Abstracts
Résumé
Les OBNL de personnes aidantes regroupent principalement des femmes dispensant des soins et du soutien dans la communauté à des proches dépendants. Ils contribuent au développement social de leurs collectivités. Dans le cadre d’une recherche menée auprès des groupes OBNL membres du Regroupement des aidants naturels du Québec (RANQ), deux aspects du développement social ont été observés. L’appartenance à ces OBNL apporte de nombreux bénéfices à caractère individuel, principalement grâce aux activités et services dispensés par les groupes ainsi qu’à l’intégration assurée par la participation des membres à la vie même du groupe et l’accès à ses activités et services. Ces OBNL jouent aussi un rôle au plan collectif, par une intégration à des réseaux de la société civile.
Abstract
Membership of informal caregivers community groups is mainly made of women giving care and support in the community to dependent next of kin. These groups strenghten social development in their community. Two aspects of social development have been observed out of datas from a research on the community groups members of the Regroupement des aidants naturels du Québec (RANQ). Members can draw individual benefits from activities and services of these community groups, and from integration to the life of the group itself. Collective benefits can also be identified by an integration of these groups to civil society networks.
Article body
Introduction
Sous la pression de politiques néolibérales et de compressions budgétaires, les années 1990 ont produit au Québec, comme en Occident plus généralement, de grandes mutations au sein des systèmes de santé. Une forme récente de cette restructuration est le virage ambulatoire et son corollaire, l’augmentation des programmes de soutien à domicile. En effet, les innovations médicales, pharmacologiques et biotechnologiques permettent désormais de réduire les temps d’hospitalisation, voire de les éliminer dans de nombreux cas. Le milieu domestique devient ainsi le théâtre de soins non seulement à des personnes âgées, mais également à de plus en plus de convalescents postopératoires et de personnes malades, handicapées ou en perte d’autonomie.
L’intensification des mesures de soutien[1] à domicile de la personne à soigner implique un transfert de services, mais aussi de responsabilités et de tâches du secteur public vers le tiers secteur, soit les organismes communautaires, les entreprises d’économie sociale, les coopératives de services à domicile, les familles, etc. Les divers acteurs de la société civile se retrouvent alors devant une exigence de solidarité envers les personnes dépendantes et leurs proches, ainsi que les collectivités. D’une part, à l’égard des personnes dépendantes et de leurs proches, afin de s’assurer que ces dernières puissent disposer des conditions leur permettant de se réaliser. D’autre part, en ce qui concerne les communautés, afin que ces dernières puissent se déployer au plan social, culturel et économique. Il s’agit donc d’une problématique de développement social auquel les pratiques citoyennes mises de l’avant par les acteurs de la société civile peuvent contribuer (Conseil de la santé et du bien-être, 1998 : 4).
L’aide et les soins apportés aux personnes malades, en perte d’autonomie, vieillissantes ou ayant des handicaps sont de plus en plus pris en charge par des proches ou des membres de la famille de la personne aidée, que l’on désigne comme « personnes aidantes ». Ces acteurs des soins et du soutien contribuent au développement social des communautés. Certains organismes à but non lucratif (OBNL) regroupent nombre de ces personnes aidantes. Ils favorisent la participation de leurs membres, des femmes dans une très large part, à des activités assurant une représentativité dans l’espace public sur la question des soins. Cette participation peut avoir un aspect individuel, soit celui de l’intégration à la vie même du groupe et l’accès à ses activités et services. Il en sera question dans la première section de cet article. Cette participation a également une dimension collective, par une intégration à des réseaux de la société civile ; ces pratiques de mise en réseau seront abordées dans une seconde section. Ainsi, les personnes aidantes peuvent être considérées non seulement comme des acteurs individuels des soins et du soutien, mais aussi, en tant que groupe, comme un acteur collectif de développement social adoptant des pratiques citoyennes.
Les réflexions qui suivent sont basées sur l’analyse de données d’une recherche visant à comprendre le processus de collectivisation des soins à partir des stratégies et activités des organismes communautaires de soutien aux personnes aidantes, à en saisir les étapes de développement de même que les conditions qui contribuent aux réussites comme aux échecs. Elles ne constituent pas encore un effort de théorisation de ce processus de structuration des soins, d’où leur caractère informatique plus que théorique. Une première étape de collecte et analyse de données a été menée en 2002 auprès des membres du Regroupement des aidants et aidantes naturels du Québec (RANQ). Treize des quinze organismes membres du RANQ ont accepté de répondre à un questionnaire détaillé sur leur organisation, membership, activités et services, financement, liens avec d’autres acteurs collectifs, etc. Dans la deuxième étape de la recherche, des entrevues semi-dirigées ont été menées auprès d’une quarantaine de personnes intervenant dans divers organismes et établissements, tant du réseau de la santé et des services sociaux que de la société civile, dans quatre régions du Québec, soit la Montérégie, le comté de Lotbinière, la ville de Québec et le Saguenay – Lac-Saint-Jean. Les guides d’entrevues ont été élaborés afin d’aborder la question de l’organisation du travail de soin et de soutien dans la communauté et du rôle des OBNL de personnes aidantes à ce chapitre.
Personnes aidantes et citoyennes : un travail d’intégration par l’appartenance
On voit généralement dans l’apparition des OBNL de personnes aidantes une réponse à certains besoins suscités par la restructuration du système de santé. Les OBNL de soutien aux personnes aidantes se sont développés en deux phases. Certains groupes sont apparus vers la fin des années 1980, répondant aux besoins créés à la fois par la désinstitutionnalisation en santé mentale et par les programmes de maintien à domicile des personnes âgées (Guberman, Maheu et Maillé, 1993). Cette première vague coïncide, d’une part, avec l’effervescence du mouvement communautaire de la fin des années 1970 et, d’autre part, avec la première phase de restructuration des soins et des services de santé et à la désinstitutionnalisation, où l’on favorise le maintien à domicile comme facteur d’intégration sociale plutôt que le placement en institution. La seconde vague d’émergence des OBNL de personnes aidantes date du milieu des années 1990 et se poursuit jusqu’au début du nouveau millénaire. Le contexte de leur création est le reflet des effets directs du virage ambulatoire (AFEAS, 1998) et des coupures budgétaires dans le système de santé sur les personnes aidantes dont les tâches et les responsabilités s’amplifient et s’alourdissent, d’où le besoin grandissant d’un soutien.
À l’origine de ces groupes, on retrouve principalement des femmes ; des personnes aidantes mais également des travailleuses sociales ou des organisatrices communautaires issues des Centres sociaux de services communautaires – CLSC (Tremblay et al., 2004). Les CLSC sont en effet à l’origine de la création de plusieurs de ces organismes, y voyant un moyen de répondre aux besoins exprimés par les familles. Plus rarement, des personnes aidantes ont elles-mêmes impulsé la fondation de certains OBNL pour ensuite solliciter l’appui technique du CLSC. Dans la majorité des cas cependant, les personnes aidantes sont rapidement intégrées dans le processus de mise sur pied de ces organismes.
Les effectifs de ces OBNL de personnes aidantes sont composés en grande partie de femmes assumant des tâches de soin et de soutien auprès de personnes dépendantes à domicile. Plusieurs de ces groupes estiment que leurs membres sont actives, c’est-à-dire qu’elles participent aux activités constitutives de la vie du groupe, soit les assemblées générales annuelles, la participation aux instances, la présence aux activités du groupe, et ce, malgré les nombreuses tâches à accomplir en parallèle au domicile. Par leur nature même, ces OBNL favorisent la participation de leurs membres.
Les 13 organismes du RANQ étudiés dans le cadre de notre recherche ont le statut d’organisme à but non lucratif, selon l’article 3 de la Loi des corporations. Ce sont des organisations qui jouissent d’un fonctionnement démocratique de type autogéré. La combinaison la plus fréquente de participation à la prise de décision en vue d’orientations est l’assemblée générale (AG) avec conseil d’administration (CA). Les employés, les usagers, les membres et les bénévoles assurent la réalisation des activités. Ces modes de fonctionnement révèlent les conditions nécessaires à une gestion démocratique et participative, un modèle de gestion traditionnel pour les OBNL de services à la communauté.
L’appartenance d’une personne aidante à un OBNL produit des effets bénéfiques, du moins selon les données recueillies dans le cadre de notre enquête. La participation aux activités et les services accessibles contribuent à renforcer la confiance en ses moyens, en ses connaissances, en ses expériences de personne aidante tout en acquérant de nouveaux savoirs et en développant des stratégies d’actions communes. L’appartenance au groupe permet également de mettre en valeur certaines compétences. Ces dernières se développent à divers plans : elles peuvent naître de la capacité à faire appel et à mettre en commun les ressources locales, ou bien à exploiter des habiletés consensuelles et décisionnelles ; elles peuvent aussi se consolider dans un contexte de prise en main de son développement et de renforcement des réseaux naturels, communautaires et professionnels de soutien aux individus.
L’intégration des personnes aidantes à un OBNL apporte aussi des bénéfices immédiats relativement aux responsabilités et tâches du soin. En effet, ces groupes ont eu comme premier mandat celui de combattre l’isolement engendré par la prise en charge d’un proche dépendant en milieu domestique. Cet isolement et la complexité des tâches d’aide et de soins ont aussi pour effet de produire de l’épuisement. L’OBNL de personnes aidantes, généralement mis sur pied par et pour les personnes aidantes, donne l’occasion aux membres de vivre de nouvelles expériences de partage, d’apprentissage, d’aide et de soutien mutuel. Ces OBNL se donnent divers mandats, afin d’offrir formation, soutien et lieux de constitution de réseaux. Ils jouent un rôle dans l’encadrement de populations fragilisées par leur état de santé et contribuent au mieux-être des membres d’une communauté.
Les services et activités de ces groupes contribuent au développement social de deux façons particulières : d’une part, ces groupes accueillent les besoins exprimés par leurs membres, et par toute personne assumant la prise en charge d’une personne dépendante de façon générale, répondant à ces besoins en créant divers services tels des groupes de soutien, de la documentation, de l’intervention et de l’écoute. Plusieurs de ces activités et services ont trait à la formation et l’information, sous forme de référence, cafés-causeries, conférences, cours. Les formations offertes par les groupes sont variées : prévention de l’épuisement, déplacement sécuritaire des personnes aidées, prévention du stress, intervention sociale et personnelle, affirmation de soi, aspects légaux de la prise en charge, réanimation cardiorespiratoire, communication appropriée avec les personnes aidées, notamment avec les mourants et, enfin, diverses façons d’apprendre à « se faire plaisir ». Ces formations sont dispensées le plus souvent par les CLSC, mais peuvent aussi l’être par des organismes communautaires comme la société d’Alzheimer surtout. Outre les formations énumérées plus haut, les CLSC et les autres organismes forment les aidantes sur les premiers soins, les maladies, le vieillissement, la façon de vivre avec une personne confuse, la médication et la prévention du suicide. Ces activités et services contribuent à développer une vision globale de la santé, tendent à améliorer la qualité de vie de leur communauté en veillant au bien-être tant des personnes aidantes que des personnes aidées.
Les OBNL de personnes aidantes constituent un milieu permettant à leurs membres de développer leurs potentiels et de participer davantage à la vie publique. En cela, ils répondent à une des caractéristiques du développement social, car ces personnes peuvent notamment acquérir des habiletés (prendre la parole devant un groupe, représenter l’organisme lors d’évènement, informer et sensibiliser le grand public à leur réalité), faire l’apprentissage du pouvoir ainsi que l’expérience de l’autonomie. Ces organismes permettent aussi de développer et de mettre en valeur leurs compétences en matière de soins et de soutien. Les personnes aidantes apprennent à se faire confiance, à avoir confiance en leurs savoirs, en leurs connaissances, en leurs capacités et habiletés. Cela contribue à la reconnaissance de leur expérience de personne aidante. Cette considération pour l’expertise des personnes concernées amène donc une prise en charge des personnes aidantes par elles-mêmes. Le travail de prise en charge de ces femmes, de privé qu’il semble de prime abord, devient une contribution à la capacité de la communauté à soutenir des populations fragilisées par leur état de santé.
La participation aux réseaux de la société civile : une pratique citoyenne à caractère collectif
Les pratiques de soin des personnes aidantes, et le rôle joué par les OBNL de personnes dans leur milieu, contribuent à l’augmentation du pouvoir collectif des communautés (Ninacs, 2002 : 23). Les activités et services qui y sont développés, ainsi que leur participation aux diverses interactions à la base du développement des communautés, constituent en fait des manifestations d’une prise en charge d’un milieu donné par les acteurs de la société civile. En effet, « [l]a participation constitue un élément fondamental de la bonne gouvernance, une condition essentielle au développement du capital social, à la qualité de vie des personnes et à la santé démocratique d’une collectivité » (Conseil de la santé et du bien-être, 2004 : 17).
L’intégration des personnes à des groupes a des effets reconnaissables en matière de développement social, notamment par leur participation à la vie communautaire et à l’amélioration des soins et du soutien aux personnes dépendantes. Mais la vitalité des OBNL de personnes aidantes peut aussi avoir pour effet de questionner le politique et constituer dans certains cas, dont celui qui nous intéresse, une politisation d’activités qui généralement sont perçues comme relevant du domaine privé, de la sphère domestique. À ce titre, l’intégration des OBNL de personnes aidantes dans les réseaux de la société civile constitue justement une politisation du travail des personnes aidantes, en vue de la reconnaissance du travail de ces femmes par les divers acteurs sociaux et l’État.
Les OBNL de personnes aidantes démontrent des capacités aux pratiques de mise en réseau. Par pratique de mise en réseau, nous entendons « l’ensemble des liens et des contacts qui contribuent à la création de rapports relativement durables et qui facilitent la réalisation des activités des groupes » (Andrew et al., 1989 : 306). Ces liens et activités constituent un aspect crucial pour favoriser le développement et la croissance des groupes. C’est autour de diverses pratiques de participation citoyenne telles des tables, regroupements, associations et autres formes de lieux de concertation, que les organismes profitent de l’expérience et de la solidarité des autres, notamment dans la revendication de leurs droits sociaux et politiques.
Afin d’élargir le spectre de leur action et d’exercer ainsi un rôle dans leur communauté, les OBNL de personnes aidantes sont intégrés à des réseaux. Ces réseaux existent à divers niveaux territoriaux, selon des modèles différents, et avec des acteurs de la société qui ne sont pas nécessairement les mêmes d’un type de réseau à un autre. Les pratiques de mise en réseau des OBNL de personnes aidantes se développent aussi à partir de liens formels établis avec divers acteurs collectifs. Les partenaires de ces liens peuvent provenir de divers secteurs : public, communautaire, économie sociale et entreprise privée. Dans le cadre de la recherche, nous avons demandé aux OBNL de personnes aidantes de relever les liens établis avec divers autres acteurs socioéconomiques. Par la suite, ces liens ont été comptabilisés selon leur type. Les données colligées dans le cadre de la recherche permettent de constater que la collaboration des OBNL de personnes aidantes avec d’autres organismes du secteur communautaire est plus importante qu’avec les ressources des autres secteurs, comme l’indique la répartition qui suit.
L’importance quantitative des liens établis avec d’autres organismes communautaires locaux est frappante. Ces contacts réguliers d’entraide et de partage de savoirs et d’expériences semblent très avantageux, voire essentiels, dans la poursuite d’objectifs communs. L’appartenance à des tables de concertation ou comités fédératifs fournit une certaine visibilité et une forme de reconnaissance du rôle propre à l’OBNL de personnes aidantes. À ces tables, par le partage avec d’autres acteurs, la revendication des droits politiques et sociaux des organismes et de leurs membres prend plus de poids.
Cette répartition révèle également une forte propension des organismes étudiés à tisser des liens avec le secteur public, notamment avec les institutions de santé. Ce phénomène s’explique par le rôle de premier ordre qu’ont joué les CLSC dans le démarrage de ces organismes et qu’ils continuent d’ailleurs de jouer, avec d’autres organismes de santé, dans le développement des OBNL, particulièrement au chapitre de la formation. De leur côté, les Agences de santé et de services sociaux sont surtout présentes auprès des OBNL par leurs activités de financement.
Par ailleurs, on constate, avec une certaine surprise, que peu de liens sont établis entre les organismes de soutien aux personnes aidantes et les entreprises d’économie sociale, ou encore les entreprises privées locales. Quelques questions peuvent spontanément venir à l’esprit : la perspective de chevauchement entre certains services provoquerait-elle une sorte de réserve ou même des tensions entre les ressources ? La difficulté d’obtenir du financement susciterait-elle une certaine compétition entre les différents organismes occupant le terrain des soins dans la communauté ?
En fait, les mandats de ces divers organismes sont à ce point différents que l’établissement de liens formels peut souvent se révéler difficile. Ainsi, les entreprises d’économie sociale dispensent pour une large part des services d’entretien domestique et de cuisine. De leur côté, en plus des activités et services relatifs à la mobilisation et à la représentation, les OBNL de personnes aidantes peuvent offrir des possibilités d’aide liée au répit et au gardiennage. Mais plus précisément, le peu de liens formels entre entreprises d’économie sociale et OBNL de personnes aidantes pourraient résider dans le processus de référence caractérisant la gestion publique des soins dans la communauté. En effet, le CLSC joue un rôle de premier plan dans le processus de référence : il dirigera vers les OBNL de personnes aidantes les individus dont les besoins se font sentir en termes de formation, de répit, de dépannage, de groupe de soutien ; vers les entreprises d’économie sociale seront essentiellement orientées les réquisitions de services d’entretien domestique. Quant aux entreprises privées de soins dans la communauté, elles sont intégrées à ce processus de référence en fonction des ressources disponibles dans le milieu. En conséquence, là où il n’y a pas de table locale ou régionale, en soins à domicile par exemple, les OBNL de personnes aidantes, les entreprises d’économie sociale et les entreprises privées auront peu de possibilités d’établir de liens formels entre eux.
Les réseaux dans lesquels les OBNL de personnes aidantes s’intègrent leur permettent d’établir des interactions avec divers acteurs collectifs. Ces interactions prennent forme dans diverses activités qui créent et consolident des liens. Certaines de ces activités relèvent de la concertation (Tremblay, 1993). Les liens de concertation, présents dans 77 % des cas, permettent d’élaborer d’un commun accord des actions collectives et des projets politiques. Les lieux de cette concertation sont les réseaux ou tables locales, régionales ou provinciales dont les acteurs sociaux travaillent aux mêmes objectifs. Les organismes tissent également des liens de collaboration informelle dans 54 % des cas. Il s’agit de liens souples et peu définis qui permettent de se solidariser autour d’objectifs communs. D’autres activités concernent la représentation, comme lorsque des groupes établissent des liens formels avec des organismes extérieurs afin de sensibiliser, voire de conscientiser, la population aux problématiques vécues. Ces activités donnent également l’occasion de se faire connaître, ou encore de se solidariser pour porter le flambeau en vue de la reconnaissance d’une action commune. Ces liens de représentation constituent 48 % des cas relevés. Certaines des activités de représentation vont jusqu’à la coalition, dans la poursuite d’un objectif commun de défense des droits ou de lutte politique. Des liens de telle nature, qui représentent également un désir de développer une solidarité plus soutenue, constituent seulement 1 % des cas.
Il est possible de donner un aperçu complémentaire du rôle des réseaux pour les OBNL de personnes aidantes à partir d’une analyse des bénéfices retirés de l’existence de ces liens formels. Ainsi, l’échange d’information a constitué une retombée positive pour 75 % des liens formels identifiés par les OBNL de personnes aidantes. À des degrés moindres, mais de façon toujours significative, les liens formels sont générateurs d’autres types de bénéfices : visibilité et reconnaissance accrues, collaboration à des projets collectifs, formation et réflexion, référence, financement et, finalement, échange de services. Ces retombées sont issues d’alliances et de solidarités réelles et essentielles pour des OBNL, tant sur le plan des apprentissages et de la concertation que de la reconnaissance et de la lutte pour les droits. Il appert, malgré des ressources humaines et financières insuffisantes dans la plupart des cas, que ces organismes s’efforcent d’y participer activement et de prendre leur place. À travers ce réseautage, par les partenariats établis, les organismes étudiés ont étendu leurs liens tant dans le domaine de la santé que dans celui des organisations communautaires.
En poursuivant l’analyse de l’intégration des OBNL de personnes aidantes dans des réseaux, on a constaté qu’il y avait des distinctions selon que le réseau soit local (qui comprend le plan mercéen)[2], régional ou national. Le tableau 2 permet de prendre la mesure des liens formels établis selon les types de territoire où s’établissent des liens formels.
Les activités des OBNL de personnes aidantes peuvent s’inscrire dans un espace local, par exemple les territoires de CLSC – le quartier dans les grands centres urbains ou la MRC dans les milieux ruraux. Cette territorialité locale est celle de la proximité des lieux d’activités et elle est créée, comme nous l’avons vu précédemment, par les liens importants entretenus entre les OBNL locaux et les CLSC. Par ailleurs, on perçoit également une territorialité de liens régionaux plus ou moins nourrie selon les OBNL. Le territoire régional est surtout celui du financement – principalement, la proximité du financement obtenu des Agences de santé, mais aussi celui des regroupements et des comités fédératifs. Enfin, le territoire national semble parcouru par des liens de réseautage plus ténus et plus épars.
Toujours à l’aide du tableau 2, nous avons comptabilisé les liens et les bénéfices totaux et les avons répartis selon qu’ils sont réalisés au plan local, régional ou national. Ensuite, nous avons établi, dans chaque territorialité, une répartition proportionnelle des liens entre eux et nous avons fait de même pour les bénéfices. Nous pouvons ainsi saisir l’importance que les acteurs donnent à chacun, en fonction de leur territorialité.
La réalité des concertations et des solidarités présentes peut-elle différer selon qu’elle appartienne au plan local, régional ou national ? De légères différences sont effectivement perceptibles dans la fréquence de certains liens au plan local. Les liens de concertation sont nombreux : plus du tiers aux plans local et régional et légèrement en bas du tiers au plan national. Les liens de représentation sont plus nombreux au régional qu’au local et encore plus nombreux au national, soit près de 40 %.
L’explication vient sans doute du fait que les organismes de regroupement et les organismes fédératifs à l’échelle nationale ont souvent comme objectif la reconnaissance des droits de leurs membres ; ce sont des structures souples qui attirent les représentations des membres plus que leur participation active ou leur collaboration plus formelle. On en voit d’ailleurs la confirmation à la colonne des bénéfices retirés alors qu’au plan national, l’importance accordée à l’aspect de la visibilité augmente considérablement, se situant au même rang que les bénéfices d’échange d’information et de services qui sont les plus prisés à tous les niveaux territoriaux. Autre différence à noter au chapitre des bénéfices retirés, c’est le peu d’importance que les répondantes accordent à l’aspect de la formation et de la réflexion en ce qui concerne les organismes de niveau national, contrairement aux autres niveaux où cette dimension a beaucoup d’importance.
La très grande majorité des tables de concertation sont multisectorielles, réunissant la plupart du temps les ressources des secteurs public, communautaire, de l’économie sociale et parfois du privé. De leur côté, les réseaux locaux tels que les Corporations de développement communautaire (CDC), ou tout autre regroupement voué au bien-être de la communauté locale, poursuivent le plus souvent des objectifs socioéconomiques variés. Au moment de l’enquête, de plus en plus de tables locales ou réseaux locaux étaient créés afin d’harmoniser les efforts déployés par plusieurs organismes pour assurer le maintien et le soutien à domicile des personnes en perte d’autonomie. Ces tables ou réseaux sont souvent créés sous l’impulsion de l’organisatrice communautaire du CLSC. D’autre part, ce sont des instances régionales ou provinciales qui regroupent des organismes communautaires concernés par des problématiques spécifiques comme les Tables régionales d’organismes communautaires (TROC), les Centres de femmes et les Maisons de la famille.
Afin de mieux remplir leur mission, les OBNL de soutien aux personnes aidantes ont dû créer des liens de partenariat avec les organismes locaux et régionaux de santé et de services sociaux, dans les secteurs public, communautaire, privé et d’économie sociale. Dans tous les cas, les CLSC constituent un partenaire essentiel. Les liens établis entre les ressources en sont de concertation dans plus des trois quarts des cas, de collaboration informelle et de représentation dans plus de la moitié des cas. Ces liens qui procurent visibilité et reconnaissance sont l’occasion d’échanges et d’information, de formation, de réflexion, de référence et de collaboration à des projets communs. Les organismes locaux sont aussi présents sur des tables à l’échelle nationale dans le but de défendre les droits des personnes aidantes et d’obtenir une reconnaissance de leur pratique de soin de même qu’une reconnaissance des groupes qui les soutiennent. Mais la recherche montre que l’échelle territoriale de la région semble plus efficace dans la constitution de liens de concertation en vue du financement. Cette participation aux réseaux déployés par divers acteurs de la société civile s’avère ainsi une pratique citoyenne contribuant au développement social des communautés.
Conclusion
La participation des personnes aidantes, et des OBNL de personnes aidantes, à la vie publique et parapublique assume en fait trois principales fonctions ; celle de l’échange d’informations, celle de la conciliation entre les différents acteurs en présence ainsi que l’appropriation des services publics par les citoyens. Les avantages découlant de cette pratique sont nombreux. Ainsi, la participation citoyenne contribue au développement social, au renforcement du sens civique et de l’appartenance collective, à l’amélioration de la qualité de la démocratie et à une meilleure compréhension de ses mécanismes, et à un plus grand contrôle des citoyennes et des citoyens sur leurs institutions publiques, entre autres choses.
Depuis plusieurs années, on assiste au Québec, comme plus globalement en Occident, à des changements dans les relations entre l’État et les citoyens ; d’une part, ces derniers demandent aux décideurs des institutions publiques davantage de responsabilité, de transparence, d’ouverture et, d’autre part, pour répondre à ces demandes, ils cherchent aujourd’hui à participer plus activement au processus décisionnel des pouvoirs publics. Pour ce faire, on peut observer que la participation citoyenne tout comme les formes d’engagement se sont transformées depuis quelques années. En effet, la société civile tend à rejeter les groupes et associations aux structures traditionnelles de participation qui sont centralisées, hiérarchisées et fortes. De plus en plus, on voit émerger différents groupes de plus petite taille aux structures plus souples et moins hiérarchiques qui, tissant des liens les uns avec les autres, s’échangent de l’information, unissent leur force et créent un poids et une voix plus présents et plus susceptibles d’être entendus.
L’analyse réalisée à la suite de l’enquête menée auprès des OBNL de personnes aidantes permet de constater que ces groupes ouvrent sur des actions individuelles et collectives qui constituent effectivement des pratiques de participation citoyenne, où les acteurs sont mobilisés autour d’enjeux, de valeurs, de besoins et d’intérêts communs et qui tentent de les faire valoir auprès des institutions et des instances publiques. La création de regroupements et de réseaux entre personnes intéressées par la question de l’aide et des soins à domicile démontre le besoin de citoyens et citoyennes de se mobiliser et de s’impliquer dans cette cause afin que les personnes aidantes aient une voix qui se fasse entendre dans les débats publics.
Ainsi, des situations de prime abord individuelles sont collectivisées et deviennent une problématique sociale. Les OBNL de personnes aidantes permettent à leurs membres d’avoir un pouvoir de transactions avec les ressources du système sociosanitaire public, par le travail d’intervention et de représentation du personnel professionnel et bénévole qui y est actif. Il devient alors possible de reprendre au compte des personnes aidantes ce que Dominique Masson observait dans le cas des groupes de femmes : « En créant des organisations, les [personnes aidantes] se constituent en acteur collectif, susceptible d’agir sur l’environnement social afin de le changer et de le transformer avec une force que ne peut avoir l’action de [personnes aidantes] isolées, si vaillantes soient-elles » (Masson, 1994 : 73). En se regroupant, en mettant en commun leurs besoins, leurs revendications, leurs valeurs, les personnes aidantes impliquées dans ces OBNL participent activement et de façon solidaire et équitable à une forme de reconnaissance de leur travail et de leur valeur. En instaurant le dialogue à la fois avec l’État, par le truchement des institutions publiques et de leurs représentants, et avec le reste de la société civile, dont d’autres OBNL et groupes communautaires, il s’établit un lien entre les deux sphères « qui contribue à consolider la cohésion sociale, la démocratie, la responsabilisation des citoyennes et des citoyens, de même que leur implication dans le développement de la collectivité » (Conseil de la santé et du bien-être, 2004 : 24).
Appendices
Notes biographiques
Marielle Tremblay
Titulaire d’un doctorat en science politique, elle est professeure titulaire au Département des sciences humaines de l’Université du Québec à Chicoutimi. Ses activités d’enseignement et de recherche sont principalement orientées vers la problématique des rapports sociaux de sexe analysée à partir d’une perspective sociopolitique. Ses champs d’expertise concernent les rapports de genre, l’économie sociale, le développement social, les pratiques de soin et du soutien dans la communauté et les mouvements sociaux. Elle est coordonnatrice du Groupe de recherche et d’intervention régionales (GRIR) de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) et responsable, pour l’UQAC, de l’Alliance de recherche universités-communautés en économie sociale. Elle est aussi membre de l’équipe de recherche Économie sociale, santé et bien-être, et du Conseil de la santé et du bien-être depuis 2002. Elle a été membre du Conseil du statut de la femme de 1995 à 2000.
Claude GilbertIl
Il est coordonnateur à la recherche au Décanat des études de cycles supérieurs et de la recherche à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Il est aussi chargé de cours au Département des sciences humaines de l’UQAC, membre du Groupe de recherche et d’intervention régionales (GRIR) et détenteur de deux maîtrises et de deux scolarités doctorales en histoire sociale et religieuse. Il a collaboré à plusieurs projets de recherche sur la médiatisation de l’enseignement universitaire, sur le phénomène religieux et la spiritualité en contexte de sécularité, ainsi que sur la problématique des soins dans la communauté, et tout particulièrement le virage ambulatoire et les personnes aidantes.
Sylvie Khandjian
Elle détient une maîtrise en anthropologie de l’Université Laval. Elle s’intéresse à la question des soins et du soutien depuis plusieurs années, ce qui l’a amenée à collaborer à la publication de Fenêtres ouvertes : dire et partager l’aide et les soins, publiée en 2002 aux Éditions Écosociété, un ouvrage traitant de la problématique des personnes aidantes. Elle collabore maintenant avec des chercheurs de l’Université du Québec à Chicoutimi sur la problématique de la structuration des soins dans la communauté.
Notes
-
[1]
Au Québec, les programmes sociosanitaires de maintien à domicile sont devenus des programmes de soutien à domicile, ce qui illustre la tendance des milieux sociosanitaires à favoriser l’autonomie du sujet.
-
[2]
Au plan de la méthodologie, nous avons jugé plus significatif de traiter les plans local et mercéen ensemble, ce qui convenait mieux au phénomène étudié.
Bibliographie
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- Association féminine d’éducation et d’action sociale(AFEAS), Denyse Côté, Éric Gagnon, Claude Gilbert, Nancy Guberman, Francine Saillant, Nicole Thivierge et Marielle Tremblay (1998). Qui donnera les soins ? Les incidences du virage ambulatoire et des mesures d’économie sociale sur les femmes du Québec/ Who Will Be Responsible for Providing Care ? The Impact of the Shift to Ambulatory Care and of Social Economy Policies on Quebec Women, Ottawa, Condition Féminine Canada / Status of Women Canada.
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- Ninacs, William A. (2002). « Le pouvoir dans la participation au développement local dans un contexte de mondialisation », dans Marielle Tremblay, Pierre-André Tremblay et Suzanne Tremblay (sous la direction de), Développement local, économie sociale et démocratie, Québec, Presses de l’Université du Québec, 15-40.
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- Tremblay, Marielle, Thivierge, Nicole, Gilbert, Claude et Francine Saillant (2004). L’agir collectif dans le soutien aux proches aidants : un portrait du regroupement du RANQ (Regroupement des aidants et aidantes naturel-le-s du Québec), Chicoutimi, Université du Québec à Chicoutimi, GRIR.