Article body

ProblÉmatique et mise en contexte de l’Étude

La pandémie a révélé de façon frappante les limites des services sociaux et de santé institutionnels quant à leur capacité de répondre aux besoins des communautés défavorisées (Biard et al., 2020 ; Carde, 2021 ; Hamel-Roy et al., 2021). Devant la lenteur de la réponse gouvernementale pour s’assurer que les populations défavorisées soient informées des consignes de la santé publique et aient accès aux équipements de protection, des citoyen.ne.s et des organismes communautaires se sont mobilisé.e.s pour répondre aux besoins les plus urgents. Ces initiatives ont donné naissance à des pratiques de sensibilisation et d’intervention communautaire portées par des « citoyen.ne.s-relais », lesquelles ont rapidement connu un rayonnement important (Pleyers, 2021 ; Ruelland, 2022). Ce type d’implication citoyenne pour rendre les services plus accessibles n’est pas nouveau et s’est notamment répandu dans plusieurs États sociaux fragiles, où les infrastructures sanitaires sont lacunaires et les ressources publiques insuffisantes. De nombreuses études documentent et analysent ces pratiques dans les pays du Sud comme le Brésil (Do Rosario Costa et al., 2021 ; Lotta et Nunes, 2021 ; Méllo et al., 2021) ou le Sénégal (Carillon et al., 2021 ; Wilkinson et al., 2017).

Au Québec, ces pratiques citoyennes, qui jouent un rôle de mobilisation et de soutien aux interventions de proximité en plein essor depuis la pandémie, restent, dans une large part, à documenter. Avec l’essor de ces pratiques dites « citoyennes » dans différentes organisations offrant des services sociaux et de santé, sommes-nous devant de réels services de proximité s’insérant dans une véritable dynamique de démocratisation des pratiques ou doit-on y voir une nouvelle forme de travail non reconnu, le plus souvent peu rémunéré, qui accentue les inégalités entre différentes catégories de travailleur.euse.s hiérarchisé.e.s ?

Cet article rend compte d’une recherche qui propose de comprendre le développement de pratiques de sensibilisation communautaire mises en place dans deux quartiers défavorisés du Nord de l’île de Montréal depuis le début de la pandémie en 2020[1]. Il s’agit d’analyser de manière critique des pratiques coproduites à partir des expériences de sensibilisation vécues par des citoyen.ne.s et soutenues par des intervenant.e.s communautaires. Pour ce faire, nous nous appuyons sur un travail empirique au plus près des individus et sur l’analyse comparative entre trois cas ciblés. Adoptant une approche qualitative et inductive, la méthode se fonde sur l’observation en situation et sur des entretiens individuels et collectifs afin d’opérer par l’analyse un croisement des points de vue des différents acteurs sur leur activité et le contexte dans lequel elle a lieu. Dans un premier temps, nous décrivons les pratiques de sensibilisation communautaire, leur contexte d’émergence, leur particularité ainsi que les modalités de soutien mises en oeuvre par les organismes communautaires pour assurer le plein potentiel de ces pratiques portées par des citoyen.ne.s. Ensuite, l’analyse croisée de ces pratiques fait ressortir des tensions de démarcation des frontières entre la mission des organismes communautaires et la santé publique, le travail de sensibilisation rémunéré et l’engagement citoyen en santé.

État de la question et cadre d’analyse

Au cours des dernières décennies, les citoyen.ne.s ont joué un rôle de plus en plus important dans la prestation de soins et de services publics de proximité (Bode et Brandsen, 2014 ; Skinner et al., 2019). Les citoyen.ne.s sont apprécié.e.s non seulement parce qu’elles.ils coûtent peu à l’embauche (Liljegren et al., 2014 ; Muehlebach, 2012), mais aussi parce qu’elles.ils peuvent proposer d’autres formes de pratiques que les professionnel.le.s (van Bochove et al., 2018, Frederiksen et Grubb, 2021 ; Kierkegaard et Andersen, 2018).

Par exemple, les études sur les pratiques des agent.e.s de santé communautaire (Craig et al., 2011 ; Sabo et al., 2017 ; Islam et al., 2015 ; Naimoli et al., 2014 ; 2015 ; Zanchetta et al., 2015) mettent surtout l’accent sur la démonstration de leur efficacité puisque ces pratiques produisent des changements de comportements bénéfiques au sein des communautés en situation de vulnérabilité (Verhagen et al., 2014) et agissent sur les déterminants sociaux de la santé (Bilodeau et al., 2014). Ces études exposent aussi comment ces pratiques améliorent l’efficacité de l’organisation des services sociaux et de santé, notamment parce qu’elles contribuent à assurer un meilleur accès aux services de santé pour les populations en situation de vulnérabilité (Andrews et al., 2004 ; Verhagen et al., 2014) ainsi qu’à réduire les coûts associés aux services offerts. Il y a un réel engouement des institutions de santé et de services sociaux pour le déploiement et la mise à l’échelle de telles pratiques par et pour les citoyen.ne.s, en raison de leur efficacité démontrée (Islam et al., 2015).

Cependant, il est difficile de définir clairement qui sont les citoyen.ne.s qui portent ces pratiques et quelles sont leurs activités en santé de proximité (Lehoux et al., 2012). Un certain consensus se dégage pour convenir qu’il s’agit d’acteur.trice.s ne jouant pas un rôle professionnel en santé et qui ont des connaissances personnelles et une expérience directe des événements quotidiens de leur communauté. Elles.Ils véhiculent des savoirs spécifiques (expérientiel, communautaire, territorial) et une approche globale de la santé ancrée dans une expérience vécue de leur communauté (Fleuret, 2015 ; Sintomer, 2008). Elles.Ils se sentent aussi interpellé.e.s par le bien-être et la santé des populations et agissent sur cette base dans leur communauté. La capacité des citoyen.ne.s à mettre en oeuvre des pratiques est façonnée par leurs savoirs, leurs valeurs et leurs intérêts et par les contributions qu’elles.ils cherchent à réaliser (Goold et al., 2019 ; Conklin et al., 2015 ; Bombard et al., 2018 ; Harris, 2018 ; Farmer et al., 2019 ; Haldane et al., 2019). Avec le soutien d’intervenant.e.s d’organisations communautaires et publiques, des initiatives citoyennes de santé (ex. sensibilisation, éducation populaire et soutien communautaire) sont coproduites et peuvent se transformer en activités de travail rémunérées (ex. pair aidant, agent.e.s de mobilisation, etc.). Comment au juste ces pratiques de proximité sont-elles coproduites entre les citoyen.ne.s et les intervenant.e.s professionnel.le.s ?

La coproduction des pratiques se traduit par l’implication citoyenne dans la conception, la mise en oeuvre, la prestation et/ou l’évaluation des pratiques de proximité ainsi que par les relations interactives et dynamiques créant une valeur ajoutée à la pratique (Amorim Lopes et Alves, 2020). Le.la citoyen.ne se positionne alors comme « producteur.trice de valeur » pour la pratique et pour l’atteinte de sa cible (Amorim Lopes et Alves, 2020). Dans le cas de pratiques de sensibilisation communautaire, cette valeur est liée à l’expérience de vie de la personne (savoirs d’expérience) et à ses connaissances du territoire (savoirs territoriaux).

Les recherches sur les pratiques d’agent.e.s de santé communautaire dans les bidonvilles brésiliens (Ruelland, 2015 ; 2019 ; Saffer et al., 2017 ; Zanchetta et al., 2009) amènent des pistes de réponses concernant les dynamiques de coproduction des pratiques impliquant des citoyen.ne.s ainsi que leur potentiel de transformation des inégalités reproduites par l’organisation du travail dans le champ de la santé et des services sociaux (Ruelland, 2019 ; Saffer et al., 2017 ; Zanchetta et al., 2015). En ce sens, la coproduction des pratiques serait facilitée lorsque des citoyen.ne.s, comme acteur.trice.s « subalternes », c’est-à-dire situé.e.s au bas de la hiérarchie de l’organisation du travail de la santé (Thomson, 2020), prennent le temps de réfléchir avec des intervenant.e.s, afin de reconnaître la portée des pratiques sur les populations concernées. Des espaces collectifs de dialogues, tels que les cercles citoyens ou rodas en portugais, faciliteraient ce processus de coproduction ainsi que son influence sur les rapports sociaux d’inégalités (Ruelland, 2019). De plus, pour être coproducteur.trice.s, les citoyen.ne.s doivent être soutenu.e.s par des processus, des méthodes et des outils appropriés qui sont souvent véhiculés par des intervenant.e.s de proximité.

Ainsi, la coproduction des pratiques avec des citoyen.ne.s non professionnel.le.s constitue une exigence de plus en plus pressante pour les intervenant.e.s de proximité. Or, en matière de soutien aux initiatives citoyennes, des recherches montrent que l’écart est grand entre les prescriptions d’implication citoyenne dans la coproduction des pratiques et leur réalisation concrète (Haldane, 2019 ; Le Bossé, 2003 ; 2016 ; Simonet, 2021 ; Vallerie, 2012). Cet écart peut être source de tensions et susciter une perte de sens du travail de proximité. Les intervenant.e.s oeuvrant dans des organismes communautaires semblent particulièrement touché.e.s par cet enjeu, notamment depuis la pandémie (Heck et al., 2022).

La façon dont les intervenant.e.s et les citoyen.ne.s coproduisent des pratiques de proximité, afin de répondre aux besoins des populations en situation de vulnérabilité, est donc controversée. Faisant la lumière sur la façon dont ces acteurs érigent, maintiennent et dissolvent leurs activités dans la coproduction des pratiques, certaines études ont adopté une perspective de « frontière » pour analyser comment ces acteurs interagissent dans ce processus de coproduction (Cour, 2019 ; McAllum 2018 ; López-Cabrera et al., 2020 ; Järvinen et Kessing, 2021). Ces études ont fourni des informations pertinentes sur les tensions qui émergent dans le « travail de délimitation » ou les « formes de démarcation » (van Bochove et al., 2018 ; McAllum, 2018 ; Saks et van Bochove, 2021) qui ont lieu dans différents contextes où les pratiques sont coproduites. En comprenant comment les intervenant.e.s et les citoyen.ne.s coproduisent les pratiques de sensibilisation communautaire, nous cherchons aussi à faire la lumière sur des tensions pouvant émerger en contexte de crise sanitaire.

La présente recherche propose de comprendre ces pratiques de sensibilisation à partir de l’analyse d’activités concrètes, depuis le point de vue des citoyen.ne.s et des intervenant.e.s communautaires qui les mettent en oeuvre dans deux territoires de Montréal, celui de Montréal-Nord et de Bordeaux-Cartierville. Pour y arriver, nous nous appuyons sur les travaux du « practice turn » en sciences sociales (Cetina et al., 2005 ; Whittington, 2006) et de l’analyse de l’activité de travail (Clot et Lhuilier, 2015 ; Clot et Simonet, 2015) qui misent, d’une part, sur un travail empirique au plus près des acteur.trice.s et, d’autre part, sur l’analyse de cas (Yin, 2018). C’est en décrivant minutieusement ce que les acteur.trice.s font au quotidien qu’il est possible d’examiner des pratiques dans les interstices des activités formelles et aussi informelles (Ruelland et Rhéaume, 2020).

Le cadre d’analyse qui sous-tend cette recherche inscrit ces deux types de pratiques, formelles et informelles, dans un processus de changement continu. Plus précisément, il s’agit :

1) de cibler les activités de sensibilisation des citoyen.ne.s et 2) de voir comment ces pratiques sont soutenues par les activités d’intervenant.e.s communautaires. Il s’agit aussi de miser sur l’analyse contextualisée d’interactions entre des acteur.trice.s ainsi que sur la compréhension des multiples façons de coproduire les pratiques de sensibilisation, que ce soit par des activités routinières ou par des actes spontanés. Un tel modèle pose des défis sur le plan méthodologique auxquels cette étude répond par une approche qualitative de techniques participatives de recherche.

MÉthodologie

L’approche méthodologique s’appuie sur une épistémologie pluraliste qui implique notamment un dispositif d’échange et de partage de savoirs, une démarche éthique d’émancipation et une responsabilité partagée des résultats (Fortier et al., 2018). Ces principes traversent l’ensemble du dispositif méthodologique concourant à l’atteinte des objectifs. Les activités de recherche s’inscrivent dans une démarche qualitative de type inductive, prenant comme référence les activités de sensibilisation communautaire et de soutien, leur contexte ainsi que la perspective des acteur.trice.s impliqué.e.s au quotidien. Le dispositif repose sur la réalisation de trois études de cas issues de projets de pratiques de sensibilisation observés dans deux territoires défavorisés à Montréal, soit Montréal-Nord (deux cas) et Ahuntsic Bordeaux-Cartierville (ABC) (un cas). Ces deux arrondissements sont particulièrement denses, à la population variée (la moitié de la population d’ABC est née à l’extérieur du Canada[2]) et jeune (il y a à Montréal-Nord 10 % de plus de personnes de moins de 18 ans que dans l’ensemble de la ville de Montréal [Heck et Lapalme, 2017]). Montréal-Nord est aussi un quartier marqué par la pauvreté et l’exclusion : 44 % des familles sont monoparentales, un quart de la population immigrante de l’arrondissement est composé de nouveaux arrivants, 37 % des résident.e.s sont sans diplôme et le revenu moyen par personne est presque 12 000 $ plus bas que pour le reste de la ville (Statistique Canada, 2021). Les infrastructures de santé restent sous-dimensionnées et ne parviennent pas à desservir convenablement la population de l’arrondissement. Le Plan régional d’organisation des services médicaux généraux 2019-2022 du Département régional de médecine générale de Montréal (2019) reconnaît ainsi que Montréal-Nord est particulièrement défavorisé et traversé par de profondes inégalités sociales de santé. Cette réalité demeure d’autant plus marquée en contexte de pandémie.

Dès avril 2020, des organismes communautaires et des citoyen.ne.s engagé.e.s dans leur communauté ont tenté de répondre aux besoins nouveaux et criants observés dans leur quartier. À Montréal-Nord, le Centre des jeunes L’Escale s’est allié à plusieurs acteurs communautaires et institutionnels du territoire de Montréal-Nord[3] pour mettre en place des équipes de sensibilisation et de promotion de la distanciation physique auprès des citoyen.ne.s et des commerçant.e.s de ce territoire parmi les plus touchés par la pandémie au Canada. Le partenariat rallie les forces d’organismes communautaires et d’institutions publiques (dont le Centre intégré de santé et de services sociaux du Nord de l’île de Montréal [CIUSSS NIM], la police municipale et l’arrondissement de Montréal-Nord) (Étude de cas 1). Une expérience similaire a été déployée sur le territoire d’Ahuntsic Bordeaux-Cartierville, portée par la Maison des jeunes de Bordeaux-Cartierville en partenariat avec l’organisme RAP jeunesse, le Carrefour jeunesse emploi Ahunstic Bordeaux-Cartierville et le CIUSSS NIM (Étude de cas 2). Également à Montréal-Nord, des citoyen.ne.s impliqué.e.s dans leur communauté et au sein de l’organisme Parole d’ExcluEs se sont aussi mobilisé.e.s et ont mené des actions de soutien et de sensibilisation communautaires qui ont conduit à les nommer « citoyen.ne.s-relais » (Étude de cas 3).

Pour chacune de ces trois études de cas, une grille simple permet de décrire les pratiques de sensibilisation et leur contexte en croisant le point de vue des citoyen.ne.s et celui des autres acteur.trice.s impliqué.e.s (chercheur.e, gestionnaire et intervenant.e). Plus précisément, il s’agit d’établir les différences et les similarités entre les cas étudiés sur le plan a) des pratiques de sensibilisation communautaire mises en oeuvre ; b) du contexte dans lequel ces pratiques prennent forme et se déploient ; c) des activités de soutien à ces pratiques. Les méthodes de cueillette de données privilégiées sont réalisées en étroite collaboration avec les participant.e.s de chacun des trois projets de sensibilisation sélectionnés. Pour chaque cas, nous avons réalisé : 1) cinq entretiens individuels et un entretien collectif de type groupe focalisé avec des partenaires (gestionnaires, praticien.ne.s de la santé et citoyen.ne.s) à l’origine des initiatives de sensibilisation, en vue de saisir le contexte d’émergence et de déploiement des pratiques ; 2 ) six entretiens individuels de type récit de pratique (Cohendet et al., 2010 ; Desgagné, 2005 ; Bertaux et Singly, 2005) avec des citoyen.ne.s afin de décrire leurs pratiques, de leur point de vue. Ces démarches permettent in fine d’analyser les apports de leur expérience à la coproduction et aux transformations des pratiques de sensibilisation.

Regards croisÉs sur trois expÉriences de coproduction de pratiques de sensibilisation communautaire À la covid-19 au Nord de l’Île de MontrÉal

Dans le cadre de cet article, pour chacune des trois expériences, nous décrirons brièvement leur contexte d’émergence ainsi que les pratiques mises en oeuvre, puis nous nous pencherons sur le soutien des pratiques au coeur de leur coproduction.

Le contexte d’émergence des pratiques de sensibilisation communautaire

Les pratiques de sensibilisation communautaire à la COVID-19 observées à Montréal-Nord et à Ahuntsic-Bordeaux-Cartierville sont nées des besoins créés par les mesures sanitaires décrétées dès la déclaration de la situation pandémique en mars 2020. Des citoyen.ne.s se mobilisent afin de pallier les difficultés accrues des personnes de leur entourage ou de leur communauté. Les pratiques s’inscrivent dans des cadres différents, selon les cas. Dans deux des cas étudiés, la collaboration intersectorielle incluant des acteurs institutionnels, dont le CIUSSS NIM, joue un rôle central dans la mise sur pied et le déploiement des pratiques de sensibilisation. Cette collaboration prend notamment la forme d’un financement et du soutien d’organisatrices communautaires du CIUSSS INM qui sont venues offrir une formation et du soutien aux pratiques de sensibilisation tant à Montréal-Nord qu’à Ahuntsic Bordeaux-Cartierville.

Les pratiques de sensibilisation déployées

De la pandémie émergent des besoins de communication en santé de proximité auxquels ces initiatives communautaires de sensibilisation visent à répondre. À Montréal-Nord, le Centre des jeunes l’Escale met sur pied des équipes de sensibilisation communautaire, en partenariat avec d’autres organismes du territoire, rassemblant des intervenant.e.s de l’Escale et des jeunes citoyen.ne.s du quartier employé.e.s dans le cadre du programme d’insertion sociale TAPAJ[4] (travail alternatif payé à la journée). Le fonctionnement par dyade a également été adopté par la Maison des jeunes Bordeaux-Cartierville (MJBC) dans son projet de brigade de sensibilisation dans les parcs et terrains de jeux du quartier, mais cette fois composée plutôt de deux jeunes citoyen.ne.s fréquentant déjà la Maison de jeunes et/ou les activités des autres organismes partenaires. Ces jeunes reçoivent un salaire à partir d’un financement exclusif de la MJBC pour mettre en oeuvre ce projet de brigade de jeunes. Ainsi, les pratiques de sensibilisation communautaire à la covid-19 sont, dans ces deux projets, chapeautées par des maisons de jeunes et principalement portées par des jeunes participant.e.s des organismes partenaires et des intervenant.e.s. Le cas des citoyen.ne.s engagé.e.s autour de Parole d’ExcluEs est à part, dans la mesure où leur implication à titre de « citoyen.ne.s-relais » n’est pas encadrée dans un projet mis sur pied par l’organisme, mais ce sont plutôt des intervenant.e.s de l’organisme – nommé.e.s chargé.e.s de mobilisation – qui vont soutenir les initiatives citoyennes qui émergent spontanément durant la crise.

Une pratique axée sur l’écoute, la vulgarisation d’information et le souci de l’autre

Les pratiques de sensibilisation communautaire à la covid-19 documentées dans le cadre de cette recherche permettent de toucher des personnes qui ne sont pas nécessairement rejointes par les organismes communautaires ou par le réseau public de services sociaux et de santé. Ces pratiques prennent d’ailleurs différentes formes afin d’être en contact avec ces populations. Dans deux des cas documentés, soit ceux portés par les maisons de jeunes, le mandat consiste principalement à faire de la sensibilisation afin de donner de l’information sur la maladie, promouvoir les mesures « barrière » et la vaccination. Les « agent.e.s de sensibilisation communautaire » (ASC) vont à la rencontre des citoyen.ne.s dans l’espace public, par exemple en participant aux activités sportives de leurs pairs (ex. dyade d’ASC au soccer et basketball dans les parcs de quartiers ciblés). Du côté des citoyen.ne.s-relais de l’organisme Parole d’excluEs (PE), il s’agit plutôt de faire le lien entre les résident.e.s de leur quartier et les ressources communautaires et institutionnelles susceptibles de répondre aux différents besoins observés (référencement), que ce soit en téléphonant, en faisant des visites au local communautaire de PE, de la distribution alimentaire à domicile, des activités de groupe d’écoute à distance. Le dénominateur commun de ces différentes activités est l’oreille attentive prêtée à ses concitoyen.ne.s et l’écoute des besoins.

Les ASC déploient leurs pratiques dans des lieux variés, tantôt dans les parcs (MJBC), tantôt en déambulant dans les rues (Centre des jeunes l’Escale), tantôt de manière diffuse, en rendant visite à des voisin.e.s, en passant des appels téléphoniques (citoyen.ne.s-relais). Les pratiques de sensibilisation se déploient également dans des temps distincts. Tandis que les pratiques des citoyen.ne.s-relais témoignent d’une disponibilité quasi totale, en pouvant être sollicité.e.s en tout temps, celles des jeunes ASC des deux maisons des jeunes sont encadrées dans des heures de travail déterminées.

La vulgarisation d’informations complexes et changeantes, le dialogue et le travail de référencement sont une part majeure du travail de santé de proximité effectué par les ASC. À cet égard, la formation offerte par des organisatrices communautaires du CIUSSS NIM se révèle d’une aide importante afin de traduire ces informations et leur donner sens collectivement. Il revient cependant aux ASC de les intégrer et d’être capables de les restituer simplement aux citoyen.ne.s de Montréal-Nord et d’Ahunstic-Bordeaux-Cartierville. Il s’agit d’une tâche exigeante qui repose sur l’apprentissage de plusieurs savoirs, savoir-faire et savoir-être, comme l’explique la formatrice et organisatrice communautaire :

Je parle beaucoup de bienveillance à mes agent.e.s de sensibilisation. Que si vous faites sentir à la personne que vous voulez prendre soin d’elle, le reste ça va couler. Puis en ce moment, surtout avec les niveaux de détresse liée à la santé mentale, je pense que d’avoir comme ça dans nos communautés des personnes qui humblement – parce que c’est ça l’éducation populaire : c’est un geste d’humilité qu’on fait, quand on fait de l’éducation populaire. On vulgarise. On veut rendre l’information accessible, simple, compréhensible, digestible. Puis en faisant ça, ben on le fait de manière bienveillante. C’est très démocratique en fait. C’est une grande démocratisation de l’information, d’aller à la rencontre des gens, pour prendre le temps d’aller leur donner des informations précieuses pour qu’ils prennent soin de leur santé et de celle de leurs proches.

intervenante, Int.9

Au-delà de la mission de sensibilisation aux mesures sanitaires, les ASC ont donc un rôle d’écoute des besoins des citoyen.ne.s de leur quartier. Comme l’a exprimé un des jeunes sensibilisateurs interviewés, son travail consiste à « prendre le pouls des membres de la communauté » (citoyen, C5). Un autre explique :

Je me rappelle un jour, je parlais à une dame. Et puis là elle a commencé à nous raconter comment elle a vécu sa pandémie... comment elle a vécu le confinement avec ses enfants, sa famille. Et puis je me suis senti vraiment bien que quelqu’un me parle comme ça […]. Et c’était vraiment, pour moi, quelque chose qui m’a motivé plus, de voir quelqu’un me parler de son expérience durant la Covid. […] Donc c’était vraiment formidable. Moi aussi je peux contribuer finalement à la… communauté. Je me suis senti bien.

citoyen, C1

Ancré.e.s dans leur communauté et en relation avec les institutions de santé publique, les ASC sont des pivots d’une démocratisation de l’information en santé de proximité. On perçoit alors qu’il s’agit de pratiques axées sur le souci de l’autre, et ce, pour deux raisons. D’une part, les ASC expriment leur souci vis-à-vis de la communauté mais, d’autre part, nous ne pouvons manquer de noter le souci des intervenant.e.s en soutien aux citoyen.ne.s sensibilisateur.trice.s. Dans le cas de Paroles d’ExcluES, le souci de l’autre est la motivation première des pratiques de sensibilisation mises en oeuvre. Par contraste, le souci de l’autre fait partie des objectifs poursuivis par les organisateurs du projet de sensibilisation communautaire piloté par les maisons de jeunes, s’inscrivant dans la perspective du développement de la citoyenneté chez les jeunes. Ce faisant, ils se développent dans la pratique.

En somme, les activités de sensibilisation permettent aux citoyen.ne.s de jouer un rôle social et d’assumer des responsabilités. Elles.Ils se sentent parfois impliqué.e.s et même responsables de la santé des citoyen.ne.s, surtout des personnes qui les « touchent » davantage et avec qui elles.ils prennent le temps d’échanger parfois pendant 10 ou même 30 minutes. Plusieurs ASC ont dit être touché.e.s par les effets de leur écoute sur les citoyen.ne.s de leur quartier. « Je sens que j’ai vraiment fait une différence pour cette dame en l’écoutant. Elle avait l’air tellement seule, elle m’a souri à la fin. Je ne sais pas comment elle va maintenant. » (citoyen, C4) De telles rencontres contribuent même parfois à leur faire « oublier » un incident désagréable avec une autre personne moins aimable.

Un travail exigeant

La pratique de sensibilisation communautaire est aussi très exigeante. Elle l’est d’abord sur le plan physique, en ce sens qu’il faut braver le danger de la pandémie et marcher de longues heures à l’extérieur pour aller à la rencontre de citoyen.ne.s et de commerçant.e.s de son quartier. Il s’agit aussi d’une pratique exigeante sur le plan psychologique et émotionnel, notamment lorsque les ASC se heurtent à un.e citoyen.ne qui leur manque parfois de respect. Bien que le travail de sensibilisation n’implique pas l’obligation de faire respecter certains comportements (port du masque, distanciation, etc.), les agent.e.s doivent parfois faire face à des citoyen.ne.s récalcitrant.e.s, véhiculant des préjugés, en gardant leur calme et en se comportant en « professionnel.le.s ».

C’est un travail physique et psychologique aussi. Tu sais d’aller tout le temps relancer les citoyen.ne.s, d’être présente, de recevoir de l’information de la santé publique, de te faire envoyer promener par certain.e.s citoyen.ne.s, même si c’est une fois par jour, ce n’est pas agréable du tout. Parce que ça te travaille en dedans, ça vient te chercher. Je pense que la sensibilisation ce n’est pas vraiment difficile, mais ça peut être très exigeant. Alors il faut être dans le lâcher-prise, c’est peut-être le fun de justement tu sais, pas trop te casser la tête, que ça ne devienne pas une charge mentale supplémentaire.

citoyenne, C3

Les agent.e.s de sensibilisation communautaire sont amené.e.s à gérer des situations parfois difficiles avec des personnes qui sont durement affectées par la pandémie et « sur les nerfs » ; des situations et des interactions qui vont parfois bien au-delà de leur mandat et de leur champ de compétences. Plusieurs ont observé des besoins de personnes qui dépassent de loin ce que ces citoyen.ne.s engagé.e.s et non professionnel.le.s sont à même d’offrir. Un ajustement complexe doit se faire entre le partage d’informations sociosanitaires et le rapport que les citoyen.ne.s entretiennent avec la santé et la pandémie. Si la pratique peut être exigeante, elle est néanmoins une source de rétribution symbolique importante par son caractère de mission d’intérêt général, qui donne aux citoyen.ne.s le sentiment de contribuer activement au bien-être de leur communauté, de se sentir utiles à autrui.

Une approche citoyenne singuliÈre de la sensibilisation

Les agent.e.s de sensibilisation communautaire se font progressivement reconnaître par les citoyens.ne.s de leur quartier comme des personnes-ressources en cas de besoin ou de questionnement relatif à la covid-19 et aussi à la santé de proximité en général, si bien qu’elles.ils sont devenu.e.s de fin.e.s connaisseur.euse.s des réalités de santé de proximité vécues par les citoyen.ne.s de leur quartier. Un partenaire d’un projet d’ASC à Montréal-Nord mentionne à ce sujet que les citoyen.ne.s agent.e.s de sensibilisation ont été leurs « yeux et leurs oreilles sur le terrain » (intervenant, Int14). Ainsi, au terme de la première vague de la covid-19, ces agent.e.s de sensibilisation ont été les dépositaires du savoir d’expérience des citoyen.ne.s de leur quartier. Selon plusieurs personnes rencontrées, les citoyen.ne.s agent.e.s posent un « regard différent » sur la réalité vécue par les citoyen.ne.s de leur quartier, comparativement à celui d’intervenant.e professionnel.le.

Un jeune qui fait de la sensibilisation, ben pour moi, par défaut il est sensibilisé. Alors, il a un oeil qui a une certaine attention. Puis de voir le regard de ces jeunes-là qui sont préoccupés par la situation et qui veulent participer en faisant de la sensibilisation, et qui veulent faire une différence en collaborant. Je sais que ça l’air naïf à dire, mais ça amène un regard nouveau. Ils peuvent voir autre chose qu’un intervenant professionnel ne voit pas. Ils posent un regard autre que celui d’un adulte professionnel qui a déjà son objet d’intervention ou de recherche en tête. Alors qu’eux ce qu’ils ont pu détecter c’est peut-être plus la matière brute ou le sens qui vient du quotidien de la rue des citoyen.ne.s. Avec les jeunes marcheurs, des commerçants, des passants se sentent ouverts. C’est le quotidien de la rue qui n’est pas vu par une personne de la santé publique, pas vu par un infirmier ou un recherchiste, mais qui est vu par quelqu’un, qui est juste comme un citoyen, mais qui est là et qui regarde attentivement qui analyse et qui étudie le milieu à sa manière.

intervenant, Int3

Un jeune qualifie cette différence ainsi durant un atelier de formation à la sensibilisation :

Je dirais que c’est la chose sans couvert, c’est qu’il y a un certain anonymat de statut, notre présence comme agent de sensibilisation permet d’avoir une spontanéité dans l’approche. Je le sais ça l’air un peu abstrait, mais sur un coin de rue quand c’est achalandé et qu’il y a quelqu’un qui arrive et qui est visiblement en train d’observer les gens d’un point de vue professionnel, ça paraît. Le beat va changer rapidement. Et à Montréal-Nord, il y a des compositions ethniques et cette composition est importante et des gens qui font partie de nous, nous permettent d’agir à tous les jours.

citoyen, C5

Les ASC s’approprient cette « différence » dans leur approche de manière variée. En effet, à un extrême on retrouve des citoyen.ne.s qui cherchent à créer une distance par leur statut en allant vers les citoyen.ne.s souvent bien éloigné.e.s de leur réalité tel qu’un jeune ASC qui tend à sensibiliser davantage les personnes âgées dans les parcs. Alors que d’autres vont oeuvrer exclusivement après des citoyen.ne.s qui leur ressemblent, par exemple des jeunes ASC qui jouent souvent au basketball extérieur l’été et qui vont sensibiliser exclusivement les autres joueurs de basketball de leur âge, de leur groupe d’appartenance culturelle. Ou encore les citoyen.ne.s-relais de l’organisme Parole d’excluEs qui se tournent exclusivement vers certain.e.s de leur voisin.e.s direct.e.s, souvent aussi de leur âge, de leur genre et de leur groupe d’appartenance culturelle. Proximité et distance sont deux stratégies utilisées dans les pratiques citoyennes de sensibilisation.

Le soutien aux pratiques citoyennes de sensibilisation communautaire

Les expériences de sensibilisation se déploient et s’inscrivent dans des cadres communautaires marqués par des approches d’interventions variées : approches d’intervention jeunesse (maisons de jeunes) d’une part et approche de mobilisation à l’action citoyenne et collective pour la lutte à l’exclusion (Parole d’excluEs), d’autre part. Ces deux approches de l’intervention communautaire se sont trouvées d’ailleurs grandement ébranlées durant la pandémie. Qui plus est, les pratiques de sensibilisation en santé de proximité étaient très peu connues avant la pandémie, et pas intégrées aux pratiques de ces trois organismes. Ces trois projets de sensibilisation ont donc été l’occasion pour les citoyen.ne.s et les intervenant.e.s communautaires de coproduire une certaine expertise pratique nouvelle. La réalisation de ces pratiques de sensibilisation communautaire devient alors un travail d’autoformation en continu, le contexte d’incertitude et d’urgence imposant à tout le monde ce mode d’apprentissage. Ces pratiques constituent aussi pour les organismes des moyens concrets de maintenir vivantes leur approche de l’intervention communautaire et leur mission propre.

D’un côté, pour les deux projets de sensibilisation portés par les maisons de jeunes, la sensibilisation devient un prétexte pour accompagner les jeunes et poursuivre la mission de leur autonomisation et émancipation. Dans le cas de l’Escale, les jeunes intégré.e.s dans un programme d’insertion sociale (TAPAJ) sont jumelés avec des intervenant.e.s. Ceux-ci jouent un rôle de soutien des jeunes qu’un intervenant résume ainsi :

On passe la journée entière ensemble. Les jeunes s’ouvrent, parlent de leurs problèmes, parlent de tout et de rien. Ça peut être autant joyeux que des fois un petit peu lourd, mais quand c’est lourd ça me permet de faire ma job d’intervenant. Je n’aurais pas connu autant les jeunes comme je les connais en ce moment s’il n’y avait pas eu la sensibilisation au Covid.

intervenant, Int4

Hormis les intervenant.e.s de l’Escale sont également présent.e.s dans les équipes de sensibilisation des intervenant.e.s d’organismes partenaires, venu.e.s prêter main forte. Contrairement aux intervenant.e.s de l’Escale, responsables du bon déroulement du programme d’insertion, les intervenant.e.s issu.e.s des autres organismes n’ont pas un mandat de soutien des jeunes précis, et voient leur rôle émerger de l’expérience du travail quotidien en dyade. L’anecdote racontée par une intervenante est parlante à cet égard : « Y a des intervenants que je pensais qu’ils étaient des jeunes, jusqu’à ce que je sois en dyade avec eux et que je comprenne que ce sont des intervenants » (intervenante, Int2). Il faut dire aussi que l’âge moyen des intervenant.e.s n’est pas très loin de celui des « jeunes » qui composent les dyades de sensibilisation, soit entre 18 et 25 ans.

En dyade, le jeune et l’intervenant.e partagent donc une même pratique concrète de sensibilisation. La conscience du fait que la sensibilisation est un cadre favorisant l’intervention psychosociale varie d’un.e intervenant.e à l’autre. Certain.e.s découvrent leur rôle de soutien progressivement, au fur et à mesure de l’évolution du projet. L’implication dans le projet de sensibilisation est motivée par la volonté de s’engager et de lutter contre la Covid, de faire une différence dans sa communauté. C’est la citoyenneté de ces intervenant.e.s qui se trouve mobilisée à l’occasion de la crise sanitaire, ainsi que l’on peut le constater : « Je ne veux pas rester chez nous, je veux les aider, je veux aider » (intervenant, Int2). Placé.e.s en binôme avec un jeune, elles.ils prennent conscience de leur capacité à les outiller pour mieux sensibiliser. Le rôle de soutien de l’intervenant.e en dyade avec un jeune se coconstruit à la vue de la différence de profil des jeunes (âge, formation, compétence), tout comme la pratique de sensibilisation même.

À Bordeaux-Cartierville, les dyades de sensibilisation terrain sont plutôt composées de deux jeunes. Le soutien d’un.e intervenant.e est plus intermittent et varie au cours du projet. Les jeunes agent.e.s de sensibilisation ont beaucoup d’autonomie. Cela est dû en partie à l’esprit et aux valeurs du travail avec les jeunes du territoire, teinté par la culture alternative de travail existant dans cette maison des jeunes. Ainsi une intervenante d’un organisme partenaire, mandatée pour accompagner les jeunes lors de leurs premières sorties de terrain, répondait aux besoins exprimés par les jeunes, ponctuellement et « à la carte » (intervenante, Int8). Autrement dit, le soutien aux pratiques de sensibilisation se coconstruit, dans ce cas aussi, en même temps que les pratiques elles-mêmes.

Du côté de Parole d’excluEs (PE), le rôle de soutien aux pratiques citoyennes de sensibilisation est marqué par l’accroissement de la place prise par les citoyen.ne.s-relais au sein de l’organisme durant la pandémie. L’urgence de répondre à des besoins individuels conduit à une transformation du rôle des citoyen.ne.s ainsi qu’à un questionnement sur la raison d’être de la pratique des intervenant.e.s chargé.e.s de la mobilisation collective. En effet, les pratiques que les citoyen.ne.s-relais déploient sont largement individuelles et axées sur la gestion de crise et non pensées comme de l’action collective de lutte à la pauvreté notamment. Cette approche confronte la mission de l’organisme qui favorise l’action collective de lutte à la pauvreté et à l’exclusion par la mobilisation citoyenne. Reléguée à l’arrière-plan par impossibilité d’y travailler adéquatement dans les conditions sociosanitaires de la pandémie, la mission d’action collective est délaissée au profit des pratiques ponctuelles déployées par les citoyen.ne.s-relais. Le rôle des chargé.e.s de mobilisation se trouve alors remis en question devant celui de premier plan joué par les citoyen.ne.s-relais et par leur pouvoir d’agir accru. S’ajustant à cette nouvelle réalité, les chargé.e.s de mobilisation se tournent alors vers le soutien aux pratiques de sensibilisation des citoyen.ne.s-relais dont les initiatives se déploient sous leurs yeux.

La particularité de l’approche de PE est en effet de suivre le mouvement citoyen ; plutôt que de proposer un projet de sensibilisation communautaire, comme c’est le cas des maisons de jeunes. Ce faisant, les chargé.e.s de mobilisation se questionnent à nouveaux frais sur la raison d’être de leur pratique de soutien à l’action collective et citoyenne : quel rôle et quelle place peuvent-elles.ils occuper vis-à-vis des citoyen.ne.s ? Comment transformer ces initiatives citoyennes en action collective ? De toute évidence, leur rôle consiste à appuyer ces initiatives en offrant du soutien à leur diffusion ou sur le plan logistique (par exemple, offrir un local communautaire pour la tenue d’une activité) tout en cherchant à collectiviser et à pérenniser ces initiatives dans la communauté dans une perspective plus large de lutte à la pauvreté et à l’exclusion.

Dans ces trois cas, le travail de soutien aux pratiques citoyennes de sensibilisation communautaire est ainsi peu formalisé, ce qui laisse une certaine liberté aux acteurs impliqués de coproduire le cadre de ces pratiques. Ce travail contribue à leur transformation et à une hybridation des rôles entre les citoyen.ne.s et les intervenant.e.s. Le cas de l’Escale est en ce sens exemplaire. Un « flou » se déploie à l’intérieur même des dyades composées d’un jeune et d’un.e intervenant.e. Bien qu’exerçant l’activité de sensibilisation dans des conditions d’emploi bien différentes (en termes de rémunération notamment), le jeune et l’intervenant.e composant la dyade réalisent une même pratique de sensibilisation et, en général, les rapports entretenus sont horizontaux. Les rôles de chacun.e se découvrent progressivement au contact du terrain et au fur et à mesure de l’évolution du projet. La coproduction dans l’urgence de telles pratiques qui rallie ces acteurs impose en effet de travailler dans des zones grises.

Discussion

Bien que chacune des expériences de sensibilisation communautaire à la covid-19 analysée ait été vécue comme une initiative ponctuelle, elles tendent pour la plupart à se poursuivre de différentes manières. La souplesse de leur mise en oeuvre et la faible formalisation des pratiques – voire son absence – font en sorte que ces dernières laissent une grande place aux citoyen.ne.s dans leur coproduction au quotidien. Ces pratiques, tout comme le contexte, ont toutefois fortement évolué au fil du temps. Quelques ébauches ou tentatives de formalisation ont pu être observées dans les projets portés par les maisons de jeunes (Escale et MJBC). Le troisième cas d’étude, à savoir celui des citoyen.ne.s-relais de Parole d’excluEs, demeure, encore aujourd’hui, une source importante de questionnements pour les chargé.e.s de mobilisation vis-à-vis de leur rôle face à la mission de Parole d’excluEs. Deux tensions marquantes ressortent de l’analyse des pratiques de sensibilisation coproduites par ces trois organismes communautaires.

Les pratiques de sensibilisation communautaire à la covid-19 au seuil de la mission des organismes communautaires et de la santé publique

Au travers de la coproduction des pratiques de sensibilisation à la covid-19, et du soutien aux acteur.trice.s qui la mettent en oeuvre, se joue le rapport à la mission des organismes communautaires qui y sont directement impliqués avec celle de la santé publique. En effet, les spécificités du contexte et des besoins des populations de leur quartier, tout comme la liberté des intervenant.e.s et des citoyen.ne.s à coproduire leur pratique de sensibilisation, les confrontent à trouver un juste équilibre entre certaines finalités de la santé publique, comme la sensibilisation sociosanitaire (mesures barrières, référencement) en tant que telle, avec la mission de l’organisme communautaire : répondre aux besoins des jeunes ou favoriser la mobilisation citoyenne dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Par exemple, un des intervenants de l’équipe de sensibilisation de la Maison des jeunes Bordeaux-Cartierville intervient à titre de travailleur de rue et sexologue et revendique une liberté d’action vis-à-vis des jeunes agents de sensibilisation en circonscrivant son implication à son travail « régulier » d’intervention, détaché de toute activité de soutien à la sensibilisation à la covid-19. Il considère que son travail consiste non pas à promouvoir la santé publique mais plutôt à répondre aux besoins exprimés par les jeunes, qu’ils aient ou non à voir avec leur activité de sensibilisation communautaire :

Le projet de sensibilisation, en tant que tel, moi je l’ai plus vu pour les jeunes comme une belle occasion d’avoir une première expérience de travail. C’est vraiment plus là-dedans que je les poussais, puis c’est vraiment plus comme ça que je l’ai abordé. Parce que la job de sensibilisation en tant que telle, je trouvais qu’elle était… Moi, elle ne m’intéresserait pas du tout. Mais je ne trouvais pas que c’était pertinent non plus – Ben, oui c’était pertinent, mais c’était plus les apprentissages qu’ils allaient en ressortir. Ça aurait pu être n’importe quel type de job, c’était une opportunité d’entrer en contact, de commencer une job, d’être un acteur dans son quartier aussi, que je trouvais intéressant.

Intervenant, int.12

Force est de constater que les pratiques de sensibilisation communautaire offrent les conditions relationnelles pour poursuivre les missions des maisons de jeunes durant la crise sanitaire. C’est au niveau du soutien que les intervenant.e.s peuvent négocier leur proximité ou leur distance d’avec le message de santé publique. Les intervenant.e.s incarnent ainsi la mission de leur organisme tout en appuyant les jeunes dans leur activité de santé publique. C’est au niveau du soutien des intervenant.e.s auprès des jeunes plutôt qu’au niveau de la coproduction comme tel – c’est-à-dire de l’implication citoyenne dans la conception, la mise en oeuvre, la prestation et/ou l’évaluation des pratiques ainsi que des relations interactives créant une valeur ajoutée (Amorim Lopes et Alves, 2020) – que se joue le travail d’adéquation entre la mission et cette nouvelle pratique de sensibilisation inspirée de la santé publique. Le soutien aux jeunes agent.e.s de sensibilisation correspond à un ingénieux effort de la part des organismes communautaires de saisir la crise sociosanitaire comme une occasion de réaffirmer des actions en phase avec leur mission première, soit pour les Maisons de jeunes, l’émancipation, l’autonomisation et l’épanouissement des jeunes. Ainsi, la coproduction de ces pratiques entre jeunes citoyen.ne.s et intervenant.e.s tend à être valorisée d’abord et avant tout si elle s’inscrit dans la trajectoire d’autonomisation et d’émancipation des jeunes agent.e.s de sensibilisation. Néanmoins, les jeunes citoyen.ne.s agent.e.s de sensibilisation – parce qu’elles.ils mettent en oeuvre des pratiques jamais expérimentées par ces organismes en contexte de crise sociosanitaire – se positionnent pour la plupart en « producteurs d’une valeur » singulière à ces pratiques. Comme exposé précédemment, cette « valeur » demeure, de leur point de vue, liée à leur expérience singulière du territoire comme citoyen.ne.s habitant ce quartier.

Cette conciliation entre la mission et la santé publique est une spécificité des pratiques de sensibilisation coproduite dans les organismes communautaires[5]. Cette spécificité repose justement sur le fait de reconnaître la plus-value et de miser sur les savoirs d’expériences et les savoirs territoriaux de ces jeunes citoyen.ne.s du quartier, savoirs qui contribuent au dialogue social sur la santé au sein de ces milieux de vie avec une faible littéracie en santé. Cette coproduction des pratiques au coeur de la conciliation entre ces missions est rendue possible aussi grâce à la collaboration intersectorielle et à la complicité entre les directions des deux maisons de jeunes et les organisatrices communautaires du CIUSSS NIM. Leurs relations témoignent de la manière dont il est possible pour un organisme communautaire de collaborer avec le CIUSSS, d’adhérer à l’importance d’une action et d’un message de santé publique, tout en gardant son autonomie et en restant fidèle à sa mission d’organisme communautaire.

Dans le cas de l’organisme Parole d’excluEs, le soutien apporté par les chargé.e.s de mobilisation aux pratiques de sensibilisation des citoyen.ne.s-relais contribue aussi à réaffirmer la mission d’action collective et citoyenne de lutte contre la pauvreté, en ce sens qu’il participe de la mise en commun et de la collectivisation de leurs initiatives individuelles et ponctuelles de sensibilisation. L’affirmation et la poursuite de sa mission d’organisme impliquent aussi parfois certains positionnements, voire certains refus, de certaines initiatives proposées par la santé publique par le biais notamment des organisatrices communautaires du CIUSSS NIM. Notons par exemple le refus des trois organismes que les agent.e.s de sensibilisation remplissent un sondage sur tablette en vue de recueillir des données sociodémographiques et sociosanitaires sur les populations rencontrées et sur les taux de vaccination. On voyait dans cette pratique le risque d’affecter le lien de confiance avec les populations du quartier et que cette pratique était trop éloignée de leur mission. Notons cependant que dans les trois cas à l’étude, cette décision a été prise sans véritablement impliquer, ni même consulter les citoyen.ne.s agent.e.s de sensibilisation. Le soutien aux pratiques de sensibilisation prend, une fois de plus ici, le dessus sur la coproduction des pratiques.

Manifestement, les pratiques de sensibilisation communautaire mises en oeuvre dans les trois expériences étudiées sont à la fois des leviers de littératie en santé pour les populations locales et d’insertion sociale pour des citoyen.ne.s agent.e.s de sensibilisation habitant dans ces mêmes quartiers. Cette double fonction du travail implique de mettre en place différents dispositifs de soutien tels qu’une pratique d’accompagnement et de formation en continu, des espaces de prise de parole (rencontres d’équipes et de « débriefing ») ainsi qu’un milieu de vie pour se retrouver et pour socialiser (loisirs, jeux, repas partagés) ; de tels dispositifs contribuant au sens donné au travail et au bien-être des personnes impliqué.e.s. Ces dispositifs variés d’un organisme à l’autre (tel que l’ouverture d’un local communautaire, l’organisation spontanée d’activités festives, etc.) constituent des leviers permettant de faire vivre les missions des organismes par-delà les finalités de santé publique et de sécurité sanitaire. Ils constituent aussi des leviers potentialisant la coproduction entre citoyen.ne.s et avec les intervenant.e.s de certaines dimensions des pratiques de sensibilisation comme le choix des horaires et des lieux de sensibilisation afin de mieux rejoindre les populations du quartier. Cette coproduction se situe donc à un niveau relativement opérationnel (Amorim Lopes et Alves, 2020).

Par ailleurs, il est possible d’avancer que les citoyen.ne.s déjà impliqué.e.s auprès d’organismes communautaires oeuvrant dans leur quartier sont dans une position à fort potentiel pour véhiculer un message de santé publique auprès des populations, grâce notamment aux liens de familiarité et de complicité avec les personnes du quartier et aussi avec l’organisme qui reconnaît et soutient au quotidien leurs initiatives de sensibilisation. Ces pratiques semblent d’autant plus prometteuses lorsqu’elles sont coproduites avec les citoyen.ne.s au sein d’espace de prise de parole qui leur permettent d’exprimer leurs expériences et leurs savoirs sur le quartier et sur les personnes qui y habitent et qu’elles.ils côtoient au quotidien. Ces espaces de prise de parole constituent aussi des lieux pertinents pour nommer et reconnaître la plus-value de l’implication citoyenne dans la réalisation de ces pratiques. En effet, la sensibilisation communautaire par et pour des citoyen.ne.s habitant un même quartier permet de créer des ponts et de tisser des liens entre les générations et plus globalement entre les personnes du quartier qui, autrement, n’entameraient pas de dialogue civique et bienveillant fondé sur l’échange, l’écoute et la compréhension mutuelle ; un dialogue pourtant prometteur pour une société en santé. Malgré le niveau restreint de coproduction des pratiques entre intervenant.e.s et citoyen.ne.s, ces initiatives communautaires et citoyennes qui ont émergé durant la pandémie ont aussi des retombées concrètes sur l’organisation des services de proximité du réseau public de santé à Montréal. Elles ont notamment inspiré la mise en oeuvre d’une communauté de pratiques du réseau d’agent.e.s multiplicateurs (CoP-RAM) de la Direction régionale de la santé publique de Montréal (DRSPM). Ces projets, au croisement des initiatives citoyennes et d’organismes communautaires, ont de plus inspiré la mise en oeuvre d’une équipe de sensibilisation au CIUSSS NIM qui reprendra ses activités près de quatre ans après le début de la pandémie.

Les pratiques de sensibilisation communautaire à la covid-19 au seuil de l’engagement citoyen et de l’activité de travail

Les pratiques citoyennes de sensibilisation communautaire à la covid-19 analysées dans le cadre de cette recherche s’inscrivent dans des trajectoires socioprofessionelles variées : programme d’insertion sociale, emploi rémunéré ou implication bénévole. Certain.e.s citoyen.ne.s impliqué.e.s sont rémunéré.e.s par l’organisme communautaire, d’autres non, ce qui influence les formes d’engagement dans la pratique. Pour celles et ceux qui le sont, il s’agit souvent de leur premier emploi rémunéré.

De l’avis de toutes les personnes rencontrées, l’activité de sensibilisation dans son contexte organisationnel en milieu communautaire (organisation du travail avec des espaces d’informalité) constitue aussi une expérience transformatrice que ce soit pour les citoyen.ne.s ou pour les intervenant.e.s. Pour plusieurs citoyen.ne.s, cette pratique permet le développement d’une confiance en soi, de découvrir son potentiel afin d’intégrer ou de réintégrer le marché du travail. Il s’agit également d’une expérience socialisatrice permettant de tisser des liens, et d’une expérience d’engagement permettant de découvrir sa communauté – notable pour les nouveaux.elles arrivant.e.s comme certain.e.s jeunes agent.e.s de sensibilisation de la Maison des jeunes Bordeaux-Cartierville. La pratique permet aussi aux citoyen.ne.s d’alimenter le sentiment de contribuer activement au bien-être de leur communauté, de se sentir utiles à autrui. Elle constitue également une occasion unique d’apprendre à comprendre les dynamiques sociales et communautaires de leur quartier, à découvrir ce que signifie le soutien social et même à jouer un rôle de soutien pour leurs pairs ainsi que pour des personnes de générations, de cultures et de milieux différents du leur. Elles.Ils interagissent avec des personnes qu’elles.ils n’auraient autrement pas eu l’occasion de découvrir dans leur quotidien.

La pérennisation des pratiques de sensibilisation coproduites durant la pandémie entre intervenant.e et citoyen.ne dans les milieux commnautaires ne repose pas sur la division sans ambiguïté des rôles et des tâches, mais bien plutôt sur le développement de partenariats entre les organismes et les citoyen.ne.s concerné.e.s, sans nécessairement être guidé.e.s par des limites claires notamment entre l’engagement citoyen et le travail rémunéré. Ces expériences pionnières mettent plutôt en lumière la pertinence et l’importance pour les intervenant.e.s et pour les citoyen.ne.s de s’orienter en fonction des opportunités contingentes et situationnelles disponibles afin de combiner leurs efforts respectifs d’une manière qui défie les conventions et améliore les pratiques de proximité. Au lieu de penser que les limites doivent être fixées et formalisées, les milieux de pratiques doivent accepter que la collaboration entre citoyen.ne.s et intervenant.e.s communautaires est une question de processus, de flexibilité et de changement (Cour, 2019). Ainsi, les intervenant.e.s et les citoyen.ne.s seront à même de coproduire des pratiques dans un cadre où les lieux changent constamment, comme dans les situations de crises sociosanitaires.

Or, les spécificités des systèmes de santé rendent l’intégration des pratiques coproduites par les citoyen.ne.s et les intervenant.e.s communautaires délicate sous divers aspects. La mise en place d’un réseau local d’agent.e.s de sensibilisation communautaire nécessiterait notamment une formation adéquate fondée sur les principes d’éducation populaire, un financement suffisant aussi qui corresponde aux normes du travail et une coproduction en continu des pratiques qui respectent l’engagement soutenu, la flexibilité et la spontanéité propre aux organismes communautaires ancrés dans leur milieu d’appartenance. À ce sujet, certains des partenaires de cette recherche proposent de miser sur le financement et le développement d’organismes communautaires autonomes du type « réseaux de pairs », en relation avec des cliniques et d’autres services sociaux intersectoriels suivant les dynamiques des divers quartiers urbains. L’implication accrue de la municipalité demeure aussi, en ce sens, un atout ciblé. Dans tous les cas, un budget important est à prévoir.

Finalement, les regards croisés sur les pratiques de sensibilisation communautaire coproduites par les citoyennes et les intervenant.e.s d’organismes communautaires soulèvent la question de la participation des citoyen.ne.s dans l’organisation des pratiques et des services de proximité. À quoi souhaitent-elles.ils participer au juste ? Veulent-elles.ils être entendu.e.s et donner leur avis sur l’organisation et les pratiques et modalités de soutien de leur pratique, sur les grandes finalités de santé publique de leur ville ? Les pratiques de sensibilisation occupent un « créneau » dans les services de proximité nouvellement créés, et que beaucoup souhaitent désormais développer et approfondir. Les organismes communautaires ont fait de la santé publique à leur manière pendant la pandémie, en adaptant les messages provenant des autorités publiques. Les pratiques de sensibilisation communautaire coproduites avec des citoyen.ne.s mobilisé.e.s et des intervenant.e.s communautaires pourraient être reprises pour agir sur d’autres enjeux sociosanitaires. Ces expériences mettent en lumière que la santé de proximité relève aussi d’un engagement citoyen qui ne se laisse pas enfermer dans un projet de bénévolat, et qui vise d’autres objectifs que les programmes publics.

Dans le meilleur des cas, la coproduction des pratiques de sensibilisation permet de combiner l’implication active de citoyen.ne.s avec le professionnalisme et la marge de manoeuvre des intervenant.e.s communautaires, afin de mettre en oeuvre des pratiques qui font du sens autant pour les uns que pour les autres, contribuant à une forme d’innovation sociale au quotidien. À l’inverse, ces pratiques peuvent amener une confusion des responsabilités et des moyens d’intervention, avec un potentiel de déstabilisation. Ces enjeux peuvent d’ailleurs s’intensifier avec le déploiement croissant des pratiques de coproduction inspirées du principe de citizens centricity – lequel invite des citoyen.ne.s concerné.e.s à définir et à mettre en oeuvre les pratiques et les services publics (Giauque et Emery, 2016) – qui se déploie de plus en plus en santé publique et dans les réseaux de santé et de services sociaux.

Conclusion

Cet article expose comment se déploient des pratiques de sensibilisation communautaire dans deux quartiers défavorisés du Nord de l’île de Montréal depuis la pandémie de covid-19. Il s’agit de rendre compte des résultats d’une recherche empirique longitudinale à partir d’une analyse croisée entre trois cas ciblés. L’analyse critique proposée cible les pratiques coproduites à partir des expériences de sensibilisation vécues par des citoyen.ne.s et soutenues par des intervenant.e.s communautaires. Nous avons d’abord décrit les pratiques de sensibilisation communautaire, leur contexte d’émergence, leur particularité ainsi que les modalités de soutien mises en oeuvre par les organismes communautaires pour assurer le plein potentiel de ces pratiques portées par des citoyen.ne.s. Ensuite, l’analyse croisée de ces pratiques fait ressortir des tensions de démarcation des frontières entre la mission et les pratiques des organismes communautaires et des institutions de santé publique, le travail de sensibilisation rémunéré et l’engagement citoyen en santé.

En somme, cette recherche contribue à une meilleure compréhension d’une pratique en émergence au Canada tout à la fois cruciale dans le champ interdisciplinaire de l’analyse des pratiques d’intervention et des organisations (organizational studies) et pourtant encore peu approfondie : les pratiques de sensibilisation communautaire coproduites entre des intervenant.e.s et des citoyen.ne.s issu.e.s de quartiers défavorisés. Plus largement, cette étude relève la pertinence des initiatives citoyennes en santé de proximité en prenant en compte l’expérience de soutien en milieu communautaire.