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Contexte et problématique

Après plusieurs décennies de réformes dans le secteur public suisse, les rapports de travail et les motivations des agents publics ont beaucoup évolué (Emery 2019). En effet, l’introduction de principes, outils et valeurs inspirés du management privé a graduellement transformé la culture des organisations publiques, les rendant de plus en plus hybrides. « Hybridation », c’est en général le terme qui revient le plus souvent pour caractériser les administrations publiques dans leur version la plus moderne (Höpfl 2006, Emery and Giauque 2014), c’est-à-dire des administrations marquées par la cohabitation permanente de référentiels multiples - identitaires, axiologiques et managériaux s’inspirant à la fois d’une éthique publique et de principes de management privés. Par hypothèse, cette hybridation conduit à relativiser la publicitude (soit le caractère public) des organisations d’État. D’où la question posée dans cet article : peut-on identifier un lien entre le degré de publicitude de l’environnement de travail et le type d’ancres pour lesquelles l’employé public se mobilise et s’engage ?

Rappelons qu’historiquement l’engagement au travail a été principalement étudié sous l’angle organisationnel (organizational commitment - OC). L’organisation a dans ce cas été considérée comme la cible par excellence, si ce n’est unique, d’engagement au travail. En référence à une littérature plus récente, il est désormais largement admis que l’engagement au travail désigne la manière dont les employés se lient à leur travail par identification, attachement et loyauté envers des ancres diverses (Allen and Meyer 1990, Klein 2016). Si les travaux pionniers de Morrow (1983) et Reichers (1985) se sont essentiellement concentrés sur les ancres universelles d’engagement au travail, c’est-à-dire l’emploi, la profession, le superviseur, l’organisation et le groupe de travail (Morrow 1983, Reichers 1985), nous avons pu identifier dans une récente étude d’autres ancres dans le secteur public (Kouadio and Emery 2018). Formant avec les ancres universelles d’engagement au travail dix-huit ancres au total, elles constituent le point de départ de cette recherche.

L’idée même du foisonnement des ancres d’engagement en contexte de travail n’est pas tout à fait nouvelle, mais l’élargissement du concept à des dimensions plus ou moins abstraites de l’engagement au travail constitue la valeur ajoutée de notre contribution. Nous avons également montré que certaines ancres d’engagement présentaient une publicitude saillante (par exemple les ancres Service public, Politiques publiques ou Usagers-clients), alors que d’autres pas du tout, notamment l’ancre Dynamiques d’interactions sociales en entreprise, ou encore l’ancre Développement personnel et professionnel (Kouadio and Emery 2018). Dans cet article, les ancres particulièrement dominantes dans le secteur public seront confrontées, par le biais de différentes analyses statistiques, à des domaines d’action propres au secteur public. Ces domaines d’activité présentent eux-mêmes un degré variable de publicitude. De plus, malgré l’étiquette « publique » souvent accolée à certaines organisations et métiers, la perception qu’en ont les employés eux-mêmes diffère possiblement beaucoup, comme nous allons le voir.

S’ils sont à peine étudiés en tant que tels, les effets potentiels de la publicitude des environnements de travail sur l’engagement au travail apparaissent en filigrane de la littérature s’intéressant aux identités, aux valeurs, à l’éthos public et (non des moindres) à la motivation de service public (public service motivation) (Meyer and Hammerschmid 2006, Fortier and Emery 2010, Giauque, Ritz et al. 2012). En l’occurrence, et en référence au cadre théorique de la congruence Personne-environnement de travail (P-E-fit), une adéquation entre valeurs, identités et besoins individuels et organisationnels contribue à l’attractivité et la rétention les employés dans leurs environnements de travail (Nelson and Billsberry 2009). D’autre part, des travaux de plus en plus nombreux insistent sur l’importance grandissante des carrières nomades et l’émergence d’attentes nouvelles face au travail (Biétry, Creusier et al. 2014, Kostal and Wiernik 2017). Toutes ces tendances questionnent également la nature des relations de travail, laissant penser que l’organisation pourrait bien ne plus être de nos jours l’ancre dominante d’engagement dans le secteur public.

Cette étude adresse plusieurs insuffisances constatées dans la littérature en management public. Non seulement l’engagement des employés publics y est très peu étudié (hormis bien sûr par les travaux mobilisant l’engagement organisationnel), mais il apparaît également que les questionnements concernant la nature des ancres d’engagement au travail demeurent peu investigués. En marge de cela, les liens potentiels entre le caractère plus ou moins public du cadre de travail d’une part, et la nature des ancres d’engagement de l’autre, révèle une absence quasi totale de littérature, contrairement à la question de la Motivation au service public (PSM) par exemple.

C’est à ces interrogations que le présent article entend répondre. Basée sur des données récoltées auprès d’un large échantillon d’employés publics suisses (N = 1679), notre étude compare la relation entre l’environnement de travail et les ancres d’engagement au travail, à savoir ce qui mobilise l’investissement et la loyauté des employés publics. Ce quel que soit le type d’emploi ou d’organisation. Spécifiquement notre intérêt s’est porté sur les questions suivantes :

  1. Quelle est l’importance de la publicitude formelle (déterminée par des critères théoriques) par rapport à la publicitude perçue dans l’engagement au travail des employés publics ?

  2. Quelles ancres d’engagement apparaissent comme les plus saillantes selon l’approche (théorique ou perçue) utilisée pour mesurer la publicitude de l’environnement de travail ?

  3. Y a-t-il un lien entre la publicitude de l’environnement de travail et la publicitude des ancres d’engagement au travail chez les employés publics suisses ?

Dans un secteur public suisse connu pour son hybridation culturelle et la modernité de ses pratiques de GRH (Emery 2019), les liens entre le caractère public des environnements de travail et la nature de l’engagement au travail n’ont quasiment pas encore été étudiés. Or cela permettrait non seulement de mieux comprendre les effets potentiels de certains changements organisationnels sur les attitudes et comportements au travail des employés publics, mais également d’affiner les pratiques de GRH destinées à cette catégorie d’employés, faisant souvent l’objet de stéréotypes négatifs.

Dans la partie théorique de cet article, nous abordons premièrement la définition de l’engagement multiancres au travail, puis ses liens avec la congruence Personne-environnement de travail (P-E Fit) tels qu’escomptés à travers les concepts de publicitude théorique et de publicitude perçue. Nous exposons ensuite notre méthode de recherche essentiellement basée sur une analyse de variance (ANOVA), ainsi que les résultats de nos analyses. La discussion qui suit permet enfin de mettre en perspective, à la fois pour la recherche et les praticiens, les réponses apportées à nos questions de recherche, ainsi que les principales implications qui en découlent.

L’engagement au travail : des ancrages multiples dans le secteur public

Depuis les années 1980, l’engagement organisationnel s’est imposé comme un concept important dans divers domaines de recherche tels que le management, la psychologie et la sociologie des professions. En dépit de multiples débats scientifiques ne convergeant pas vers une définition précise, l’essence même du lien d’engagement se retrouve dans le fait d’opérer un choix discrétionnaire, la volonté de se lier, et des efforts visant à maintenir ce lien (Klein, Molloy et al. 2012, Meyer and Morin 2016). Depuis le début des années 1990, le modèle tridimensionnel de Meyer et Allen s’est imposé. Il comporte trois facettes, ou encore différents états d’esprit : une dimension affective fondée sur le désir individuel de s’engager, une dimension normative nourrie par la norme de réciprocité inhérente à tout échange social, et une dimension calculée évaluée par le coût d’opportunité de quitter son organisation ou son employeur (Allen and Meyer 1990). En marge de ses bases motivationnelles (désir, obligation, coût), les chercheurs classent généralement les antécédents de l’engagement organisationnel en trois catégories : les facteurs individuels (par ex. traits individuels, valeurs, identités, motivations), les caractéristiques de l’emploi (par ex. degré d’autonomie, rapports avec les collègues, clarté du rôle et des tâches à réaliser, feedback), et les facteurs organisationnels (par ex. pratiques de gestion des ressources humaines, style de leadership, contrat psychologique)[1].

Si les premiers travaux sur l’engagement au travail se sont essentiellement cristallisés autour de l’organisation en tant qu’ancrage par excellence, le concept s’est ensuite progressivement ouvert à d’autres cibles d’engagement. Quatre d’entre elles en particulier, à l’instar de l’organisation, sont considérées comme universelles (Morrow 1983) : le superviseur, l’emploi, la profession et le groupe de travail. Parce que les organisations changent, et que bien souvent le travail ne se déroule pas exclusivement à l’intérieur des frontières organisationnelles, on peut imaginer diverses manières de rester attaché à son emploi. L’idée même qu’il existerait encore d’autres ancres d’engagement (en dehors des ancres universelles d’engagement au travail) invite à en explorer la diversité, ou encore à s’interroger sur celles qui seraient plus spécifiquement publiques.

La recherche portant sur les cibles ou « ancres »[2] d’engagement au travail a elle-même beaucoup évolué ces dernières années. C’est à partir des travaux fondateurs de Gouldner (1957) sur les profils « cosmopolitains » et « locaux » d’engagement que les chercheurs commencèrent véritablement à s’intéresser à la multiplicité des ancrages de l’engagement au travail (Gouldner 1957, Reichers 1985). Une décennie plus tard, Becker et al. (1992) démontraient tout l’intérêt de distinguer les bases et les ancres d’engagement. Il a cependant fallu encore une décennie pour constater un regain d’intérêt pour les ancres d’engagement au travail. Cette littérature restera toutefois cantonnée à l’étude d’ancres gravitant autour de l’organisation, dont la plupart sont d’ailleurs plutôt « concrètes » ou « tangibles ». Le Superviseur, l’Emploi, la Profession (ou la Vocation professionnelle), l’Équipe de travail, et le Syndicat ont ainsi été individuellement ou collectivement mobilisés, ces dernières années, dans la majorité des études portant sur l’engagement au travail (Redman and Snape 2005, Morin, Morizot et al. 2010, Becker, Kernan et al. 2015).

Les tout derniers développements de ce courant de recherche figurent dans un ouvrage collectif dans lequel Klein, Becker et Meyer (2012) consacrent plusieurs chapitres aux ancres d’engagement au travail. Trois importantes catégories sont ainsi développées : les ancres organisationnelles (macro-ancres[3] ou ancres sociales), les ancres interpersonnelles et les ancres d’action (Klein, Becker et al. 2012) :

  • Les ancres organisationnelles regroupent l’employeur (organisation), la profession ou l’emploi occupé, la carrière et le syndicat. Elles peuvent éventuellement porter sur des sous-unités organisationnelles, voire des organisations clientes (Vandenberghe 2012).

  • Les ancres interpersonnelles désignent les pairs avec lesquels l’on tisse des liens au travail : en l’occurrence le supérieur hiérarchique immédiat, les collègues de travail, membres ou non d’une équipe à laquelle l’individu peut également se sentir lié, parfois les clients de l’organisation, voire le Top management (Becker 2012).

  • Enfin les ancres d’action portent généralement sur les buts organisationnels, le changement, des normes ou des valeurs (Neubert and Wu 2012).

D’autres typologies existent pour classer les ancres d’engagement au travail. Si Fornes et Rocco (2013) mobilisent les axes « organisationnel » et « individuel », nombreux sont les auteurs à distinguer les ancres « tangibles » (organisation, superviseur, collègues) et les ancres « intangibles » (buts, valeurs, normes) d’engagement au travail; ou encore les ancres « concrètes » des ancres « abstraites ». L’organisation se définit dès lors à différents niveaux d’abstraction : par exemple l’équipe de travail, l’unité de service, ou encore la marque organisationnelle (Backhaus and Tikoo 2004, Emery and Kouadio 2017). Le Tableau 1 ci-dessous synthétise les niveaux individuel/organisationnel, et tangible/intangible de l’engagement au travail (Neubert and Wu 2012).

Tableau 1

Exemple de quatre catégories d'engagement d'action[*]

Exemple de quatre catégories d'engagement d'action*
*

Traduction des auteurs

Source : Neubert et Wu 2012

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Bien qu’intéressantes, ces typologies ne sont pourtant pas spécifiquement publiques. Or, compte tenu des particularités et des évolutions récentes du management public, on peut légitimement se poser la question de savoir si les ancres classiques suffisent pour caractériser l’engagement au travail des employés publics. D’autre part, un nombre potentiellement important d’ancres d’engagement au travail, notamment les ancres d’action, ne sont actuellement qu’insuffisamment traitées dans la littérature. Or les formes d’engagement envers les buts et missions organisationnels, les valeurs et les normes recèlent un fort potentiel permettant de conceptualiser la spécificité publique de l’engagement au travail.

D’ailleurs les résultats de travaux récents consacrés à cette thématique confirment que l’organisation ne cristallise pas à elle seule l’essentiel de l’engagement au travail chez les employés publics (Klein 2016, Van Rossenberg, Klein et al. 2018). Dans le même temps, la faiblesse des niveaux d’engagement organisationnel généralement observés dans le secteur public pousse à s’interroger sur l’importance relative d’autres ancres d’engagement au travail (Liou 1995, Moon 2000, Goulet and Frank 2002).

D’autre part, on ignore aujourd’hui quelles ancres d’engagement au travail sont les plus pertinentes en fonction du domaine d’action, notamment de politique publique, considéré. De plus, en l’état, peu d’études se sont aventurées au-delà des cinq ancres universelles susmentionnées. C’est pourquoi nous souhaitons dans cette étude mesurer le lien entre la publicitude de l’environnement de travail et le type d’ancre mobilisant l’engagement des employés publics suisses. Pour ce faire, deux perspectives importantes sont mobilisées : d’abord la publicitude théorique, ensuite la publicitude perçue (Rainey 2011).

P-E fit, Publicitude organisationnelle et engagement au travail

Culture organisationnelle et publicitude

Le statut public ou privé des organisations (leur publicitude) est essentiel, car il fonde les buts et principes sur lesquels reposent leurs différentes activités. La publicitude organisationnelle représente également un trait culturel important qui a longtemps nourri les tentatives de réforme managériale dans le secteur public. En effet, plus les organisations publiques et privées se ressemblent, plus les techniques issues du secteur privé y ont leur place. Dans le cas contraire, des pratiques spécifiques restent à définir (Simon 1948, Allison 1987). Ainsi la culture, les valeurs et l’éthos étant réputés particuliers dans le secteur public, ils devraient également se refléter dans les pratiques organisationnelles, et in fine les attitudes et comportements individuels.

Pendant longtemps la publicitude organisationnelle, objet de débats animés, s’est construite autour de quatre approches principales (Antonsen and Jørgensen 1997, Rainey and Bozeman 2000) : premièrement, l’approche fondamentale marque une nette différence entre les mondes public et privé. L’argument avancé est celui des droits de propriété économique, ou l’autorité politique influençant la production des biens et services publics. Deuxièmement, l’approche générique suppose que les organisations publiques et privées sont impliquées pareillement dans des tâches opérationnelles et de gestion, ne différant que sur des éléments mineurs. Quant à l’approche normative, elle considère que la création de valeurs pour les citoyens constitue le noeud de la différence public-privé. Enfin, l’approche dimensionnelle étend le concept de publicitude à différentes réalités organisationnelles. Ainsi donc les organisations sont plus ou moins publiques selon les critères suivants : droits de propriété, autorité politique ou économique, valeurs, finalités publiques, etc. (Bozeman and Moulton 2011). Un courant plus récent du management enrichit ces débats, soulignant toute l’importance de considérer aussi l’hybridité culturelle dès lors qu’on parle des environnements de travail publics postbureaucratiques (Giauque 2013, Emery and Giauque 2014).

En Suisse, le modèle dit des quatre cercles (du coeur de l’administration à sa périphérie) a longtemps servi à tracer les limites du secteur public : le premier cercle comprend l’administration centrale qui coordonne et pilote des politiques publiques. Ce cercle abrite également les secrétariats généraux des principaux offices fédéraux (ministères de Justice et police, économie et finances, éducation, social, etc.); le deuxième cercle regroupe les offices spécialisés (par ex. Météo Suisse), dont certains sont gérés par un système de mandats et d’enveloppes budgétaires (en fait un instrument de pilotage par délégation de gestion); le troisième cercle comprend des instituts ou agences appartenant à la Confédération avec ou sans personnalité juridique (par ex. les hautes écoles); enfin, le quatrième cercle comprend les entreprises publiques de droit privé ou bénéficiant d’un régime spécial : par ex. les anciennes régies d’État comme les Chemins de fer fédéraux, la Poste ou la compagnie nationale de télécommunication Swisscom (Varone 2006, Ladner 2013). Malgré l’apparente étanchéité entre ces différents cercles, le secteur public suisse abrite des situations bien diverses comme en atteste la variété des statuts juridiques en dehors de l’administration publique stricto sensu[4]. Justement, Park et Perry (2013) reconnaissent qu’il est plus avisé de subdiviser le secteur public en activités lucratives, non lucratives, et gouvernementales. Le Tableau 2 ci-dessous illustre une telle typologie (théorique) que nous avons adaptée pour notre étude du secteur public suisse.

La publicitude des environnements de travail dans lesquels évoluent les employés publics représente un contexte déterminant pour leur identification, leur attachement et leur investissement au travail (Meyer and Morin 2016). Ce d’autant plus que l’influence de la culture organisationnelle et du domaine d’activité sur l’engagement au travail, en particulier ses formes affective et normative, est depuis longtemps reconnue (Odom, Boxx et al. 1990, Koci 2007, Schedler and Proeller 2007). D’ailleurs, la définition même de l’engagement organisationnel suppose que l’individu soit d’autant plus engagé qu’il s’identifie à l’organisation et en partage les buts et les valeurs (Meyer and Herscovitch 2001). Cet alignement personne-environnement de travail reste donc un levier important d’engagement au travail (Cable and Graham 2000, Vogel and Feldman 2009). Toutefois, nous ne connaissons aucune autre étude en dehors de la présente qui considère cet alignement sous l’angle de la publicitude de l’environnement de travail. A fortiori une étude qui s’intéressantnt, comme c’est le cas ici, à la relation entre cette publicitude et différentes ancres d’engagement au travail dans le contexte post-bureaucratique actuel.

Tableau 2

Domaines d'activités du secteur public

Domaines d'activités du secteur public

Note : SIG : Services industriels de Genève; CFF : Chemins de fer fédéraux; HUG : Hôpitaux universitaires de Genève; TP : transports.

Source : Inspiré de Park & Perry (2013)

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Par conséquent nous formulons les hypothèses suivantes comme base de réflezion :

H1 : Les ancres d’engagement au travail des employés actifs dans les domaines d’action proches du coeur de cible de l’administration publique se distinguent par leur publicitude.

H2 : Les ancres d’engagement au travail des employés des domaines d’action périphériques de l’administration publique se distinguent par leur caractère générique (c’est-à-dire qu’elle ne portent aucune spécifité publique).

En marge de la publicitude formelle des organisations ou domaines d’action étatique, c’est la publicitude perçue par les employés, de leur environnement de travail, qui est particulièrement intéressante pour évaluer l’engagement au travail. Cette publicitude peut être convergente ou dissonante en comparant la nature (publique ou hybride) du domaine d’activité et la nature (publique ou générique) des fonctions occupées.

La Publicitude perçue : une autre approche du Fit Personne-environnement

De nombreuses études démontrent comment les transformations opérées durant ces trente dernières années de réforme affectent également les attitudes et comportements des employés publics. Comme évoqué supra, ces conséquences ont longtemps été abordées sous l’angle de la publicitude organisationnelle. Une publicitude évaluée à partir de critères théoriques formels ne tenant pas toujours compte du décalage possiblement vécu par les employés publics eux-mêmes (Jeannot 2006, Guillemot and Jeannot 2013). Or c’est la congruence perçue qui attire et maintient les individus dans certains environnements de travail (Schneider, Brent et al. 2000). Une proposition déjà formulée par Korman (1976) dans son analyse des choix professionnels sous l’angle de la théorie de la consistance (Korman 1976); laquelle soutenait l’idée que la manière dont les individus se perçoivent influence leurs choix professionnels. Par extension à notre objet d’étude, la manière dont les employés publics perçoivent la publicitude de leurs rôles (ou fonctions) et celle de leur cadre de travail serait liée aux ancres envers lesquelles ils s’engagent. Dans cette logique, la congruence Personne-environnement de travail s’exprime également à travers les valeurs, besoins, l’identification organisationnelle, à côté de l’environnement de travail. Dans la plupart des travaux scientifiques consacrés aux réformes du secteur public, ces dimensions sont invariablement questionnées. Ainsi, concernant les identités et les valeurs, nombreuses ont été les études consacrées aux dilemmes éthiques vécus par les employés publics face aux injonctions entrepreneuriales émanant de ce qu’on a appelé le Nouveau management public (Fortier and Emery 2010, Chanut, Chomienne et al. 2015). Des réformes assimilables à un « projet identitaire » visant justement à transformer l’éthos des employés publics en un éthos entrepreneurial (Meyer and Hammerschmid 2006). Dans le même sens, des analyses plus récentes mobilisant le concept de Motivation de service public (PSM) révèlent, malgré des niveaux élevés de PSM constatés chez certains employés publics, la rémanence d’une forme de satisfaction résignée. Ceci dès lors que les aspirations individuelles au service public se trouvent contrariées dans un contexte ou les administrations publiques sont en pleine transformation (Giauque, Ritz et al. 2012).

En se basant sur ces études, on peut raisonnablement émettre l’idée que les différentes ancres d’engagement au travail seront plus ou moins saillantes selon la nature de la dissonance considérée. À cet effet, nous formulons les hypothèses suivantes :

H3 : les ancres d’engagement au travail les plus publiques seront plus saillantes (avec des moyennes plus élevées) chez les employés percevant une forte publicitude de leur environnement de travail ou domaine d’activité.

H4 : a contrario, les ancres d’engagement au travail non spécifiquement publiques seront plus saillantes (avec des moyennes plus élevées) chez les employés percevant une dissonance entre leur emploi (public ou générique) et leur environnement de travail - ou domaine d’activité (public ou managérialisé/hybride)[5].

Méthodologie

Données et mesures utilisées

Mobilisant une démarche positiviste, cette étude repose sur des données récoltées auprès de 1679 employés publics suisses à différents échelons institutionnels. Notre questionnaire ad hoc mesure différentes ancres d’engagement au travail en convoquant systématiquement une série de trois questions évaluant l’importance, l’identification et la loyauté des répondants par rapport à diverses ancres potentielles d’engagement au travail. Les items s’inspirent à la fois d’échelles validées de mesure de l’engagement organisationnel, et des recommandations les plus récentes en matière de développement d’échelles permettant de mesurer plusieurs ancres d’engagement en même temps (Klein, Molloy et al. 2012)[6] (voir Annexe C). L’indice de consistance interne affiche un Alpha de Cronbach au-dessus du seuil communément accepté (α=.89). Nous avons mesuré dans cette étude l’engagement envers 18 ancres parmi lesquelles certaines, à l’image des ancres Services publics, Usagers-clients, Impact social et sociétal (de l’emploi exercé), présentent un intérêt particulier pour les valeurs, missions et l’action publiques. (Kouadio and Emery 2018). Ces ancres d’engagement au travail ont ensuite été classées par niveau de publicitude théorique dans le Tableau 3 ci-dessous[7].

Grâce à une analyse factorielle exploratoire (SPSS®) de nos données empiriques pour ne retenir que les dimensions essentielles de l’engagement au travail (soit les ancres les plus pertinentes en regard des données empiriques), trois facteurs ont été extraits[8]. Ces facteurs représentent ici les principales dimensions de l’engagement au travail dans le secteur public. Dimensions autour desquelles se regroupent au final 13 ancres sur un total de 18 (voir Tableau 4 ci-dessous) :

  • Premièrement un « Ancrage de service », composé des ancres Service public (SPUBL); Politiques publiques (PPUBL); Buts publics (BPUBL); Valeurs publiques (VALUES); Impact social de l’activité exercée (ISSOC); Usagers des services publics (USCL) et Sens de l’emploi (IDC).

  • Deuxièmement un « Ancrage social » composé par les ancres Superviseur (LEAD); Équipe de travail (TEAM); Dynamiques d’interactions sociales (DISOC) et Workdesign (WDSGN).

  • Troisièmement un « Ancrage de développement » composé des ancres Profession (PROF) et Emploi (JOB).

Tableau 3

Publicitude des ancres d'engagement au travail[9]

Publicitude des ancres d'engagement au travail9

Notes : +++ (Forte publicitude saillante); - ++ (moyenne publicitude saillante); --+ ou --- (faible publicitude saillante.

En gras, les ancres dites universelles d’engagement au travail

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Tableau 4

Ancres d'engagement retenues pour l'analyse

Ancres d'engagement retenues pour l'analyse

Note : En gras, les ancres dites universelles d’engagement au travail (Morrow, 1983; Cohen, 2003)

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Ces treize ancres sont celles que nous retiendrons pour les analyses ANOVA à suivre.

En marge de la publicitude théorique[10] (cf. Tableau 3), une seconde variable indépendante est formée à partir de la publicitude perçue par nos répondants. Cette variable repose sur deux sous-catégories conceptuelles évaluées par une échelle de Likert à cinq modalités : d’abord la publicitude du domaine de politique publique où travaille le répondant; ensuite la publicitude de son emploi. En effet, la publicitude effectivement perçue par les employés permettrait de mieux apprécier les liens éventuels entre l’environnement de travail et l’engagement au travail. Cette échelle de publicitude perçue présente une consistance interne de α=.76.

L’analyse par cluster des deux sous-échelles donne quatre configurations : un alignement total perçu Organisation[11] publique et Emploi public (N=849); un alignement total perçu Organisation hybride et Emploi hybride (N=205); une dissonance perçue Organisation publique et Emploi générique (N=302); et une dissonance perçue Organisation hybride et Emploi public (N=620). Le premier cas (alignement Organisation publique et Emploi public) concerne les employés percevant leur fonction comme spécifiquement publique au sein d’une organisation (ou dans un environnement de travail) qu’ils considèrent également comme publique. Le second cas, l’inverse : c’est-à-dire des employés occupant une fonction générique (par ex. ressources humaines, comptabilité, informatique) dans une organisation fortement managérialisée ou « privatisée ». En troisième lieu les fonctions génériques imbriquées dans des organisations publiques. Enfin les fonctions notoirement considérées comme publiques au sein d’organisations (ou environnements de travail) managérialisées[12].

Le Tableau 5 ci-dessous donne un aperçu des statistiques démographiques des personnes sondées : des répondants de tous niveaux hiérarchiques, actifs dans divers domaines de politique publique en Suisse. Sans être forcément représentatif de l’ensemble du secteur public, cet échantillon reste néanmoins suffisamment large et diversifié pour permettre des analyses statistiques fiables.

Tableau 5

Statistiques démographiques

Statistiques démographiques

Notes : *Moyenne des données manquantes pour chaque variable : 10 %; NIV. : niveau; CAT. : catégorie; GE : Genève; VD : Vaud; NE : Neuchâtel; FR : Fribourg; JU : Jura; BE : Berne; ZH : Zürich; LU : Luzerne; VS : Valais; Fréq. : fréquence; Pct. : pourcentage.

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Analyse des données

Nous avons réalisé une analyse de variance (ANOVA) à un facteur en deux étapes : d’abord les domaines de politique publique (publicitude théorique) ont été confrontés aux ancres d’engagement au travail retenues suite à notre analyse exploratoire. Ensuite une nouvelle ANOVA[13] a été conduite pour les quatre configurations de publicitude perçue. Non seulement ces procédures permettent de savoir si les moyennes des ancres d’engagement au travail (variables dépendantes) sont significativement différentes entre les différents sous-groupes du facteur considéré, mais elles servent également à déceler à quel point l’appartenance à un groupe donné explique cette différence. Il est ainsi possible de montrer laquelle des deux formes de publicitude suscite le plus de variance parmi les ancres d’engagement au travail considérées.

Vérification des prérequis pour un test ANOVA

Plusieurs conditions président à la fiabilité de tout test ANOVA : les groupes étudiés suivent une distribution normale; les variances intergroupes sont toutes égales (condition d’homoscédasticité); enfin, les échantillons sont prélevés aléatoirement et sont indépendants les uns des autres. L’ANOVA est considérée comme robuste à la normalité : c’est-à-dire qu’elle reste fiable même lorsque la condition de normalité n’est pas respectée. Nous ne vérifierons donc pas cette condition (Gravetter and Wallnau 2016). Toutefois, de l’égalité des variances, mesurée par le test de Levene, dépend le type de test post-hoc à mobiliser ensuite[14] (en fait une série de tests supplémentaires visant à confirmer et préciser les analyses ANOVA) : le test de Bonferroni (Hair, Black et al. 2006) est utilisé en cas de variance homogène. Autrement, l’on recourt au test de Games-Howell; le tout pour un seuil de significativité fixé à p <.05 dans la présente étude.[15]

Résultats

Dans les lignes qui suivent, nous comparons les moyennes calculées pour chaque ancre d’engagement au travail selon la forme de publicitude (théorique ou perçue), en ne retenant que les résultats les plus significatifs.

Résultats de l’ANOVA pour la publicitude théorique

Notre variable de publicitude théorique de l’environnement de travail permet d’identifier des moyennes significativement différentes sur six parmi les treize ancres examinées (Tableau 6 en Annexe E). La mieux expliquée (cf. le coefficient F) parmi ces dernières étant l’ancre Dynamiques d’interaction sociale (F (2,1575) = 13.49, p <.05). D’autre part, les ancres publiques les plus saillantes sont Politiques publiques (F (2,1577) = 7.69, p <.05), Usagers-clients (F (2,1575) = 6.33, p <.05) et Sens de l’emploi (F (2,1578) = 3.02, p <.05). Les ancres non spécifiquement publiques sont quant à elles : Superviseur (F (2,1575) = 5.82, p <.05) et Équipe de travail (F (2,1576) = 3.57, p <.05).

D’autre part, les résultats des tests post-hoc suggèrent qu’au final quatre ancres d’engagement au travail départagent les différents sous-groupes (voir Tableau 8 ci-dessous), permettant alors de dresser trois constats préliminaires : premièrement, les moyennes calculées pour les employés des services publics lucratifs (SPL) restent systématiquement inférieures à celles des autres groupes. Deuxièmement, les moyennes des employés des services non lucratifs (SPNL) sont supérieures à celles des employés des administrations publiques pour la plupart des ancres examinées (3/4). Dans un seul cas, en l’occurrence sur l’ancre Politiques publiques, on peut observer que la moyenne obtenue chez les employés des administrations publiques (AP) est plus élevée que celle des employés des services non lucratifs. Ces constats, qui figurent dans le Tableau 8 ci-dessous, sont ensuite détaillés dans le Tableau 9 (tests Post-hoc).

Tableau 8

Test ANOVA entre Administrations publiques, Services lucratifs et services non lucratifs

Test ANOVA entre Administrations publiques, Services lucratifs et services non lucratifs

Note : teste l’hypothèse nulle selon laquelle la moyenne des variables est similaire entre les différents groupes. Tous les résultats sont significatifs au seuil de p < 0.05. (*) différences les plus significatives. SPUBL : service public; PPUBL : politiques publiques; USCL : usagers clients; IDC : sens de l’emploi; LEAD : Superviseur; TEAM : équipe de travail.

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Tableau 9

Tests post-hoc pour la publicitude théorique

Tests post-hoc pour la publicitude théorique

Notes : teste l’hypothèse nulle selon laquelle la moyenne des variables est similaire entre les différents groupes, Tous les résultats sont significatifs au seuil de p < 0,05, (*) différences les plus significatives, WDSGN : workdesign; DISOC : dynamiques d’interaction sociale; SPUBL : service public; BPUBL : buts publics; ISSOC : impact social et sociétal; PPUBL : politiques publiques; USCL : usagers clients; IDC : sens de l’emploi; VALUES : valeurs; PROF : profession; JOB : emploi; LEAD : Superviseur; TEAM : équipe de travail.

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Pour terminer, le Tableau 10 ci-dessous propose une synthèse des résultats de l’ANOVA mobilisant la publicitude théorique :

Tableau 10

Récapitulatif des tests post-hoc (Publicitude théorique)

Récapitulatif des tests post-hoc (Publicitude théorique)

Note : p < 0.05 pour tous les tests; AP : administration publique; SPL : services publics lucratifs; SPNL : services publics non lucratifs; DISOC : dynamiques d’interaction sociale; USCL : usagers clients; LEAD : Superviseur; PPUBL : politiques publiques.

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Résultats de l’ANOVA pour la publicitude perçue

La seconde phase de tests ANOVA, qui compare les niveaux d’engagement au travail selon la publicitude perçue, donne les résultats du Tableau 11 ci-dessous. On constate que l’ensemble des variables dépendantes (soit les treize ancres d’engagement au travail retenues) affichent des moyennes significativement différentes. Toutefois, trois ancres d’engagement se démarquent des autres avec des coefficients F plus élevés : Valeurs (F (3,1969) = 76.58, p <.05), Buts publics (F (3,1970) = 61.35, p <.05) et Service public (F (3,1970) = 54.74, p <.05).

Tableau 11

Tests ANOVA pour la publicitude perçue

Tests ANOVA pour la publicitude perçue

Note : teste l’hypothèse nulle selon laquelle la moyenne des variables est similaire entre les différents groupes. Tous les résultats sont significatifs au seuil de p < 0.05. DISOC : dynamiques d’interaction sociale; PPUBL : politiques publiques; USCL : usagers clients; LEAD : Superviseur.

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On remarque aussi que les différences de moyennes les plus importantes concernent les ancres à forte publicitude saillante : c’est-à-dire Service public (SPUBL), Buts publics (BPUBL), Impact social et sociétaldel’activité (ISSOC), Usagers clients (USCL) et Valeurs (VALUES).

Grâce aux tests post-hoc (voir Annexe D), nous pouvons déterminer les groupes entre lesquels ces différences sont particulièrement marquées. On remarquera à ce stade une certaine constance dans nos résultats, car en règle générale les moyennes sont plus faibles pour les employés des environnements hybrides (EH). De même, le groupe Organisation hybride vs Emploi public (OHEP) présente des moyennes systématiquement plus faibles comparativement aux groupes Organisation publique vs Emploi hybride (OPEH) et Environnements publics (EP). Finalement, les moyennes observées chez les employés des environnements les plus publics diffèrent significativement (et positivement) de celles des employés du groupe Organisation publique vs Emploi hybride (OPEH). Ceci dans presque tous les cas où ces ancres d’engagement sont spécifiquement publiques (voir astérisques dans le Tableau 12). Lorsque c’est le contraire (OPEH > EP, p > 0.05), il s’agit presque toujours d’ancres non spécifiquement publiques telles que : Workdesign (WDSGN), Superviseur (LEAD) et Dynamiques d’interaction sociale (DISOC).

Tableau 12

Récapitulatif des tests post-hoc (Publicitude perçue)

Récapitulatif des tests post-hoc (Publicitude perçue)

Note : p < 0.05 pour tous les tests; DISOC : dynamiques d’interaction sociale; USCL : usagers clients; LEAD : Superviseur; PPUBL : politiques publiques.

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L’ensemble de nos résultats, ci-après discutés, mettent en exergue le fait que la publicitude perçue est un meilleur indicateur de variance pour l’ensemble des ancres d’engagement au travail analysées.

Discussion

Contribution théorique

Notre objectif pour cette recherche était d’identifier quelles ancres d’engagement sont particulièrement saillantes selon l’approche considérée pour évaluer la publicitude de l’environnement de travail. Dans un premier temps, nous avons évalué l’engagement au travail en mobilisant une publicitude définie selon des critères purement théoriques. Ensuite les analyses ont été refaites, cette fois avec une publicitude évaluée par les répondants eux-mêmes (variable constituée par agrégation de la publicitude de l’emploi et de la publicitude organisationnelle).

Nos résultats valident partiellement la première hypothèse de cette étude (H1), à savoir que les ancres d’engagement au travail des employés présentent une publicitude plus saillante à mesure qu’on évolue vers le coeur de cible de l’action publique. En effet, les analyses permettent de constater que les ancres d’engagement à forte publicitude (soit les ancres Politiques publiques, Usagers-clients et Sens de l’emploi) présentent des moyennes plus élevées comparativement aux ancres de moyenne ou faible publicitude (par exemple l’engagement envers le Superviseur ou encore l’Équipe de travail). Bien que ces ancres d’engagement à forte publicitude présentent des moyennes généralement plus élevées, la gradation coeur vs périphérie de l’action publique ne se vérifie que pour l’ancre Politiques publiques (AP > SPNL > SPL). Par contre cette relation est partiellement vérifiée pour les ancres Dynamiques d’interactions sociales, Usagers-clients, et Superviseur : les analyses post-hoc font en effet apparaître des moyennes bien plus élevées dans les services publics non lucratifs comparativement aux deux autres catégories (SPNL > AP > SPL). Sur cette base, on pourrait éventuellement regrouper les catégories Administration publique et Services publicsnon lucratifs pour en constituer une nouvelle dénommée « Environnement public ». Cependant, d’après nos analyses, les employés des administrations au coeur de l’action publique rapportent aussi être particulièrement engagés envers les Dynamiques d’interactions sociales (F (2,1575) = 13.49, p <.05) : une ancre n’apparaissant pas parmi celles considérées comme spécifiquement publiques dans notre classement. Ce résultat fait écho aux nombreux travaux convergeant pour dire qu’un climat organisationnel positif (éventuellement, manifeste dans les dynamiques sociales au travail) constitue une des clés de l’engagement au travail (Angle and Perry 1986, Gould-Williams 2007, Berberoglu 2018, Mitonga-Monga 2018). Spécifiquement, la présente étude révèle une sous-catégorie du climat social au travail : les dynamiques positives d’interaction entre individus d’un même groupe de travail, d’un même service ou d’une même organisation.

Il est en outre intéressant de constater que les employés des administrations publiques semblent particulièrement engagés envers les Politiques publiques. Un résultat allant dans le sens des travaux les plus récents sur la Motivation de service public (Vandenabeele and Hondeghem 2005, Anderfuhren-Biget 2011, Pupion, Pyun et al. 2017). Également, les employés des services publics non lucratifs (éducation, santé, emploi, social) diffèrent de ceux des secteurs lucratifs (par ex. Chemins de fer fédéraux ou La Poste) sur l’ancre Usagers des services publics. Résultat à peine surprenant quand on sait l’ampleur des interactions entre usagers et employés publics dans la plupart des services publics non lucratifs. En particulier, ce secteur est le plus susceptible d’abriter des Bureaucrates de rue, une catégorie d’employés publics au contact direct des usagers et bénéficiant d’une relative autonomie décisionnelle (Lipsky 2010). Les échanges employé-usagers dans ces cas-là donne parfois tout leur sens aux métiers exercés. On peut donc s’attendre à rencontrer chez ces bureaucrates de rue un niveau d’engagement plus élevé envers les bénéficiaires des ercies publics. L’engagement envers ces bénéficiaires représente une forme d’engagement susceptible de s’inscrire sur le long terme. C’est par exemple le cas d’un employé d’un Office de l’emploi ayant la responsabilité d’un portefeuille de personnes en situation de chômage (Kouadio and Emery 2018).

Au final, et comme le montrent nos résultats post-hoc, les ancres envers lesquelles s’engagent le plus les employés des services publics non lucratifs sont les suivantes : Dynamiques d’interaction sociale, Superviseur, mais surtout Usagers des services publics (DISOC, LEAD et USCL).

Force est de constater que les ancres d’engagement à faible publicitude ne sont pas particulièrement saillantes à la périphérie du secteur public. Si tel était le cas, les différences de moyenne entre les domaines Administration publique (AP) et Services publics lucratifs (SPL) resteraient négatives. L’hypothèse H2 (les ancres d’engagement au travail des employés des domaines d’action périphériques de l’administration publique se distinguent par leur caractère générique) ne peut donc être validée. En effet, les différences de moyenne entre coeur et périphérie de l’administration publique sur ces ancres restent positives, c’est-à-dire en faveur des organisations situées au coeur de l’action étatique (voir Tableau 13 ci-dessous).

Tableau 13

Différences de moyennes Coeur vs Périphérie de l'Administration publique[16]

Différences de moyennes Coeur vs Périphérie de l'Administration publique16

Note : DISOC : dynamiques d’interaction sociale; LEAD : Superviseur; TEAM : équipe de travail.

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Les deux hypothèses suivantes de notre étude mobilisent la publicitude effectivement perçue par les employés et permettent de confirmer l’hypothèse H3. En clair, les ancres d’engagement au travail à forte publicitude seront plus saillantes (avec des moyennes plus élevées) chez les employés percevant un alignement entre leur emploi public et leur domaine d’activité public. On remarquera à cet effet que les moyennes des ancres publiques d’engagement sont de loin supérieures lors des comparaisons intergroupes : en particulier lorsque l’employé occupe un emploi public dans une organisation publique (EP > OHEP > EH, p <.05; EP > OPEH > OHEP > EH, p <.05). Dès lors, il apparaît clairement que non seulement nos quatre configurations de publicitude expliquent les différences de moyennes constatées, mais également que cette variance est particulièrement marquée pour ce qui concerne les ancres d’engagement à forte publicitude. En effet, les ratios F sont particulièrement élevés s’agissant des ancres Valeurs publiques (F (3,1969) = 76.58, p <.05); Buts publics (F (3,1970) = 61.35, p <.05); Services publics (F (3,1970) = 54.74, p <.05); Usagers des services publics (F (3,1968) = 37.83, p <.05) et Impact social et sociétal de l’activité (F (3,1968) = 32.75, p <.05) – (voir Tableau 13). Ce qui suggère que l’employé est d’autant plus engagé envers une ancre à forte publicitude qu’il perçoit un alignement (public) entre son emploi et son environnement de travail. Par extension, cet alignement perçu (FIT) par rapport à la publicitude de l’environnement de travail pourrait être mobilisé comme une nouvelle caractéristique de la culture organisationnelle dans le secteur public. Une caractéristique culturelle constituée par la consistance ou la cohérence entre l’emploi exercé et le fonctionnement organisationnel. Ce dernier constat rejoint celui fait par les pionniers qui ont analysé la culture dans son pouvoir de mobilisation du personnel dans une entreprise (Deal and Kennedy 1982, Schein 1990).

Cependant, en comparant les moyennes obtenues dans les quatre configurations de publicitude de l’environnement de travail[17], il se trouve que l’hypothèse H4 ne saurait être validée. Pour rappel, cette hypothèse stipulait que : les ancres d’engagement au travail non spécifiquement publiques seront plus saillantes (moyenne plus élevée) chez les employés percevant une dissonance entre leur emploi (public/générique) et leur domaine d’activité (public/hybride). Par conséquent, des différences (voir Tableau 13) systématiquement négatives entre les conditions d’alignement (A1 et A2) et de dissonance (D1 et D2) signifieraient que les ancres à faible publicitude sont plus saillantes en cas de dissonance entre l’emploi occupé et l’organisation/environnement de travail qu’en cas d’alignement. Or, cette idée ne se trouve vérifiée que pour le groupe Organisation publique vs emploi hybride. L’hypothèse H4 ne sera donc pas retenue.

Tableau 14

Différences de moyennes entre Dissonance (D) et Alignement (A)

Différences de moyennes entre Dissonance (D) et Alignement (A)

Note : WDSGN : workdesign; DISOC : dynamiques d’interaction sociale; PROF : profession; JOB : emploi; LEAD : Superviseur; TEAM : équipe de travail; OPEH : Organisation publique vs Emploi hybride (générique); OHEP : Organisation hybride vs Emploi public.

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Au final les analyses ANOVA, ainsi que l’ensemble des tests Post-hoc, suggèrent qu’il existe bien un lien entre la publicitude du domaine d’activité et certaines ancres d’engagement au travail. Elles suggèrent également que ce lien est plus fort lorsqu’on considère la publicitude perçue (comparativement à la publicitude théorique), tant cette dernière variable rend particulièrement saillantes les ancres d’engagement au travail à forte publicitude. Il s’agit de notre première contribution dans cette étude : non seulement le caractère public de l’environnement de travail est étroitement lié à la manière dont les employés s’engagent, mais également cette relation est plus forte lorsqu’on considère la publicitude perçue. C’est ce que suggèrent indirectement les travaux mobilisant les théories de l’attribution (Schneider, Brent et al. 2000, Nishii, Lepak et al. 2008). Spécifiquement, nous apportons un éclairage important à la relation entre P-E Fit et engagement au travail dans le secteur public en démontrant qu’il existe différentes formes d’engagement pour différents niveaux de publicitude. Certes ce lien entre les caractéristiques de l’environnement de travail et l’engagement des employés est désormais établi (Giauque, Resenterra et al. 2014); cependant, la présnete étude est à notre connaissance la première à s’intéresser de près à la saillance différenciée d’ancres d’engagement au travail selon différentes modalités de publicitude. Elle tend de ce fait à confirmer nos intuitions préalables sur la spécificité de l’engagement public au travail (Kouadio and Emery 2018).

En corollaire de ce qui précède, notre seconde contribution théorique porte sur la relation entre culture organisationnelle et engagement au travail. Selon Hofstede (1991), la culture désigne les croyances, les valeurs et normes collectivement partagées. Elle désigne également un système de contrôle social des actes et des pratiques individuelles et collectives (Hofstede and Minkov 1991). Parce qu’elle se nourrit d’une éthique de service public, avec ses valeurs spécifiques, la publicitude du domaine d’activité influence possiblement les liens tissés par les employés avec leur environnement de travail. Ainsi, la nature de l’engagement au travail peut varier à mesure qu’on évolue d’une culture publique, quel que soit le secteur d’activité, à une culture moins publique, vécue dans des environnements de travail managérialisés.

En définitive, cet article démontre que les employés publics entretiennent un engagement spécifique envers plusieurs ancres, notamment les Valeurs, les Usagers des services publics, les Buts publics et les dimensions de Service de leur travail. Nous affinons par la même occasion la recherche en management et comportements organisationnels : en effet, c’est bien l’alignement perçu (personne-publicitude de l’environnement de travail) qui importe le plus pour l’engagement public au travail.

Contribution pour la Gestion des ressources humaines

Nos résultats offrent aux praticiens une première base pour ajuster leurs pratiques de GRHdans un secteur public en quête d’une nouvelle identité. Spécifiquement, les gestionnaires des ressources humaines publiques devraient faire davantage attention à la manière dont les outils de modernisation, développés à l’ère du post-fonctionnariat, sont perçus (reçus !) par leurs collaborateurs. Cet article montre en effet qu’une publicitude « hybridée » est susceptible de « diluer » la publicitude de l’engagement au travail.

Dans le contexte actuel de changements organisationnels constants, un accompagnement ciblé devient dès lors nécessaire, qui passe notamment par le fait de mieux expliquer le sens et les finalités ces changements opérés. La réussite des réformes institutionnelles et organisationnelles repose de ce fait sur l’adhésion des employés publics censés les mettre en oeuvre. Or celle-ci n’est envisageable que si les réformes vont dans le sens d’offrir un meilleur service public, mais également si les environnements et les conditions de travail conservent toute leur publicitude.

Nos analyses suggèrent en outre différents profils d’engagement au travail en fonction du secteur d’activité : administration publique, services publics non lucratifs ou services publics lucratifs. Il conviendrait alors de mieux définir ces profils afin de donner aux gestionnaires des ressources humaines des clés pour approcher autrement la diversité en entreprise. Par exemple en considérant la diversité des formes d’engagement; une dimension qui viendrait alors compléter les facteurs sociodémographiques habituellement mobilisés (genre, ethnicité, âge, etc.). En outre, et en se basant sur les ancres dominantes d’engagement public au travail analysées ici, les praticiens seraient plus avisés de développer plus finement une Marque Employeur public (Backhaus and Tikoo 2004, Emery and Kouadio 2017).

Pour finir, mieux connaitre la nature et la diversité des ancres d’engagement au travail chez les employés publics pourrait faciliter la gestion des performances, de la mobilité interne, ou encore de la mobilité sectorielle de ces derniers. Par exemple, des pratiques de GRH mettant particulièrement l’accent sur le travail collectif conviendraient aux employés engagés envers les ancres Dynamiques d’interaction sociale, Usagers-clients et Superviseur. Ce qui passe notamment par un travail sur la qualité des échanges avec les bénéficiaires des services publics, ou encore entre employés d’une même organisation.

Limites et voies de recherche

Comme toute étude, cette recherche comporte quelques limites. Les principales concernent premièrement le caractère non représentatif de notre échantillon pour l’ensemble du secteur public suisse (proportion de francophones plus élevée). Toutefois la grande variété des domaines de politique publique couverts, ainsi que le nombre important de répondants (N = 1679) constituent une excellente base pour des analyses statistiques fiables. D’autre part, des modèles de régression linéaires compléteraient bien nos tests ANOVA. Ils serviraient notamment à estimer comment le domaine de politique publique ou sa publicitude perçue « expliquent » l’engagement envers certaines ancres en particulier. Troisièmement, on pourrait pointer le risque de biais de variance commune entre les deux sous-échelles de publicitude et notre échelle d’engagement multiancres au travail. En effet, les données de ces deux catégories de variables ont été récoltées auprès des mêmes répondants dans une logique transversale. Ce risque est toutefois atténué par le fait que nos quatre configurations de publicitude forment en réalité une variable « transformée » par clustérisation de deux sous-échelles de publicitude. Le test du facteur unique de Harman permet en plus d’invalider l’éventualité d’un biais de variance commune (MacKenzie and Podsakoff 2012) : un facteur unique n’expliquant que 40 % de la variance totale des variables considérées.[18] Malgré ces quelques limites, nos résultats gardent toute leur pertinence et constituent à tout le moins une amorce intéressante pour continuer à étudier l’influence de la publicitude des environnements de travail postbureaucratiques sur l’engagement au travail des employés publics.

Conclusion

Considérant les différentes vagues de modernisation de ces trente dernières années dans le secteur public suisse, l’hybridation culturelle des environnements de travail apparaît comme un prisme important pour étudier l’engagement des employés publics. Selon le domaine d’activité, on a vu que la forme d’engagement pouvait varier. Mais c’est surtout à travers la perception qu’en ont les employés publics que ces variations s’observent le plus. En s’intéressant à différentes ancres pertinentes pour le secteur public, cette étude démontre que l’alignement de la publicitude perçue (organisation publique et emploi public) est fortement lié aux ancres à forte publicitude envers lesquelles les employés s’engagent. Si la publicitude (ou l’hybridité) organisationnelle a été abondamment analysée dans la littérature, ses liens avec l’engagement au travail y sont quasi inexistants. Cet article contribue donc à combler ce vide en démontrant toute l’importance de la publicitude perçue dans cette relation. Dans le même temps, nos analyses permettent d’identifier les ancres d’engagement au travail les plus saillantes dans les environnements de travail post-bureaucratiques suisses. Avec les précautions d’usage, on pourrait généraliser ces résultats aux configurations dans lesquelles l’employé perçoit une dissonance entre son emploi et son environnement de travail; ce qui arrive généralement lors de changements culturels importants aux niveaux institutionnel, sectoriel, ou encore organisationnel. Des changements impulsés par des programmes de modernisation souvent ambitieux, mais dont les conséquences en termes de gestion des ressources humaines ne sont pas toujours suffisamment anticipées.