vue intérieure, maison Awashish, septembre-novembre 1974
(BAC/RG-10 1996-97/978, boîte 34 dossier : McGill Housing Prototypes) © Gouvernement du Canada. Reproduit avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (2021)

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Figure 10

Plan en « zomes » et élévation, maison Steve Baer, Corrales (Nouveau-Mexique), 1972

Plan en « zomes » et élévation, maison Steve Baer, Corrales (Nouveau-Mexique), 1972
© Delft Architectural Studies on Housing, TU Delft

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Printemps 1975 : les plans définitifs

Conformément à l’échéancier du projet, les plans et coupes définitifs, ainsi que les maquettes des prototypes, furent finalisés au début de l’année 1975, une fois l’étape de discussions avec les communautés terminée (BAC 1971-1976 : 9 [12] et n.p. [25]). C’est ce matériel qui fut publié dans la présente revue par McCloskey en 1975. Cette version finale des prototypes présente, il va de soi, des différences majeures par rapport aux esquisses (à des fins de lisibilité, nous avons reproduit les plans et coupes publiés par Kervorkov dans son mémoire de 1977). Ces différences touchent particulièrement la configuration extérieure et intérieure des maisons qui est profondément remaniée. En effet, les dessins des quatre prototypes montrent des façades sud largement vitrées et complètement redressées suivant un angle de 90° (fig. 11 à 14). Ce redressement vertical du mur sud de chaque prototype optimise l’exposition à l’angle quasi perpendiculaire du soleil en hiver. En conservant une façade inclinée à 40°, « en pare-brise », une partie de ce rayonnement solaire n’aurait pas été captée. Ce redressement vertical des façades s’accompagne de modifications majeures dans la disposition intérieure des espaces. On constate ainsi que les architectes ont éliminé l’élément distinctif des premières esquisses, c’est-à-dire l’aménagement intérieur en gradin, qui se voit remplacé par des étages traversants conventionnels : un seul dans la maison « Côte-Nord » (voir fig. 11) ; deux dans les maisons Awashish, Pointe Bleu et Waswanipi (fig. 12 à 14).

Figure 11

Coupe de la façade, prototype Côte-Nord, début 1975

Coupe de la façade, prototype Côte-Nord, début 1975
Source : Kevorkov 1977 : 87

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Figure 12

Coupe de la façade, maison Awashish, début 1975

Coupe de la façade, maison Awashish, début 1975
Source : Kevorkov 1977 : 98

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Figure 13

Coupe de la façade, prototype Pointe-Bleue, début 1975

Coupe de la façade, prototype Pointe-Bleue, début 1975
Source : Kevorkov 1977 : page 94

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Figure 14

Coupe de la façade, prototype Waswanipi, début 1975

Coupe de la façade, prototype Waswanipi, début 1975
Source : Kevorkov 1977 : 102

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Les plans et coupes définitifs permettent également de découvrir les différents dispositifs de chauffage solaire qui ont été développés. Ainsi, on constate que la façade vitrée de la maison Waswanipi (voir fig. 14) fonctionne comme capteurs de rayonnement solaire au sens strict, puisque la lame d’air qui y est réchauffée s’achemine, par convection, vers une masse thermique qui en est indépendante. Cette masse, qui sert d’accumulateur de chaleur, est constituée de 1600 bouteilles d’eau de 4,5 litres insérées dans la dalle du plancher du premier étage. L’approche est quelque peu différente pour les maisons Awashish et Pointe-Bleue (voir fig. 12 et 13) puisque le mur sud y agit simultanément comme capteur et accumulateur. Ainsi, c’est un authentique mur trombe en bloc de ciment de 10 pouces d’épaisseur qui s’élève sur les deux étages de la maison Pointe-Bleue. Tandis qu’à la maison Awashish, la chaleur est stockée dans 140 barils d’eau, empilés en 28 colonnes situées immédiatement derrière la façade vitrée.

De prime abord, il serait justifié de voir ces modifications majeures par rapport aux premières esquisses comme le reflet d’une fusion plus aboutie des objectifs principaux du projet : adapter l’architecture solaire à la fois au contexte climatique nordique et aux manières de vivres des communautés autochtones. Or, comme dans le cas des esquisses, les dessins définitifs révèlent des influences formelles et techniques directement retraçables à des modèles américains. L’emprunt le plus évident est celui de l’accumulateur thermique prévu pour la maison Awashish. L’idée des colonnes de barils d’eau empilées reprend le dispositif inventé et installé par Steve Baer en 1972 dans sa maison à Corrales au Nouveau-Mexique (fig. 15), dont le plan alvéolaire avait déjà servi de modèle à l’étape des esquisses. L’influence d’une autre maison, cette fois-ci à Princeton au New Jersey, édifiée en 1974 par l’architecte Douglas Kelbaugh, est palpable dans la maison Pointe-Bleu (fig. 13 et 16). Celle-ci reprend le mur trombe de la maison Kelbaugh, premier exemple de ce système en Amérique du Nord, mais aussi sa volumétrie générale à deux étages avec toiture en appentis (fig. 17).

Interprétation

L’étendue d’emprunts américains dans un projet dont l’intention initiale était d’édifier des prototypes répondants aux spécificités « culturelles et physiques » de communautés autochtones révèle, selon nous, des tensions entre les intentions affichées et le projet réel. Comme l’attestent de nombreuses études, ces contradictions sont un écueil fréquent des projets de logements autochtones pilotés en partie par des non-Autochtones. Dès 1975, la revue Recherches amérindiennes au Québec, nouvellement fondée, consacre un numéro thématique double à la question du logement autochtone. En introduction, la regrettée Sylvie Vincent affirme sans détour que sans une gestion par et pour les Autochtones, les projets d’aménagement et d’habitations qui leur sont destinés ne peuvent répondre aux besoins spécifiques des différentes communautés. Aussi, elle suggère que

[…] l’issue se trouve probablement dans la gestion amérindienne des programmes d’habitation (et dans les conseils bienveillants des anthropologues ?) : conçues, construites, entretenues et financées par des Amérindiens qui ne seraient plus les mineurs de la nation, leurs maisons seraient mieux adaptées à leurs besoins, leurs villages plus proches de la décence.

Vincent 1975 : 3

Bref, si la tutelle du ministère des Affaires indiennes et du Nord ainsi que les obstacles juridiques à l’accès aux programmes mis en place par la Société d’habitation du Québec (créée en 1967) et par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (créée en 1946) sont des problèmes réels, l’inadéquation entre la conception nord-américaine de l’espace habité et les manières autochtones de concevoir l’espace demeure un problème de fond. À ce sujet, on sait qu’au-delà des aspects purement fonctionnalistes, la manière d’habiter l’espace est un phénomène culturel qui découle de nombreux facteurs. La conception de la famille, l’organisation sociale, les modes de vie, les rapports à l’environnement physique, géographique et naturel en façonnent la conception. Les impacts de l’acculturation sur les conceptions du bâti ressortent d’ailleurs du numéro thématique que consacre à nouveau Recherches amérindiennes au Québec à la question du logement autochtone, quarante ans plus tard (RAQ « Habitation : imaginaires et réalités autochtones » 2017).

Cela dit, l’interprétation des tensions spécifiques au projet Manitou nécessite de tenir compte aussi des cultures professionnelles des acteurs impliqués dans le projet. En effet, avant l’embargo pétrolier de 1973, les rares architectes et ingénieurs qui travaillent dans le champ de l’énergie solaire appliquée – à l’instar des chercheurs de la Brace Research Institute – le font dans une indifférence quasi générale. Or, soudainement, la crise énergétique des années 1970 les propulse à l’avant-scène. Du jour au lendemain, beaucoup d’architectes réorientent leur parcours professionnel vers la filière du solaire, d’autant plus que les promesses de financement public et privé se multiplient. Bien que cette expertise soit très recherchée, force est de constater qu’en 1973 les maisons solaires construites et ayant démontré leur efficacité sont très rares : une dizaine tout au plus à l’échelle de la planète. Dans la course pour édifier et tester des prototypes, puis en diffuser les résultats, il était inévitable que les nouveaux projets soient formellement redevables aux quelques rares maisons déjà existantes ou sur le point d’être parachevées ; d’où cet air de parenté entre des projets destinés pour le Nord québécois avec des maisons au Nouveau-Mexique et au New Jersey.

Figure 15

Vue d’un drumwall, maison Steve Baer, Corrales, (Nouveau-Mexique), 1972

Vue d’un drumwall, maison Steve Baer, Corrales, (Nouveau-Mexique), 1972

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Bien plus, les architectes et ingénieurs oeuvrant dans la filière solaire sont eux-mêmes traversés par un clivage profond entre les adeptes de technologies actives et ceux préférant les dispositifs passifs ; une opposition qui tend à raréfier pour chaque camp le nombre de précédents sur lesquels se baser. Or, ce clivage passif/actif va bien au-delà d’une simple joute entre deux technologies afin de déterminer la plus performante. Au fil de la conjoncture qui marque la fin des années 1960 et le début des années 1970 − guerre du Vietnam, début du mouvement environnemental, choc pétrolier, continuation de la guerre froide −, les discours sur les technologies passives et actives sont progressivement entraînés par les débats politiques dominants. Ainsi, les maisons solaires à systèmes passifs, parce qu’elles ne comportent aucun dispositif mécanique branché au réseau de distribution du secteur énergétique, font miroiter aux yeux de la mouvance contre-culturelle la faisabilité d’un habitat complètement autonome, en rupture avec la société de consommation capitaliste. À l’inverse, les systèmes actifs n’impliquent aucune rupture avec le style de vie dominant en Amérique du Nord. Anticipant les panneaux photovoltaïques actuels, les caissons capteurs des années 1970 étaient fabriqués en usine et conçus principalement pour être installés sur les toitures à deux versants des maisons de banlieue, tandis qu’une section de leur sous-sol accueillait le réservoir thermique. Pour cette clientèle suburbaine, les dispositifs actifs sont vus comme un moyen de diminuer la facture mensuelle d’électricité ou de mazout, sans remettre en question son mode de vie.

Figure 16

Vues de la maquette du prototype Pointe-Bleue, début 1975

Vues de la maquette du prototype Pointe-Bleue, début 1975
Source : McCloskey 1975 : 29

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Figure 17

Vue extérieure de la maison Kelbaugh, Princeton (New Jersey), édifiée en 1973-1974

Vue extérieure de la maison Kelbaugh, Princeton (New Jersey), édifiée en 1973-1974
Fonds Douglas Kelbaugh, Centre Canadien d’Architecture, Don de Douglas Kelbaugh

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Or, dès sa fondation en 1961, le Brace Research Institute s’impose comme un des acteurs clés de la filière passive. Initialement fondé pour développer des systèmes de désalinisation de l’eau et d’irrigation de terres arides dans des régions coupées d’approvisionnement énergétique conventionnel, Brace élargit rapidement sa mission de recherche. Ses ingénieurs mettent au point une gamme de technologies fonctionnant à l’énergie solaire ou éolienne, destinée à des communautés en voie de développement : four solaire parabolique, séchoir solaire pour fruits et légumes, chauffe-eau solaire pour usage résidentiel, pompe éolienne à axe vertical, distillateur solaire. Outre une expertise en dispositifs autonomes, Brace diffuse ses technologies selon un mode s’apparentant à l’open source actuel, c’est-à-dire sans licences et par l’envoi postal de plans permettant aux destinataires de construire eux-mêmes le dispositif, et donc de s’émanciper des dépendances créées par la société de consommation. Si la majorité des recherches de l’Institut sont pensées pour un déploiement dans des contextes tropicaux, les chercheurs de Brace ne négligent pas pour autant le contexte québécois et nordique. Cet intérêt se manifeste surtout à partir de 1967, lorsque Brace rapatrie à Montréal une bonne partie des recherches jusque-là menées dans les Caraïbes et les Antilles. L’année 1974 marque un véritable tournant à cet égard. Au mois d’août 1974, Tom Lawand, directeur de l’Institut, présente une communication au congrès annuel de la Society for Solar Energy à Fort Collins (Colo.) intitulée « The development and testing of an environmentally designed greenhouse for colder regions » (Développement et mise à l’essai d’une serre écologique conçue pour les régions froides). Puis en septembre, débute le processus de conception des quatre prototypes du collège Manitou, projet offrant à Brace l’occasion de mettre en oeuvre son expertise à grande échelle.

Figure 18

Maison Côte-Nord, La Macaza (Québec), 1975

Maison Côte-Nord, La Macaza (Québec), 1975
(BAC/RG-10 1996-97/978, boîte 34, dossier : McGill Housing Prototypes) © Gouvernement du Canada. Reproduit avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada (2021)

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Selon nous les partis-pris idéologiques qui traversent la filière solaire passive, en s’immisçant dans le choix des options de système de chauffage, ont joué un rôle important dans la conception des prototypes et ont contribué à imposer des solutions répondant à d’autres problématiques que celles vécues par les communautés autochtones. Cette hypothèse est confirmée lorsqu’on examine le cas d’un prototype dont la conception est pilotée par un architecte issu d’un parcours professionnel extérieur à celui des acteurs du mouvement solaire.

La maison « Côte-Nord », l’oeuvre de Guy Courtois

La maison « Côte-Nord », construite au cours de l’été 1975 sur le site du collège Manitou, a été le seul prototype à système actif et le seul dont la mise en chantier a été complétée (fig. 18). Cette ouverture soudaine à la technologie concurrente résulte de l’orientation que privilégie Guy Courtois, le véritable concepteur de la maison « Côte-Nord »[5]. Récemment diplômé d’un baccalauréat décerné par l’École d’architecture de l’Université Laval, Courtois était, depuis peu, à l’emploi du ministère des Affaires indiennes et du Nord lorsque McCloskey sollicite sa collaboration à titre « d’assistant » et de « personnel de chantier ». Dans une lettre datée du 27 novembre 1974, le ministère consent à un prêt de service pour la « durée de l’élaboration des plans, ainsi que la construction »[6]. En réalité, Courtois jouera dans le projet de McCloskey et Lawand un rôle beaucoup plus décisif que ne le laissent entendre ses titres d’embauche. Non seulement il devient le contremaitre du chantier au cours de l’été 1975, mais c’est lui qui conçoit les plans du prototype « Côte-Nord ».

Répondant à l’un des objectifs du projet en ce qui a trait aux choix des matières et à leur provenance, Courtois prévoit le recours à des matériaux locaux et peu dispendieux : la tourbe est utilisée comme isolant pour la face nord du bâtiment et le bois pour la construction des murs extérieurs. Contrairement aux projets expérimentaux du Brace Institute, Courtois cherche une solution pragmatique, réalisable immédiatement, et donc capable de répondre à l’état d’urgence du logement qui sévit dans les communautés autochtones au Québec. Pour ce faire, il opte pour un système hybride qui pallie le faible rendement thermique du système solaire passif qui, à lui seul, ne peut garantir l’habitabilité à l’année. Il explique ainsi sa conception du projet :

Je suis arrivé à cette conception architecturale minimaliste sur le plan de l’espace intérieur disponible et des systèmes en place, cela afin de minimiser la consommation d’énergie. Aucun modèle ne m’a inspiré au départ, puisqu’au Québec à l’époque, des maisons chauffées à l’énergie solaire, ça n’existait pas à ma connaissance. J’ai donc procédé par une logique de gros bon sens en utilisant le plus possible, les ressources locales, en l’occurrence le bois grossièrement transformé en billes équarries à la scie pour la construction des murs extérieurs, une isolation à base de tourbe pour le mur nord (lequel, très bas, favorisait le recouvrement de la toiture par en isolant neigeux en hiver), de la main-d’oeuvre autochtone le plus possible, disponible sur place (étudiants du collège Manitou) selon des horaires de construction adaptés au « Indian time » en place. La sous-traitance spécialisée (contre maîtrise, électricité, plomberie, etc.) a, quant à elle, été assurée par des non-autochtones, ces derniers n’ayant pas à l’époque les qualifications requises. Beaucoup de techniques de construction modernes ont été intégrées au bâtiment dû à leur efficacité, notamment en ce qui concerne l’isolation thermique des enveloppes extérieures en polystyrène expansé, pare-air et pare-vapeur en polyéthylène, l’étanchéité des fondations en bloc de béton (couche goudronnée), des portes et fenêtres isolées. Le chauffage était assuré par des plinthes chauffantes électriques. Ces techniques modernes efficaces étaient toutes requises dû au faible rendement thermique du chauffage solaire expérimenté. En un mot, cette maison était une maison moderne standard bien isolée avec la particularité d’être munie d’un chauffage d’appoint solaire expérimental à bas rendement, lequel à lui seul, ne pouvait assurer l’habitabilité quatre saisons du bâtiment

Guy Courtois échange courriel avec Edith-Anne Pageot, le 7 novembre 2020

Courtois intègre donc un ventilateur au système de chauffage, une proposition à laquelle s’oppose fermement les promoteurs du projet et qui suscite des différends : « Je tenais à ce ventilateur pour obtenir le rendement thermique minimum que j’envisageais. Ils ont insisté ! Je leur ai dit que je quittais l’équipe ! Ils m’ont alors laissé tranquille, et j’ai pu continuer mon projet à ma guise » (Ibid.). Le système de chauffage hybride conçu par Guy Courtois permettra d’ailleurs à Mark Bruce McComber, qui étudiait au collège Manitou à ce moment, à son épouse Carol et leur petite fille d’être les premiers locataires de ce prototype dès l’automne 1975.

Quelques étudiants atikamekw, restés sur le campus au cours de l’été 1975, participent à la construction de la maison « Côte-Nord ». Outre les étudiants du collège Manitou, Guy Courtois recrute des gens qu’il connait et en qui il a confiance afin de constituer son équipe de chantier : « Il y avait déjà des Atikamekw qui étudiaient au Collège donc ça a été facile de faire des liens ». La désignation maison « Côte-Nord » ne reflète alors aucunement ses intentions : « Je n’ai jamais appelé ce projet-là « Côte-Nord ». […] J’ai dessiné ce projet surtout pour les Atikamekw. C’était des Atikamekw qui étaient impliqués là » (Entrevue avec Guy Courtois menée par Edith-Anne Pageot, le 17 novembre 2020). Guy Courtois mobilise donc d’autres collaborateurs atikamekw, dont Charles Coocoo (Matotoson Iriniu)[7]. Le chantier dirigé par Courtois fournit ainsi l’occasion à quelques étudiants du collège Manitou de participer à la construction des prototypes à l’énergie solaire, et conséquemment d’apprendre certains rudiments du métier auprès de mentors comme Charles Coocoo.

Conclusion

Dans son ensemble, le projet du Brace Institute, ne mène pas à la création d’une formation pour les apprentis constructeurs autochtones qui aurait dû, comme on le souhaitait, servir de « fer de lance » pour l’établissement au collège Manitou d’un programme de logement. La construction de la maison Pointe Bleue, conçue par Brian McCloskey, débute à Manitou sous la supervision de Guy Courtois au courant de l’été 1975, mais elle est délaissée après son départ à l’automne de la même année. Le prêt de service étant échu, Guy Courtois réintègre son emploi au ministère des Affaires indiennes et du Nord. Il y développe des outils de planification du financement des réserves indiennes dans une perspective d’autonomisation et de pérennisation des projets de développement urbanistique (Entrevue avec Guy Courtois menée par Edith-Anne Pageot, le 17 novembre 2020).

Les chantiers des maisons Mistassini, Waswanipi et Awashish sont, eux aussi, abandonnés. L’état fragmentaire des archives ne permet pas de cerner avec certitude les raisons pour lesquelles le Brace Institute laisse tomber la réalisation de ces prototypes. Notons que la mise au rencart du projet survient avant la fermeture intempestive du collège Manitou en décembre 1976. Aussi, l’abandon des constructions entamées, particulièrement la maison Pointe Bleue, ne peut s’expliquer exclusivement par la cessation des activités du Collège, bien que la menace incessante de fermeture de l’établissement ait pu peser sur les décisions. Quoi qu’il en soit, nous ne saurons jamais si le caractère très expérimental de la filière passive, peu opérationnelle immédiatement dans les milieux autochtones, a entraîné un certain désintéressement des leaders autochtones et de la direction de Manitou.

En définitive, le seul prototype vraiment novateur dans ce projet, c’est-à-dire présentant des solutions aptes à répondre à des besoins criants dans certaines communautés autochtones en matière de logement, fut la maison conçue et réalisée par Guy Courtois et ses collègues autochtones. D’ailleurs, Blair Hamilton, souligne en introduction de son mémoire l’apport déterminant de Guy Courtois (1977 : 3), sans pour autant mettre en lumière son leadership, son pragmatisme et l’originalité de sa vision. Brian McCloskey, qui est l’initiateur de ce chantier expérimental, se montre certes sensible aux réalités du logement dans les communautés autochtones. Comme nous l’avons constaté, le processus de consultation prévu en amont et au cours des différentes phases du projet, ainsi que l’embauche d’un architecte autochtone témoigne, dans une certaine mesure, d’un changement de paradigme dans la recherche. Cette ouverture à la collaboration dans la recherche est indubitablement influencée par le climat politique de l’heure.

N’oublions pas que les relations entre Autochtones et allochtones au Québec sont marquées, au début des années 1970, par des négociations très médiatisées entre les Cris, les Inuits et le gouvernement provincial. Ces négociations mènent à la première entente contemporaine d’envergure, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (1975).

Il n’en demeure pas moins que l’implication autochtone dans ce projet est, somme toute, limitée notamment par la brièveté du contrat du contrat de Guy Courtois. Rappelons qu’il se joint à l’équipe au début 1975, soit au moment où l’étape d’idéation du projet dans son ensemble est déjà bien avancée. Bien plus, à l’exception du prototype « Côte-Nord » qu’on finit par accepter par dépit, le projet pourtant intitulé « Appropriate Energy and Building Systems for Housing/ Quebec Indian Communities », n’offre aucune solution viable à la crise du logement autochtone. Chaque architecte travaille en silo, ce qui conduit le Brace Research Institute à reproduire les prototypes les plus connus et éprouvés par les professionnels qui travaillent au sein des réseaux nord-américains. Privé de la collaboration et du leadership de proches collaborateurs autochtones, le Brace Research Institute échoue à proposer des pistes de solutions pragmatiques et durables aux enjeux de la crise autochtone du logement et reste finalement peu attentif aux aspirations de la Fraternité des Indiens qui promeut le contrôle autochtone sur le bâti.