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Introduction

En droit comparé, le système dans lequel a été formé un juriste entraîne ce dernier à moduler sa perception de l’acceptabilité des normes et surtout des recours qui peuvent être exercés, en cas de non-respect du cadre juridique établi. Ce qui peut paraître inéquitable dans un système est acceptable dans l’autre. Les recours prévus dans chaque système de droit modélisent la réceptivité sociale de la norme juridique établie. Comme l’écrit le professeur Adrian Popovici, qui dit absence de sanction judiciaire, dit absence de droit[1]. Cette absence de sanction peut d’ailleurs prendre une forme virtuelle dans la mesure où elle est théoriquement offerte par la loi, mais inaccessible dans les faits pour certaines personnes.

Les droits québécois et belge reconnaissent tous les deux qu’un consommateur devrait bénéficier d’une protection juridique accrue dans le cadre de son lien contractuel. Il est en effet établi que la règle formaliste du consentement libre et éclairé doit être modulée afin de reconnaître la vulnérabilité contractuelle d’une telle catégorie de partie[2]. Les consommateurs pouvant très rarement, dans les faits, veiller adéquatement à leurs intérêts, les législateurs québécois et belge ont jugé nécessaire d’établir un régime particulier pour les contrats de consommation en exerçant une forme de contrôle sur le contenu contractuel[3]. Au Québec, cette protection se trouve essentiellement au Code civil du Québec et dans la Loi sur la protection du consommateur[4]. En Belgique, cette protection se trouve principalement au Code de droit économique[5]. Chacune de ces législations prohibe certaines clauses d’une manière spécifique. Elles prétendent aussi garantir l’équilibre juridique du contrat en interdisant les clauses abusives ou illicites, ou autrement dit, les clauses qui, sur le plan juridique, désavantagent d’une manière excessive le consommateur.

Si les deux systèmes semblent protéger le consommateur par un énoncé de clauses illégales ou abusives, nous questionnons ici, à la lumière du droit belge, la réceptivité et l’efficacité du droit québécois à l’égard de la protection offerte à la partie contractuellement vulnérable. En effet, une étude des recours en vigueur dans ces deux juridictions et de leur jurisprudence associée semble indiquer que le droit québécois aurait avantage à s’inspirer plus amplement du droit belge afin d’assurer une plus grande effectivité à la protection qu’il accorde, cette effectivité pouvant notamment passer par un plus grand postulat de prévention. Au cours de cette étude, nous exposerons brièvement l’état du droit québécois en matière de protection des consommateurs et autres personnes contractuellement vulnérables (I) pour mieux cerner si l’approche proposée par le droit belge pourrait procurer une plus grande effectivité (II).

I. L’état du droit québécois en matière de protection du consommateur et autres personnes contractuellement vulnérables

Tant le C.c.Q. que la L.p.c. et son Règlement d’application[6] contiennent des dispositions impératives interdisant certaines clauses contractuelles, considérées illicites ou abusives. Ces interdictions dépendent parfois de la nature du contrat et de ses parties, pensons ici au contrat de bail résidentiel, au contrat de travail ou au contrat de consommation[7]. Sont ainsi interdites, les clauses abusives dans les baux résidentiels[8], les clauses de non-concurrence dans le contrat de travail[9] ou les clauses pénales dans certains contrats de consommation[10]. D’autres interdictions dépendent plutôt des circonstances matérielles de la formation du contrat. On pense ici au contrat d’adhésion qui, en vertu de l’article 1379 C.c.Q., se caractérise par des stipulations essentielles imposées, sans possibilité de véritables discussions entre les parties sur le contenu de celles-ci. Le but de ces interdictions et règlementations spécifiques est clair : assurer un certain équilibre au sein du contenu contractuel alors qu’une des parties est présumée ne pas pouvoir assurer la saine sauvegarde de ses intérêts[11]. Ainsi, le droit tente de s’assurer d’une manière préventive, plutôt qu’a posteori, qu’une partie dominante ne puisse abuser de cette position pour imposer un contenu contractuel fort désavantageux à son cocontractant plus vulnérable.

Contrairement à la solution adoptée dans l’Union européenne[12], et qui connaît un développement remarquable en Belgique, le législateur québécois n’a pas instauré des « listes » de clauses présumées ou réputées abusives[13]. Il a préféré adopter un énoncé général à l’article 1437 C.c.Q. afin de définir et sanctionner la clause abusive au sens large dans le contrat de consommation ou d’adhésion. Or, si une simple norme générale accorde une plus grande déférence aux tribunaux, avec une application au cas par cas elle entraîne cependant une certaine difficulté, de même qu’une insécurité, dans l’interprétation et la sanction concrète de la notion stipulée. Il suffit simplement de constater l’étendue des débats présents dans la doctrine et de la jurisprudence sur les divers critères de la définition de l’article 1437 C.c.Q. pour s’en rendre compte[14]. Dans un tel contexte, comment le consommateur québécois, qu’on cherche à protéger, mais qui n’a généralement ni les connaissances, ni les moyens de faire reconnaître par les tribunaux une clause abusive, peut-il s’assurer que son contrat est exempt de telles clauses illicites, telles des clauses d’exonération ou de limitation de responsabilité, de clauses de modification ou de résiliation unilatérales ou de clauses d’adhésion ? Une approche par « listes », avec la précision qu’elle procure, aurait été utile en l’espèce puisqu’elle aurait permis de consacrer à l’article 1437 C.c.Q. un rôle préventif[15]. Ce constat, par ailleurs, n’est pas nouveau. Pourtant, jusqu’à ce jour, le législateur québécois résiste toujours à veiller à assurer plus de clarté et de cohérence dans la protection des droits des consommateurs[16].

Pour vérifier l’efficacité effective de l’article 1437 C.c.Q. et d’autres dispositions impératives, notamment celles de la Loi sur la protection du consommateur, nous avons examiné dans le cadre de cette étude certains contrats de diverses industries québécoises. Cette étude nous a permis de constater que la grande majorité d’entre eux sont truffés de clauses illégales ou abusives (partie A). Ce constat nous a mené à conclure que les recours proposés par le droit québécois ne permettent pas une réelle mise en oeuvre de la protection législative, pourtant impérative, accordée à certaines parties contractantes jugées plus faibles (partie B).

A. Des contrats truffés de clauses illégales ou abusives

Afin de vérifier l’efficience de la protection offerte par le droit québécois, nous avons procédé à l’étude de plusieurs contrats : ont ainsi été examinés des baux résidentiels dans des résidences pour personnes âgées, des modalités d’utilisation de téléphonie cellulaire contenues dans des conditions générales et des conventions d’institutions financières. Toutes ces entreprises oeuvrent au Québec. Les domaines contractuels ont été choisis pour l’accessibilité des clauses contractuelles pour les soussignées, le caractère essentiel de ces contrats dans la vie quotidienne d’un particulier et le fait que ces industries sont principalement contrôlées par de grandes entreprises qui, du fait de leur emprise sur le marché donné, imposent leur contenu contractuel comme une forme de règlementation privée. Le but n’est pas ici de s’attarder sur des règles de droit spécifiques à un domaine économique particulier ni de cibler une entreprise, mais d’illustrer la prolifération bien réelle de clauses abusives ou illicites au sein de contrats courants et d’exprimer certaines réflexions sur les raisons qui sous-tendent celle-ci. En effet, comment expliquer qu’une telle règlementation privée puisse être imposée et se maintenir impunément, au mépris de la législation applicable ?

Nous avons choisi de faire une démonstration de cette prolifération en citant et analysant plusieurs clauses trouvées lors de notre étude qui nous apparaissent représentatives du phénomène. Ces clauses sont authentiques. Elles proviennent essentiellement de trois sources : des baux résidentiels de résidences pour personnes âgées recueillis lors d’une étude sur la présence de clauses illicites au sein de ces baux[17], des contrats conclus par une des signataires de la présente étude et des conditions générales apparaissant sur les sites internet de diverses entreprises oeuvrant au Québec. Parmi les clauses illicites ou abusives identifiées, nous avons choisi d’exposer des clauses limitant la responsabilité du cocontractant (1), des clauses de modification unilatérale des caractéristiques des services ou du produit (2) et des clauses qui prévoient l’adhésion du cocontractant vulnérable à des clauses illégales ou autrement inopposables (3).

1. Des clauses limitant la responsabilité du cocontractant

  1. Dans un contrat de bail :

    Le premier jour de la prise de possession du logement, le Locataire doit aviser le Locateur, par écrit, de tout problème nécessitant l’intervention du Locateur. L’absence d’avis du Locataire signifie qu’il accepte les lieux dans l’état actuel. 

    Le Locataire déclare qu’il a examiné les lieux, l’équipement et les appareils électriques loués. Il les a trouvés en parfait ordre et état de fonctionnement et déclare qu’il en connaît le mode d’opération.

    [...]

    Le Locateur n’est pas responsable de toute perte, vol ou dommage des biens du Locataire.

    Le Locateur ne sera nullement responsable de tout dommage, perte ou blessures subis lors de l’utilisation de tout équipement ou appareil électrique.

    [...]

    Le Locataire permet que toute réparation ou tout traitement pour l’extermination d’insectes, jugé nécessaire par le Locateur soit exécuté sans pouvoir prétendre à une réduction de loyer, des dommages et intérêts ou une compensation quelconque et le Locataire s’oblige à collaborer à la satisfaction du Locateur.

Ces clauses contreviennent à l’article 1900 C.c.Q., qui prévoit qu’« [e]st sans effet la clause qui limite la responsabilité du locateur, l’en exonère ou rend le locataire responsable d’un préjudice causé sans sa faute ». Or, chacune de ces dispositions limite sous diverses formes la responsabilité du locateur. De même, la clause exonérant le locateur contre toute forme de blessures contrevient aussi à l’article 1474 C.c.Q., qui interdit l’exclusion de responsabilité pour un préjudice corporel ou moral.

  1. Dans une convention d’une institution financière :

    [L’institution] ne peut être tenu (sic) responsable des dommages, directs ou indirects, consécutifs ou spéciaux, pertes, frais ou préjudices subis par un client, ou par d’autres personnes, relativement à l’utilisation des services de [l’institution] décrits dans la présente convention, à moins qu’ils résultent de la grossière négligence de [l’institution].

Cette stipulation contrevient à l’article 10 L.p.c. puisque selon cette disposition, le commerçant ne peut exclure sa responsabilité pour son fait personnel ou celui de ses préposés[18].

  1. Dans une convention de téléphonie mobile :

    Dans la mesure permise par les lois applicables, la responsabilité de [l’entreprise] en matière de négligence, rupture de contrat, délit ou autre cause d’action, y compris une violation fondamentale, se limite au paiement, sur demande, de dommages-intérêts réels et directs d’un montant maximum égal au plus élevé de 20 $ et d’un montant correspondant aux Tarifs payables pour les Services durant une panne de Service. Sous réserve du paiement ci-dessus, et dans la mesure permise par les lois applicables, [l’entreprise] n’est pas responsable envers quiconque des dommages subis, qu’ils soient directs, indirects, spéciaux, consécutifs, accessoires, économiques, exemplaires ou punitifs. La présente limitation de responsabilité ne s’applique pas aux dommages résultant de préjudices corporels ou du décès, ou aux dommages matériels à vos biens, entièrement causés par la négligence grave de [l’entreprise].

Une telle clause apparaît assez standardisée dans les contrats de téléphonie cellulaire examinés à partir des sites internet des plus importantes entreprises de télécommunications faisant affaires au Québec. On énonce, dans de telles clauses, une série de limitations (quant à la responsabilité ou la garantie légale notamment) et on mentionne que ces limitations ne se déploient qu’à l’intérieur des « limites permises par les lois applicables », qu’il appartient ainsi au consommateur de déterminer.

En plus de contrevenir explicitement à l’article 19.1 L.p.c.[19], une telle pratique laisse songeur : pourquoi ne pas prévoir une stipulation qui tienne compte du droit applicable ? Pourquoi laisse-t-on au consommateur la responsabilité de vérifier la validité de la clause ? Il nous apparaît qu’une telle clause a probablement pour but de tromper le consommateur sur ses droits. Bien que la limitation se fasse « dans les limites permises par les lois applicables », elle risque d’induire en erreur le consommateur sur la portée de ses droits, d’autant que des exclusions sont explicitement prévues à la clause (pour le préjudice corporel et les décès notamment), laissant entendre que ces exclusions sont les seules auxquelles peut prétendre le consommateur. On peut d’ailleurs questionner le fait qu’on ait exclu expressément certains éléments pour laisser au consommateur le soin de déterminer s’il peut bénéficier d’autres exclusions. Ainsi, si on maintient la limitation de la responsabilité telle qu’elle se dégage de la clause, elle contrevient, comme la précédente stipulation, à l’article 10 L.p.c.

2. Des clauses de modification unilatérale des caractéristiques des services ou du produit 

  1. Dans un contrat de bail résidentiel :

    Le propriétaire pourra en tout temps faire des règlements pour le soin, la propreté et la sauvegarde’ des lieux loués, des espaces communs et des commodités fournies au locataire. Tout règlement édicté sera considéré comme faisant partie intégrante des présentes, sur réception par le locataire ou dès qu’affiché par le propriétaire à la réception ou dans les locaux communs mis à la disposition de l’ensemble des locataires.

    Les locataires auront accès aux endroits communs tels : la cour, les salons communautaires, le bain-tourbillon et le locateur pourra édicter des règlements pour l’utilisation des lieux communs. [...] Il est bien entendu que le locateur n’a et n’aura aucune obligation de maintenir ces endroits communs à la disposition des locataires. 

Ces clauses contreviennent au processus obligatoire de modification d’un bail prévu par les articles 1941 C.c.Q. et suivants. Ainsi, un locateur ne peut modifier les services ou le bail en général qu’en respectant les délais de préavis prévus par la section intitulée « De la reconduction et de la modification du bail ». Ceci inclut les règlements de l’immeuble, qui en vertu de l’article 1894 C.c.Q. font intégralement partie du bail. Or, ces clauses ne respectent pas le procédé obligatoire en accordant un droit de modification unilatérale et en tout temps au locateur.

Aussi, dans un contexte de baux en résidence pour aînés, de telles clauses sont d’autant explicitement illégales qu’elles contreviennent à l’article 37 du Règlement sur les conditions d’obtention d’un certificat de conformité et les normes d’exploitation d’une résidence privée pour aînés[20]. Celle-ci prévoit que « [l]’exploitant d’une résidence privée pour aînés doit offrir et maintenir, pendant toute la durée du bail et sans augmentation de coût ni diminution d’intensité, l’ensemble des services qui sont prévus au bail ainsi qu’à son annexe ».

  1. Dans une convention d’une institution financière :

    Le détenteur reconnaît que [l’institution] émettrice pourra, sans préavis et unilatéralement, modifier les présentes conditions et l’en aviser par des avis affichés aux divers emplacements des appareils accessibles générés par une caisse ou diffusés par l’entremise de ces derniers (ex. diffusion d’un message, avis dans la boîte de message). Le détenteur peut obtenir copie de cet avis ou des conditions révisées en s’adressant à [l’institution] émettrice, qui n’a aucune autre obligation de les lui transmettre.

    [...]

    Une opération effectuée par le détenteur par l’entremise de l’une de ses cartes après les modifications ou après réception des conditions d’utilisation par la Carte d’accès [de l’institution] équivaut à l’acceptation de ces modifications et conditions d’utilisation.

Cette clause contrevient à l’article 11.2 L.p.c. en ce qu’elle ne respecte pas les conditions impératives énoncées à cet article pour procéder à la modification unilatérale du contrat[21], dont celles des modalités de préavis. Aussi, en 2017, la Cour d’appel du Québec, dans une affaire dont les faits datent d’avant l’adoption de l’article 11.2 L.p.c., a jugé que des clauses de modifications unilatérales peuvent, selon les modifications apportées et la nature de la clause, contrevenir aux articles 12 L.p.c. (imposition de frais supplémentaires non prévus au contrat) et 40 L.p.c (conformité du bien ou service avec le contrat), de même qu’à l’article 1373 C.c.Q. sur la déterminabilité de l’obligation, si la clause de modification unilatérale ne comporte pas d’éléments objectifs permettant de déterminer les changements possibles, ceux-ci ne pouvant être purement arbitraires[22]. Cette affaire concerne un recours pris contre la compagnie de télécommunications Vidéotron, qui avait unilatéralement modifié l’accès à la bande passante de son réseau internet pour certains abonnés. Vidéotron considérait que cette modification aux conditions d’abonnement était valide en vertu de la clause de modification unilatérale contenue au contrat la liant à ses abonnés et se lisant ainsi :

Modifications Vidéotron pourra, sur préavis d’au moins trente (30) jours au client transmis par courrier électronique à son adresse de messagerie Vidéotron ou transmis par la poste au client, modifier les Services ou toute autre disposition de la présente convention y compris les frais et tarifs stipulés au paragraphe 3.1. Aucun préavis ne sera toutefois requis à l’égard d’une modification des Services lorsque les prestations de Vidéotron en regard de ceux-ci demeurent semblables et qu’elles n’ont aucune conséquence sur les frais payables par le client. En acquittant le relevé de compte qui accompagne tout avis de modification de la présente convention, le client est irrévocablement présumé avoir accepté la modification. Le client pourra par contre, à l’intérieur du délai de trente (30) jours, résilier la présente entente ou en demander la modification de la manière prévue au paragraphe 11.4 ci-après, à défaut de quoi il sera irrévocablement présumé avoir accepté les modifications visées par l’avis.[23]

Or, la Cour d’appel a accueilli, du moins en partie, le recours contre Vidéotron, considérant que la modification au contrat contrevenait aux dispositions impératives de la Loi sur la protection du consommateur. Sans se prononcer explicitement sur la validité du consentement réputé du consommateur après un délai de 30 jours prévu par la clause, la Cour d’appel a agi tout simplement comme si un tel consentement ne pouvait être ainsi réputé. D’ailleurs, nous soumettons qu’à notre avis un tel consentement réputé après un délai de 30 jours était, au moment des faits de cette affaire, incompatible avec l’article 11 b) L.p.c., qui interdit au commerçant de prévoir une stipulation qui lui réserve le droit unilatéral de décider que s’est produit un fait ou une situation. Or, le consentement réputé est très certainement un fait juridique qui ne devrait conséquemment pas pouvoir être imposé unilatéralement par un commerçant. Nous réitérons néanmoins que les faits de cette décision datent d’avant l’adoption de l’article 11.2 L.p.c. et qu’on peut probablement considérer qu’à l’heure actuelle, un tel consentement peut être inféré dans un contrat de consommation au sens de la Loi de la protection du consommateur si les conditions de cet article pour effectuer une modification au contrat sont strictement respectées.

  1. Dans une convention de services de télécommunications (y compris la téléphonie mobile) :

    Après vous avoir donné un préavis écrit de 30 jours civils, [l’entreprise] peut modifier : (a) vos Services prépayés et les Tarifs afférents; (b) les Services de [l’entreprise] qui vous sont fournis sur la base d’une Durée mensuelle (y compris les Options et les Services à l’utilisation) et les Tarifs afférents; et (c) les Frais. Ces modifications peuvent comprendre la modification ou la résiliation d’un Service. [L’entreprise] peut uniquement modifier d’autres Services de [l’entreprise] et les Tarifs afférents en conformité avec les lois applicables. [L’entreprise] peut vous transmettre un préavis relatif à une modification en l’affichant sur [site internet], en l’insérant à votre facture, en vous l’envoyant par courriel ou messagerie texte ou à l’aide de toute autre méthode raisonnable. Sous réserve du droit de [l’entreprise] de faire de telles modifications, aucune autre déclaration (écrite ou verbale) ne modifiera cette Entente. Vous ne pouvez pas modifier les présentes Modalités de service. 

À l’instar de la précédente, cette clause contrevient à l’article 11.2 L.p.c. en ce qu’elle ne respecte pas le processus de modification unilatérale du contrat par un commerçant, notamment quant à la forme de l’avis de modification et surtout quant au droit du consommateur de mettre fin à son contrat dans les 30 jours, sans pénalité, si la modification entraîne une augmentation de ses obligations ou une réduction de celles du commerçant. De même, elle contrevient à l’article 42 L.p.c. et 25.5 du Règlement d’application de la Lpc[24] en ce qu’elle prévoit que seront sans effet les déclarations, tant verbales qu’écrites, faites par les représentants de l’entreprise. Finalement, on peut certainement s’interroger sur la compréhensibilité de cette clause en fonction de la norme posée par l’article 1436 C.c.Q.

3. Des clauses qui prévoient l’adhésion du cocontractant vulnérable à des clauses illégales ou autrement inopposables

  1. Dans un bail résidentiel :

    Le Locataire déclare avoir pris connaissance de toutes les dispositions de ces règlements. Il reconnaît que celles-ci sont raisonnables compte tenu de la relation contractuelle établie entre le Locateur et le Locataire. Le Locataire s’engage à les respecter en tout point et à obtempérer à toute directive et à tout avis qui pourra lui être donné par le Locateur ou son représentant autorisé ou encore par le concierge, le cas échéant, et ayant pour objet l’application de ces clauses.

    Le bail, les annexes au bail, le guide d’accueil et les règlements en vigueur sont des documents légaux liant juridiquement les parties.

    La Direction s’engage à voir à ce que tous les locataires respectent ces règlements et à prendre des mesures nécessaires pour assurer leur sécurité et leur bien-être soit : 1er avis : verbal, 2e avis : écrit, 3e avis : expulsion, s’il y a lieu. 

    La Direction se réserve le droit de modifier ou d’ajouter des règlements en tout temps qui devront être respectés par le client-résidant. »

Ces clauses sont hautement problématiques pour plusieurs raisons. Tout d’abord, pour être opposable, le règlement d’un immeuble doit, en vertu de l’article 1894 C.c.Q, avoir été remis au locataire avant la conclusion du bail. Ainsi, pour que la déclaration de connaissance d’une des clauses soit valide, il faut que le règlement ait été remis avant la signature du bail. Par ailleurs, la déclaration à l’effet que les règlements sont raisonnables est tout simplement inopposables au locataire, les dispositions en matière de bail résidentiel étant de nature impérative[25]. De même, l’obligation d’obtempérer à tout ordre ou avis apparaît infantilisant et contrevenir au devoir de respect de la dignité, reconnu à l’article 4 de la Charte des droits et libertés de la personne[26]. Finalement, la clause autorisant le locateur à mettre fin unilatéralement au bail par une « expulsion », à ajouter ou modifier les règlements, contrevient au droit au maintien dans le logement du locataire, prévu aux articles 1936 C.c.Q. et suivants et au processus impératif de modification d’un bail prévu aux articles 1941 C.c.Q. et suivants.

  1. Dans une convention d’une institution financière : 

    J’accuse réception de la « Convention de [...] » incluse dans la Brochure informative au client [...]. Je reconnais que son contenu a été expressément porté à ma connaissance. Je déclare en avoir lu les conditions, lesquelles font partie intégrante des présentes et accepte de m’y conformer. 

  1. Dans une convention de téléphonie mobile :

    En signant ci-dessous, vous :

    [...]

    Reconnaissez avoir reçu copie des Modalités de service et de la Politique d’utilisation acceptable de [l’entreprise] qui font partie intégrante de la présente entente ou des présentes ententes de service et de les avoir lues, comprises et acceptées. 

Pour être opposables, en vertu de l’article 1435 C.c.Q., les stipulations contenues dans une convention de conditions générales non jointe au contrat doivent avoir été portées à la connaissance du consommateur ou du stipulant lors de la formation du contrat. Or, dans les faits, notre expérience démontre que les rencontres avec les préposés des entreprises sont très courtes et la plupart des clauses contenues à ces conventions de conditions générales ne sont jamais expliquées ou même mises à la connaissance du client[27]. Or, ces conditions générales font plusieurs pages[28], comme le démontre la consultation des sites internet des principales entreprises faisant affaire au Québec. Des explications sur le contenu de ces conditions générales sont nécessaires afin de les rendre opposables au consommateur, sauf si le contrat est entièrement électronique et que les clauses sont facilement accessibles par hyperliens[29].

Plutôt que de modifier leurs pratiques de vente, et ainsi de ralentir leur volume de transactions en prenant le temps d’expliquer le contenu de conditions générales de plusieurs pages, les entreprises tentent de se soustraire à cette obligation légale en prévoyant des clauses « de reconnaissance de lecture et de compréhension ». Si une telle admission de lecture et de compréhension est conforme à la réalité des circonstances ayant entouré la conclusion du contrat, les clauses à cet effet sont alors parfaitement valides. Cependant, en situation contraire, la clause prévoyant l’adhésion du consommateur à ces conditions est illicite, en ce qu’elle contrevient spécifiquement à l’article 25.9 du Règlement d’application de la Lpc, qui prévoit qu’« [e]st interdite la stipulation qui prévoit que le consommateur est lié par une clause externe malgré le fait qu’elle lui soit inopposable en vertu de l’article 1435 du Code civil »[30].

B. L’efficience du droit québécois

Nous n’irons pas par quatre chemins : le droit québécois semble inadéquatement protéger le consommateur contre les clauses illicites ou abusives. Le C.c.Q. érige en règle de principe la liberté contractuelle, peu adaptée pour contrôler les abus générés par les contrats de consommation. De même, les mesures de sanctions offertes aux consommateurs ne favorisent pas l’efficience des dispositions impératives visant la protection des intérêts de ceux-ci.

Le Québec s’est pourtant doté de la Loi sur la protection du consommateur en 1978. Malheureusement, le contenu de cette loi n’a pas été inclus dans le C.c.Q. en 1994 à la suite de nombreuses critiques du milieu juridique, qui était d’avis que le droit de la consommation devait demeurer en marge du droit commun[31]. Il s’en traduit la victoire d’une philosophie libérale, au détriment de la protection des intérêts des parties vulnérables. De ce choix a résulté un manque de cohérence, puisque la définition du contrat de consommation du C.c.Q.[32] diffère de celle de la L.p.c.[33], favorisant parfois des interprétations contradictoires de ces deux notions et compliquant d’autant la compréhension pour le consommateur. Les clauses interdites ne sont pas clairement identifiables et le consommateur doit faire preuve d’une grande perspicacité pour s’y retrouver parmi toutes les lois applicables. Par exemple, si un recours fondé sur la lésion est autorisé en vertu de la L.p.c.[34], il est interdit aux personnes majeures aptes en vertu du C.c.Q.[35]. Aussi, même si toutes les dispositions de cette loi sont impératives[36], le champ d’application de la L.p.c. exclut plusieurs contrats importants, dont ceux conclus entre professionnels ou ceux régissant la vente, la location ou la construction d’un immeuble[37], contrats qui auraient pu bénéficier d’une protection si le droit de la consommation avait été inclus au sein du droit commun.

En examinant les clauses illégales qui apparaissent dans de multiples contrats de consommation courante, on ne peut que conclure à une apparente insuffisance des dispositions normatives régissant les contrats où une personne vulnérable est un des cocontractants. Dans un contexte de standardisation des contrats d’adhésion et de consommation et de vulnérabilité contractuelle, les règles du libre marché et de l’autorégulation apparaissent insuffisantes pour assurer le respect de normes pourtant impératives et laissent transparaître en filigrane l’inefficience des contrôles étatiques permettant d’assurer le respect de ces normes. Le « laisser faire » et la politique du libre marché se traduisent par des dispositions illégales et abusives[38]. Les recours dont disposent les consommateurs pour faire valoir leurs droits doivent être plus efficaces. D’ailleurs, la facilité avec laquelle nous avons pu procéder à un court inventaire de telles clauses est troublante. Ces constats ne sont par ailleurs pas nouveaux[39]. Régulièrement les divers ordres de gouvernement sont interpellés par des organismes de protection des consommateurs, notamment sur les contrats imposés par les institutions financières ou les entreprises de télécommunications[40].

Par ailleurs, en ce qui concerne plus spécifiquement les baux en résidence pour personnes âgées, le Protecteur du citoyen du Québec, publiait, en juin 2016, un Rapport sur le respect des droits et des obligations des locataires et des locateurs dans les résidences privées pour aînés[41]. Ce rapport émettait plusieurs recommandations visant à renforcer le respect des droits des locataires des résidences privées pour aînés et, en ce sens, se distinguait du cadre habituel d’intervention du Protecteur du citoyen en ce qu’il ciblait l’efficience de l’encadrement légal d’une relation entre des parties privées. Parmi les nombreuses recommandations formulées, une mettait particulièrement en lumière tous les problèmes du droit québécois en matière de tolérance tacite des clauses abusives : l’absence de sanction collective pour en assurer le respect. Cette recommandation se lisait ainsi :

[P]roposer une modification à la Loi sur la Régie du logement [instance juridictionnelle compétente pour entendre les litiges concernant les baux résidentiels] pour que tous les locataires d’une même résidence privée pour aînés puissent se prévaloir des effets d’une décision rendue par la Régie du logement qui invalide une ou des clauses qui s’avèrent contraires à l’ordre public et qui se retrouvent dans leur bail respectif[42].

Même si cette recommandation ne concernait spécifiquement que le bail dans une résidence pour personnes âgées, elle illustre parfaitement un des principaux problèmes de la protection du consommateur. À l’instar des locataires, la vulnérabilité des consommateurs est essentiellement processuelle : il ne participe pas à l’élaboration du contrat, ce dernier se complexifie et le régime de contrôle du contenu contractuel est essentiellement individualiste. Mis à part le recours très restreint prévu à l’article 316 L.p.c., expliqué ci-après, il n’existe, en droit québécois, aucun recours qui permette à des consommateurs ou des associations de défense de leurs intérêts de déposer une demande commune afin d’interdire l’utilisation générale de certaines clauses dans les contrats de consommation. Ainsi, la décision déclarant une clause illégale n’aura d’effets concrets qu’entre les parties contractantes, ce jugement ne privant pas automatiquement d’effet cette même clause pour les autres consommateurs. L’entreprise qui a ainsi imposé à des milliers de clients ladite clause illégale ne pourra pratiquement pas s’en faire interdire l’utilisation et ce sont les consommateurs qui seront lésés dans le respect de leurs droits.

Même la très populaire action collective[43], développée au Québec dans les années 1970 et fortement utilisée notamment grâce au financement public dont elle bénéficie, n’a su empêcher la prolifération de clauses illégales au sein des contrats de consommation courante puisqu’elle a essentiellement été conçue à des fins compensatoires[44]. Malgré sa grande versatilité — il est en effet possible d’obtenir des jugements déclaratoires dans le cadre d’une action collective[45] — celle-ci n’a jamais été utilisée, au Québec, à des fins de suppression de clauses abusives ou illégales. Pour tenter de pallier cette lacune, le législateur québécois a introduit, en 2009, l’article 316 L.p.c.[46], afin de permettre aux organismes de protection des droits des consommateurs de demander au tribunal une injonction ordonnant à un commerçant ayant inscrit dans un contrat une stipulation interdite en vertu de cette loi ou de sa règlementation, de cesser d’insérer une telle stipulation[47]. Il faut par ailleurs mentionner que ce recours en injonction, méconnu et ne relevant pas de l’action collective — excluant ainsi toute forme de financement public — n’a pas été utilisé, du moins à notre connaissance, depuis son entrée en vigueur[48]. Le recours n’est donc pas très efficace ou du moins est encore perfectible. Une nouvelle action collective doit être développée. Or, nous croyons qu’une telle action existe en droit belge, soit l’action en cessation. En ce sens, il apparaît que l’étude de l’expérience belge semble une piste utile quant à la nécessité de mettre en place des sanctions collectives favorisant un plus grand respect des droits contractuels des consommateurs. Analysons donc, dans une perspective de droit comparé, les solutions que pourrait apporter le droit belge à une telle problématique.

II. La situation belge en matière de clauses abusives et illégales

Développer au Québec une pratique semblable à l’action en cessation belge dite « comme en référé » contribuerait à ce que le contenu de divers contrats d’adhésion ou de consommation soit mieux exempt de clauses illégales et abusives. Cela pourrait ouvrir la porte à une véritable révolution au sein des contrats de cette industrie.

La réglementation des clauses abusives est l’une des réglementations les plus importantes en droit belge de la consommation[49]. Elle y a été introduite par la Loi sur les pratiques du commerce et sur l’information et la protection du consommateur, du 14 juillet 1991. Cette matière, de pur droit de la consommation — en ce sens qu’elle ne concerne que les relations entre professionnels et consommateurs et tend à protéger ces derniers — fait l’objet d’une directive européenne adoptée en 1993, soit Directive 199393/13/CEE[50].

Pour bien comprendre l’impact d’une telle directive et l’articulation entre le droit de l’Union européenne et les droits nationaux des États membres de l’Union, il est utile de savoir ceci.

On distingue en droit de l’Union européenne le droit primaire et le droit dérivé. Le droit primaire comprend tout d’abord les traités, lesquels ont fait l’objet de négociations directes entre les gouvernements des États membres et ont été ratifiés par les parlements nationaux. S’y ajoutent les principes généraux du droit de l’Union, consacrés de façon purement prétorienne par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Ensemble, les traités et les principes généraux occupent le sommet de la hiérarchie des normes de l’Union européenne.

Le droit dérivé se compose de toute la législation fondée sur les traités et adoptée en vue de mettre ceux-ci en oeuvre, en particulier (mais pas seulement) : les règlements et les directives. Les règlements sont directement applicables et obligatoires dans tous les États membres sans qu’il soit nécessaire d’adopter des dispositions d’exécution dans la législation nationale. En revanche, les directives sont des instruments de législation indirecte[51], qui lient les États membres « quant au résultat à atteindre dans le délai qu’elles fixent, tout en laissant aux autorités nationales le choix de la forme et des moyens »[52]. Les directives doivent donc être transposées dans les différents ordres juridiques nationaux, conformément aux procédures prévues dans chaque État membre.

La Directive 93/13 sur les clauses abusives est par ailleurs dite d’harmonisation minimale en ce qu’elle laisse aux États membres de l’Union européenne une large marge de manoeuvre en ce domaine : les États membres peuvent renforcer la protection des consommateurs prévue par la directive, sans jamais pouvoir, au contraire, diminuer celle-ci[53].

La règlementation belge, aujourd’hui comprise dans le Code de droit économique, adopté en 2013, est plus protectrice que la directive européenne. C’est ainsi qu’au contraire de ce que prévoit la directive, elle s’applique tant aux contrats négociés individuellement qu’aux contrats d’adhésion. Elle comprend deux parties composées, d’une part, d’une norme générale et, de l’autre, d’un catalogue de normes spéciales, per se (presque deux fois plus long que le catalogue prévu par la directive : la liste de l’article VI.83 CDE comprend actuellement 33 clauses déclarées abusives en toutes circonstances[54] tandis que la directive prévoit simplement une liste de 17 clauses pouvant être déclarées abusives)[55]. La juxtaposition d’une définition générale à une liste de clauses réputées abusives permet à la fois une flexibilité et une appréhension des droits des consommateurs. Cette approche en deux temps est avantageuse pour le consommateur.

La norme générale d’interdiction laisse un pouvoir d’appréciation important au juge; elle découle de la combinaison de l’article I.8, 22° et de l’article VI.82[56], § 1er CDE. Est une clause abusive, celle qui crée un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties (article I.8, 22° CDE). Ce déséquilibre peut découler d’une clause considérée isolément ou d’une combinaison de clauses. Il s’apprécie en tenant compte de la nature des produits qui font l’objet du contrat et en fonction de toutes les circonstances entourant la conclusion du contrat. Seul un déséquilibre juridique (entre les droits et les obligations des parties) est pris en considération, à l’exception d’un déséquilibre économique, par exemple. « [I]l [...] incombe [ainsi au juge] de comparer la solution que prévoit le régime supplétif du Code civil (belge) [ou autrement dit le droit commun,] à celle qui découle de la clause contractuelle dérogatoire soumise à son appréciation »[57]. Un tel étalon de comparaison comporte un avantage important : il légitime l’intervention judiciaire puisque la solution proposée par le législateur est présumée intrinsèquement juste[58]. Il permet aussi une certaine cohérence dans l’application de la notion.

D’autre part, l’article VI.83 CDE comprend la liste noire des clauses réputées abusives, de manière irréfragable, en toutes circonstances. Si les conditions décrites dans l’un des alinéas de cette disposition sont établies, le juge doit considérer la clause comme abusive ; il ne doit pas, et ne peut pas, vérifier en outre si elle crée un déséquilibre entre les droits et les obligations des parties. Une telle clause est immédiatement jugée illicite per se et privée d’effets juridiques. En ce sens, la norme générale de l’article VI.82 CDE n’agit qu’à titre subsidiaire, c’est-à-dire seulement si la clause ne figure pas dans l’énumération de clauses interdites[59].

Déjà avec sa liste noire de clauses illicites, il apparaît que le droit belge des clauses abusives protège les consommateurs, au moins en théorie, plus adéquatement que le droit québécois. Aussi, le droit belge n’exclut pas d’office les baux résidentiels et autres contrats de nature immobilière de la protection générale conférée aux consommateurs[60]. L’article I.1, 4° CDE définit les produits comme étant « les biens et les services, les biens immeubles, les droits et les obligations »[61].

En observant les clauses contractuelles relevées dans la présente étude, il apparaît que plusieurs de celles-ci sont réputées abusives per se, en toutes circonstances, par l’article IV.83 CDE. Ainsi, les exclusions ou limitations de responsabilité contreviennent aux paragraphes 13, 25 et 30 de l’article VI.83 CDE[62]. Selon ces dispositions, il est abusif pour l’entreprise d’inclure au contrat une clause par laquelle elle tente de s’exclure de sa responsabilité pour une prestation principale du contrat. De même, il est abusif de limiter sa responsabilité en matière de préjudice corporel[63] et de restreindre de manière inappropriée les droits légaux du consommateur en cas d’inexécution des obligations de l’entreprise.

Par ailleurs, les clauses de modification des conditions de fourniture des services peuvent être considérées abusives en vertu du paragraphe 4 de l’article VI.83 CDE[64]. Les services fournis par les entreprises de location, de télécommunications ou de services financiers font généralement l’objet d’une grande publicité et font partie des éléments distinctifs sur lesquels le consommateur base son choix. Il nous apparaît donc qu’il est abusif pour l’entreprise de se réserver le droit de retirer de tels services ou d’en modifier les modalités d’accès.

Finalement, la dernière série de clauses mentionnées constate l’adhésion du consommateur à des clauses illicites et abusives dont on peut penser qu’il n’a pas pris connaissance avant la conclusion du contrat, le tout en contravention du paragraphe 26 de l’article VI.83 CDE[65]. Une de ces clauses autorise de même d’une manière non seulement abusive, mais nous oserions dire infantilisante, la résiliation unilatérale d’un contrat à durée déterminée si le locataire refuse de se soumettre, à la satisfaction du propriétaire de la résidence, aux règles édictées ou aux directives formulées par les employés. Une telle clause est abusive selon le paragraphe 10 de l’article VI.83 CDE[66] et aussi selon nous, mais à titre surabondant, à la définition générale des clauses abusives (articles I.8, 22° et VI.82, § 1er CDE).

On ajoutera que, selon l’article VI.37 CDE, les clauses écrites d’un contrat entre une entreprise et un consommateur doivent être rédigées de manière claire et compréhensible[67].

En cas de doute, l’interprétation la plus favorable au consommateur prévaut. Toutefois, cette règle d’interprétation ne s’applique pas dans le cadre d’une action en cessation, le but de celle-ci étant notamment d’éliminer par un ordre de cessation les clauses qui ne sont pas claires et compréhensibles[68]. Conformément à la directive 93/13/CEE, le CDE prévoit que « [l]‘appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat, ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération d’une part, et les biens ou services à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de manière claire et compréhensible »[69]. La CJUE en déduit qu’une clause d’un contrat de consommation qui n’est pas claire et compréhensible peut être une clause abusive même si elle porte sur la définition de l’objet principal du contrat, ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération d’une part, et les biens ou services à fournir en contrepartie, d’autre part. La notion de « rédaction claire et compréhensible » induit une exigence de transparence qui doit être entendue de manière extensive, vu la position vulnérable du consommateur, et « ne saurait [notamment] être réduite au seul caractère compréhensible sur les plans formel et grammatical de celles-ci »[70]. Ainsi, ne respectera pas cette condition, une clause pouvant être comprise de différentes manières, de sorte qu’il y a un doute quant au fait que le consommateur ait pu correctement évaluer les conséquences économiques qui découlent pour lui de la conclusion du contrat[71].

En droit belge, les clauses abusives sont interdites et nulles[72]. Le consommateur ne peut renoncer d’avance au bénéfice des droits qui lui sont conférés par cette réglementation[73]. La CJUE a reconnu aux juges nationaux la faculté, et même l’obligation, de soulever d’office le caractère abusif d’une clause comprise dans un contrat de consommation[74]. Cette obligation pour le juge d’intervenir d’office se justifie de la manière suivante :

L’objectif poursuivi par l’article 6 de la directive, qui impose aux États membres de prévoir que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs, ne pourrait être atteint si ces derniers devaient se trouver dans l’obligation de soulever eux-mêmes le caractère abusif de telles clauses. Dans des litiges dont la valeur est souvent limitée, les honoraires d’avocat peuvent être supérieurs à l’intérêt en jeu, ce qui peut dissuader le consommateur de se défendre contre l’application d’une clause abusive. S’il est vrai que, dans nombre d’États membres, les règles de procédure permettent dans de tels litiges aux particuliers de se défendre eux-mêmes, il existe un risque non négligeable que, notamment par ignorance, le consommateur n’invoque pas le caractère abusif de la clause qui lui est opposée. Il s’ensuit qu’une protection effective du consommateur ne peut être atteinte que si le juge national se voit reconnaître la faculté d’apprécier d’office une telle clause[75].

Lorsqu’il considère une clause comme étant abusive, le juge doit donc annuler celle-ci, sauf si le consommateur s’y oppose. Il lui est en effet possible, en toute connaissance de ses droits, de renoncer à ceux-ci, ce qui exclut, encore une fois, toute renonciation à l’avance[76].

Ainsi, à la lumière de la législation protégeant les droits de consommateurs, il apparaît que le consommateur belge qui conclut un contrat comprenant les clauses citées bénéficie d’une protection beaucoup plus large que celle offerte par le droit québécois. Nous pouvons penser que de telles clauses ne seraient pas tolérées et qu’un recours pourrait être envisagé, notamment par une association de défense des consommateurs ou une entreprise concurrente, pour faire imposer une plus grande discipline juridique à ces entreprises délinquantes. Nous l’avons mentionné, un tel recours pourrait prendre la forme d’une action en cessation[77].

Par l’action en cessation « comme en référé », le demandeur peut obtenir rapidement et sur le fond qu’il soit interdit au défendeur de faire usage des clauses abusives contenues dans ses contrats et/ou ses conditions générales. Conformément aux préceptes édictés par la CJUE, l’interdiction peut être réclamée alors même qu’elles « n’auraient pas été utilisées dans [un ou ]des contrats déterminés, mais seulement recommandés par des [entreprises ou une association de celles-ci ] »[78]. Une règle spécifique, particulièrement efficace, a été introduite à ce propos : dans le cas où plusieurs entreprises du même secteur économique utilisent des conditions générales identiques ou similaires, l’action en cessation peut être dirigée contre une seule entreprise du groupe ou conjointement contre elles, en y incluant de plus toute association regroupant ces entreprises et recommandant à celles-ci l’usage des clauses incriminées[79].

Les avantages de l’action en cessation telle qu’elle a été imaginée et est organisée en droit belge depuis les années 1930[80] sont nombreux, tant sur le plan de la procédure que des délais. Les actions en cessation sont dites, en Belgique, « comme en référé », en ce sens qu’elle suit les formes, procédures et délais du référé[81], une forme de procédure interlocutoire. Cependant, contrairement à la procédure en référé, la décision en matière d’action en cessation aboutit à un jugement tranchant le fond du litige, qui n’est pas provisoire et qui est revêtu de la pleine autorité de la chose jugée. Ce sont les présidents des tribunaux, siégeant en chambre des cessations, qui sont compétents pour connaître de ces actions. L’urgence à agir ne doit pas être démontrée. Très souvent, l’ordre de cessation est assorti de la condamnation à payer une astreinte[82], une forme de cautionnement, au demandeur pour le cas où cet ordre ne serait pas respecté ; il peut aussi être assorti d’un ordre de publication ou d’affichage[83].

C’est ainsi qu’ont été engagées, souvent avec succès, des actions contre plusieurs entreprises, comme les compagnies aériennes[84] ou les banques[85].

Il faut reconnaître toutefois qu’en pratique, bien que l’arsenal législatif belge soit théoriquement plus favorable que celui offert par le droit québécois en pareil cas, les actions provenant des associations de consommateurs sont assez rares, bien que fort efficaces. Ce phénomène a plusieurs causes dont les principales nous paraissent liées au double fait que le droit d’agir en cessation pour la défense de tels intérêts collectifs est réservé à un petit nombre d’associations de défense des consommateurs qui doivent être accréditées[86] et qu’aucun mécanisme de financement public de ces actions n’a été organisé. Ce problème pourrait toutefois être résolu en ouvrant davantage l’action en cessation pour la défense d’intérêts collectifs et en finançant publiquement ces actions sur le modèle du Fonds québécois d’aide à l’action collective. Sur ce point, l’expérience du Québec concernant les actions collectives et la transposition des principes applicables à celle-ci en matière d’action en cessation serait fort profitable.

Par contre, en plus des associations de consommateurs désignées, l’action en cessation fondée sur l’article XVII.1er CDE est ouverte à tout intéressé, au Ministre compétent pour la matière concernée ainsi qu’aux groupements et autorités professionnels dotés de la personnalité juridique[87]. Ce large libellé permet aux entreprises de se poursuivre entre elles pour faire cesser l’usage de certaines clauses. D’ailleurs, originellement, l’action en cessation a été créée par le législateur belge, dans les années 1930, en période de crise, afin de permettre aux entreprises de lutter contre la concurrence déloyale[88]. Cette action a très vite connu, et connaît toujours, un grand succès, dû à la rapidité et à l’efficacité, déjà discutées, qui la caractérisent. Cependant, bien qu’elle soit redoutée par certaines entreprises, il est clair que plusieurs entreprises d’un même secteur éviteront de se poursuivre entre elles. Il s’agit certainement d’une pratique liée à la standardisation des contrats au sein d’une même industrie. Comment penser qu’une entreprise attaquera la validité d’une clause si elle utilise une clause semblable au sein de ses contrats ? Il est donc nécessaire que les associations de consommateurs puissent bénéficier d’un véritable accès, y compris au plan financier, à ce recours, afin sa portée soit véritablement redoutable, notamment pour les grandes entreprises au sein de certaines industries.

Conclusion

Bien que cela ait été suggéré à de nombreuses reprises, le droit québécois, y compris dans la Loi sur la protection du consommateur, ne contient pas de liste de clauses réputées abusives, telle celle que l’on retrouve à l’article VI.83 CDE. Il en résulterait pourtant une clarté bénéfique au consommateur. Si une disposition générale permet une grande flexibilité au juge, elle nuit à l’appréhension des droits des consommateurs. Clairement, le manque de cohérence, d’harmonie structurée et de cohésion nuit à l’application effective de ces dispositions. Il s’agit d’un premier enseignement du droit européen, et plus spécialement du droit belge, en matière de protection des consommateurs contre les clauses abusives. Plus les dispositions législatives sont précises et cohérentes, plus les consommateurs sont susceptibles de mieux connaître et faire valoir leurs droits. La simplicité et la clarté encouragent l’accessibilité à la justice[89]. Le droit québécois pourrait aussi sanctionner plus clairement les clauses qui ne sont pas claires et facilement compréhensibles pour le consommateur. On peut penser que la rédaction de plusieurs contrats s’en trouverait ainsi simplifiée.

Le droit québécois peut de même instaurer un changement de paradigme pour être plus proactif en instaurant un recours à caractère préventif, telle l’action en cessation du droit belge. Il en résulterait très clairement une plus grande protection des droits des consommateurs parce que l’absence actuelle de véritables sanctions effectives et surtout accessibles encourage la délinquance aux règles de droit pourtant impératives. Grâce à une action en cessation’, les clauses abusives ou illégales seraient plus aisément sanctionnées et retirées des contrats de consommation ou d’adhésion.

Le droit québécois de l’action collective a inspiré le législateur belge lorsque celui-ci a, tout récemment, organisé une action en réparation collective[90]. Nous avons essayé de montrer que cet apport nourricier du droit comparé pourrait utilement se faire, en sens inverse cette fois, à propos de l’action en cessation des clauses abusives dans les contrats de consommation. Par contre, pour atteindre son plein potentiel, il semble qu’une éventuelle action en cessation québécoise devrait, à l’instar de l’action collective, être largement ouverte aux associations de protection des droits des consommateurs et bénéficier d’un financement public, quitte à ce que l’entreprise fautive puisse être tenue à une forme de remboursement. Son efficacité n’en serait que doublement renforcée et ce sont tous les consommateurs québécois qui en bénéficieront.