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Introduction

Le problème de l’articulation emploi-famille s’est intensifié dans les dernières années avec l’augmentation du nombre de femmes présentes sur le marché du travail, ainsi que celui des familles monoparentales. Précisons immédiatement que nous employons à dessein l’expression « emploi-famille », puisque c’est bien de l’articulation entre l’emploi, le travail salarié ou la vie professionnelle et la vie familiale dont il s’agit. Nous avons aussi choisi d’utiliser le mot articulation, et non celui de conciliation, pour exprimer l’articulation, les réglages et les liens entre les sphères familiales et professionnelles. L’expression de conciliation renvoie pour plusieurs à la même idée, mais il s’agit d’une traduction de l’anglais « balancing », qui n’inclut pas l’idée de réglages et d’articulation, que nous préférons. Il faut reconnaître que, dans les débats publics sur la question, l’expression de conciliation est plus courante et, de ce fait, plus reconnue.

Nous ferons d’abord une brève revue des recherches sur la conciliation et l’articulation emploi-famille. Puis, nous présenterons quelques résultats de la recherche que nous avons effectuée sur les mesures offertes par les organisations ; contrairement à la plupart des autres enquêtes, elle ne se limite pas à la présence de mesures dans les organisations, mais s’intéresse aux critères d’accès et aux modes d’utilisation de ces mesures. Nous montrerons ainsi que les mesures offertes dans les organisations québécoises sont assez limitées, en nombre comme sur le plan de l’accès, et que l’usage qu’en font les hommes et les femmes est différent. Enfin, nous conclurons en relevant les limites de cette recherche et en indiquant certaines avenues à explorer.

Recension des écrits

La plupart des études portent sur le « conflit » emploi-famille et tentent de déterminer si le conflit est plus important dans le sens du débordement « travail vers famille » ou au contraire dans le sens « famille vers travail ». Certaines études estiment que les caractéristiques de l’emploi sont déterminantes dans le conflit emploi-famille et que le soutien du conjoint serait lui aussi déterminant (Guérin et al., 1994). D’autres mettent l’accent sur la catégorie socioprofessionnelle comme facteur de différenciation de la participation des hommes et des femmes aux responsabilités parentales et professionnelles, puisque ces deux éléments sont en quelque sorte des vases communicants (Tremblay et Villeneuve, 1997, 1998).

Des études se sont intéressées au caractère bidimensionnel du conflit (St-Onge et al., 2002). L’essentiel des recherches recensés dans St-Onge et al. (2002) et dans Kossek et Ozeki (1998) tente d’évaluer l’importance de divers déterminants du conflit et considère les deux sphères comme séparées. Nous avons jugé que les recherches étaient suffisamment développées sur ce plan et nous avons voulu regarder du côté des mesures offertes dans les organisations, plutôt que du côté de la sphère familiale, étudiées davantage par les psychologues. Toutefois, pour identifier les mesures pertinentes, il a fallu faire la revue des écrits sur les sources de difficultés, ainsi que celle des travaux sur les mesures offertes dans les organisations. Nous nous penchons d’abord sur la présence de mesures de conciliation, puis sur les écrits concernant le temps de travail, en documentant la question du manque de temps, puis celle du stress vécu par les parents, puis les conséquences sur la vie professionnelle.

La présence de mesures de conciliation

Peu d’études ont porté sur la présence de mesures dans les organisations. Les résultats d’une étude américaine[2] (1998) effectuée auprès de 1 057 entreprises de 100 employés et plus oeuvrant dans le secteur privé révèlent que les plus importants déterminants de la présence de programmes, de politiques et de soutien à la personne et aux familles sont, par ordre d’importance : le secteur d’activité, la taille de l’organisation, la proportion de femmes aux postes de cadres supérieurs, la proportion de représentantes de minorités ethniques occupant des postes de cadres, et le pourcentage de femmes au sein de l’entreprise. Les principales mesures offertes étaient les suivantes : la flexibilité du travail, les congés, les services à l’enfance et à la personne âgée, le soutien apporté par le superviseur, l’assurance médicale, le régime de retraite et le bénévolat au sein de la communauté. Dans notre recherche, nous n’avons pas retenu les trois derniers éléments dans notre recherche, étant donné le caractère universel de l’assurance santé au Canada et le caractère trop général des deux autres. Pour ce qui est du soutien du supérieur, nous l’avons évalué dans une enquête menée auprès des employés, mais non dans l’enquête dont il sera question ici, et qui ne traite que des mesures offertes. Nous avons donc choisi de détailler davantage les premiers éléments.

La recherche américaine montre aussi que les entreprises ayant de la difficulté à combler des postes spécialisés offrent plus de possibilités à leurs employés en ce qui a trait à la flexibilité des horaires notamment, ce qui laisse entendre qu’il y a des différences d’accès pour les employés. Cette étude américaine n’est pas nécessairement le reflet de ce qui se passe au Québec et au Canada, puisqu’ici, les gouvernements provinciaux et fédéral ont mis en place certains régimes inexistants aux États-Unis : régime universel de santé, service de garde à contribution réduite (à 5 $) au Québec en particulier. Parmi les pratiques les plus répandues au sein de l’entreprise, Guérin et al. (1994) ont trouvé les garderies, les compléments de salaire et de congés à la naissance, le temps partiel volontaire et le travail à domicile. Nous avons retenu certains de ces éléments et avons voulu tester les hypothèses de l’étude américaine pour la situation québécoise, en nous intéressant plus particulièrement au temps de travail. En effet, divers travaux (Lipsett et Reesor, 1997 ; Tremblay et Vaillancourt, 2000) ont montré que la mesure de conciliation emploi-famille la plus recherchée par les parents de jeunes enfants est la flexibilité des horaires. Or, comme nous n’avions connaissance que d’une recherche ayant tenté de déterminer la fréquence de telles mesures de conciliation (Guérin et al., 1994), mais sans couvrir la diversité des secteurs d’activité au Québec, nous avons choisi d’orienter nos travaux vers cette dimension : l’offre de mesures de conciliation, l’utilisation de celles-ci dans des organisations québécoises et, en particulier, les mesures concernant le temps de travail. Nous avons donc fait une recension des travaux ayant traité de cette dimension.

Les mesures de conciliation[3] concernant le temps de travail

Après avoir repéré les causes principales des difficultés de conciliation (Tremblay et Villeneuve, 1998, 1997 ; Tremblay, 2003, 2002a,b), nous nous sommes intéressés aux mesures pouvant permettre d’atténuer ces difficultés et, surtout, à la dimension temporelle de la question, puisque les études recensées montrent que c’est une donnée centrale. En effet, les recherches ont révélé que les parents de jeunes enfants manquent de temps et se sentent stressés en raison de leur difficulté à concilier leurs responsabilités professionnelles et familiales (Conference Board du Canada, 1994 ; Frederick, 1995). Des études indiquent que les mesures de conciliation emploi-famille les plus recherchées par les parents de jeunes enfants ont trait à la flexibilité des horaires (Lero et al., 1993), ce qui nous a incité à nous pencher sur l’existence de telles mesures dans notre recherche. En effet, outre les garderies sur les lieux de travail, souvent souhaitées par les parents de très jeunes enfants (3 ans et moins), ce sont les mesures de flexibilité et d’aménagement du temps de travail qui sont le plus souhaitées par les parents d’enfants de moins de 12 ans (Lero et al., 1992, 1993 ; Tremblay et Vaillancourt, 2000).

Hypothèses

Puisque selon le Families and Work Institute (1998), le premier déterminant est le secteur d’activité, nous aurions souhaité vérifier dans quels secteurs les mesures de conciliation sont les plus développées, mais nous n’avons pas obtenu une diversité suffisante de secteurs et avons dû nous contenter de statistiques descriptives, sans pouvoir conclure à l’existence de liens entre le secteur et la présence de mesures. Selon cet institut, le deuxième déterminant est la taille de l’entreprise. Nous posions donc comme hypothèse que les entreprises de plus grande taille offriraient davantage de mesures de conciliation. La proportion de femmes oeuvrant au sein de l’entreprise constituait un autre déterminant ; nous ne pouvions obtenir que des perceptions sur ce thème, mais nous l’avons inclus dans notre questionnaire afin de tester l’hypothèse d’un lien entre la proportion de femmes et la présence de mesures. Quant à la proportion de femmes occupant des postes de cadres, nous n’avons pu obtenir de données précises à ce sujet, le prétest ayant indiqué que les répondants ne pouvaient répondre à une telle question. La majorité de nos cadres répondants étaient toutefois des hommes, ce qui nous a empêchés de tester cette variable avec ces répondants.

À partir de nos entrevues et analyses qualitatives sur le sujet, nous avons élaboré quelques hypothèses supplémentaires (H3-4-5). En particulier, l’hypothèse 3, qui concerne la date de mise en place des mesures, est issue d’entrevues de groupe où plusieurs semblaient considérer que les débats et les mesures touchant la conciliation emploi-famille étaient récents. Certaines entrevues indiquaient que l’utilisation des mesures était différente chez les hommes et les femmes, et que les mesures n’étaient pas toujours accessibles à tous. Voici donc les cinq hypothèses de départ qui ont guidé la rédaction du questionnaire et l’analyse. Nous nous intéresserons surtout à la cinquième, puisque c’est relativement à celle-ci que nous avons obtenu des résultats probants et originaux.

  • H1 : Les entreprises de grande taille offrent davantage de mesures.

  • H2 : Les entreprises comptant davantage de femmes offrent plus de mesures.

  • H3 : Les mesures mises en place l’ont été depuis plus de 10 ans.

  • H4 : Les mesures ne sont pas accessibles à tous, mais certains critères d’admissibilité permettent d’en moduler l’accès.

  • H5 : Les hommes et les femmes utilisent les mesures pour des motifs différents.

Méthodologie

La recherche a été réalisée avec le Comité intersectoriel du secteur privé (CISP) [4] de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) au Québec. Nous avons envoyé le questionnaire aux représentants syndicaux et aux responsables des ressources humaines de chacun des établissements syndiqués au CISP afin d’obtenir l’opinion des deux parties. Ainsi, 1 100 questionnaires ont été postés pour chacun des groupes et environ 50 sont revenus pour chacun des groupes (déménagement, changement de président du syndicat, fermeture de l’entreprise, etc.), de sorte que le potentiel de réponses était de 1 050 et 1 048 pour les représentants syndicaux et représentants du personnel respectivement. Il faut noter que si nous connaissions le nom du représentant syndical, nous avons dû adresser les autres questionnaires simplement « au directeur des ressources humaines », car nous avions l’adresse de l’établissement, mais non le nom du directeur des ressources humaines (DRH dans les tableaux). Nous avons obtenu 261 réponses du côté syndical et 163 du côté des ressources humaines, l’écart s’expliquant sans doute en partie par le fait que nous n’avions pas les noms des DRH. Le taux de réponse est satisfaisant pour une enquête postale : 14,8 % pour les DRH et 23,7 % pour les représentants syndicaux. Les résultats sont très proches, ce qui nous autorise à penser que les résultats représentent bien la situation réelle. Ajoutons à titre d’information que nous avons par ailleurs mené des entrevues collectives (focus groups) dans une douzaine d’organisations pour avoir une compréhension plus complète de la problématique et pour valider certains constats de l’enquête par questionnaire. Nous n’en traitons pas ici, mais c’est là un complément à l’enquête postale[5].

Le questionnaire a été élaboré à partir des recherches antérieures, notamment celle de Guérin et al. (1994) sur la conciliation emploi-famille et de Boulin et Cette (1997, 1998) sur l’aménagement et la réduction du temps de travail. Nous avons ajouté des questions sur les motifs d’utilisation des mesures. Notons que les réponses aux questions sont en partie des mesures factuelles (existence de mesures), mais aussi des mesures perceptuelles, notamment en ce qui concerne les motifs d’utilisation. Plusieurs des recherches réalisées au Québec à ce jour ne portaient que sur une ou quelques grandes organisations ou groupes professionnels spécifiques, alors que notre enquête touche un nombre plus grand d’organisations et de catégories professionnelles, d’où son intérêt. Voyons les principaux résultats avant de passer à la vérification de nos hypothèses.

Les résultats

Présentons d’abord des informations concernant les secteurs répondants.

Les organisations interrogées

Bien que nous ayons tenté de tester cette hypothèse, les tests statistiques n’ont pas permis d’établir de lien entre le secteur et la présence ou l’absence de mesures. Nous n’avons donc que des statistiques descriptives sur la répartition des effectifs répondants.

Tableau 1

Fédération syndicale du répondant

Fédération syndicale du répondant

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Notre première hypothèse (H1) posait que les entreprises de plus grande taille auraient davantage de mesures, puisque cela fut observé par Guérin et al. 1994. Nous avions ici un grand nombre d’établissements de petite taille, ce qui est caractéristique de l’économie québécoise ; notons toutefois que 44 % des établissements faisaient partie d’un groupe plus important, et dans 86 % des cas, ce groupe était québécois, dans 10 % des cas, canadien et dans 4 % des cas, international. Ici encore, les tests statistiques n’ont pas permis d’établir de lien entre la grande taille et la fréquence de mesures de conciliation ; en fait, il semble que ce soient les établissements de taille moindre qui offrent plus de mesures. Dans les entrevues, on nous a souvent indiqué que ceux-ci peuvent se permettre d’accorder des avantages informels alors que les grandes organisations craignent de créer un précédent en offrant de telles mesures.

Tableau 2

Nombre de personnes dans les établissements répondants

Nombre de personnes dans les établissements répondants

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L’existence des mesures

En comparant les réponses des syndicats et des DRH, on ne relève pas de différence en ce qui concerne l’existence des mesures de conciliation, si ce n’est le fait qu’on observe des taux légèrement plus élevés dans les réponses données par les DRH. De fait, les 10 mesures que nous avions relevées[6] ne sont pas très fréquentes dans les organisations, comme le montre le tableau 1. Deux mesures seulement sont relativement fréquentes, soit la mesure 7 (Congés pour des raisons personnelles), qui est présente dans plus d’une entreprise sur deux (61 % selon les représentants syndicaux et 74 % selon les responsables de ressources humaines), et la mesure 9 (Compléments de salaires et congés à la naissance et à l’adoption), présente dans un peu moins d’une entreprise sur deux (dans 36 % des organisations selon les représentants syndicaux et dans 46 % selon les DRH)[7].

Tableau 3

Existence des mesures de conciliation emploi-famille

Existence des mesures de conciliation emploi-famille

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De plus en plus de mesures ?

Comme la question de la conciliation emploi-famille semble avoir émergé dans le débat public depuis quelques années, nous nous sommes demandé si cela avait influencé le développement et la mise en place de mesures dans les organisations. Nous avons vu au tableau 3 que, dans l’ensemble, les mesures apparaissent peu implantées dans les entreprises. À l’exception des mesures 7 et 9, les huit autres existent dans moins d’un cas sur cinq. Par ailleurs, il est intéressant de noter que leur implantation s’est répartie dans le temps et qu’elle semble avoir suivi la mise en place de normes dans la Loi sur les normes du travail ; les syndicats auraient ainsi réagi à la mise en place de normes minimales en demandant d’obtenir un peu plus dans leur convention collective. Quant aux mesures 1, 2, 3 et 4, elles ont été implantées plus récemment, ce qui indiquerait un intérêt nouveau pour les mesures concernant l’aménagement du temps de travail.

Qui a accès aux mesures d’aménagement ?

Nous avons constaté que dans un peu plus de la moitié des organisations, tous les employés avaient accès aux mesures, quel que soit leur statut, mais cependant dans près de la moitié, ce n’était pas le cas. Selon nos répondants, c’est le fait d’être régulier et permanent, ou d’être syndiqué qui constitue le principal critère d’accès aux mesures. Ainsi, notre hypothèse 4 se trouve vérifiée, à savoir que tous n’ont pas nécessairement accès aux mesures, contrairement à ce que laissent entendre certaines études, qui n’interrogent les organisations que sur la présence ou non de mesures de conciliation, laissant croire que celles-ci sont alors accessibles à tous. Lorsque l’accès est conditionnel, c’est en général le supérieur immédiat ou un comité conjoint qui décide d’accorder ou non la mesure de conciliation à un individu.

Tableau 4

Existence des mesures de conciliation emploi-famille

Existence des mesures de conciliation emploi-famille

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Motifs d’utilisation des mesures d’aménagement du temps de travail

Afin d’aller au-delà des travaux antérieurs, nous voulions aussi savoir qui utilisait les mesures et pour quels motifs ; les réponses des représentants syndicaux et des directeurs de ressources humaines (DRH) sont, ici encore, convergentes. En effet, dans les deux cas, les motifs d’utilisation de ces mesures varient passablement selon que l’on soit un homme ou une femme, et c’est là un des résultats les plus intéressants de notre recherche. Ceci signifie qu’il ne suffit pas que l’organisation offre des mesures dites de « conciliation » emploi-famille pour qu’elles soient effectivement utilisées à cette fin par les employés. Ceux-ci peuvent utiliser les mêmes mesures pour des motifs différents. Ainsi, nous avons observé que les femmes utilisent la mesure 7, soit les congés pour des raisons personnelles, pour les motifs suivants. Dans l’ordre :

  • pour des soins aux enfants,

  • lors de la maladie de l’employé,

  • lors de la maladie d’un membre de la famille.

Du côté des hommes, par contre, on y a recours dans l’ordre :

  • lors de la maladie de l’employé,

  • pour des activités sociales,

  • lors de la maladie d’un membre de la famille.

Chez les femmes, deux motifs sur trois sont d’ordre altruiste alors que chez les hommes il n’y en a qu’un seul, en troisième position. Ajoutons que les entrevues menées dans la partie qualitative de la recherche confirment ce constat. Les hommes reconnaissent prendre des congés pour des activités sociales et des objectifs de long terme (formation, sports, etc), alors que les femmes prennent des congés pour faire face aux difficultés de court terme au sein du ménage, des congés qui profitent davantage aux autres qu’à elles-mêmes, comparativement à ce que l’on observe chez les hommes, même si ces derniers commencent à s’impliquer davantage dans la sphère privée, familiale.

Nous avons aussi observé que ce ne sont pas tous les employés qui en font la demande qui peuvent bénéficier de ce type de congé. En effet, ce n’est accessible sur demande que dans deux cas sur trois (67,5 %). En général, ce sont surtout les employés syndiqués de l’organisation qui y ont accès par le biais de conditions prévues à leur convention collective, alors que les cadres ou employés non syndiqués peuvent se le voir refuser. De plus, le supérieur immédiat doit souvent donner son accord pour ce congé. Nos données indiquent aussi que la durée maximale du congé est habituellement de cinq jours ou moins au cours de l’année et que cette mesure a généralement été implantée assez récemment, soit il y a 6 à 10 ans en général. Nous avons aussi appris que cette mesure, comme la plupart des mesures offertes, a rarement fait l’objet d’évaluation par l’organisation, mais on estime qu’elle a des effets positifs. Les effets les plus souvent mentionnés par les représentants syndicaux comme les DRH ont trait à la diminution de l’absentéisme et à l’augmentation de la satisfaction des employés. Les représentants syndicaux évoquent aussi la diminution des retards au travail, alors que les DRH mentionnent l’amélioration du rendement des employés comme effets observés ou prévus.

Tableau 5

Motifs de l’utilisation de la mesure 7 (Congés pour raisons personnelles) chez les femmes

Motifs de l’utilisation de la mesure 7 (Congés pour raisons personnelles) chez les femmes

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Tableau 6

Motifs de l’utilisation de la mesure 7 (Congés pour raisons personnelles) chez les hommes

Motifs de l’utilisation de la mesure 7 (Congés pour raisons personnelles) chez les hommes

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Passons maintenant aux motifs d’utilisation des mesures en matière d’aménagement du temps de travail. Des recherches ont indiqué que la mesure la plus souhaitée par les parents est la réduction du temps de travail à quatre jours (Tremblay et Vaillancourt, 2000) ou encore la flexibilité des horaires (Lero et al. 1993). Notre enquête auprès des entreprises a permis de constater que ce type de mesures est très peu présent dans les organisations ; en effet, moins d’un cinquième des organisations que nous avons interrogées offrent de telles mesures à leurs employés (voir mesures 1 à 4 du tableau 1). Ainsi, nos enquêtes auprès des organisations nous ont permis de constater que le premier obstacle à la participation des mères et des pères aux responsabilités parentales, ou la première source de difficultés de conciliation, a trait à la faiblesse des mesures et à l’absence pure et simple de mesures d’aménagement du temps de travail dans de nombreux milieux de travail (tableau 1).

Lorsque des mesures de flexibilité d’horaires ou de réduction du temps de travail existent (à peine un cinquième des entreprises, rappelons-le), notre enquête montre que les mères les utilisent surtout pour des soins aux enfants (33 % des cas ; tableau 7), alors que les pères ne les emploient généralement pas à des fins familiales, mais plus souvent pour des activités sociales, sportives ou de formation professionnelle (tableau 8 et entrevues).

Tableau 7

Raisons principales* pour lesquelles les femmes utilisent les mesures d’aménagement du temps de travail (ATT)

Raisons principales* pour lesquelles les femmes utilisent les mesures d’aménagement du temps de travail (ATT)

* Chaque raison est pondérée de la manière suivante en fonction des cinq modalités de réponses : facteur le plus important (F1) = 5 à facteur le moins important (F1) = 1. Le score ainsi obtenu correspond à la somme des réponses pondérées. Par exemple, pour la réponse horaire des garderies : 10 réponses pour facteur le plus important (F1) + 5 (F2) + 1 (F3) + 0 (F4) + 1 (F5) = [(10 X 5) + (5 X 4) + (1 X 3) + (0 X 2) + (1 X 1)] = 74. Rappelons que les réponses ne concernent ici que les organisations où l’on a indiqué la présence de telles mesures ; les répondants pouvaient donner un maximum de cinq motifs.

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Les trois premiers motifs d’utilisation des mesures d’ATT sont clairement liés aux problèmes de conciliation travail-famille. Par ailleurs, les autres raisons (ajuster son horaire à celui du conjoint, maladie de l’employé ou d’un membre de la famille, cumul d’emploi et autres) ne sont pas invoquées par les femmes comme des raisons qui justifient le recours aux mesures d’aménagement du temps de travail.

Tableau 8

Principales raisons pour lesquelles les hommes utilisent les mesures d’aménagement

Principales raisons pour lesquelles les hommes utilisent les mesures d’aménagement

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Chez les hommes, on constate ici que dominent encore les motifs personnels, sociaux et ludiques. Les autres raisons (soins aux enfants, maladie de l’employé ou d’un membre de la famille) n’ont pas été invoquées chez les hommes comme des raisons qui justifient de recourir à l’aménagement du temps de travail. Contrairement aux femmes, il apparaît clairement que les hommes n’utilisent pas ces mesures d’aménagement du temps de travail pour favoriser la conciliation emploi-famille. Ainsi, les aménagements de temps de travail sont utilisés pour des motifs fort différents chez les hommes et les femmes.

Conclusion

Les principaux résultats de notre recherche montrent que les mesures de conciliation ne sont pas fréquentes, surtout celles concernant l’aménagement du temps de travail, pourtant recherchées par les parents. Plus intéressant encore, la recherche révèle que ces mesures ne sont pas toujours utilisées pour les motifs de conciliation et qu’elles sont utilisées pour des motifs différents par les pères et les mères (hypothèse 5 confirmée). Nous avons aussi pu constater que les mesures se répartissent en deux groupes. Les congés pour raisons personnelles et suppléments à la naissance et à l’adoption datent d’une dizaine d’années, alors que les mesures concernant l’aménagement du temps de travail sont plus récentes. L’hypothèse 3 se traduit par un constat de mise en place des mesures par cohortes successives.

Nous avons pu constater que dans la plupart des organisations répondantes (syndiquées rappelons-le), la majorité a accès aux mesures quel que soit le statut, mais dans un peu moins de la moitié, ce sont principalement le personnel régulier, permanent ou syndiqué qui y a accès (hypothèse 4 confirmée). Enfin, nous n’avons pu établir de lien entre la taille de l’entreprise ou la présence de femmes dans les organisations et la présence d’un plus grand nombre de mesures (hypothèses 1 et 2)[8]. Ces résultats illustrent bien la pertinence du choix du concept de « l’articulation » plutôt que de celui de conciliation, entre la vie professionnelle et la vie familiale, puisque l’on constate qu’il s’agit bien de réglages et d’articulations entre les sphères familiales et professionnelle. Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’expression « conciliation » renvoie pour plusieurs à la même idée, mais à nos yeux, elle camoufle l’idée de réglages et d’articulation, que nous préférons mettre en évidence.

Il convient de faire état de quelques limites associées à cette recherche. D’abord, comme l’exigent souvent les organismes subventionnaires, elle a été menée en partenariat, ici avec un syndicat. Cela nous a permis de contacter un ensemble d’organisations de secteurs d’activité assez différents, mais pas suffisamment différenciés pour faire des analyses statistiques de corrélations permettant de tester la variable sectorielle. La représentativité des secteurs de l’économie québécoise n’est pas non plus parfaitement assurée, bien que nous ayons une bonne diversité et que cela permette de faire avancer les connaissances sur l’offre de mesures au Québec, puisque la majorité des études sont limitées à quelques organisations ou catégories professionnelles. Au fil du temps, les connaissances peuvent ainsi se cumuler sur divers secteurs. Nous pensons aussi avoir fait un apport important en illustrant les limites de l’accès aux mesures (accès limité au personnel régulier ou syndiqué) et surtout en montrant que les hommes et les femmes n’utilisent pas les mesures aux mêmes fins. Bien sûr, une des limites de l’étude tient au fait que ce sont les perceptions des représentants syndicaux et de ressources humaines qui sont à l’origine de ces constats, mais comme il y a convergence entre les réponses des deux groupes, cela atténue cette limite et permet de penser que ces perceptions sont valides. Ajoutons que ces perceptions ont aussi été confirmées dans la partie qualitative de la recherche, soit dans le cadre d’entrevues individuelles avec des gestionnaires et d’entrevues de groupe avec des pères et des mères (Tremblay, 2002b, 2003).

Compte tenu de l’importance prise récemment par le débat sur la conciliation emploi-famille au Québec, notamment lors de la campagne électorale de 2003, il sera important de poursuivre les recherches afin de connaître non seulement les mesures offertes dans les organisations, mais aussi leur mode d’utilisation par les parents. Nous pensons avoir contribué à orienter le débat dans cette direction et nous continuons à le faire en nous penchant sur la situation de travailleurs qui se trouvent en dehors des organisations, par des travaux en cours sur les travailleurs autonomes et les personnes en télétravail (Tremblay, 2002c).