Abstracts
Résumé
Cet article est le fruit d’une recension des écrits scientifiques et empiriques sur les répercussions des fusions d’établissements de santé et de services sociaux. La consultation des écrits permet de souligner l’absence de consensus entre les différents auteurs consultés quant à la nature des impacts des fusions d’établissements en ce qui a trait à leurs aspects cliniques, professionnels, administratifs, de gestion interne et de gouvernance. Cet article met en lumière l’importance de la problématique de la reconfiguration des services de santé et des services sociaux québécois, ainsi que la nécessité d’en approfondir les enjeux.
Abstract
This article is the fruit of an inventory of the scientific and empirical writings on the consequences of fusions of health and social services establishments. The consultation of the writings makes it possible to underline the absence of a consensus between the various authors consulted as for the nature of the impacts of the fusion of establishments concerning clinical, professional, administrative, internal management and ruling aspects. This article clarifies the importance of the problems of reconfiguring the Quebec health and social services as well as the need to look further into what is at stakes for them.
Article body
Introduction et mise en contexte
La Loi sur les agences de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux, sanctionnée en décembre 2003, impose un mode d’organisation des services prescrivant la fusion d’établissements publics de santé de type CLSC, CHLSD et CH. Les effets locaux de cette réforme, l’une des plus imposantes du système public québécois de soins de santé et de services sociaux depuis sa création, se manifestent progressivement. Parmi les changements issus de la nouvelle législation, la création de 95 centres de santé et de services sociaux (CSSS) à géométrie variable doit être soulignée. En effet, les territoires varient sensiblement, desservant entre 3 700 et 370 000 habitants, et 78 d’entre eux comptent un centre hospitalier.
Devant les interrogations des groupes et acteurs concernés relatives aux effets locaux de cette nouvelle réforme, une équipe de chercheurs et d’intervenants a entrepris de réaliser une recension d’écrits sur le sujet. Cet article présente les faits saillants de cette revue des connaissances scientifiques et empiriques sur les impacts des fusions d’établissements de santé touchant les aspects cliniques et professionnels, administratifs et de gestion interne ainsi que la gouvernance.
Il est nécessaire de souligner les quelques limites associées à la réalisation de cette recension. D’abord, le nombre restreint d’écrits québécois sur la question des fusions d’établissements nous a amenés à étendre la collecte de données aux réalités internationales, surtout américaines et britanniques. Or, malgré l’intérêt de s’y référer, leur lecture commande une certaine prudence. En effet, plusieurs des articles recensés traitent des répercussions économiques des fusions dans un contexte de marché privé ou semi-privé. Certains font également référence aux expériences hospitalières qui se distinguent de la réalité des fusions d’établissements de santé et de services sociaux québécois, qui ont procédé à la fusion de plusieurs types d’établissements. Aussi, les effets non économiques des fusions des établissements de soins de santé et de services sociaux n’ont été l’objet que de peu d’études présentant une méthodologie de recherche rigoureuse. En réalité, des conséquences telles que l’amélioration des soins sont difficiles à quantifier et il est d’autant plus ardu de faire consensus sur les éléments à mesurer et sur les comparatifs valides.
Cet article se divise en quatre parties. Tout d’abord, la nouvelle législation à l’origine de cette recension d’écrits est brièvement présentée. S’ensuit un exposé du point de vue des experts sur les enjeux, les attentes et les appréhensions entourant les fusions, ainsi que leurs impacts sur les trois thèmes les plus fréquemment abordés par les auteurs recensés, soit les questions cliniques et professionnelles, les questions administratives et de gestion interne et les questions de gouvernance. Enfin, une brève discussion permet de conclure sur les possibilités de recherches ultérieures.
Présentation de la législation
La Loi sur les agences de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux, connue sous la dénomination de « Loi 25 », a été soumise à l’Assemblée nationale du Québec le 11 novembre 2003, puis sanctionnée le 18 décembre de la même année sur division des membres et dans le contexte d’une motion de clôture.
Selon les documents législatifs, cette loi « vise, par la mise en place d’une organisation de services de santé et de services sociaux intégrés, à rapprocher les services de la population et à faciliter le cheminement de toute personne dans le réseau de services de santé et de services sociaux » (Assemblée nationale du Québec, 2003 : 3). À cette fin, elle propose la création d’agences de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux qui auront pour mission de mettre en place, à l’intérieur de leur territoire, un modèle d’organisation de services intégrés basé sur un ou plusieurs réseaux locaux. Parmi les motifs invoqués pour réviser l’intégration des services, on retrouve ceux-ci : une offre de services continus et accessibles, une meilleure prise en charge des individus, une amélioration de la santé et du bien-être de la population, la proximité des prises de décisions de ceux qui offrent ou utilisent les services, la consolidation des partenariats, des moyens qui favorisent l’initiative et le dynamisme, la mobilisation des cliniciens dans l’organisation et la gestion des services ainsi que l’engagement et la responsabilité de chacun (MSSS, 2004). Les fusions des établissements publics, c’est-à-dire les CLSC, les CHSLD et les centres hospitaliers, constituent le mode d’organisation privilégié par le ministre afin de réaliser l’intégration des services. Ainsi, de la restructuration de l’organisation des services de santé émergera une instance locale, soit le centre de santé et de services sociaux (CLSC, CHSLD et CH) qui sera responsable de l’organisation, de la coordination et de la prestation des soins sur un territoire. En tant qu’établissement public de première ligne, il représentera le coeur des réseaux locaux de services (c’est-à-dire les autres acteurs de la santé) qui devront conclure des ententes de services avec lui. Le concept de responsabilité populationnelle évoqué dans la loi renvoie à l’idée que la responsabilité de la santé d’une population est confiée au réseau local de services. Ainsi, les acteurs doivent agir de concert pour déterminer les services dont la population a besoin ainsi que pour maintenir et améliorer la santé de cette population.
Afin de soutenir ce nouveau mode d’organisation des services, la « loi 83 », adoptée en décembre 2005, est venue concrétiser cette Loi sur les services de santé et les services sociaux sans y apporter de modifications notables. En effet, « le projet de loi [83] prévoit l’ajustement des responsabilités entre les instances locales, les autres établissements, les agences de la santé et des services sociaux et le ministre de la Santé et des Services sociaux » (Assemblée nationale du Québec, 2004 : 2). Ainsi, les instances locales devront définir un projet clinique et organisationnel pour le territoire desservi tandis que les agences agiront comme coordonnatrices du financement, de l’allocation des ressources humaines et des services spécialisés. Selon ses concepteurs, la « loi 83 » constitue une mise à jour du cadre législatif en santé et services sociaux (« loi 25 ») par le biais de mesures visant à clarifier les responsabilités des établissements, des agences et du ministre, à mieux garantir la qualité des services et à favoriser une meilleure circulation de l’information nécessaire à la prestation des soins et services. La « loi 83 » vient donc en quelque sorte opérationaliser les orientations stratégiques de la « loi 25 ». Par ailleurs, elle va jusqu’à prévoir la possibilité du transfert des responsabilités de l’agence régionale vers l’instance locale, lorsqu’un seul réseau local de services de santé et de services sociaux couvre la totalité du territoire d’une agence (Assemblée nationale du Québec, 2004).
Avec l’application de ces lois, l’organisation du réseau québécois de la santé et des services sociaux compte désormais trois acteurs majeurs : l’instance locale, les agences régionales et le Ministère. D’une part, une instance locale a émergé de la restructuration de l’organisation des services de santé, soit le centre de santé et de services sociaux (CSSS). En tant qu’établissement public de première ligne, il représente le coeur des réseaux locaux de services puisqu’il est responsable de l’organisation, de la coordination et de la prestation des services sur un territoire. En plus de fournir à la population de son territoire des services communautaires, de l’hébergement de longue durée et, dans la plupart des cas, des services hospitaliers généraux et spécialisés, le CSSS a le mandat de collaborer avec les autres acteurs du réseau local de services (par exemple, les cliniques médicales et les organismes communautaires). De plus, l’instance locale doit conclure des ententes avec les établissements spécialisés (les centres jeunesse, les centres de réadaptation) afin d’assurer l’accès aux services de deuxième et de troisième ligne (MSSS, 2004). D’autre part, les agences régionales de la santé et des services sociaux doivent notamment soutenir le développement et le fonctionnement des réseaux locaux de services, assurer les arbitrages et procéder à l’allocation des ressources financières. Quant au Ministère, il devient responsable des fonctions nationales telles que la planification, le financement, l’allocation des ressources financières, le suivi et l’évaluation des résultats (MSSS, 2004).
Résultats de la recension des écrits
Méthodologie de la recension des écrits
Plusieurs banques de données ont été consultées pour trouver des textes sur les enjeux, les attentes et les appréhensions des gestionnaires et des intervenants reliés aux fusions des établissements de la santé et des services sociaux et à leurs impacts. Les principales banques de données consultées sont : Medline, Repère, Francis, ABI Inform, SantéCom, Current Contents, Réflexes, etc. Les mots clés utilisés pour la recherche de textes pertinents ont été : mergers, fusions, services de santé, health services, services sociaux, social services, intégration, consolidation, organisation des services, service organization. Tous les textes abordant les thématiques des fusions d’établissements de santé et de services sociaux et de leurs impacts qui s’appuyaient sur des études empiriques réalisées auprès de gestionnaires ou d’intervenants ont été retenus. Par la suite, la bibliographie de chacun de ces textes a été consultée et toute référence qui semblait pertinente a été explorée. Les monographies ou articles présentant les commentaires et les réflexions d’experts à la suite de leur participation à des fusions ont aussi été retenus. Chaque texte a fait l’objet d’une analyse de contenu en fonction de ses propres thèmes et sous-thèmes.
Enjeux, attentes et appréhensions des gestionnaires à l’égard des fusions d’établissements
Selon Kassirer (1996), le principal enjeu des fusions d’établissements est l’optimisation des soins et des services. À la lecture des objectifs poursuivis par les « lois 25 et 83 », il est possible de supposer qu’il constitue également l’enjeu central de la réorganisation actuelle des services. Les auteurs consultés sont divisés quant à leurs attentes et leurs appréhensions à l’égard des fusions d’établissements. D’une part, selon Hackett (1996), les fusions représentent, pour certains administrateurs, une panacée permettant de gérer les pressions engendrées par les nombreux changements en matière de santé et de services sociaux. Dans les textes recensés, les bénéfices envisagés par les fusions d’établissements sont nombreux et l’on parle alors de l’amélioration de l’efficacité de l’organisation et de la coordination des soins et des services de santé (Brouselle, Denis et Langley, 1999). Plus typiquement dans les cas de fusions hospitalières, des chercheurs ont souligné que les décideurs comptent réaliser des économies d’échelle (Bazzoli et al., 2004 ; Bojke, Gravelle et Wilkin, 2001 ; Denis, Lamothe et Langley, 1999 ; Fulop et al., 2002 ; Markham et Lomas, 1995), favoriser l’accès et la qualité des soins (Fulop et al., 2002), améliorer les réponses aux besoins de la communauté, accroître la rétention des ressources humaines et cliniques, améliorer la coordination de la recherche et de l’enseignement, promouvoir la polyvalence des soins, réduire les listes d’attente, majorer les opportunités de formation, accroître leur influence politique et amender l’utilisation des capitaux (Markham et Lomas, 1995), optimiser la distribution des ressources cliniques et la gestion des ressources humaines, éliminer le double emploi dans les services, hausser les chances de survie des établissements, renforcer les compétences et favoriser l’innovation (Alexander, Halpern et Lee, 1996).
D’autre part, dans les cas de fusions de centres hospitaliers, des auteurs prédisent la conjoncture de plusieurs préjudices éventuels, tels que des effets positifs n’apparaissant qu’à long terme (Bojke, Gravelle et Wilkin, 2001), une période d’instabilité et d’augmentation des frais de fonctionnement, un manque d’accès à certains services, de l’insécurité, de l’anxiété et du stress parmi le personnel et les médecins et la perte d’autonomie des institutions individuelles (Denis, Lamothe et Langley, 1999 ; Markham et Lomas, 1995), un accroissement des coûts liés au transport des patients, des effets négatifs sur le monde des affaires locales, des résistances aux changements, des pertes d’emplois et des transferts de postes, l’érosion des loyautés, la perte des modèles de référence, des interférences avec les plans de pratiques cliniques, la perte des réseaux hospitaliers d’enseignement et l’augmentation de la bureaucratie entraînant une diminution de la flexibilité et de la communication (Markham et Lomas, 1995) et la marchandisation des soins de santé (Sodestrom, cité dans Bégin et Labelle, 1990). De plus, lorsque les missions, les pratiques et les compétences des établissements fusionnés sont concurrentes plutôt que complémentaires, le risque est élevé de voir les parties se figer dans un statu quo défensif (Demers, Dupuis et Poirier, 2002).
Impacts des fusions d’établissements
Plusieurs auteurs indiquent que les décideurs et les observateurs entretiennent des attentes et prévoient des répercussions de différents ordres à l’égard des fusions. La présente section tentera de faire le point sur les impacts réels de ces réorganisations, une fois complétées. Les impacts des fusions d’établissements peuvent être regroupés dans trois catégories : les questions cliniques et professionnelles, les questions administratives et de gestion interne et les questions de gouvernance.
Les questions cliniques et professionnelles
L’impact de la fusion des établissements sur l’accessibilité et la prestation des services aux usagers constitue le thème le plus documenté et le plus controversé de la littérature sur les fusions d’établissements, particulièrement dans les cas des fusions hospitalières. Tout d’abord, de nombreux auteurs considèrent que les fusions entraînent l’amélioration de la prestation des services de santé. Ces auteurs évoquent alors l’élargissement des programmes de soins médicaux, l’uniformisation des services, la mise à jour de la gestion et des équipements, l’augmentation des revenus et la solidification des structures (Briggs et al., cités dans Lee et Alexander, 1999), la bonification de la perception et de la satisfaction du public à l’égard des soins (Briggs et al., cités dans Lee et Alexander, 1999 ; Stewart et al., 2002) et la personnalisation des relations patient-soignant (Stewart et al., 2002). Concrètement, les fusions ont des répercussions sur la réduction de la fréquence et de l’importance des périodes de congestion (Brailer, cité dans Lynk, 1995), sur la suppression des services de santé faisant double emploi (Lee et Alexander, 1999) ainsi que des ressources en surplus (Bond et Weissman, 1997). En outre, l’abolition des frontières entre les organisations autonomes permet d’étendre la gamme des services offerts, de maîtriser l’allocation des ressources disponibles et de coordonner efficacement le travail des membres (Demers, Dupuis et Poirier, 2002). De plus, selon Fulop et al. (2002), l’accroissement du bassin de professionnels engendré par la création d’une organisation plus large permet aux établissements de développer de grandes équipes de spécialistes et, de ce fait, de prétendre à un certain niveau d’excellence clinique. Enfin, selon Wooley (1989), les fusions contribuent à réduire la surconsommation en quantité et en qualité des soins de santé. Il faut cependant souligner que ces conséquences sont surtout observables lors de fusions d’établissements de même mission, ce qui n’est pas nécessairement le cas dans le contexte québécois.
Toutefois, des auteurs ont relevé la présence de conséquences négatives des fusions à l’égard de la prestation et de l’accessibilité aux soins. Ainsi, lorsque les fusions entraînent le transfert de services vers un autre établissement, l’accès local à certains services et particulièrement aux services plus coûteux est limité (Denis, Lamothe et Langley, 1999 ; Magel, 1999) ainsi que l’accès aux services pour les gens défavorisés (Posnett, 1999). Pour d’autres auteurs, les fusions déshumanisent la prestation des soins (Benady, 2003), perturbent les services (Fulop et al., 2002), compromettent le soutien à long terme des services à la communauté (Kassirer, 1996), ne permettent pas d’améliorer les pratiques (Alexander, Halpern et Lee, 1996), suscitent le mécontentement des clientèles, entraînent une détérioration des services à la population, créent de lourdes bureaucraties moins sensibles aux besoins des usagers (Markham et Lomas, 1995) et annihilent la capacité des organisations à répondre de façon spécifique aux besoins d’une communauté en raison de l’uniformisation et de la standardisation des services (Sabourin, cité dans Fournier, 2002). De plus, les fusions d’établissements ajournent le développement des services (Fulop et al., 2002). Enfin, les médecins se retrouvent déchirés entre la prestation des soins et la réduction des coûts (Kassirer, 1996).
Quelques chercheurs soulignent le caractère multidimensionnel des répercussions des fusions d’établissements. Ainsi, bien que certaines fusions soient susceptibles de majorer la qualité des services et des soins (Sheldon et Maynard, 1999) et qu’elles reconfigurent les services (Haigh, 2000), ces gains ne sont souvent pas exclusifs aux fusions. De plus, certains bénéfices attribués aux fusions peuvent présenter des revers. Alors que certains praticiens affirment qu’une plus grande concentration des soins secondaires permet d’offrir de meilleurs soins aux patients, selon Posnett (1999), le degré de concentration ne peut garantir de meilleurs services. Et puis, bien que l’uniformisation des règles de fonctionnement représente un atout pour certains auteurs, elle est également susceptible d’entraîner la réduction de la variété des méthodes de travail, de freiner l’innovation et de restreindre le choix laissé aux usagers (Demers, Dupuis et Poirier, 2002). Enfin, si la hiérarchisation inhérente aux fusions d’établissements semble favoriser la continuité des services et, dans certains cas, la rationalisation des fonctions administratives, elle peut aussi avoir un effet nocif sur les communautés de pratique[1], particulièrement lorsque la fusion est imposée (Demers, Dupuis et Poirier, 2002).
De plus, les médecins qui offrent des services de première ligne considèrent que les fusions contribuent à augmenter leur mobilité et à éroder leur autonomie clinique, ce qui, à terme, mine la viabilité et le caractère sacré de la relation avec leur patient (Magel, 1999). En terminant, Richard et al. (2002) soulignent les incertitudes quant à la protection des orientations de prévention et de promotion de la santé à la suite d’une fusion. En effet, il semble que la fusion d’établissements à vocations et à cultures différentes représente une source de tensions, parmi d’autres, pour la prestation de services de prévention et de promotion.
Les questions administratives et de gestion interne
D’un point de vue économique, les recherches révèlent qu’au moins la moitié de toutes les fusions d’établissements n’ont pas les impacts financiers envisagés (Cartwright et Hudson, cités dans Dackert et al., 2003). D’ailleurs, les données canadiennes qui démontrent que les fusions représentent une source d’économies sont largement non concluantes (FCRSS-CHSRF, 2002). Au contraire, des études ont démontré que les mégafusions provoquent une augmentation des coûts (Posnett, 1999) et occasionnent une certaine centralisation financière, alors qu’une plus grande importance est accordée à la gestion de l’une des organisations fusionnées par rapport à une autre (Fournier, 2002). Certains auteurs affirment que les fusions complexifient les activités administratives, alors que d’autres soutiennent au contraire qu’elles permettent une certaine efficacité économique (Lynk, 1995). Ainsi, selon le Bulletin on Effectiveness of Health Service Interventions for Decision Makers (1996), lorsque les hôpitaux sont caractérisés par un excès de capacité et des équipements inutilisés, la fusion peut devenir un moyen efficace de réduire les coûts globaux. D’autre part, certains auteurs soulignent la nécessité de considérer la variabilité des impacts économiques des fusions en fonction de facteurs tels que la taille des établissements, les conditions des marchés et les attentes des usagers en termes de qualité des services (Fournier, 2002 ; Lee et Alexander, 1999 ; Wooley, 1989). Enfin, selon Kanter (cité dans Hackett, 1996), les organisations doivent développer des processus de gestion qui stimulent l’engagement, la coopération et le consensus à travers la nouvelle organisation fusionnée au lieu de créer une rivalité interne majeure.
Quelques auteurs considèrent que les fusions d’établissements, notamment des centres hospitaliers, entraînent l’amélioration des systèmes de supervision clinique, rendent plus cohérente la gestion professionnelle et favorisent l’accès à des programmes de formation et de développement de carrière (Fulop et al., 2002). Toutefois, plusieurs chercheurs dénoncent les répercussions négatives des fusions sur le fonctionnement interne des organisations. D’ailleurs, certains auteurs estiment que la résistance déployée par le personnel, en termes d’incertitudes et d’insécurité par rapport aux débouchés des fusions, est responsable du tiers à la moitié des échecs des fusions (Davy et al., cités dans Dackert et al., 2003). La portée de la donnée humaine dans l’équation des fusions est évidente (Kaye, 1989) et les auteurs qui la mentionnent y attribuent une grande importance, voire une valeur déterminante (Demers, Dupuis et Poirier, 2002). À ce sujet, certains auteurs (Denis, Lamothe et Langley, 1999 ; Fournier, 2002) conviennent que les fusions d’établissements portent préjudice au climat de travail, à la motivation des employés, aux relations professionnelles, à la répartition du pouvoir, aux méthodes de travail, à l’identité organisationnelle et accentuent la tendance à la bureaucratisation. Le fonctionnement interne est influencé négativement par les changements organisationnels qui peuvent entraîner une insécurité d’emploi et menacer l’estime de soi et le bien-être des individus (Callan, Terry et Schweitzer, cités dans Terry, Carey et Callan, 2001). Aussi, la taille des organisations, susceptibles de s’agrandir à la suite de fusions, affecte les relations entre les gestionnaires et les employés. En effet, selon Fulop et al. (2002), le personnel peut ressentir l’éloignement des gestionnaires tandis que ceux-ci peuvent avoir le sentiment d’être isolés des services qu’ils gèrent. De plus, les relations entre la direction et le personnel peuvent perdre de leur caractère informel, la communication, se complexifier et l’autonomie des services et des prises de décisions locales, se restreindre. Le stress engendré par une fusion peut aussi avoir de nombreuses conséquences négatives de nature physiologique chez les individus (hausse de la pression sanguine, migraines, insomnie, tremblements, spasmes et douleurs musculaires) et comportementales (augmentation de l’absentéisme, baisse de la productivité et commission d’actes destructeurs ; Kaye, 1989). L’implantation du concept de fusion peut également se heurter à la différenciation des pratiques professionnelles et à l’émergence de sous-cultures opposant les valeurs des professionnels qui y adhèrent (Bégin et Labelle, 1990).
Les questions de gouvernance
En raison de l’incompatibilité des cultures organisationnelles et de l’élimination de services, les fusions mettent à rude épreuve les relations entre les médecins et la communauté (Greene, cité dans Lee et Alexander, 1999) ainsi que certaines collaborations entre les organismes et avec les partenaires du milieu (Fournier, 2002 ; Lagacé, 2004). En contrepartie, le portrait de quelques centres de santé regroupant les services d’un centre hospitalier et d’un CLSC démontre que les établissements intègrent bien leur environnement : ils s’allient les multiples partenaires de milieu et la population apprécie les services offerts en concertation (Bégin et Labelle, 1990).
Au regard des impacts des fusions sur la participation citoyenne et sur la répartition du pouvoir, Benady (2003) soutient que les fusions d’établissements de santé favorisent l’accroissement du pouvoir des hôpitaux, tandis que selon l’expérience de Beauchamp (cité dans Fournier, 2002), elles sont susceptibles de renforcer l’emprise d’une population locale sur les services offerts par des établissements aux vocations complémentaires. En ce sens, les données recueillies par le collectif de recherche sur l’organisation des services de santé de première ligne (Pineault et al., 2005) indiquent qu’il est nécessaire de dépasser l’implantation d’un cadre unique d’intégration des services. Dans cette perspective, une grande latitude doit être octroyée aux acteurs locaux et régionaux quant à l’implantation des projets de fusions. Enfin, des auteurs questionnent le rôle de l’État dans le processus d’intégration des soins (Mur-Veeman, van Raak et Paulus, 1999). Car, bien qu’en principe l’État soit appelé à jouer un rôle de facilitateur social, le gouvernement semble incapable de stimuler adéquatement l’établissement de structures de soins intégrés, parce qu’il se bornerait à les promouvoir ou à les inhiber.
Conclusion
L’ensemble des auteurs recensés est divisé quant à la nature des répercussions des fusions d’établissements de santé, tant sur le plan de la qualité et de l’accessibilité des soins et des services, qu’aux plans économique et humain. C’est ainsi que certains écrits soulignent l’amélioration de la prestation des soins dans les établissements de même mission, alors que d’autres dénoncent la restriction de l’accessibilité et l’augmentation des coûts qu’entraînent les fusions. D’ailleurs, les données semblent démontrer que certains bénéfices obtenus ne sont pas exclusifs à ce mode d’organisation et comportent des revers. En ce sens, plusieurs chercheurs mettent en relief les effets délétères des fusions sur le fonctionnement interne des organisations.
Devant ces constats, il semble avantageux de documenter de façon rigoureuse les impacts des fusions des établissements, qu’elles soient volontaires ou non, auprès de tous les acteurs concernés. Ainsi, il semble pertinent d’interroger les gestionnaires, les intervenants, les organismes communautaires et la population, non seulement sur les aspects économiques des fusions, mais également sur ses répercussions de nature qualitative. Par exemple, il serait approprié d’évaluer l’implication des membres du personnel comme partenaire à part entière dans le processus de fusion et d’établir les répercussions de la fusion sur leur pratique professionnelle et sur la qualité de leur prestation de services à la population. De plus, il serait utile de documenter les incidences des fusions sur les pratiques de collaboration des différents CSSS avec les organismes communautaires et d’économie sociale. En terminant, la reconfiguration des services de santé et des services sociaux est en cours de réalisation au Québec et ses multiples impacts devront faire l’objet de recherches afin d’en mesurer les effets, positifs ou négatifs, à moyen et à long terme.
Appendices
Notes biographiques
Marie-Claude Richard
Marie-Claude Richard, M.A., est étudiante au doctorat en service social à l’Université Laval. Elle détient une maîtrise en travail social de l’Université du Québec à Chicoutimi. Dans le cadre des contrats d’assistanat de recherche qu’elle réalise depuis 2003, elle a participé à la rédaction de rapports de recherche, monographies et articles de revue. Ses publications se situent notamment dans les domaines de l’hébergement pour personnes âgées, du soutien aux aidants familiaux ainsi que de l’organisation du système de services de santé et de services sociaux.
Danielle Maltais
Danielle Maltais, Ph. D., est professeure titulaire au Département des sciences humaines à l’Université du Québec à Chicoutimi. Détentrice d’un doctorat en sciences humaines appliquées, elle a une maîtrise en travail social et un baccalauréat en science politique. Ses recherches et ses publications portent principalement sur les relations entre l’environnement construit et les comportements des personnes âgées, le soutien aux aidants familiaux ainsi que les conséquences des catastrophes et des événements traumatiques sur la santé des victimes et des intervenants rémunérés ou bénévoles qui sont appelés à intervenir en situation d’urgence macrosociale.
Denis Bourque
Denis Bourque, Ph. D., est professeur au Département de travail social et des sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais. Il détient un doctorat en service social de l’Université Laval. Il a été organisateur communautaire au CLSC Seigneurie-de-Beauharnois de 1975 à 1990 et coordonnateur des services à la communauté au CLSC Jean-Olivier-Chénier de 1990 à 2002. Ses travaux de recherche et publications concernent le développement des communautés et le partenariat entre les organismes communautaires et les établissements publics.
Sébastien Savard
Sébastien Savard détient un doctorat en service social et il est professeur au Département des sciences humaines à l’Université du Québec à Chicoutimi. Ses activités de recherche s’intéressent aux nouveaux rapports entre l’État et la société civile et aux fusions d’établissements dans le système de la santé et des services sociaux. Il s’intéresse également à la pratique de l’organisation communautaire et à l’économie sociale. Il est directeur de l’Unité d’enseignement en travail social de l’UQAC.
Marielle Tremblay
Marielle Tremblay, détentrice d’un doctorat en science politique, est professeure titulaire au Département des sciences humaines à l’Université du Québec à Chicoutimi. Ses recherches et publications les plus récentes portent sur les rapports de genre, l’économie sociale, le développement social, les pratiques de soin et de soutien dans la communauté. Elle est coordonnatrice du Groupe de recherche et d’intervention régionale (GRIR) de l’UQAC, elle est responsable pour l’Université du Québec à Chicoutimi de l’Alliance de recherche université-communautés en économie sociale ainsi que du réseau québécois de recherche partenariale en économie sociale à l’UQAC.
Note
-
[1]
Les communautés de pratique désignent des groupes de personnes qui s’enseignent mutuellement à accomplir leur travail, en mobilisant les connaissances pertinentes (Demers, Dupuis et Poirier, 2002).
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