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Disqualifiée scientifiquement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, notamment en 1950, par la Déclaration sur la race et les préjugés raciaux de l’UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture), l’idéologie raciste persiste tout de même au sein de nos sociétés en complexifiant son discours, le racisme culturel venant se surajouter aux formes biologique et coloniale. Gagnant en subtilité, le racisme contemporain rend plus ardue l’identification claire de son discours ainsi que de ses émetteurs, donnant dès lors lieu à davantage de confusion au sein du discours et des moyens de l’antiracisme. Dans cet ouvrage, Micheline Labelle se propose justement d’analyser le discours de l’État québécois, des organisations non gouvernementales (ONG) et des associations de minorités sur le racisme et l’antiracisme. Cet effort a pour objectif de « faire un état des convergences et des divergences entre les protagonistes choisis en ce qui concerne les représentations sociales du racisme et de l’antiracisme, pour une période restreinte, celle des années 2000 » (p. 12). Sur le plan méthodologique, l’auteure procède à une analyse de contenu classique ayant pour corpus la documentation officielle de plusieurs ministères québécois ainsi que des mémoires des ONG et des associations de minorités déposés à l’occasion de la consultation publique de 2006 du ministère de l’Immigration et de Communautés culturelles (MICC) dans le cadre du projet de politique gouvernementale de lutte contre le racisme. La grille analytique mobilisée est constituée de quatre questions, à savoir « Qui sont les cibles du racisme ? Qui est raciste ? Qu’est-ce que le racisme ? Comment le combattre ? » (p. 158). La pertinence d’une telle analyse discursive du racisme et de l’antiracisme au cours des années 2000 est évidente. Alors même que la population québécoise connaît une diversification accrue et que la proportion de minorités racisées y est grandissante, comme le note l’auteure, nous sommes entrés depuis 2001 dans une « nouvelle ère » caractérisée à l’international par la montée de l’extrême-droite et de son discours, des crimes haineux, des discriminations raciales et de l’islamophobie (p. 2). Or, malgré plusieurs passages méritoires, dont une introduction et un premier chapitre convaincants, l’ouvrage ne parvient pas tout à fait à se hisser à la hauteur de son ambition affichée d’apporter un éclairage analytique critique aux enjeux et aux débats concernés. Certes, il est fort intéressant que Labelle souligne, au fil de sa recension des différentes perspectives des acteurs étudiés, les confusions et les généralisations en ce qui a trait, notamment, aux acteurs et aux victimes du racisme ainsi qu’aux moyens d’y lutter. Cependant, bien que le travail descriptif soit louable, celui analytique demeure insuffisant pour proposer une interprétation sociologique qui permette de mettre en lumière les divergences discursives des acteurs étudiés.
Au premier chapitre, l’auteure expose sa position théorique à travers la présentation des différentes lectures des transformations du racisme, du rôle de l’État dans l’antiracisme ainsi que du statut de « race » comme terme à mobiliser ou à proscrire au sein des analyses en sciences sociales. Contrairement aux théoriciens antiracistes des whiteness studies et de la critical race theory défendant la validité analytique de la notion de « race », Labelle prône l’abolition du vocable issu du discours raciste pour y préférer le terme de « groupes racisés ». Affirmant la nécessité d’étudier les discriminations et les inégalités découlant du racisme sans emprunter les vocables de l’idéologie raciste, elle mobilise plutôt les concepts de processus de racialisation, de processus de catégorisation et de disqualification sociale. Labelle aborde rapidement les transformations du racisme en traitant de l’articulation du racisme biologique au néoracisme caractérisé par le postulat de l’incompatibilité des cultures ainsi que de la discrimination systémique portant préjudice aux groupes racisés sur le plan socioéconomique. Aussi dresse-t-elle un portrait synthétique de tendances marquant le nouveau millénaire telles que la remise en question du multiculturalisme, l’accentuation des inégalités sous la mondialisation, le regain de l’islamophobie et de l’antisémitisme, l’infiltration et la normalisation du discours de l’extrême-droite et la relation étroite entre guerre au terrorisme et sécurisation de l’immigration. Au terme de ce chapitre, Labelle présente clairement sa position théorique apparentée à celles d’auteurs comme Grace-Edward Galabuzi, Michel Wieviorka, Alana Lentin et Nancy Fraser. Il s’agit d’une approche antiraciste visant la réalisation d’une citoyenneté substantive. Elle formule donc une critique de gauche du multiculturalisme qui, bien que traitant de la question de la reconnaissance, laisse en plan celle de la redistribution en ne ciblant pas les structures d’exploitation et de domination. L’ouvrage bénéficie de cette réinscription de la question du racisme et de l’antiracisme au sein d’enjeux politiques, économiques et théoriques au niveau international. Cette synthèse fort intéressante aurait toutefois gagné à être complétée par un portrait de l’évolution du contexte québécois ainsi que d’une présentation des travaux d’auteurs locaux sur la question. Cela aurait certainement contribué à jeter un éclairage plus complet sur les discours portant sur le racisme et l’antiracisme en sol québécois.
À la suite de l’analyse du discours de l’État et de la société civile sur le racisme et l’antiracisme aux chapitres 2, 3 et 4, l’auteure dresse en conclusion cinq grands constats qu’il convient ici de souligner. Premièrement, l’État québécois reconnaît l’existence du racisme au Québec ainsi que ses conséquences en termes d’inégalités sociales déniant aux individus racisés une participation pleine et équitable à la citoyenneté et entend donc lutter contre celui-ci, notamment, grâce à sa politique gouvernementale de 2008. Deuxièmement, selon Labelle, la pensée et le vocabulaire racisant sont toujours bien présents dans le discours de l’État et des organismes de la société civile. Toutefois, alors que le premier a recours au terme ambigu de « minorités visibles », les ONG et les associations de minorités se distinguent par le fait qu’elles s’approprient pour la plupart la notion de « race ». L’auteure dénonce à ce propos le caractère globalisant de l’identification des acteurs racistes et des cibles du racisme et promeut plutôt l’auto-identification des minorités ainsi que le recours à l’analyse différenciée prenant en compte d’autres variables telles que le sexe et la classe sociale. Troisièmement, l’État écarte systématiquement la situation des Autochtones dans son discours sur le racisme, fait dénoncé par les ONG. Quatrièmement, l’auteure craint que la définition globalisante des acteurs racistes comme les Blancs et les « pure laine » encourage un racisme à rebours minant l’appartenance citoyenne au Québec. Cinquièmement, l’auteure craint que l’antiracisme en vienne à être dilué en raison de sa confusion avec l’interculturalisme et la promotion de la diversité ethnoculturelle. En effet, aussi bien l’État que les ONG et les associations de minorités tendent à amalgamer les préjugés et les discriminations à caractère raciste à des conflits de nature interculturelle. Or, comme elle le souligne bien, il s’agit de phénomènes distincts nécessitant des stratégies distinctes. En définitive, elle appelle donc les organismes de la société civile concernés par la question à clarifier leur discours sur le racisme et l’antiracisme. Aussi finit-elle en revendiquant une analyse du racisme prenant en compte les facteurs structurants tels que la structure de classes de la société québécoise et la mondialisation néolibérale.
Au final, malgré une perspective théorique des plus intéressantes, Micheline Labelle livre un ouvrage inégal. La lecture du premier chapitre présentant synthétiquement le contexte international du racisme ainsi que les enjeux et les débats y étant reliés est toutefois fortement recommandée. Bien que le corps de l’ouvrage consacré demeure trop souvent au stade descriptif et que certains acteurs comme les grands médias, les universitaires québécois et les racistes eux-mêmes manquent au tableau d’une analyse du discours du racisme et de l’antiracisme, ce livre est une contribution importante au débat puisqu’il fournit des arguments supplémentaires qui vont dans le sens d’une nécessaire adoption d’une politique gouvernementale de lutte contre le racisme. Il va sans dire que celle-ci permettrait de clarifier les termes du débat, mais aussi ceux des luttes devant être menées au Québec. De plus, comme le souligne l’auteure, bien que les visions de l’antiracisme soient multiples et divergentes au sein des organismes de la société civile, « les principes directeurs d’une politique gouvernementale de lutte contre le racisme font consensus : la dignité, l’égalité et la justice sociale, la prise en compte des fondements historiques du racisme, le leadership de l’État » (p. 154).