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L’action publique locale vit des transformations multiples dans tous les pays de l’OCDE et en particulier en Europe (Delligier, 2007). En France, entre transferts de compétences et de charges, nouvelles frontières territoriales (fusion de régions, intercommunalités XXL, communes nouvelles…), recomposition des projets de territoires et pactes financiers et fiscaux, bon nombre de collectivités ont engagé voire amplifié un large mouvement de recherche d’économies de gestion, de redéfinition des périmètres et moyens d’intervention, de transformation des modalités de délivrance des services publics locaux. Ainsi, ce n’est pas tant leur nouveauté qui caractérise la période la plus récente que leurs ampleur et profondeur.

Plus particulièrement, ce mouvement invite les décideurs et manageurs à repenser leurs modes opératoires de façon à reconfigurer les organisations territoriales de manière plus efficiente et plus flexible, en faisant appel à des réponses managériales originales et mieux adaptées à la conduite actuelle des politiques publiques et des services.

Dans ce contexte, il est intéressant d’étudier dans quelle mesure ces réponses constituent des « nouveautés » par rapport à celles apportées précédemment, et si elles se traduisent ou non dans les configurations organisationnelles et/ou dans « les formes et outils de management » (Hatchuel et David, 2007). C’est ainsi que nous souhaitons porter notre regard sur ce que l’on pourrait appeler des « innovations organisationnelles et managériales » pour comprendre dans quelle mesure les rénovations organisationnelles et managériales répondent ou non aux contraintes et défis actuels et préparent ou non aux enjeux en émergence. Cette réflexion s’inscrit dans la suite de différents travaux sur l’innovation publique mettant en lumière les types d’innovations rencontrées (Hartley, 2005; Walker, 2006; De Vries et al., 2016; Favoreu et al., 2020), les modifications et enrichissements tout au long de leurs processus de déploiement (Mamman, 2009; De Vries et al., 2018); la place et le rôle des parties prenantes (Bekkers & Tummers, 2018), des cadres (Damanpour & Schneider, 2009; Munro, 2015) et des dirigeants (Ricard et al., 2017; Lewis et al., 2018).

Pour traiter ces aspects, nous avons choisi les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) comme terrain empirique. Si ces derniers sont, en tant que tels, anciens dans le panorama institutionnel français, leur consistance actuelle est plus récente (1999). Ce cadre institutionnel fait ainsi naître de nouvelles organisations propices à y initier des pratiques innovantes qu’il conviendra de définir et caractériser.

Notre question de recherche peut ainsi être formulée de la sorte : dans quelle mesure les caractéristiques des innovations organisationnelles et managériales repérées leur confèrent-elles un degré singulier de « nouveauté; et leurs processus d’impulsion et de déploiement qui les sous-tendent ainsi que leurs « facteurs d’influence », pour reprendre le terme de Carassus et al. (2014), constituent-ils des leviers d’adaptation ou d’anticipation des structures et pratiques de nature à répondre à leurs enjeux organisationnels et managériaux ? L’originalité de notre travail porte sur l’étude de ces deux dimensions relativement peu explorées dans leurs rapprochements et sur le terrain empirique retenu. Ce dernier, s’il figure dans l’échantillon quantitatif de Favoreu et al. (2020) n’a pas, sous cet angle, fait l’objet de recherche approfondie contrairement à des villes (comme par exemple Bartlett & Dibben, 2002; Walker, 2006; Damanpour & Schneider, 2009; Hansen, 2011; Nählinder, 2013; Ricard et al., 2017; Lewis et al. 2018). Les EPCI sont d’autant plus intéressants qu’ils comportent des spécificités institutionnelles, organisationnelles et de gouvernance de nature à induire des systèmes d’organisation et de management différents des autres collectivités territoriales. C’est ainsi que nous avons retenu plusieurs thématiques de recherche qui en traduisent et en circonscrivent le contenu : l’existence d’innovations organisationnelles et/ou managériales, la caractérisation des « nouveautés » qui les singulariseraient, le repérage des facteurs d’introduction, d’adoption, et de pérennisation de celles-ci, l’identification des acteurs à la manoeuvre et des processus en action dans la mise en oeuvre.

Pour éclairer cela, nous allons tout d’abord présenter le cadre théorique de notre recherche en tentant de préciser les contours et processus de l’innovation organisationnelle et managériale susceptibles d’être retenus. Ensuite, après avoir décrit la méthodologie utilisée, nous identifions les pratiques organisationnelles et managériales des EPCI étudiés pour en analyser les dimensions innovantes, les facteurs qui en fondent l’existence et leurs modalités de déploiement.

Cadre de la recherche

Alors que la notion d’innovation restait très largement empreinte de la dimension technologique, depuis plusieurs années, les réflexions académiques se sont multipliées et ont concerné le champ organisationnel et managérial (Mol et Birkinshaw, 2006) dont l’appréhension est à la fois incertaine par la diversité des termes utilisés et complexe par l’imbrication entre méthodes, outils et acteurs.

Innovation administrative, innovation organisationnelle, innovation managériale

En 1966, les travaux d’Evan font apparaître une distinction entre les innovations techniques (ou technologiques) et administratives et fournissent ainsi une des premières définitions de l’innovation administrative. Les premières sont rattachées au « système technique de l’organisation et à la technologie » (selon les termes de Dubouloz, 2013), tandis que les secondes font référence au « système social de l’organisation » (Dubouloz, 2013). L’innovation administrative peut alors être considérée comme touchant les fonctions de gestion de l’organisation de nature à optimiser ou mener plus efficacement ses missions et activités.

Les recherches et réflexions évoluent ensuite (Damanpour & Evan, 1984) pour prendre en compte les transformations apportées aux objectifs (alignement entre la stratégie et les structures) et aux processus organisationnels (outils et modalités de travail, externalisation-internalisation d’activités), que celles-ci existent dans un autre contexte ou qu’elles soient introduites de manière singulière.

Dans les années 2000, l’innovation se focalise plutôt sur le management et le manager. Les innovations managériales font alors l’objet d’un programme de recherche, mené au sein de la London Business School et animé par Hamel, Mol et Birkinshaw, afin de mieux les comprendre. Plusieurs constats ont été mis en lumière. L’innovation managériale, souvent tacite et contingente, peut être définie comme « l’invention et l’implémentation d’une pratique, d’un processus, d’une structure ou d’une technique de management qui sont nouvelles au regard de l’état de la connaissance et qui contribue à l’atteinte des objectifs de l’organisation. » (Hamel et al., 2008, p.825). Elle résulte aussi de la manière dont elle est appréhendée individuellement et collectivement, « une idée, une pratique, ou un objet perçu comme nouveau par les individus ou les organisations » (Rogers, 1995, p.11) pouvant sembler être une innovation pour un acteur alors qu’elle sera une simple imitation aux yeux d’un autre.

Aussi, ces différentes approches font-elles apparaitre une véritable évolution dans la caractérisation des innovations organisationnelles et managériales que nous nous proposons d’examiner en premier lieu : celles privilégiant la dimension administrative transformant les fonctions de l’organisation (à travers par exemple la création de fonctions « contrôle-pilotage-évaluation »); celles considérant les modifications de structures organisationnelles (avec des regroupements ou des différenciations d’entités ou des lignes hiérarchiques plus courtes ou plus étendues); et celles où ce sont les « principes, processus et pratiques managériales qui changent significativement la façon dont le travail managérial est réalisé » (Hamel, 2006, p.75) dans la coordination et l’animation des équipes.

Profondeur des innovations organisationnelles et managériales

Si les termes utilisés sont divers, le degré et l’amplitude des innovations le sont tout autant. Selon Van de Ven (1986), les innovations sont une « nouvelle idée qui peut être une combinaison d’idées anciennes, un schéma qui modifie l’ordre présent, une formule ou une approche unique perçue comme nouvelle par les individus concernés ». Si c’est une « combinaison d’idées anciennes », on peut penser que l’innovation est l’adoption par une organisation d’une pratique ou d’une méthode de management qui existe déjà, mais qui est nouvelle par rapport à ses pratiques actuelles. Une telle innovation est qualifiée d’innovation « adaptative ».

Si c’est « un schéma qui modifie l’ordre présent », l’organisation met au point, pour la première fois, une pratique ou une méthode de management complètement nouvelle par rapport à celles déjà connues. Une telle innovation est qualifiée d’innovation « anticipative ». C’est dans ces deux acceptions que l’innovation organisationnelle et managériale sera ensuite abordée.

Facteurs sous-tendant les innovations organisationnelles et managériales

En outre, plusieurs travaux se sont attachés à repérer les facteurs favorisant l’impulsion et le développement des innovations organisationnelles et managériales. À ce titre, certains (Sørensen & Torfing, 2011; Sahni et al., 2013; Demircioglu & Audretsch, 2017; de Vries et al., 2018; Favoreu et al., 2020) se sont attachés à identifier les contextes organisationnels et pratiques managériales propices à ceux-ci comme, entre autres, la capacité à encourager l’expérimentation ou la clarté et le soutien des mécanismes de feedback contribuant à l’aptitude à l’innovation. Par contre, la mobilisation de ressources budgétaires, contraintes ou disponibles, ne constitue pas un facteur évident ou tangible (Walker, 2014; Demircioglu & Audretsch, 2017). D’autres (Rogers, 1995; Damanpour & Schneider, 2008) ont insisté sur les qualités promues par les innovations : la simplicité concourant à l’appropriation par les acteurs, les avantages concrets apportés facilitant le travail des équipes, la congruence aux valeurs mises en avant par les décideurs assurant la compréhension du sens des démarches… Pour notre part, nous classerons alors ces différents facteurs selon la typologie suivante : déclenchants, influents (sur les plans interne et externe), porteurs (managers et cadres dirigeants) et intrinsèques (histoire et caractéristiques des EPCI).

Acteurs et processus au coeur des innovations organisationnelles et managériales

Les phases du processus de l’innovation qui caractérisent le modèle d’Hamel et al. (2008) permettent de cerner la typologie et le rôle des acteurs à différents stades : reprise d’une idée proposée par des agents externes; test par les agents internes d’une nouvelle pratique pouvant alors susciter acceptation, rejet ou modification; légitimation de l’innovation en faisant apparaitre son intérêt au regard du contexte et des valeurs de l’organisation. Enfin, certains travaux (Borins, 2002; Elenkov & Manev, 2005; Damanpour & Schneider, 2008; Lewis et al. 2018; Ricard et al., 2017) ont mis en lumière l’importance des élus, manageurs et cadres dirigeants dans l’initialisation et le soutien aux processus d’innovation. La caractérisation de leurs comportements et des processus qu’ils enclenchent constitue le coeur de notre dernière thématique de recherche.

Cadre méthodologique

Notre méthodologie de recherche relève d’une posture compréhensive (Roussel et Wacheux, 2005) en s’attachant à comprendre le sens donné aux innovations organisationnelles et managériales dans des intercommunalités et à interpréter les processus d’introduction et de déploiement de celles-ci dans des contextes singuliers (Stake, 1995; Siggelkow, 2007) selon le retour d’expériences explicité par leurs directions générales (Paillé, 1996). Nous nous proposons de caractériser les aspects ci-dessus sur la base d’entretiens approfondis et individualisés menés en 2018[1] auprès de cadres dirigeants d’EPCI (Établissements Publics de Coopération intercommunale) du Nord Pas de Calais, donnant lieu à l’exploitation de six études de cas détaillés.

Une méthode qualitative pour une compréhension des innovations organisationnelles et managériales dans des EPCI

C’est ainsi que nous avons conduit des entretiens semi-directifs[2] avec les cadres dirigeants de nos 6 EPCI, d’une durée comprise entre 60 et 90 minutes, pour aborder le récit des innovations organisationnelles et managériales mises en avant par ces derniers, faisant nôtre la perspective selon laquelle « l’objet de l’enquête est une délimitation plus précise à partir de l’idée, et une délimitation de son champ avec un maximum de clarté » (Mucchielli, 1984). Ceux-ci concernent la/les définitions de l’innovation organisationnelle et managériale retenues par les personnes interrogées, les processus de lancement et de mise en oeuvre de celles-ci, ainsi que la nature des changements induits sur les systèmes de management, de gouvernance et de décision.

Nous avons procédé à des enregistrements audios pour en effectuer les retranscriptions permettant ainsi d’extraire des verbatim qui figurent en italique dans la partie suivante tout en s’attachant à prendre en compte la diversité de nos cas et le caractère distinctif et saillant des propos en rapport direct avec les termes de nos thématiques de recherche; en particulier sur les attributs et la singularité des innovations mises en avant, les facteurs en appui de ces dernières et les obstacles rencontrés à ce titre ainsi que la place et le rôle des acteurs dans les processus d’implémentation. L’exploitation de ces données a été menée à partir d’une décomposition en unités de sens (murs de mots afin de dégager les grandes tendances) et d’une analyse de contenu manuelle. Enfin, afin de renforcer la validité du matériau issu des entretiens, une collecte de données secondaires (documents publics ou remis lors de ceux-ci[3]) a été réalisée avec pour objectif une triangulation (Jonsen & Jehn, 2009) des données pour limiter les biais éventuels.

Résultats

Ces résultats sont organisés autour des grandes familles de questions issues de l’approche quantitative le « pourquoi » pour comprendre le contexte et les enjeux comme les contraintes budgétaires, la prise de compétences ou l’élargissement des périmètres de l’EPCI ainsi que les facteurs déclenchants comme la commande politique, l’impulsion de la DG, les initiatives des équipes internes ou des pressions externes; le « quoi » de nature à préciser ce qui constitue les caractéristiques distinctives ou non des innovations organisationnelles et/ou managériales; le « qui » et le « comment » pour repérer les acteurs mobilisés qu’ils soient internes ou externes à l’établissement et les voies et moyens déployés en termes de réponses organisationnelles et managériales ainsi que les leviers et freins rencontrés relevant de la structure elle-même, de ses ressources ou encore de la conduite du projet « innovant ».

L’innovation organisationnelle versus l’innovation managériale

Les DGS interrogés ont distingué les deux types d’innovations : celles touchant les structures (la dimension managériale étant considérée comme une modalité de mise en place et une conséquence) et celles intéressant le management (à structure parfois constante ou n’évoluant qu’à la marge). Lorsque l’on évoque les traductions concrètes de ces innovations, plusieurs logiques viennent en dresser les contours et caractéristiques :

  • Pour les innovations organisationnelles : en premier lieu, il s’agit de la création de nouvelles entités chargées de la veille stratégique (inexistante jusqu’ici) ou d’accompagner des projets de modernisation (processus, procédures, outils de gestion qui méritaient d’être revisités compte tenu des enjeux de gestion interne et des attentes externes), ou enfin de coordonner des compétences techniques jusqu’alors séparées (aménagement/cohésion sociale ou urbanisme/développement économique dans des pôles plus larges, création de guichets uniques, notamment en matière sociale ou d’énergie visant à regrouper les métiers accueil/accompagnement/traitement…). En second lieu, la transformation organisationnelle est mise en avant : soit de façon ciblée sur un secteur d’activité (centre intercommunal d’action sociale adossé à un projet social de territoire regroupant l’ensemble des compétences exercées à ce titre), soit de façon plus large en opérant la mutualisation des services fonctionnels (fusion de services RH, finances, commande publique à l’échelle de l’agglomération, les anciens services communaux existants devenant ainsi des antennes territorialisées intégrées à l’ensemble).

  • Pour les innovations managériales : tout d’abord, celles-ci s’illustrent à travers l’invention et la création de nouveaux organes de gouvernance administrative qui ont pour but d’orienter les activités des services fonctionnels et opérationnels (comités de direction à vocation stratégique associant largement les cadres de direction, comités de direction de territoire rassemblant DG communaux et équipe de direction générale de l’EPCI, groupes métiers à l’échelle intercommunale…). Les cadres et leurs collaborateurs sont aussi invités à inventer ou adapter de nouveaux outils et démarches de gestion (plans pluriannuels d’investissement repensés à l’échelle intercommunale en s’assurant de la maturité des projets sur une base critérielle comme la maitrise juridique et physique du foncier, les coûts de fonctionnement induits…; redimensionnement des politiques publiques dans le contexte institutionnel et financier et futur).

Les innovations organisationnelles et managériales, entre singularité et levier traditionnel de changement

Parmi les réponses, il existe deux visions de l’innovation organisationnelle : une vision interne (« fusion de service », « services mutualisés ») et une vision externe (« adaptation des modes d’action par pôles de proximité en fonction des besoins locaux »). D’une manière générale, ce type d’innovation est évoquée comme une réponse nouvelle à un problème structurel, stratégique ou émergent pour lui donner une connotation de « rupture ». On remarque aussi que le périmètre de l’innovation s’étend à l’ensemble de l’organisation, représentant un changement global dû à des problèmes internes et externes. Ces initiatives sont majoritairement perçues comme singulières car elles n’avaient jamais été introduites précédemment dans les établissements concernés.

Pour tous, l’innovation managériale représente un projet (« projets organisationnels », « projet d’administration ») avec l’association d’acteurs, devenant un moyen de fédérer et de responsabiliser les cadres; et dans une moindre mesure, de mieux prendre en compte les agents. Les innovations managériales ne sont pas présentées comme singulières, mais comme faisant partie du registre du changement « naturel » de pratiques.

Facteurs structurels et contingents éclairant les processus d’introduction et de déploiement des innovations organisationnelles et managériales des EPCI

Il convient désormais d’identifier les facteurs contextuels, les facteurs déclenchants, les facteurs d’influence et les principaux freins aux innovations organisationnelles et managériales ainsi introduites et déployées dans le panel étudié des EPCI du Nord Pas de Calais.

Les facteurs contextuels : les caractéristiques et l’histoire des EPCI

Plusieurs particularités des EPCI sont de nature à comprendre l’adoption d’innovations organisationnelles et managériales.

D’une part, ces établissements sont en grande partie en émergence en tant qu’organisations. Leurs activités relèvent en grande partie, pour les services urbains (eau, assainissement, enlèvement et traitement des ordures ménagères…) de la production industrielle, secteur nécessitant de se comparer aux autres, d’être attentif aux mutations de métiers pour ne pas perdre en compétitivité. Cela a même conduit un de nos EPCI, pour la gestion des déchets, à mettre en place un conseil territorial informel associant acteurs économiques privés-recherche-région pour repérer de nouvelles filières ou niches de valorisation. Plus globalement, deux notions ressortent de manière importante des entretiens qualitatifs : il s’agit de la proximité avec l’usager et de la simplification de la hiérarchie en interne.

D’autre part, l’ancienneté des EPCI et l’histoire de la coopération territoriale ne sont pas sans influence sur les organisations ainsi constituées. Pour les plus récents, le fait qu’ils aient opté très vite pour une structuration en pôles leur permet de prendre plus rapidement en considération une vision large des problématiques territoriales à traiter. À l’inverse, les plus anciens reflètent l’addition successive de strates de compétences et de services issus des communes membres. Les EPCI ont aussi un rapport contrasté aux projets de territoire. Pour certains d’entre eux, c’est le projet qui a fait la structure, pour d’autres c’est l’inverse. La première situation leur confère une habitude des négociations et une culture de la coopération qui infusent dans les organisations afférentes, cette dimension faisant défaut dans l’autre cas.

Enfin, nous avons pu noter que certains EPCI de la région étudiée étaient profondément marqués par une réelle résistance à l’esprit intercommunal, non pas tant pour des questions de partage de ressources ou de compétences que pour des positions de principe « idéologiques » considérant que la seule réalité qui corresponde à la tradition républicaine est celle des communes; ainsi le « communalisme » dépasse l’idée même d’identité communale qui mériterait d’être sauvegardée.

En outre, les membres des EPCI sont des « rivaux associés », jouant alternativement aux échelles communales et supra communales, sans pouvoir encore parler de réels « blocs communaux ». Dans ce cadre, leurs intérêts peuvent être convergents et parfois divergents ou contradictoires et nécessitent de la souplesse, de l’agilité et de la régulation. Ils conduisent ainsi à privilégier des modes managériaux qui réduisent la complexité liée à l’hétérogénéité des parties prenantes.

Les facteurs déclenchants

Nous pouvons remarquer que les facteurs qui poussent la collectivité à innover sont d’abord des facteurs coercitifs (une obligation externe en particulier règlementaire) ou exprimant une contrainte (la prise en compte des attentes usagers en termes de simplification du service rendu) voire une décision discrétionnaire (une commande politique), et ce, avant même d’avoir une idée de l’innovation. Certains EPCI considèrent que l’innovation peut être un facteur de survie dans un contexte général difficile ou même de légitimation de leur existence. On peut aussi voir que la collectivité ne se lancera pas dans l’innovation sans un soutien des innovateurs (DGS, cadres) ni sans une expérience significative connue faite sur d’autres territoires; l’échange de pratiques constituant un élément rassurant.

L’implication des élus dans les démarches d’innovation organisationnelle et managériale comme facteur d’influence

La formation des élus et la construction d’une stratégie représentent un préalable nécessaire avant de se lancer dans l’innovation eu égard à l’acceptabilité des conséquences qui pourraient apparaitre. C’est en partie pourquoi les DGS « innovants » pensent majoritairement que cette question constitue un enjeu important; qu’elle nécessite un besoin de clarification en amont; qu’elle conforte la volonté d’impliquer les élus de façon étroite et claire; et qu’elle consacre l’établissement d’une stratégie. À ce titre, les EPCI ont développé des rencontres bilatérales entre DG et élus, séminaires d’élus, ce qui reste très classique dans l’approche de sensibilisation opérée.

La place des équipes internes dans les démarches d’innovation organisationnelle et managériale comme facteur d’influence

Pour rendre le changement acceptable, il apparait qu’il est important d’informer sur le sens du changement pour faire entrer plus rapidement les acteurs internes dans une phase d’acceptation. La continuité des décisions est un élément important, les priorités doivent être fixées à long terme pour éviter une rupture entre le personnel et la direction de l’EPCI. Bien que l’information ne soit pas en elle-même un facteur directement rattaché à l’innovation, la transparence et la sincérité de celle-ci sont en revanche des facteurs facilitant l’innovation. C’est ainsi que les EPCI ont de façon significative privilégié des ateliers multiservices, des séances d’information et de formation internes, des rencontres d’autres initiateurs.

La place des partenaires externes et des usagers dans les démarches d’innovation organisationnelle et managériale comme facteur d’influence

Il apparait que les partenaires sont pris en compte en phase d’élaboration stratégique et en phase de mise en oeuvre. L’innovation repose sur de l’implémentation exploratoire (essai/erreur) d’où l’importance d’animer une co-construction. Les modalités les plus nombreuses et nouvelles, empreintes de concertations chemin faisant, concernent les partenaires : en amont, questionnaires, rendez-vous et séminaires; pendant l’élaboration des choix d’organisation innovante, des ateliers de design organisationnel; en aval, lors de la mise en oeuvre, des ateliers associant usagers/agents/acteurs externes.

Si les usagers sont très rarement mentionnés pour les innovations organisationnelles, c’est l’inverse pour les innovations managériales. C’est ainsi que les EPCI analysés ont promu ce type d’initiatives particulièrement pour leurs démarches stratégiques de gestion : ateliers de design de services, groupes mixtes agents-usagers pour réingénierie de processus dans l’esprit du lean management, enquêtes de qualité de service et baromètre sur les facteurs de satisfaction des usagers, participation aux instances de redimensionnement en utilisant les questionnements du Cadre d’Autoévaluation des Fonctions Publiques (ou EFQM).

Les principaux freins de l’innovation organisationnelle et managériale dans les EPCI étudiés

Ceux-ci sont à chaque fois distingués entre ceux portant sur l’innovation organisationnelle et ceux relatifs à l’innovation managériale.

Pour les premiers, l’innovation organisationnelle est parfois présentée comme un « pari dangereux » à prendre. Sa mise en place pouvant prendre du temps, les changements de contexte extérieur à la structure peuvent venir perturber la volonté d’être anticipatif. En outre, sont notés plus particulièrement le fonctionnement en silos qui entraîne un manque de transversalité, peu propice à l’innovation ainsi que le poids des habitudes qui peut également rendre plus difficiles les évolutions induites par les innovations organisationnelles.

Les freins à l’innovation managériale sont incarnés par la crainte du changement, mais surtout le manque de culture organisationnelle et managériale commune, cet aspect pouvant être ressenti différemment dans l’organisation par les différentes catégories de personnels, mais aussi, dans les cas de mutualisation, où les méthodes de travail et de direction ne sont pas forcément les mêmes.

D’une manière générale, nous retrouvons les barrières communes à l’innovation organisationnelle et managériale. Ces barrières sont à la fois internes (ressources et organisation de la structure; valeur ajoutée apportée) et externes, notamment sur les questions de la réalité du besoin ou de la perception du risque; et sont de nature plus à ralentir le processus engagé qu’à le remettre réellement en cause.

Des DGS au coeur des innovations organisationnelles et managériales des EPCI étudiés

À travers nos questions, les cadres dirigeants ont eu à se positionner sur la posture qui leur semblait le mieux correspondre aux situations rencontrées.

  • Pour le volet organisationnel : la création de nouvelles entités consacre très majoritairement le rôle d’impulseur des DGS, la portée exclusivement interne l’expliquant fort bien. Les transformations organisationnelles mettent en lumière celui d’accompagnateur et de régulateur, les caractéristiques stratégiques à la frontière du politique de ces sujets réduisant le rôle des managers; et d’impulseur-accompagnateur-médiateur pour la mise en oeuvre des schémas de mutualisation, les dirigeants passant ici en première ligne et en appui permanent, les édiles gardant du champ dans les négociations et du recul dans les arbitrages finaux.

  • Pour le volet managérial : la création d’organes de gouvernance n’est pas laissée à l’initiative des DG qui sont dans ce cas « sous contrôle » des exécutifs politiques (dirigeants accompagnateurs et médiateurs); par contre, la mise en route de nouvelles pratiques managériales est délibérément confiée aux cadres, tenant là des rôles d’impulseurs et d’accompagnateurs; enfin les nouvelles démarches de gestion stratégiques relèvent d’un partage de responsabilité avec les élus, laissant les DGS assurer l’accompagnement et la médiation de leur implémentation.

Discussion

Ce dernier volet mérite, pour chacune de nos recherches, une mise en perspective au regard de notre lecture raisonnée de la littérature pour en déterminer les aspects confirmatoires ou non ainsi qu’une ouverture de quelques pistes de recommandations managériales.

Des innovations organisationnelles et/ou managériales

Les types d’innovations évoquées dans notre étude ne font pas référence de manière significative aux évolutions technologiques, mais de façon quasi exclusive aux structures, stratégies et processus administratifs et managériaux (Damanpour, 1987). De même, ceux-ci sont de nature à modifier plus les relations entre les membres des organisations, les règles du jeu et modes de fonctionnement internes que celles pouvant naître entre les organisations et échelles territoriales (Walker, 2006. Favoreu et al., 2017).

En outre, nos interlocuteurs ont fortement distingué les registres organisationnels et managériaux alors que notre revue de littérature insistait sur une imbrication entre les deux. Dans notre cas d’espèce, tout cela laisse penser que les élus et cadres dirigeants de ces EPCI gardent des référentiels analytiques plus que systémiques, laissant accroire que le terreau des innovations fondé sur les transversalités, les synergies paraisse encore fragile.

Face à ce constat, les cadres dirigeants pourraient s’attacher à combiner modifications des cadres structurels (organisations orientées projets et objectifs, hiérarchie courte, autonomie des équipes et flexibilité des temps et des espaces) et nouvelles politiques managériales visant les collectifs de travail avec « pour objet la transformation des pratiques de travail, mais soulign (ant) davantage le processus qui engage et qui mobilise des êtres humains avec leurs différences, leurs valeurs singulières, leurs rôles parfois ambigus et leurs ressources » (Harrisson, 2013, p.83).

En laissant de côté la mise en place de nouvelles entités organisationnelles qui ajoutent de nouvelles fonctions exercées dans les structures; les transformations évoquées (pôles, mutualisations horizontales et/ou verticales, guichets uniques physiques et numériques…) ne semblent pas « inventer » de nouvelles formes d’organisation. Par exemple, l’organisation en réseau privilégiant une structure d’échange et de circulation (Pesqueux, 2008), et l’hybridation entre parties prenantes dépassant les frontières géographiques et institutionnelles, semblent, pour le moins, ignorées (un seul EPCI imagine une autre façon de penser la gestion des déchets).

De même, si l’on considère que l’innovation managériale est « la mise en place de pratiques, de processus, de structures de management nouveaux, qui sont significativement différents des normes habituelles » (Mol et Birkinshaw, 2006, p. 81), nos réalités empiriques en semblent éloignées. Il s’agit plus de l’introduction de principes traditionnels de management dans des organisations qui y étaient encore peu habituées, ou encore une adaptation de ces derniers aux réalités des EPCI (Nobre, 2013).

Globalement, les EPCI étudiés sont encore peu engagés dans les innovations « perturbatrices » (Eggers et al., 2012; Boukamel et Emery, 2019) censées induire des changements importants dans le fonctionnement de leur système organisationnel et managérial; et ce, du fait de leur cadre institutionnel (relations EPCI-communes), de leur contexte politique (scrutin indirect), de la normalisation de nombreux processus de gestion. Enfin, notre travail empirique nous ainsi laisse penser que les innovations repérées sont plus des adaptations d’organisations et de pratiques managériales qui existent déjà dans d’autres univers voire collectivités locales, mais qui sont nouvelles pour les établissements analysés (Bertacchini & Bouchet, 2016). Nos recommandations managériales pourraient alors s’orienter vers l’instauration d’instances de décision plus concertées et ouvertes; la mise en place de « centres d’innovation ouverte » propres à explorer et expérimenter des idées nouvelles, éprouver en ateliers pluridisciplinaires des champs du possible, analyser et capitaliser les retours d’expériences, se comparer avec d’autres; l’introduction de démarches managériales plus intégratives et globales relevant des Nouvelles Formes d’Organisation du Travail (Harrisson, Laplante et Bellemare, 2006; Taskin et al. 2013; Taskin et al., 2017) qui associent TIC (technologies de l’information et de la communication), flexibilité spatiotemporelle, organisation du travail collaboratif et management participatif.

Sans avoir pu mesurer l’intensité de ceux-ci, nous confortons les facteurs identifiés par Walker (2006), Osborne & Brown (2011), Carassus et al. (2014) ou Favoreu et al. (2020) : le contexte institutionnel et financier (mutations et incertitude, contraintes et tensions), les caractéristiques des EPCI (coopération et compétition entre acteurs, leadership administratif en émergence ou incertain), les déterminants de l’introduction et de la diffusion des innovations (culture interne ouverte à la prise de risque, pression des usagers, influence des parties prenantes externes, apprentissage par imitation…).

À l’issue de ce travail d’analyse, nous avons pu relever, à l’aune des « approches par les barrières » à l’innovation (Dubouloz, 2013; De Vries et al., 2016; Ewango-Chatelet, 2017), que la multiplication des contraintes et des changements (d’échelle, de compétences, de relations entre acteurs) liés au contexte actuel entrainent une situation anxiogène pour les EPCI qui ont peur de disparaitre et qui cherchent de ce fait à survivre; ce qui peut devenir alors un « stimulant managérial » (Dubouloz, 2013). L’innovation est alors considérée non pas comme un levier au service d’objectifs délibérément exposés de modernisation ou de performance (Hartley, 2005), mais un moyen nécessaire à la survie de la structure permettant de « dégager des marges de manoeuvre ». Ici, le territoire doit trouver un compromis entre les pressions extérieures et les pressions internes au territoire et à la structure. Les facteurs d’influence sont à la fois sociaux (car il faut prendre en compte les besoins des agents territoriaux), politiques (entre les jeux de pouvoir et d’égo), organisationnels (congruence entre les valeurs affichées et les pratiques internes, adaptabilité) et managériaux (orientation coopération et créativité) faisant ainsi largement écho à la littérature tant pour le secteur privé que le secteur public (Clergeau de Mascureau, 1995; Hadjimanolis, 1999; Freel, 1999; Iammarino et al., 2007; Segarra-Blasco et al., 2008; Madrid-Guijarro, 2009; Touati et Denis, 2013; Walker, 2014).

C’est ainsi que la voie susceptible d’être suivie par les décideurs publics territoriaux pourrait s’engager dans l’accompagnement des changements et des transformations organisationnelles et managériales en apprenant à associer le plus en amont possible les personnes concernées à la construction des nouveaux dispositifs de travail, à l’élaboration des scénarios organisationnels et en apprenant à en évaluer les impacts humains sur les conditions et la qualité de vie au travail.

La littérature fait souvent état que les innovations organisationnelles et managériales émanent soit d’« entrepreneurs institutionnels » (DiMaggio, 1988; Bernier & Hafsi, 2007; Catney & Henneberry, 2016; Olsen, 2017; Bakir & Jarvis, 2018) qui disposent de ressources stratégiques suffisantes (légitimité organisationnelle, positionnement managérial), soit d’« acteurs périphériques » (Lockett et al., 2012) enclins à dépasser les frontières organisationnelles, à s’écarter des routines managériales et à imager des réponses nouvelles. Notre étude met en avant la place centrale des cadres dirigeants territoriaux exerçant un leadership administratif pour initier et soutenir les démarches d’innovations organisationnelles et managériales, et ce, pour deux raisons principales : d’une part, la reconnaissance et le développement des EPCI prennent appui sur les DG et leurs équipes du fait de leur relative « jeunesse » institutionnelle et, d’autre part, le contexte singulier des EPCI, largement évoqué, rend particulièrement nécessaire l’intervention de ces acteurs majeurs qui donnent du sens (signification et légitimité) aux choix organisationnels et aux nouvelles pratiques et sont en capacité de contextualiser (David, 1996), d’assembler les idées et de concrétiser les réponses adaptées (Vas, 2005). De plus, selon les facteurs existants et mobilisables, ils peuvent se positionner (Van Wart, 2012; Tummers & Knies, 2013) comme impulseur à l’origine des démarches innovantes (facteurs institutionnels et normatifs), comme accompagnateur des initiatives (facteurs relevant de la culture interne et de l’histoire des EPCI) ou comme médiateur entre les différents acteurs parties prenantes des innovations organisationnelles et managériales (facteurs issus des caractéristiques de fonctionnement).

En outre, une grande majorité des EPCI se trouve dans le cas de l’innovation adaptative, s’inspirant les uns des autres jusqu’à un échange de bonnes pratiques dans une démarche plus qualitative. À ce titre, les différentes mutualisations constituent un aspect saillant de notre enquête de nature à caractériser cet aspect incrémental, en constituant un changement dans l’organisation (activités et process de travail) comme dans les relations qu’entretiennent les agents avec leur travail et entre eux (nouvelle collaboration, nouveaux flux de décisions, d’information), et dont les expériences menées par les uns inspirent les autres.

Seuls deux cas pourraient relever des stratégies anticipatives à travers lesquelles les EPCI cherchent à améliorer les services offerts aux usagers en révisant leurs organisations et méthodes de management. Le premier concerne la mise en place d’un « pacte financier local solidaire unanime » qui puisse donner une cohérence opérationnelle au projet de territoire ainsi qu’une « gouvernance apaisée ». Le deuxième concerne la mise en place d’un CIAS (centre intercommunal d’action sociale) adossé à un projet social de territoire dans lequel les acteurs viennent à la fois de la sphère stratégique et de la sphère opérationnelle tout en prenant en compte des usagers bénéficiaires, le but étant d’avoir une plateforme visible et connue de tous sur le territoire.

La dynamique d’assemblage (combinant les trois registres évoqués) exercée par les cadres dirigeants pourrait, en réponse à nos observations, être nourrie par des initiatives propres à coconstruire et animer leurs organisations et les collectifs de travail en apprenant à organiser et soutenir la réalisation d’un travail qui a du sens, à développer la coopération, à mobiliser l’intelligence collective pour stimuler une discussion sur le travail et définir des modes collectifs de décision

Conclusion

L’objectif de notre travail était de contribuer à une meilleure connaissance et compréhension des caractéristiques et spécificités des innovations organisationnelles et managériales dans des structures, jusque-là peu étudiées, en les nourrissant des perceptions de leurs cadres dirigeants. Une confrontation entre nos conclusions et l’état de la littérature fait apparaitre une série de confirmations, mais aussi de points divergents (de nature ou de degré) comme retracés dans le tableau 11.

Tout ceci nous montre la complexité de ce décryptage (Tongsa & Arunda 2016) et l’importance de l’analyse des contextes propres à chaque trajectoire des démarches d’innovations organisationnelles et managériales considérées, confortant l’idée que « ces études aboutissent souvent à des résultats contradictoires et difficilement interprétables : la non-prise en compte du contexte de l’action ne permet pas de comprendre pleinement le phénomène à l’étude » (Touati et Denis, 2013, p.10).

En outre, l’analyse des EPCI étudiés montre tout d’abord que ces établissements n’ont pas, à proprement parler, « inventé » des organisations ou des pratiques managériales nouvelles, mais plutôt adapté leurs structures (ou enrichi celles-ci de nouvelles fonctions) en saisissant des opportunités contextuelles et transformé certaines modalités managériales dans une perspective adaptative. Il ressort de nos travaux que les choix organisationnels visent à favoriser des regroupements fonctionnels ou organiques sans pour autant imaginer de nouvelles configurations plus orientées inter organisations (entre EPCI et unités territorialisées du département ou de la région par exemple). De même, l’innovation managériale peine à inventer des modèles inédits d’action collective pour en rester à la combinaison d’idées anciennes dans un univers en mutation.

Toutes ces initiatives ont pour ambition de s’adapter au temps présent sans forcément utiliser les leviers des innovations organisationnelles et managériales pour transformer structures et postures. Il s’agit plus d’instiller un changement pour que rien ou peu change de telle façon que les EPCI gagnent en légitimité institutionnelle et politique, tout en poursuivant leurs missions dans le cadre législatif et règlementaire désormais en vigueur (Turc et Guenoun, 2009).

Enfin, notre recherche a permis de mettre en évidence une spécificité des innovations « à la française » : celles-ci sont pensées dans un cadre intégré (par l’adossement à des établissements publics spécialisés) alors qu’elles sont pensées dans une approche plus ouverte dans d’autres pays d’Europe (unions de communes en Italie, entreprises communales en Suède. En France, le terreau des innovations fondées sur des transversalités (telles que des alliances entre collectivités, universités et monde de l’entreprise) semble fragile, contrastant en cela avec des dynamiques repérées dans d’autres pays (association SKL en Suède, Agence Kennisland aux Pays-Bas).

Au-delà de ces apports scientifiques et managériaux, plusieurs limites méritent d’être pointées. La première porte sur la taille de notre échantillon, notre regard n’examinant qu’un panel limité de 6 cas approfondis; même si cette dimension est souvent privilégiée pour ce domaine d’étude, comme mentionné par Damanpour et Schneider (2009, p. 515). En second lieu, les résultats examinés sont fondés sur les opinons des DG des EPCI alimentées par leurs expériences directes des innovations organisationnelles et managériales, ceci pouvant conduire à des biais de focale qui mériterait d’être élargie aux « bénéficiaires-acteurs » des innovations comme le suggèrent Torugsa & Arundel (2016). La troisième limite concerne l’absence d’appréciations relatives aux effets organisationnels et managériaux (performance, agilité, climat social…) et individuels (amélioration et satisfaction des conditions de vie au travail, engagement et loyauté…) de ces innovations organisationnelles et managériales.

Dès lors, cette première approche nécessite des investigations plus poussées, sur un échantillon plus étendu et plus diversifié, interrogeant un plus large spectre de parties prenantes, pour étudier les différentes facettes des innovations organisationnelles et managériales qui ont pu être identifiées ici. D’ores et déjà, trois questions mériteraient d’être traitées : comment les « bénéficiaires » des innovations vivent elles celles-ci, quels sont les facteurs ayant le plus d’influence dans l’introduction et le déploiement de ces innovations, quels sont les effets directs et indirects de ces innovations (nature, forme, type, processus) sur la performance organisationnelle, humaine et managériale ?