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Introduction

Le 8 mai 2020, le ministre fédéral de l’industrie et de l’innovation met en place le Conseil stratégique de l’industrie et appelle les secteurs industriels à transmettre leurs avis concernant l’impact économique de la pandémie sur leurs activités (Innovation, Science and Economic Development Canada 2020). Suite à son appel, Resource Works, un OBNL britanno-colombien réunissant 35 organisations industrielles, syndicats et associations d’entrepreneurs autochtones au sein d’une coalition nommée « Groupe de travail pour de vrai emplois, une vraie reprise », est chargé de formuler des recommandations. Dans son rapport, la coalition préconise notamment, dans le cadre de la reprise économique canadienne post-pandémie, d’envoyer un signal positif aux industriels et aux financiers, de présenter les activités extractives comme relevant de l’intérêt national, de limiter la portée des oppositions éventuelles et d’offrir un cadre réglementaire plus avantageux à ces activités qui seraient retardées par une bureaucratie « trop protectrice » (Graham 2020).

Ces propositions vont partiellement caractériser le discours, ainsi que les décisions du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux et territoriaux sur le secteur minier durant l’année 2020 au Canada ; un secteur stratégique qui représente 5 % du PIB national et 19 % des exportations totales canadiennes en 2019 (Ressources naturelles Canada 2020). Parallèlement, les retombées économiques que représente le développement minier constituent autant d’opportunités financières que de risques environnementaux, sociaux et économiques pour de nombreuses communautés autochtones et locales. Or, si l’industrie minière est capable de se placer en acteur incontournable de la relance économique et que ce discours semble repris par différents gouvernements, il devient nécessaire de se demander quelle place occupent les préoccupations autochtones au sein des cadrages de l’industrie minière et des gouvernements, alors même que la réconciliation est un enjeu central des politiques canadiennes et que l’industrie met de l’avant l’importance des partenariats autochtones.

En réponse à l’appel de Bainton et al. (2020), selon lequel il est nécessaire de « comprendre la dynamique de l’exploitation minière à l’époque de la COVID-19 pour pouvoir resituer les impacts, actions et décisions prises actuellement dans leur contexte historique », cet article propose d’explorer les relations entre les gouvernements, l’industrie minière et les Autochtones lors de la crise sanitaire de la COVID-19 afin d’identifier quelle est la place accordée aux préoccupations autochtones dans le discours des entreprises et des gouvernements durant les premiers mois de la crise sanitaire COVID-19.

Afin de répondre à cette question, l’article détaillera le cadre théorique mobilisé, soit l’analyse critique de discours, avant d’aborder chronologiquement, dans le cadre de l’analyse, les discours des différents acteurs. Finalement, la discussion permettra d’ouvrir sur le repositionnement des nations et organisations autochtones, de l’industrie minière et des gouvernements à la fin de l’année 2020 afin de dégager les nouvelles coalitions discursives et, plus spécifiquement, la place accordée aux préoccupations autochtones dans le discours de l’industrie minière et des gouvernements.

Cadre théorique et méthodologique

La pandémie de COVID-19 nous invite à accorder une attention particulière aux cadres discursifs déployés par les acteurs politiques et économiques en période de crise, ainsi qu’à l’évolution consécutive de leurs relations. Les cadres discursifs offrent un schéma interprétatif qui permet de définir un problème politique d’une certaine manière plutôt qu’une autre dans le but d’orienter le débat public et les décisions gouvernementales (Schon et Rein 1994). Ils constituent ainsi des récits qui permettent d’expliquer de manière cohérente la formation des politiques publiques, leur contestation, et la domination de certains cadres au sein de l’arène politique (Rein et Schon 1996). Le cadrage est un processus dynamique qui intervient de manière continue à l’intérieur et à l’extérieur des arènes politiques institutionnelles.

En tant qu’évènements politiques, les crises entraînent des conséquences significatives sur la formation des politiques publiques. Les crises font généralement l’objet d’une attention médiatique et publique intense, propulsent un évènement spécifique dans l’agenda politique et facilitent un certain type de réponse collective qui amène une variété d’acteurs à les utiliser comme des fenêtres d’opportunités afin de déployer leurs cadres discursifs (Kingdon 2011 ; Schneider et Jordan 2016). Identifier quels sont les cadrages qui parviennent à s’imposer nous permet de mieux comprendre l’influence relative des acteurs qui se sont mobilisés, leurs préoccupations dans la formation des politiques publiques ainsi que leur accès aux processus décisionnels (Stone 2002). Ici, à travers l’identification et l’analyse des cadres discursifs déployés, il s’agira de déterminer si la crise de la COVID-19 révèle plus de convergences ou de conflictualités entre les Autochtones, l’industrie minière et les gouvernements.

Afin d’identifier et d’analyser les discours des différents acteurs, les auteures ont réalisé une revue de littérature narrative visant à recréer le fil chronologique et le positionnement des différents acteurs au cours de l’année 2020. Les données, en anglais et en français, proviennent de trois sources principales : des articles de journaux (locaux, régionaux et nationaux), des communiqués de presse et des rapports qui traitent de la question sanitaire et des activités extractives au Canada. Les sources ont été publiées en ligne entre mars et décembre 2020.

Les données du corpus ont ensuite été triées et analysées de manière chronologique afin d’identifier des séquences d’évènements où les interactions entre les trois catégories d’acteurs se sont intensifiées afin d’en faire ressortir les cadrages discursifs. En raison de l’attention médiatique inégale et du différent niveau d’activité minière d’une région à l’autre, les données recueillies se concentrent principalement sur le Québec, l’Ontario, l’Alberta, la Colombie-Britannique, le Nunavut et le Yukon. Trois séquences d’évènements ont été distinguées et ont fait l’objet d’une analyse discursive : 1) l’enjeu de l’arrêt et de la continuation des activités minières (mars-mai 2020) ; 2) l’orientation de la relance économique (juin-août 2020) ; et 3) le renforcement du positionnement stratégique des acteurs miniers (septembre-décembre 2020). Les discours et les revendications de chaque catégorie d’acteurs ont été identifiés afin d’établir ceux qui ont prévalu à l’issue desdites séquences et si des coalitions discursives se sont formées entre les acteurs.

Mars-Mai 2020 : Arrêter ou maintenir les activités minières ?

La première séquence discursive débute à la mi-mars 2020 au moment où les autorités provinciales et territoriales déclarent l’état d’urgence sanitaire, mettent en place les premières mesures de restrictions des libertés publiques et ordonnent la fermeture de commerces et de services. Elle se terminera avec le relâchement graduel de certaines mesures sanitaires en mai 2020. Dans le secteur minier, cette première phase est marquée par la décision de plusieurs provinces et territoires de désigner les activités minières comme des « services essentiels » et/ou de garantir le maintien relatif des opérations productives, ce qui provoque la colère et le mécontentement de plusieurs nations et organisations autochtones.

Les contraintes gouvernementales et les mesures sanitaires des entreprises

En Colombie-Britannique, au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest, au Nunavut, en Ontario et au Québec, les gouvernements provinciaux vont rapidement désigner les activités minières comme des « services essentiels » tout en leur imposant différentes restrictions. Ainsi, en Colombie-Britannique, en Alberta, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut, les minières sont autorisées à maintenir leurs opérations à condition d’adapter les lieux de travail aux recommandations sanitaires. Il s’agit d’une position similaire à celle du Yukon qui impose cependant une quarantaine de 14 jours à l’arrivée des voyageurs et des travailleurs. En Ontario et au Québec, les activités minières sont désignées comme étant des services essentiels dès le 23 mars et sont autorisées à opérer. Toutefois, le Québec exige une réduction drastique de la production pour la majorité des compagnies, excepté pour celles produisant de l’aluminium, ou celles jouant un « rôle essentiel » dans la chaîne d’approvisionnement. Le 13 avril, le gouvernement québécois reviendra sur sa décision initiale et autorisera la reprise complète des activités, et ce alors que d’autres secteurs de l’économie sont encore à l’arrêt dans ces deux provinces.

Le premier mois de la pandémie conduit également à la mise à l’écart préventive des travailleurs autochtones travaillant sur les sites miniers. Dès le 16 mars, la minière Baffinland annonce que ses employés résidant au Nunavut seront renvoyés chez eux dans le cadre de congés payés afin d’éviter un risque de propagation de la COVID-19 sur le territoire (Parizot 2020). De manière similaire, la minière Tata Steel Minerals Canada annonce le 21 mars que les travailleurs autochtones sont déjà rentrés dans leurs communautés au Québec et au Labrador depuis une semaine (Génier-Carrier 2020). Les mines Diavik, Meliadine et Meadowbanks (Nunavut) suivent l’exemple à partir du 20 mars (Côté et Parent-Bouchard 2020), puis la mine Raglan (Québec) le 23 mars (Blais 2020). À noter que ces mises à l’écart ne visent pas systématiquement les travailleurs autochtones et interviennent parfois dans le cadre d’une réduction généralisée des effectifs sur les sites miniers, voire d’une suspension temporaire des opérations. De plus, ces mesures ne sont pas exclusivement à l’initiative des compagnies minières et sont aussi le résultat de la pression des autorités publiques et des communautés autochtones locales. Au Nunavut, les travailleurs locaux vont rester chez eux jusqu’en octobre, ne percevant parfois que 75 % de leur salaire (The Conference Board of Canada 2020). La pandémie a donc vraisemblablement eu pour effet de réduire les retombées économiques des communautés autochtones (ex. redevances calculées sur les profits ou la tonne de minerai extrait et salaires).

Face aux diverses restrictions gouvernementales, et à l’instar de plusieurs autres entreprises privées au début de la pandémie, la communication publique des associations et compagnies minières tend à cadrer leurs activités sous l’angle de la responsabilité. Ils mettent en avant leur engagement continu pour la santé et la sécurité de leurs travailleurs et des communautés environnantes tout en plaidant pour la continuation de leurs activités et la levée des restrictions sanitaires sur leurs secteurs. Entre autres, plusieurs compagnies minières vont mettre en place un ensemble de services d’aide à disposition des communautés locales (banques alimentaires, distribution de masques, dons d’argent aux organismes communautaires, etc.) (George 2020). De telles actions s’inscrivent explicitement dans un discours de responsabilité sociale des entreprises. Ce premier cadrage correspond donc à l’idée que les activités minières, par les gouvernements et les entreprises, sont des activités essentielles, responsables, sécuritaires et soucieuses du bien-être des communautés autochtones.

Ce cadrage n’empêche pas pour autant certaines communautés autochtones d’exprimer leurs préoccupations vis-à-vis des activités minières et de faire preuve d’agentivité pour être entendues. Le 19 mars, des membres de la communauté inuite de Rankin Inlet bloquent la route menant à la mine d’or de Meliadine, opérée par Agnico Eagle, afin de forcer la compagnie à suspendre ses activités (Hinchey et Murray 2020). De même, le 25 mars, la Première Nation de Na-cho Nyäk Dun demande au gouvernement du Yukon un contrôle accru des déplacements à l’intérieur et à l’extérieur du territoire, ainsi qu’un arrêt temporaire des activités minières en raison de « l’énorme risque » qu’elles posent à la communauté (Cirino 2020). Parallèlement, plusieurs nations autochtones, sans exiger l’arrêt des opérations minières, appellent les entreprises à exercer une plus grande vigilance quant à la propagation potentielle du virus à proximité de leurs communautés. Ce positionnement est notamment exprimé par le Grand Conseil des Cris au Québec (Deshaies 2020) et Innu Nation à Terre-Neuve-et-Labrador (Moore 2020).

Ouvertures et tensions

Toutefois, à partir du mois d’avril, la chute des prix de certains métaux sur les marchés financiers et l’incertitude économique amènent les compagnies minières à déployer deux nouveaux cadres discursifs pour justifier la poursuite de leurs activités. Premièrement, les activités minières contribuent à protéger les citoyens contre la pandémie à travers leur rôle clé au sein de la chaîne d’approvisionnement, et secondement, elles participeront à la nécessaire relance économique du pays. Ces cadres qui opèrent à deux échelles temporelles distinctes (la crise présente et la reprise future) visent à justifier la relance immédiate des activités minières là où elles ont été ralenties ainsi que le soutien gouvernemental au secteur minier.

Cette intention apparaît très clairement dans une déclaration publiée le 3 avril par l’Association minière du Canada (AMC) :

L’industrie minière et ses chaînes d’approvisionnement, essentielles pour aider à résoudre la crise actuelle, seront tout aussi importantes, sinon plus, pour la relance économique du Canada, et des mesures fiscales et politiques appropriées pour assurer le rebond de l’industrie seront vitales.

AMC 2020b

Cette même rhétorique est d’ailleurs utilisée par plusieurs associations minières provinciales, comme celle du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest dans une lettre adressée au ministre fédéral des Affaires du Nord, Dan Vandal (NWT & Nunavut Chamber Of Mines 2020), ou celle de l’Association minière du Québec dont la PDG, Josée Méthot, se veut rassurante : « Jamais les aspects économiques ne prendront le dessus sur la santé et la sécurité » (AMQ 2020a). Cependant, les cadres discursifs déployés par l’industrie, à une période où elle tourne encore au ralenti dans plusieurs provinces, s’expliquent aussi probablement par le désir de profiter de l’augmentation des cours de l’or et du fer qui commence à se manifester dès la mi-avril (Boissonneault 2020).

Parallèlement, les tensions entre nations et communautés autochtones, minières et gouvernements continuent, particulièrement en Colombie-Britannique, au Québec et en Ontario. Les préoccupations autochtones sont essentiellement concentrées autour de la propagation potentielle du virus par les activités des entreprises minières, le manque de consultation par les gouvernements provinciaux à ce sujet et l’incapacité des communautés à procéder adéquatement à l’évaluation de projets miniers durant cette période.

Face aux discours des entreprises minières et des gouvernements, les acteurs autochtones qui s’expriment concernant les mines mettent en avant un autre cadrage discursif centré autour du respect des droits autochtones et de leur gouvernance. Ce cadrage discursif insiste également sur la sécurité sanitaire des communautés, laquelle devrait primer sur les considérations économiques des industries et des gouvernements.

Dès le 14 avril, la Coalition pour les droits humains des peuples autochtones, regroupant notamment l’Assemblée des Premières Nations de Colombie-Britannique, le Grand Conseil des Cris et le Sommet des Premières Nations, publie un communiqué intitulé « Les droits des peuples autochtones doivent être respectés pendant la COVID-19 ». Le communiqué est entièrement dédié à la question des « services essentiels » et qualifie la décision de maintenir les activités extractives de « double standard discriminatoire » (Coalition for the Human Rights of Indigenous Peoples 2020). Le communiqué souligne la nécessité de respecter la souveraineté autochtone concernant la gestion de leurs territoires et réfute le caractère « essentiel » des activités extractives en cette période. Quelques jours plus tard, le 21 avril, l’Union des chefs indiens de Colombie-Britannique demande l’arrêt complet des « activités de construction dans tous les grands chantiers et mégaprojets industriels de la Colombie-Britannique » (UCICB 2020).

Au Québec, les oppositions et les critiques se manifestent suite à la décision gouvernementale de permettre la réouverture de l’ensemble des mines le 15 avril au lieu du 4 mai. Le 15 avril, l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) se dit préoccupée par la décision unilatérale du gouvernement québécois d’autoriser la reprise des chantiers miniers, considérant que la pandémie « ne soustrait pas les gouvernements de leurs obligations en matière de consultation » (APNQL 2020a). L’organisation souligne que l’intention des chefs des Premières Nations est de prioriser « la santé et la sécurité de [ses] membres, par-dessus tout, même [de] l’économie » (APNQL 2020a). Le ton est similaire à celui de la Nation innue qui appelle le gouvernement à ne pas autoriser les déplacements de travailleurs venus de l’extérieur et à établir une réelle coopération avec leurs communautés, ajoutant que « l’aplatissement de la courbe ne signifie pas qu’il faille s’applaventrir sous la pression de certaines industries » (Lévesque 2020). Le 17 avril, la Société Makivik, organisme représentant les Inuits du Nunavik au Québec, dénonce une décision « prise unilatéralement par le gouvernement du Québec, sans aucune forme de consultation des Inuits », affirmant que de nombreuses lettres envoyées au gouvernement du Québec sont restées sans réponses (Makivik 2020). Le grand chef du Grand Conseil des Cris, Abel Bosum, indique également avoir envoyé une lettre au ministre québécois des Mines, Jonathan Julien, afin de lui partager son étonnement devant son manque de transparence (Bell 2020). Néanmoins, le chef Bosum assure que les Cris ont été rapidement « rassurés par [les entreprises] et par le ministère sur le fait que nous allons travailler ensemble pour aller de l’avant » (Bell 2020). Des discussions similaires ont également eu lieu entre la minière Tata Steel et les communautés innues et naskapies avoisinantes (Mageau 2020).

Les préoccupations et oppositions des communautés et organisations autochtones concernent également la pénurie de personnel, exacerbée par les obstacles liés aux technologies de communications, qui limite, entre autres, la capacité des communautés à réviser les demandes de permis et à consulter ses citoyens (The Conference Board of Canada 2020). Ainsi, en Ontario, à la mi-avril, le chef de la Première Nation de Neskatanga, appuyée par le grand chef de la Nation nishnawbe aski, demande la suspension du processus d’approbation de permis des nouveaux projets miniers jusqu’à la fin des mesures d’urgence de la pandémie. Le chef indique que des membres du conseil de bande sont actuellement affectés à des activités de soutien social et sanitaire (Radio-Canada 2020a). Le ministre ontarien refusera toutefois de suspendre le système d’administration des terres minières, bien qu’il se dit prêt à suspendre certaines demandes de permis (Radio-Canada 2020a). De même, le 24 avril, la Commission d’examen des répercussions du Nunavut rejette la proposition soutenue par Baffinland Iron Mines de tenir des réunions par téléconférence afin de poursuivre les activités de consultation dans le cadre de l’évaluation environnementale de son projet minier (Deuling 2020). La Commission justifie cette décision par les importantes menaces à la participation que posent les réunions par téléconférence[1]. L’accès et la qualité du réseau internet font aussi partie des préoccupations exprimées. Ici, au cadrage discursif autochtone sur l’importance du respect des droits et de la gouvernance autochtone s’ajoutent des préoccupations sur les infrastructures et les moyens matériels et humains nécessaires à l’exercice de ces mêmes droits.

La première séquence d’évènements relatifs aux activités extractives indique qu’il y a une convergence des cadres discursifs des gouvernements et des compagnies minières. En effet, les discours de l’industrie minière et des gouvernements se font échos et mettent de l’avant le caractère essentiel, responsable et sécuritaire de ce secteur économique. Si la communication demeure soutenue entre les Autochtones et les minières, et ce malgré des épisodes de tensions plus ou moins fortes, la communication entre les groupes autochtones et les gouvernements provinciaux semble avoir été plus faible à certains moments comme le révèlent certaines tensions sur du redémarrage des activités minières et les consultations. Les groupes et nations autochtones qui ont exprimé leurs revendications et préoccupations durant cette séquence ont cadré leurs discours sur l’idée que les activités minières sont des menaces à leur sécurité, à leur santé et au respect de leurs droits. L’inertie relative des gouvernements face à ces préoccupations semble montrer que ce sont les cadres mis en avant par l’industrie qui ont prévalu, aux dépens du cadre discursif autochtone.

Juin-Août 2020 ; Orienter la relance économique

Le cadrage des activités minières comme vecteurs de la relance économique post-pandémie se poursuit durant l’été 2020, période caractérisée par le dépôt de plans de relance économique et par des modifications de la réglementation minière.

Gouvernement fédéral

Dès le mois de mai, le ministre des Ressources naturelles du Canada, Seamus O’Regan, indique clairement la vision du gouvernement fédéral concernant le rôle futur du secteur minier :

Alors que nous nous efforçons de sortir des défis et de l’incertitude engendrés par la COVID-19, les indispensables ressources minérales du Canada nous mèneront vers une industrie plus compétitive et plus prospère […]. Les Canadiens sont favorables à l’augmentation de notre part de marché en tant que fournisseur mondial privilégié de minéraux, de produits et de technologies essentiels à la construction d’une économie à consommation zéro.

O’Regan cité par AMC 2020c

Un discours très similaire à celui de l’industrie est publié le 13 juin dans une tribune de l’AMC intitulée « L’exploitation minière peut contribuer à la relance de l’économie canadienne ». Cette dernière déclare :

Le soutien à l’industrie minière fera partie intégrante du soutien à l’économie dans son ensemble […]. Les mines produisent des matériaux essentiels à la protection des Canadiens, notamment des technologies médicales et des médicaments […]. Le Canada a besoin de produits miniers, et nous devons continuer à veiller à ce qu’ils soient exploités en toute sécurité, non seulement pour les travailleurs, mais aussi pour les communautés qui entourent les sites miniers

AMC 2020d

Il s’agit donc d’une nouvelle fenêtre d’opportunité pour l’industrie minière, mais aussi pour les peuples autochtones dont les réactions vont être très nombreuses, particulièrement au Québec, en Ontario et en Alberta, lors du dépôt des différents projets de loi provinciaux visant la relance économique.

Gouvernements provinciaux

Au Québec, le gouvernement provincial présente le 3 juin le projet de loi 61 ou « Loi visant la relance de l’économie du Québec et l’atténuation des conséquences de l’état d’urgence sanitaire déclaré le 13 mars en raison de la pandémie de la COVID-19 ». Ce projet de loi omnibus répond à l’objectif d’accélérer les projets d’infrastructure afin de favoriser la relance de l’économie. Il suscite immédiatement des réticences du côté de l’APNQL :

Maintenant qu’il a goûté à l’autorité que lui confère le décret des mesures d’urgence prolongé jusqu’à une date indéterminée en raison de la crise pandémique de la COVID-19, le gouvernement ne peut s’arroger à la fois le droit de relancer son économie et celui de reculer sur les avancées en matière de protection environnementale. Il ne peut surtout pas profiter du contexte actuel pour placer la santé de nos populations au second plan ni bafouer plus ouvertement les droits ancestraux et issus de traités des Premières Nations.

APNQL 2020b

L’opposition grandissante face à ce projet de loi conduit le gouvernement à faire des amendements, lesquels demeurent insuffisants pour garantir le respect des droits autochtones selon le chef de l’APNQL, Ghislain Picard (APNQL 2020c). De la même manière que lors de la phase précédente, le chef Picard invoque les difficultés de mener des consultations en temps de pandémie et s’offusque que le gouvernement cherche à réduire les délais plutôt qu’à les allonger (Radio-Canada 2020b). Le gouvernement québécois décide finalement d’abandonner le projet de loi le 19 août pour en déposer un nouveau à la reprise des travaux parlementaires prévue en septembre.

En Ontario, le gouvernement présente le 8 juillet le projet de loi 197 ou « Loi COVID-19 sur la relance économique, 2020 ». Ce projet de loi souligne la volonté du gouvernement de stimuler l’économie de la province, en simplifiant de manière substantielle les processus réglementaires dans plusieurs secteurs, notamment l’évaluation des impacts environnementaux. Le projet de loi 197 suscite immédiatement l’opposition de plusieurs chefs autochtones qui accusent le projet d’être antidémocratique et d’affaiblir leur droit constitutionnel à être consultés (Attawapiskat First Nation 2020 ; Bird 2020 ; Matawa Chiefs Council 2020). Certains dénoncent explicitement une instrumentalisation de la pandémie de COVID-19 par le gouvernement (CBC News 2020). C’est notamment le cas de la Première Nation de Neskatanga et du conseil de Mushkegowuk dont les huit communautés cries du nord de l’Ontario sont situées à proximité du vaste projet minier du Cercle de feu (Barrera 2020 ; Rutherford 2020). L’accélération continue des activités contraste donc avec les appels répétés des Premières Nations à ralentir le rythme afin qu’elles puissent s’engager de manière significative dans les processus de consultation et d’évaluation, tout en gérant la situation sanitaire. Ces appels ne trouveront qu’un écho limité auprès du ministre ontarien des Affaires autochtones Greg Rickford – également ministre des Mines – qui n’a formulé qu’un guide opérationnel de recommandations auprès des ministères et des promoteurs.

En Alberta, le 1er juin, le gouvernement supprime les protections législatives qui restreignaient l’exploration et l’exploitation des mines de charbon à ciel ouvert dans certaines parties des montages rocheuses depuis 1976. Cette décision controversée se fait au nom de la reprise et de la revitalisation économique de la province (Cruickshank 2020). Elle sera presque unanimement décriée par les nations autochtones, les groupes écologistes ainsi qu’une partie significative de la population albertaine. Pour Marlene Poitras, cheffe de l’Assemblée des Premières Nations de l’Alberta, il s’agit d’un « retour en arrière » opéré sans consultation adéquate de l’ensemble des Premières Nations de la province, notamment celle du Traité historique n°6 dont les terres seraient affectées par la décision (Cruickshank 2020). Mme Poitras cadrera également la loi comme une menace sanitaire pour les communautés autochtones, évoquant que les montagnes sont utilisées pour y récolter des médicaments. Le gouvernement fera toutefois marche arrière à l’hiver 2021 face aux critiques générales (Bellefontaine 2021). Le 17 juin 2020, l’Assemblée législative de l’Alberta adopte également le projet de loi 1, ou « Critical Infrastructure Defense Act » dont le but est de protéger les infrastructures essentielles contre les dommages ou les interférences causés par des activités de protestations (barrages, occupations, etc.). La détermination du caractère essentiel de l’infrastructure et les délits nouvellement créés sont basés sur une définition particulièrement élargie de la protection des infrastructures qui suscite l’indignation du Congrès des peuples autochtones (CPA). L’organisation dénonce alors une criminalisation de la dissidence politique légitime dans le contexte du développement des ressources naturelles et des droits autochtones. Selon le vice-président du CPA, Kim Baudin : « Le projet de loi 1 est un message indiquant que la réconciliation est morte en Alberta » (CPA 2020).

Parallèlement, les mesures gouvernementales favorables aux entreprises minières se multiplient entre juin et août dans les autres provinces et territoires. Les paiements de certains frais administratifs, dont les coûts liés aux permis d’utilisation de terrains, sont reportés à Terre-Neuve-et-Labrador qui décide d’éliminer en même temps les exigences de dépenses minimales d’exploration minière. Des mesures saluées par Mining Industry NL, l’association minière régionale, qui y voit « un signal au marché que Terre-Neuve-et-Labrador est l’endroit idéal pour les activités minières » (Butler 2020). Au Yukon, la Chambre des mines se réjouit de l’ajout de 1,1 million de dollars supplémentaires au budget du programme d’exploration minière (Samson 2020). Enfin, le gouvernement fédéral annonce la prolongation des délais et l’annulation de certains paiements des loyers de baux miniers au Nunavut afin de soulager le fardeau des petites sociétés minières et d’exploration (Brown 2020). L’ensemble de ces mesures sont à mettre en perspective avec les mesures additionnelles qui ont été prises par le gouvernement fédéral concernant le soutien aux entreprises et les secteurs touchés par les perturbations économiques liées à la gestion de la COVID-19, parmi lesquels le secteur minier (AMC 2020a).

Durant cette période, la Colombie-Britannique semble être la seule province à ne pas suivre de manière aussi importante cette trajectoire. Le 22 juin, le ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources pétrolières propose une série de modifications à la Loi sur les mines, une réforme qui était en préparation depuis 2014. Le gouvernement provincial renforce la responsabilité de l’industrie en séparant les fonctions d’autorisation et de conformité au sein du ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources pétrolières, de même qu’en créant un poste de responsable des permis et une unité de surveillance indépendante. La réforme ne suscite pas d’opposition politique majeure des Premières Nations, même si le Conseil de l’énergie et des mines des Premières Nations de Colombie-Britannique critique ses insuffisances dans plusieurs domaines, notamment la mise à jour des exigences de sécurité vis-à-vis des résidus miniers (BC First Nations Energy and Mining Council 2020).

La deuxième séquence d’évènements renforce la coalition discursive entre les acteurs gouvernementaux et miniers qui se concentre cette fois-ci dans un contexte de planification de la relance économique. En effet, leurs cadres discursifs respectifs soulignent l’importance des projets miniers dans la relance économique du pays. Le cadre des débats se déplace d’ailleurs de la question du maintien des activités extractives à celle de la trajectoire de la relance économique et, dans certaines provinces ou certains territoires, à celle de l’allègement de la réglementation environnementale. Tout comme dans la première séquence d’évènements, les actions des gouvernements susciteront d’importantes critiques d’une partie des communautés et des organisations autochtones. Ces dernières déploient un cadre discursif ayant pour objectif de remettre en cause la nature démocratique et constitutionnelle des projets de loi sur la relance économique des provinces, allant jusqu’à pointer des risques de dérive autoritaire. Le respect des droits autochtones, notamment celui d’être consulté, est d’ailleurs toujours au coeur de leur cadre discursif. Au Québec et en Alberta, les revendications autochtones, conjuguées aux pressions du public, semblent avoir permis de mettre sur la glace une partie des politiques de relance économique. Toutefois dans la grande majorité des cas, le cadre discursif autochtone ne semble pas avoir modifié la trajectoire des politiques de relance.

Septembre-Décembre 2020 : Le renforcement du positionnement stratégique des acteurs miniers

L’automne 2020 est marqué par une altération subtile des cadres discursifs de l’industrie face aux nouvelles priorités mises en avant par les autorités publiques. Selon l’industrie, les mines vont participer à la relance économique ainsi qu’à la transition du Canada vers une économie verte et décarbonée.

Ce cadrage reproduit un discours déjà avancé par le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux par le biais de campagnes de promotion de minéraux nécessaires à la production de véhicules électriques, de batteries ou de panneaux par exemple et donc, d’une économie verte. Pour les gouvernements, cette rhétorique va aussi se traduire par l’introduction de nouvelles lois et des plans d’investissement massifs visant une « relance verte », particulièrement visible en Ontario et au Québec, et dans une certaine mesure en Colombie-Britannique. Après s’être concentrés pendant de nombreux mois sur la crise sanitaire, les gouvernements amorcent un retour progressif aux politiques antérieures à mars 2020, c’est-à-dire une croissance économique qui se veut compatible avec des objectifs de diversité et d’inclusion ainsi qu’avec la protection de l’environnement et la lutte contre les changements climatiques.

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, et le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, mobilisent ce cadre dès le 11 septembre lors de l’inauguration de la mine d’or de IAMGOLD dans le nord de l’Ontario. Selon les mots de M. Trudeau :

Les innovations dans [le] secteur [minier] seront cruciales pour une reprise verte et aideront à conduire la transition propre dont nous avons besoin […]. Du nickel au cobalt qui sont utilisés dans les véhicules électriques et les panneaux solaires, le secteur minier est vraiment important pour construire un meilleur avenir pour nous tous.

Ross 2020

Malgré l’opposition des communautés autochtones situées en aval du site minier, Justin Trudeau désigne le projet comme étant partie prenante de la réconciliation, laquelle fait toujours partie des priorités de son gouvernement.

Le ministre ontarien des Mines va d’ailleurs mobiliser ce même cadre discursif lorsqu’il déclare dans un média minier que le secteur sera mis « au premier plan » et jouera « un rôle important dans la reprise économique de l’Ontario et surtout du nord de l’Ontario » (Vincent 2020) ; des intentions cohérentes avec celles qu’il avait exprimées lors de son intervention en mars à la Convention annuelle de l’Association canadienne des prospecteurs et développeurs à Toronto (Sekulich 2020), de même qu’à l’évènement annuel de l’Association minière de l’Ontario en octobre. Toutefois, cet enthousiasme n’est pas partagé par l’ensemble des populations autochtones de la province. Le 18 novembre, un regroupement de Premières Nations de l’Ontario lance une action en justice contre le gouvernement ontarien. Elles accusent la province d’avoir violé la Charte des droits environnementaux en adoptant la loi 197 sans consultation ni participation des Premières Nations (Kitching 2020).

Au Québec, le projet de loi 66 ou « Loi concernant l’accélération de certains projets d’infrastructure » est présenté le 23 septembre. Il poursuit des objectifs similaires au projet de loi 61. S’il ne concerne qu’une liste de 181 projets d’infrastructures a priori sans dangers pour les droits autochtones et la protection de l’environnement, les opposants au texte (autochtones comme non-autochtones) ont manifesté leur inquiétude de voir se pérenniser l’affaiblissement de la réglementation environnementale (Plante 2020). Cette inquiétude est alimentée par le dépôt du mémoire de la Fédération des chambres de commerce du Québec, affichant clairement son espoir que les mesures d’accélération des projets « puissent devenir des mesures permanentes, et que des actions soient prises en ce sens pour l’ensemble des projets publics du gouvernement du Québec ainsi que des projets des municipalités » (FCCQ 2020). Le chef Ghislain Picard de l’APNQL déclare que le projet de loi « confirme le peu de considération, voire l’indifférence du Québec pour une relance économique propre aux Premières Nations » (Bordeleau 2020). Le projet de loi 66 est adopté le 10 décembre[2].

Parallèlement, trois plans relatifs à l’exploitation des ressources naturelles sont présentés à l’automne. Le premier est le Plan québécois pour la valorisation des minéraux critiques et stratégiques 2020-2025, présenté le 29 octobre, qui promeut l’exploitation de métaux et de minéraux nécessaires à l’électrification des transports et à la transition énergétique verte. Le plan est bien accueilli par l’AMQ qui y voit un message positif de la part du gouvernement puisqu’il « positionne le secteur minier comme une réelle solution aux enjeux climatiques et comme une source d’enrichissement à fort potentiel pour le Québec » (AMQ 2020c). Le deuxième, le Plan pour une économie verte 2030, présenté le 16 novembre, vise à amorcer une transition verte de l’économie provinciale basée en partie sur le développement du gaz naturel et l’électrification des transports. Enfin, le 7 décembre, le gouvernement québécois dévoile le Plan d’action nordique 2020-2023. Il consacre 1,4 milliard de dollars au développement d’infrastructures afin de faciliter, notamment, l’exploitation de ressources minières au-dessus du 49e parallèle. Ce dernier plan, bien que prévu de longue date, affirme la volonté de la province de renforcer durablement le secteur minier.

En Colombie-Britannique, le premier ministre John Horgan dévoile le 13 septembre une feuille de route afin de stimuler la relance économique. Parmi les mesures et les subventions prévues, un grand nombre s’adressent au secteur minier, en particulier en ce qui concerne les activités d’exploration. La feuille de route reçoit le soutien de l’Association pour l’exploration minérale (AEM) qui salue « l’approche prudente du gouvernement qui a choisi de donner la priorité aux mesures de relance qui contribueront à la reprise économique à court terme » (AEM 2020). Cela n’empêche pas l’AEM de recommander une augmentation des crédits d’impôt pour l’exploration minière, un fonds d’investissement et des subventions additionnelles, suggérant qu’il est « absolument temps pour nous de faire de la Colombie-Britannique un centre d’excellence pour l’exploration minière, en attirant des capitaux mondiaux et en étant le leader mondial en matière de pratiques d’exploration responsable » (AEM 2020). Des recommandations semblables vont être proposées le 16 octobre par l’Association minière de Colombie-Britannique (AMCB) dans un document plaidant pour un soutien accru de la part du gouvernement, notamment via l’ajustement de la taxe carbone en vigueur avec celle des autres provinces et l’amélioration du cadre réglementaire de l’exploitation minière. Ici encore, l’industrie insiste sur sa capacité à contribuer « à la reprise économique de notre province et à la lutte contre le changement climatique mondial » (AMCB 2020). Si la réforme du droit minier britanno-colombien suggère pendant l’été que l’activité minière dans la province sera soumise à plus de contrôle, la réforme ne s’oppose cependant pas à une intensification des activités extractives.

Cette dernière séquence d’évènements confirme une importante concordance entre les cadres discursifs de l’industrie minière et des gouvernements, qui mettent de l’avant le caractère stratégique des ressources minérales dans la relance économique et la transition vers une économie verte. Les positionnements des nations et des communautés autochtones, dont la médiatisation a été moins forte dans la période donnée, ne semblent toujours pas trouver écho auprès de l’alignement discursif entre l’industrie et les gouvernements. Si l’importance du respect des droits autochtones est reprise, en particulier par le gouvernement fédéral, afin de souligner l’importance de la réconciliation, des tensions émergent quant à l’interprétation et la mise en oeuvre de ces droits.

Discussion

L’analyse des cadres discursifs des Autochtones, de l’industrie minière et des gouvernements au cours des trois séquences d’évènements identifiées permettent de dégager plusieurs tendances.

D’activités responsables et sécuritaires à activités essentielles pour protéger les Canadiens contre la pandémie, l’industrie se présente comme un rempart contre la récession économique à venir, puis comme un élément essentiel de la relance économique et de la lutte contre les changements climatiques. Ce discours de l’industrie est appuyé par les autorités fédérales, provinciales et territoriales via un ensemble de mesures favorables à l’intensification des activités extractives[3]. Ce soutien des autorités publiques a notamment permis à l’industrie d’opérer de manière quasi normale en 2020, de profiter de l’augmentation du prix de l’or, du fer et du cuivre à partir du mois de mars et de fortement limiter ses pertes (Ramkumar et Wallace 2020). La PDG de l’AMQ, Josée Méthot, se félicite ainsi que « les sociétés minières [aient] sues reprendre somme toute rapidement un niveau d’activité comparable à celui qui existait avant la pandémie de la COVID-19 », créditant cette situation à « la résilience des travailleurs de l’industrie et leur capacité à innover » (AMQ 2020b) ; un discours reproduit à de multiples reprises par différents représentants de l’industrie minière à travers le Canada. Le président de Forages Rouillier, un des groupes leaders dans le forage minier au Canada, est encore plus enthousiaste : « On pouvait voir avec les courbes que nous approchions d’une hausse, mais c’est sûr que la pandémie a fait accélérer, même quintupler la reprise, ça a été la folie » (Côté 2020). Des mesures politiques favorables à l’extension et l’intensification de l’exploitation minière et d’importantes subventions et mesures d’aide ont donc été offertes à un secteur qui n’a que très peu subi les contrecoups économiques de la pandémie (AMC 2021).

Les convergences entre les discours des gouvernements fédéraux, provinciaux et territoriaux avec l’industrie minière sur les différentes séquences identifiées renvoient à la formation d’une coalition discursive, c’est-à-dire un ensemble de discours partagé par plusieurs acteurs suggérant une compréhension commune de la réalité et dont l’articulation peut contribuer à imposer cette compréhension commune au sein de la société (Hajer 2013 ; Baillat 2015). Ils suggèrent également l’ouverture d’une fenêtre d’opportunités pour l’industrie minière et les gouvernements. L’industrie minière a été à même de rejoindre les préoccupations gouvernementales et de s’inscrire comme un secteur clé de la relance économique et de la transition environnementale en se présentant sous une variété d’angles : sécurité des sites de production, responsabilité sociale auprès des communautés autochtones, rôle dans la chaîne de production de matériel sanitaire, contribution économique présente et future, et rôle dans la transition environnementale. Dans cet esprit, la rhétorique de la coalition discursive formée par l’industrie et les gouvernements s’ancre clairement dans l’idée d’une conciliation entre croissance économique et protection de l’environnement.

Quant aux acteurs autochtones, leur discours d’abord centré sur le respect des droits autochtones et la potentielle menace des activités minières à leur sécurité, s’est ensuite déplacée vers l’importance de la consultation autochtone et de leur autodétermination lors des trois séquences analysées. En s’intéressant à la place accordée au positionnement des communautés et des organisations autochtones dans les cadres discursifs de l’industrie minière et des gouvernements, l’analyse du corpus de texte suggère que les idées principales de leur discours n’ont eu qu’une reconnaissance superficielle par l’industrie minière et les gouvernements lors des trois séquences analysées. Bien que la réconciliation demeure une priorité politique dans le discours du gouvernement fédéral, comme en témoigne la progression du projet de loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en 2020 puis son adoption subséquente en 2021, leurs revendications n’ont pas nécessairement été reprises lors de la gestion des activités minières. Dans les provinces et territoires, malgré des dénonciations répétées et une grande variabilité dans leurs relations avec les gouvernements et les minières, nous constatons que les entreprises minières n’ont pas vu naitre durant la pandémie de nouvelles obligations en ce qui a trait à la consultation ou au consentement préalable, libre et éclairé (CPLE) des communautés et nations autochtones suite aux appels aux respects des droits autochtones en 2020.

En ce sens, la marginalisation des perspectives autochtones par l’alignement discursif entre l’industrie et les gouvernements lors de la crise de la COVID-19 laisse présager que les tensions entre ces acteurs perdureront. Les débats sur la relance de l’économie canadienne et la transition environnementale, tels qu’ils ont été déployés en 2020, indiquent que le Canada est encore loin de garantir une transition équitable pour toute la population, en particulier en ce qui concerne le respect des droits des peuples autochtones et à leur autodétermination. Ce constat fait échos à de nombreux auteurs qui notent par ailleurs que l’intensification des activités extractives exerce une pression supplémentaire sur les communautés autochtones par la multiplication des demandes de consultation dont le processus peut ne pas correspondre à leurs attentes et entraîner des tensions locales (Szablowski 2010), particulièrement en l’absence de systèmes de cogestion et de protocoles de consultation adéquats (White 2020 ; Leclair, Papillon et Forget 2020). Cette analyse met conséquemment en évidence l’importance de créer des coalitions discursives dans lesquelles prennent place et interviennent les Autochtones afin de tendre vers une réelle réconciliation.