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Le collectif dirigé par Eugénie Brouillet, Alain-G. Gagnon et Guy Laforest présente ce dont il a été question dans les exposés d’un colloque. En effet, du 16 au 18 octobre 2014, le Groupe de recherche sur les sociétés plurinationales (GRSP) et le Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité et la démocratie (CRIDAQ) se sont donné comme objectif, de pair avec la Faculté de droit de l’Université Laval, de « mieux cerner et comprendre l’émergence de la fédération canadienne », 150 ans après la Conférence de Québec de 1864 (p. 2). Publié à la fois en anglais et en français par différentes maisons d’édition, ce projet de grande ampleur est divisé, dans le livre, en cinq parties : 1) le contexte politico-juridique ; 2) les défenseurs du projet ; 3) les opposants au projet ; 4) les fondements moraux et 5) un retour sur l’historiographie, pour un ensemble de quinze chapitres en plus de l’introduction. Le but de l’ouvrage est de présenter « une compréhension mieux contextualisée des 72 Résolutions de Québec de 1864, fruit du travail de la Conférence et avant-projet structurant pour la loi fondamentale de 1867 […] » (p. 9).
Dans la première partie exposant le contexte juridico-politique, Rachel Chagnon cherche à retracer les visions et les modèles du constitutionnalisme que portaient les Pères de la Confédération (p. 28). Présentant des promoteurs de l’union des colonies de l’Amérique du Nord britannique (AANB) comme Joseph Cauchon, l’auteure mentionne aussi des détracteurs comme Antoine-Aimé Dorion. Elle porte attention spécialement aux mécanismes judiciaires de la nouvelle entité fédérale, notamment le Comité judiciaire du Conseil privé (CJCP) (p. 32-33), au thème de la démocratie (p. 34-36), au fédéralisme, y compris le changement de terme de « fédération » à « confédération » qui se produira à la Conférence de Québec (p. 37). Chagnon présente également les modèles de constitutions qui ont inspiré les Pères de la Confédération, soit le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis (p. 39-45). Marc Chevrier suggère dans le chapitre suivant que le modèle fédéral tel qu’adopté au Canada revenait à être un moyen de dominer les Canadiens français (p. 49-50), notamment en les minorisant de façon durable dans le nouveau modèle canadien (p. 55). Le dualisme de l’Union de 1840 n’a pas été conservé dans l’Union de 1867, alors qu’il aurait pu l’être, soutient Chevrier (p. 65). Phillip Buckner s’intéresse aux origines des habitants du Canada comme colonie britannique au moment de la Confédération (p. 71-74). L’« américanité » des rédacteurs des Résolutions de Québec n’est pas à sous-estimer, selon lui, qui va jusqu’à affirmer qu’« une chose est certaine : cette constitution fut élaborée par des Américains britanniques pour satisfaire des besoins américano-britanniques » (p. 89).
Les défenseurs du projet sont présentés dans la seconde partie. Éric Bédard met de l’avant la vie et les idées de Joseph-Édouard Cauchon, qui n’était pas à proprement parler un Père de la Confédération. Bédard relève que ses réflexions sur la Conférence de Québec reflètent ses critiques du modèle étatsunien ainsi que son conservatisme (p. 110) : il se méfiait des « abstractions » des Rouges (p. 112) ainsi que de « l’empire du mal » au Sud (p. 113-116). Guy Laforest et Félix Mathieu signent un chapitre portant sur la vie et les contributions de trois Pères : George-Étienne Cartier, Alexander Tilloch Galt et Thomas d’Arcy McGee, représentant les milieux francophone, anglophone, catholique et protestant de la colonie à l’époque (p. 124). Ils sont dévoilés dans leurs gloires ainsi que dans leurs controverses. La participation des acteurs et des délégations coloniales à la Conférence de Québec est analysée dans le chapitre suivant par Christopher Moore. Fait intéressant, celui-ci relève que chaque gouvernement colonial a insisté pour que l’opposition participe à la Conférence, afin de partager le blâme auprès de la population si les choses devaient mal tourner (p. 152-153). Paul Romney se penche quant à lui sur la façon dont les historiens ont rapporté le rôle des Pères George Brown et Olivier Mowat ainsi que les idées dont ils étaient porteurs : des mythes de « héros » et d’« anti-héros » ont été créés, qui se perpétuent encore de nos jours (p. 161-162).
Les opposants au projet sont présentés dans la troisième partie de l’ouvrage. François Rocher note que ces derniers sont minimisés et ridiculisés dans l’écriture nationaliste et conservatrice de l’histoire canadienne (p. 191-193). Une critique récurrente au projet de Confédération était son caractère secret et élitiste (p. 201). Rocher présente les idées dans leur contexte d’émergence, soit les colonies et les groupes qui les portent. Louis-Georges Harvey plaide pour que l’on n’oublie pas la critique de ceux qui se dissociaient du projet confédératif, notamment les républicains qui y voyaient une vaste corruption multiforme qui menaçait de se perpétuer (p. 230-233). Stéphane Kelly relève dans son chapitre les arguments économiques des Québécois opposés à la Confédération (p. 243) en distinguant trois cultures politiques régionales : le grand Montréal francophone, le Québec profond et le Montréal hors Québec (p. 246-247). Louis-Joseph Papineau est mis de l’avant par Yvan Lamonde qui, au chapitre suivant, explique son opposition à la Confédération par son admiration des États-Unis et son désir que le Canada en fasse partie, ainsi que son scepticisme face au « gouvernement responsable » tel que pratiqué en Amérique du Nord britannique à l’époque.
La quatrième partie englobe une réflexion d’André Burelle sur le contraste entre la compréhension du Canada comme une union entre deux peuples fondateurs, que portait George-Étienne Cartier, et le Canada multiculturel one nation de Pierre Elliott Trudeau (p. 278, 285). Au chapitre suivant, Robert C. Vipond, Jacqueline D. Krikorian et David R. Cameron se penchent sur les « idées délaissées » dans les Résolutions de Québec (p. 291) : l’on gagnerait, suggèrent-ils, à étudier de plus près les préambules des Résolutions et à les mettre en relation avec l’AANB, pour constater ensuite que ce dernier document a laissé tomber plusieurs éléments « riches » (p. 308) afin de donner l’impression d’être plutôt un contrat de vente (p. 296).
Dans la cinquième partie, Claude Couture explique que, dans le contexte impérial britannique de l’époque, il était ardu de concevoir le Canada comme une entité multinationale. Enfin, Anne Trépanier, dans une analyse de plus d’une dizaine de journaux des quatre provinces initiales de l’AANB, expose la manière dont était présentée la Confédération à cette époque : soit par un monstre, soit par une femme possédant un rôle subversif ou vulnérable et dépendant (p. 333).
Cet ouvrage très complet, qui intéressera tous les initiés à l’histoire politique canadienne, est traversé par quelques thèmes récurrents. L’un d’eux est la création de cette « nouvelle nationalité politique » que les Pères de la Confédération annoncent fièrement. Plusieurs auteurs la mentionnent au passage, avec le recul du temps, pour examiner ce qui en est. Cette mention répétitive porte à penser qu’il pourrait être intéressant d’explorer avec plus de profondeur cette notion qui frappe un lecteur contemporain du contexte et du contenu des Résolutions de Québec. La conférence de Québec de 1864 : 150 ans plus tard sera particulièrement intéressant pour les adeptes de politique canadienne qui cherchent à avoir un regard critique sur la Confédération canadienne. Le caractère « secret » et élitiste de l’élaboration des Résolutions de Québec ne manque pas d’être mentionné, ainsi que les détracteurs de ces Résolutions qui n’ont pas eu de part glorieuse dans la rédaction de l’histoire canadienne et québécoise. On trouve dans ce collectif une analyse plutôt « gagnants/perdants » dans plusieurs des façons de rapporter l’histoire de la Conférence de Québec. L’un de ses apports principaux à la littérature est, à mon sens, l’exposé de l’argumentaire des « Rouges », comme Antoine-Aimé Dorion, qui s’opposaient à la Confédération au nom de la défense de la liberté du Canada français.