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L’ouvrage publié aux Presses de l’Université Laval par la politologue Marie-France Leblanc, intitulé Des communautés plus ou moins civiques. Le capital social et la gouvernance métropolitaine au Canada et aux États-Unis (2006), ne manquera pas d’intéresser les théoriciens des sciences sociales et politiques, ainsi que les praticiens qui s’interrogent sur l’engagement civique et sa capacité à influencer le développement d’une collectivité – ici à l’échelle urbaine. Plus encore, l’ouvrage de Leblanc dresse un portrait des conditions historiques, sociales et culturelles façonnant la gestion et la gouvernance d’une métropole.
Ainsi, l’auteure propose de renouer avec les concepts de gouvernance et de capital social pour évaluer l’impact de l’engagement civique des acteurs politiques, économiques et sociaux au sein d’une agglomération urbaine. Elle s’interroge sur l’incidence du capital social sur la performance des institutions de gestion métropolitaine et sur la manière dont les communautés civiques, dotées de capital social, réussissent à influencer les décisions et les actions des gouvernements supérieurs (à l’égard des agglomérations) et des instances métropolitaines elles-mêmes.
Leblanc donne au concept de capital social une portée plus large que celle qui lui est généralement attribuée. Alors qu’il est souvent défini comme un attribut vertueux qui incite les individus ou les organismes qui en sont dotés à rechercher le bien commun, l’auteure lui donne un sens plus politique. À l’échelle d’une collectivité, ce concept fait ainsi écho aux conditions en vertu desquelles s’accumulent ou s’estompent des « réserves » de solidarité et d’entraide favorisant l’émergence et l’implantation de réseaux formels de coordination, d’actions de coopération et de capacité d’innovation. Ces facteurs sont propices au développement du bien commun et à la revitalisation du tissu social. Ils viennent alors renforcer la gouvernance d’un territoire.
S’appuyant sur l’étude de quatre villes nord-américaines, Milwaukee (État du Wisconsin, É.-U.), Minneapolis/St. Paul (État du Minnesota, É.-U.), Toronto (Ontario) et Montréal (Québec), Leblanc tente d’expliquer pourquoi certaines de ces agglomérations semblent mieux fonctionner politiquement et économiquement, au-delà de ce que les médias ainsi que des auteurs en études urbaines rapportent, faisant grand cas notamment du modèle de gouvernance métropolitaine développé à Minneapolis/St. Paul ainsi que de la fonctionnalité exemplaire de la gouvernance métropolitaine de Toronto the Good.
L’intérêt de l’approche retenue par Leblanc est donc de démontrer comment interagissent, d’une part, la situation imposée par l’évolution historique du contexte économique et politique et, d’autre part, les acteurs qui, dans ce contexte et selon leurs déterminismes locaux, produisent plus ou moins de capital social.
Leblanc trace d’abord les pourtours actuels des instances métropolitaines et de leurs caractéristiques. Elle y souligne ainsi les composantes qui unissent – ou désunissent – les élus, les citoyens et les groupes d’intérêts dans une perspective régionale au coeur de laquelle évoluent la métropole et les banlieues limitrophes.
Elle analyse ensuite le rôle important que jouent les gouvernements supérieurs — ou dits « de tutelle » — dans la destinée des agglomérations. Ces gouvernements encadrent et influencent par leurs politiques publiques la façon dont les villes s’acquittent de leurs propres obligations.
Elle invite par la suite le lecteur à plonger au coeur de l’essor historique des traditions civiques des quatre villes de la Frostbelt – cette région caractérisée par sa nordicité et son développement industriel – pour y analyser le rôle des acteurs : des élites traditionnelles au milieu du xixe siècle (l’époque « progressiste ») aux nouveaux groupes civiques issus du phénomène de la suburbanisation (l’émergence des banlieues) à partir de l’après-guerre ainsi qu’aux nouvelles élites nées du récent engouement pour la démocratisation et la gestion participative. Ces acteurs, chacun à leur manière, ont contribué à façonner les pratiques de la gestion urbaine à l’échelle régionale.
Elle termine son étude en analysant un certain nombre d’indicateurs retenus pour évaluer le capital social au sein des agglomérations urbaines : la générosité publique (les politiques et les programmes publics), la générosité privée (la philanthropie corporative et l’oeuvre caritative privée), le taux d’incarcération ainsi que la philosophie des services de police et les effectifs policiers.
Au sortir de l’analyse, on peut ainsi reconnaître, d’une part, certains éléments qui rassemblent les villes de Minneapolis/St. Paul, Toronto et Montréal et, d’autre part, ce qui, de l’avis de Leblanc, vient retarder, voire menacer, l’essor de Milwaukee. Elle montre que, contrairement à ce qui est rapporté dans les études urbaines, les groupes économiques sont dans ces villes moins influents que ce que l’on croit généralement et que, par ailleurs, le capital social peut varier grandement (et surgir rapidement) selon les villes et les époques. En même temps, elle souligne à quel point les communautés civiques bien dotées en capital social peuvent influencer les décisions et les actions des gouvernements supérieurs à l’égard des métropoles.
Bien que Leblanc ait d’entrée de jeu précisé que certains indicateurs de capital social, comme le dynamisme de la vie associative, seraient exclus de son analyse, on ne peut passer sous silence cette omission importante qui, selon nous, rend incomplète son analyse des milieux urbains. En effet, ce type d’indicateurs est majeur dans la compréhension des processus qui génèrent le capital social ; il est plus significatif, selon nous, que les effectifs policiers pour apprécier les valeurs du vivre-ensemble et de la solidarité sur un territoire.
Les villes forment un des principaux lieux de création de la richesse dans nos sociétés, les gouvernements municipaux sont près des populations, accessibles et souples ; et de ce fait aptes à administrer de manière efficiente une gamme diversifiée de services à la population. Depuis deux décennies, l’émergence de nouveaux acteurs dans le contexte transformé de la gouvernance publique modifie la gestion traditionnelle. Les villes font indéniablement partie de ces nouveaux acteurs qui sont touchés par la transformation des modes de gestion. L’étude de Leblanc peut certainement nous éclairer non seulement sur les régimes politiques caractérisant ces territoires, mais aussi sur les valeurs culturelles défendues par les acteurs et incarnées dans les institutions démocratiques urbaines.