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Les recherches sur les opportunités sont à un tournant majeur de leur existence. Depuis l’article fondateur de Shane et Venkataraman (2000) les contributions sur le sujet, n’ont cessé d’augmenter (Hansen, Shrader, et Monllor, 2011), plaçant les opportunités au coeur des recherches en entrepreneuriat et révélant ainsi le paradigme autour des opportunités. L’entrepreneuriat jouit d’une grande légitimité en tant que domaine de recherche scientifique (Busenitz et al., 2014) car il est au centre des enjeux économiques et politiques.

La phase d’émergence de l’opportunité constitue l’amorce de tout projet d’affaires. Dimov (2007a) définit cette phase comme la combinaison de l’idée et de l’action; idée qui mérite d’être appelée opportunité à partir du moment où la volonté de faire quelque chose avec est identifiée. Il souligne ainsi le caractère dominant de l’action. On comprend dans cette démonstration que l’émergence d’opportunités constitue un processus à part entière (Ardichvili et al. 2003; Baron et Ensley 2006; Eckhardt et Shane 2003; Sarason et al. 2006). Les travaux sur la nature des opportunités ont eu une influence importante sur la façon dont ont été conduites les recherches sur l’émergence des opportunités. Outre les problématiques en termes de méthodologie de recherche (a priori/a posteriori), le débat a généré des difficultés pour l’étude empirique de l’émergence d’opportunités (Gregoire, Shepherd, et Schurer Lambert, 2010). Il semblerait que la communauté de chercheurs soit favorable à une entente au sujet de la nature des opportunités; nombreux sont ceux qui s’attachent à démontrer la nature à la fois objective et subjective des opportunités (Chiasson et Saunders 2005; Buenstorf, 2007). Cependant, l’émergence d’un consensus reste élusive (McMullen et al. 2007).

L’objectif de cet article est de présenter un idéaltype de l’émergence des opportunités d’affaires qui permettent un consensus entre les deux perspectives, en nous appuyant sur le concept d’intersubjectivité. Celui-ci prend ces fondements dans les sciences de l’artificiel. Développé par Simon en 1969, il permet de répondre aux enjeux sociétaux actuels. Au-delà, de simples relations interpersonnelles, l’intersubjectivité permet l’échange entre deux individus aux subjectivités « cohérentes », c’est-à-dire des accords partagés concernant le monde et le marché (Venkataraman et al., 2012). Considérer l’intersubjectivité comme unité d’analyse présente l’avantage d’évoluer d’une perspective individuelle vers une perspective collective dans l’étude des opportunités. L’entrepreneuriat n’est alors plus le fait d’un individu isolé; l’entrepreneur doit être considéré comme un individu entouré d’un collectif (Venkataraman et al. 2012). Pour apprécier cette dimension collective, des auteurs se sont intéressés à l’influence des réseaux sociaux sur le processus de découverte ou de construction des opportunités, mais les études se sont focalisées uniquement sur les caractéristiques de ces réseaux (contenu des relations, gouvernance, structure du réseau) et leurs liens avec la performance de l’entreprise (Sarasvathy et Venkataraman, 2011). Il apparait pourtant comme primordial de comprendre plus en profondeur le passage de l’individuel au collectif, afin de pouvoir favoriser les arrangements organisationnels ou interindividuels (intersubjectifs) qui pourraient venir partager le risque et diminuer l’incertitude, liés à l’action entrepreneuriale (Busenitz et al. 2014). Pour intégrer pleinement cette dimension collective dans les recherches en entrepreneuriat, il apparait nécessaire de comprendre la nature et la qualité des relations entretenues par l’entrepreneur; c’est ce que suggèrent Venkataraman, Sarasvathy, Dew et Forster en 2012 en invitant à développer un lien autour des actions et interactions de l’entrepreneur. Afin de répondre à ces questionnements encore en suspens, nous chercherons à répondre au cours de cet article à la problématique suivante : comment l’intersubjectivité agit-elle au service de l’émergence collective d’opportunités d’affaires ?

Ainsi, il convient tout d’abord d’instruire la question de l’émergence des opportunités dans une première partie. Cela nous conduira à confronter les recherches en entrepreneuriat avec le concept d’intersubjectivité et de proposer un idéaltype intégrant les actions et interactions de l’entrepreneur comme unité d’analyse. La seconde partie sera consacrée à l’émergence collective d’opportunités d’affaires vu sous l’angle intersubjectif. Cela nous permettra de revenir sur les échanges intersubjectifs à l’origine du processus de découverte d’opportunités d’affaires puis sur la conclusion d’accords intersubjectifs à la base de la construction d’opportunités.

L’émergence d’opportunités d’affaires

Le paradigme de l’opportunité apparaît aujourd’hui comme le concept fondateur des travaux en entrepreneuriat (Busenitz et al., 2014). Le fait que l’opportunité puisse être déclinée à d’autres champs de recherche (Short et al., 2010) laisse planer le doute pour certains chercheurs sur le fait que l’entrepreneuriat constitue un champ de recherche distinctif (Shane, 2012). Cependant, cette absence de consensus est ce qui en fait sa richesse; en témoigne la grande diversité des travaux sur le sujet (Busenitz et al. 2014; Hansen et al. 2011; Moroz et Hindle 2012; Short et al. 2010).

Fondements et perspectives

Les recherches en entrepreneuriat et plus particulièrement à la lumière du paradigme de l’opportunité ont été analysées sous le prisme d’une grande variété de courants. L’école économique, une des écoles fondatrices, nous révèle que les opportunités sont des réalités objectives créées par des chocs exogènes sur le marché; dans un cas le choc est créé par l’entrepreneur innovateur (Schumpeter, 1934), dans l’autre elles sont découvertes par l’entrepreneur alerte (Kirzner, 1997). Ces deux points de vue constituent par ailleurs, l’amorce d’un désaccord futur au sein de la communauté de chercheurs à propos des sources et de la nature des opportunités. D’autres études ont préféré mettre l’accent sur les ressorts psychologiques à l’origine de l’entrepreneuriat. L’école des traits (McClelland, 1961) tente de déterminer ce qui distingue les entrepreneurs des non-entrepreneurs à travers leurs caractéristiques intrinsèques. La créativité, le locus of control, l’auto-efficacité, sont autant de facteurs propices à l’identification d’opportunités d’affaires (références). L’une des principales critiques adressées à cette école de pensée réside dans sa logique déterministe. De plus, les caractéristiques intrinsèques à chaque individu (traits de personnalité ou psychologiques) conduisent à une grande variété de profils d’entrepreneurs (Carland et al. 1984). L’école cognitive a apporté une contribution importante à l’étude des facteurs influençant l’identification d’opportunités d’affaires. Krueger (1993, 2000) s’appuie sur le modèle d’intention de création d’entreprises de Shapero et Sokol (1982) pour établir son propre modèle d’intention entrepreneuriale. Les travaux de Baron (2006), font basculer les travaux cognitivistes d’une approche organisationnelle à une approche individuelle, il s’intéresse ainsi aux processus cognitifs qui permettent de « connect the dots », c’est-à-dire de faire les liens entre les informations dont dispose l’entrepreneur. Même si la vigilance entrepreneuriale prend son essence dans l’école économique, le concept est repris par les cognitivistes qui la définissent comme la propension à être sensible à l’information avec une sensibilité spéciale du marché (Tang, Tang, et Lohrke, 2008; Tang, Kacmar, et Busenitz, 2012). Ainsi, les capacités cognitives des individus constituent des éléments permettant l’appréciation de l’existence de l’opportunité sur le marché. L’école de l’organisation entrepreneuriale s’intéresse plutôt à l’étude de l’identification et l’exploitation d’opportunités d’affaires, par le groupe ou l’équipe, au sein d’entreprises existantes. L’organisation est au coeur des travaux de Miller (1983); selon l’auteur, la diversité des configurations organisationnelles est à la base des différences entrepreneuriales et permet d’en appréhender les déterminants. Il caractérise l’entrepreneuriat par rapport aux trois variables organisationnelles que sont l’innovation, la proactivité et la prise de risque. L’école du processus ou du comportement s’intéresse donc à l’émergence organisationnelle afin d’apprécier le phénomène entrepreneurial dans son ensemble. Dans la même lignée, les travaux de Gartner (1985) se focalisent davantage sur l’organisation que sur l’entrepreneur. Dans son article publié en 1985 dans Academy of Management Review, il montre la grande diversité des entrepreneurs, rendant difficile l’établissement d’un profil type préconisé par l’école des traits. Il propose de voir la création d’entreprises à travers les interactions en quatre pôles principaux : l’individu, l’organisation, l’environnement et le processus. Ce sont les liens entre ces quatre pôles qui permettent d’appréhender la complexité du phénomène entrepreneurial et la multitude des modèles de création d’entreprises.

Malgré la grande richesse de ces travaux fondateurs, ils s’inscrivent pour la plupart dans un individualisme méthodologique qui ne permet pas d’appréhender pleinement l’émergence des opportunités dans une perspective collective. À l’exception des travaux de Tremblay et Carrier (2006) sur la pertinence de l’étude de l’identification d’opportunités d’affaires dans une perspective collective, la convention dominante dans les recherches en entrepreneuriat consiste à utiliser l’individu comme unité d’analyse (tableau 1).

Tableau 1

Émergence des opportunites d’affaires et courants de pensée

Émergence des opportunites d’affaires et courants de pensée

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Dépasser le seul cadre de l’entrepreneur individuel et entrevoir la possibilité de faire émerger collectivement des opportunités est l’une des préoccupations de l’école artificialiste. Simon avec son ouvrage « The science of the artificial », en 1969[1], est à l’origine de cette école de pensée. Dans ses travaux, Simon s’attache à décrire la différence entre le naturel et l’artificiel. Il définit un artefact comme une interface entre un environnement interne et externe; l’artefact servira les buts assignés s’il y a convergence de ces deux environnements. Ainsi, certains chercheurs soulignent la nécessité de s’intéresser aux sciences de l’artificiel dans le champ de l’entrepreneuriat (Sarasvathy, 2003; Sarasvathy et Venkataraman, 2011; Venkataraman et al., 2012) et se focalisent sur les actions et les interactions de l’entrepreneur comme unité d’analyse (tableau 1). Ces actions et interactions étant fondées sur une même compréhension subjective de l’environnement, elles sont qualifiées d’intersubjectives.

L’ensemble de ces écoles de pensée sont le reflet d’une appréhension différente de la définition de l’opportunité d’affaires. Une revue de la littérature nous a permis d’identifier soixante-neuf articles conceptuels et empiriques s’intéressant à l’identification des opportunités sur la période de 1991 à 2015. Cette revue de la littérature souligne une nouvelle fois la grande diversité des travaux sur le sujet. Cette diversité se manifeste à travers :

  • la littérature et la base théorique utilisée pour étudier le phénomène : vigilance entrepreneuriale, psychologie cognitive, théorie de la connaissance, des réseaux sociaux, du capital humain et social, de la structuration, de l’apprentissage expérientiel, de l’autorégulation, sciences de l’artificiel, etc.;

  • la terminologie utilisée pour caractériser le processus d’identification : identification, découverte, reconnaissance, perception, création, construction, promulgation, etc.;

  • l’unité d’analyse sur laquelle se basent les auteurs : l’entrepreneur, l’étudiant, l’équipe entrepreneuriale, le dirigeant de PME, l’organisation, l’intersubjectivité;

  • et enfin, à travers la définition faite de l’opportunité d’affaires : vingt-trois définitions sur les soixante-neuf articles.

Nous proposons une synthèse des résultats et plus particulièrement des définitions recensées sur l’opportunité d’affaires dans le tableau 2.

Les travaux présentés se distinguent par rapport à leur intérêt pour certains aspects de la définition de l’opportunité. Quatre aspects sont particulièrement prégnants :

La notion de profit apparaît essentielle pour certains chercheurs considérant l’existence de l’opportunité à travers la création d’une valeur supérieure sur le marché (Shane et Venkataraman, 2000; Ardichvili, Cardozo, et Ray, 2003; Dutta et Crossan, 2005; Lee et Venkataraman, 2006; Chabaud et Ngijol, 2010; Julien, 2010; Short et al., 2010; Shane, 2012). La notion d’innovation accompagne souvent la création de valeur : il ne s’agit pas uniquement de créer de la valeur en vendant le produit et/ou service plus cher que son coût de production, il s’agit de créer de la valeur à travers l’introduction, d’un produit, d’un service et/ou méthode d’organisation, innovants (Shane, 2000; Shane et Venkataraman, 2000; Eckhardt et Shane, 2003; Dutta et Crossan, 2005; Baron et Ensley, 2006; Lee et Venkataraman, 2006). Wood et McKinley (2010) ajoutent à la notion de viabilité, l’importance de la dimension collective, comme un critère pertinent plus utile que le concept objectiviste de vérité. Selon les auteurs, la détermination de cette viabilité s’exerce lorsque l’entrepreneur a une bonne appréciation du monde social qui l’entoure et qu’il est capable d’exercer une évaluation cognitive de celui-ci. Plus récemment, Tocher et al. (2015) ont montré l’importance du capital social et de la compétence sociale afin de guider les idées imaginées par l’entrepreneur vers le processus d’identification d’opportunités. Dans la même lignée que les travaux précédents, les auteurs envisagent les opportunités comme créées au fil du temps grâce aux interactions de l’entrepreneur avec les personnes qui possèdent les connaissances permettant de déterminer si l’idée imaginée est économiquement viable.

Une analyse en termes de ressources disponibles est également envisagée. Au-delà de la disponibilité des ressources on pose également la question de la façon permettant de recombiner ces ressources afin de déterminer, de nouveaux moyens, de nouvelles fins et/ou de nouvelles relations moyens-fins (Ardichvili et al. 2003; Eckhardt et Shane, 2003; Wood et McKinley, 2010; Shane, 2012). Cela conduit à un troisième aspect important dans les recherches sur les opportunités d’affaires : les capacités cognitives de l’individu à recombiner ces ressources. Comme le suggèrent Tremblay et Carrier (2006), les sources d’informations se diversifient lorsque plusieurs individus sont impliqués.

La dimension cognitive prend ainsi une place prégnante dans les recherches sur les opportunités (Ardichvili, Cardozo, et Ray, 2003; Ko, 2004; Sarason, Dean, et Dillard, 2006; Dimov, 2007a; Korsgaard, 2011; Venkataraman et al., 2012). Il s’agit de comprendre de quelle façon l’individu ou l’entrepreneur parvient à réinventer, transformer les ressources existantes en de nouvelles possibilités qui conduiront à l’opportunité. C’est pourquoi quelques travaux se sont notamment intéressés à l’influence de la créativité sur l’identification des opportunités, ramenant à la notion d’innovation (Ardichvili, Cardozo, et Ray, 2003; Dimov, 2007a). Une nouvelle fois, les capacités cognitives de l’entrepreneur sont influencées par l’environnement et le collectif, selon Puhakka (2011) ce qui conduit les entrepreneurs à être vigilants aux opportunités d’affaires ce sont leurs qualités intrinsèques et les conditions de l’environnement. L’interaction permettra de supporter ce type d’activité mentale.

Tableau 2

Synthèse des définitions de l’opportunité d’affaires

Synthèse des définitions de l’opportunité d’affaires

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Même si les travaux intégrant une vision collective de l’émergence des opportunités sont peu nombreux, quelques travaux s’intéressent à la dimension environnementale et l’intègrent pleinement à la définition de l’opportunité (Dutta et Crossan, 2005; Buenstorf, 2007; Alvarez et al. 2014). Ils considèrent le phénomène non pas comme la simple action du marché, de l’entrepreneur ou de l’organisation, mais comme une interaction entre toutes ces variables.

La variété des écoles de pensée met en lumière une vision différente de l’émergence des opportunités d’affaires. Cette différence fondamentale se fonde notamment sur deux conceptions de l’utilisation de l’information (Verstraete et Fayolle, 2005).

Débats autour de la nature des opportunités

L’émergence des opportunités d’affaires a suscité un vif débat au sein de la communauté de chercheurs en entrepreneuriat. Alvarez et Barney (2010) parlent même de fondement philosophique au coeur des recherches sur les opportunités d’affaires. Il existe deux conceptions autour de la nature des opportunités; toutes deux prennent leurs racines dans l’école de pensée autrichienne (Buenstorf, 2007). Tandis que les travaux de Hayek (1945) et Kirzner (1997) soulignent la façon dont l’entrepreneur découvre des opportunités créées par des chocs exogènes sur le marché, Schumpeter (1934) place l’entrepreneur au coeur du processus de création d’opportunités. Ainsi, dans une perspective de découverte, l’opportunité est considérée comme objective alors que dans le cadre de la construction on souligne son caractère subjectif. Cette distinction a des implications sur la façon de considérer l’entrepreneur et son rôle dans le processus entrepreneurial (tableau 3).

Même si les efforts pour concilier ces deux théories semblent limités (Alvarez et Barney, 2010), de récents travaux font apparaître l’émergence d’un consensus à ce sujet (Chiasson et Saunders, 2005; Sarason, Dean, et Dillard, 2006; Venkataraman et al., 2012).

Il est possible d’accepter la coexistence des deux perspectives à des périodes différentes : certaines opportunités peuvent en effet être découvertes, à un moment donné, ou construites, à un autre (Sarasvathy et Venkataraman, 2011). Chaque conception menant à des processus entrepreneuriaux et l’utilisation d’outils différents : Business plan et logique causale d’une part, Business Model et logique effectuale d’autre part. Même si la perspective de la construction d’opportunités permet d’intégrer davantage les influences sociales dans le processus entrepreneurial, elle rend dépendant l’entrepreneur de son environnement (tableau 3). La perspective artificialiste semble proposer une évolution intéressante de l’influence des processus sociaux sur le projet entrepreneurial.

En effet, l’entrepreneur est considéré, de ce point de vue, comme un individu autonome au sein de son environnement et interdépendant des acteurs qui l’entoure (Shu-Jung et Chandra, 2013). De ce fait l’opportunité est vue comme intersubjective; fondée sur « la construction de savoirs et de relations » (Brechet, Schieb-Bienfait, et Desreumaux, 2009), venant nourrir et transformer le processus de construction (Sarasvathy, 2004). Les sciences de l’artificiel permettent de se focaliser davantage sur les variables du phénomène entrepreneurial (l’entrepreneur et l’opportunité) dans la mesure où l’on peut intervenir pour les changer (Venkataraman et al., 2012). La perspective artificialiste se positionne dans le courant épistémologique évolutionniste idiosyncrasique; ce courant nie explicitement le fait que les caractéristiques de l’opportunité peuvent être discutées sans référence à un acteur particulier. Cependant, l’idée selon laquelle les conditions environnementales sont importantes et les acteurs agissent sur la base de cognitions subjectives est admise (Davidsson, 2015).

Tableau 3

Synthèse des définitions de l’opportunité d’affaires

Synthèse des définitions de l’opportunité d’affaires

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Le processus de construction du projet entrepreneurial est indissociable de l’action collective qui en est à l’origine (Brechet, Schieb-Bienfait, et Desreumaux, 2009). Tout en donnant une place centrale à l’individu, les sciences de l’artificiel soulignent ainsi le caractère primordial des interactions sociales dans la construction de l’objet artificiel. L’environnement constitue une contrainte qui va venir façonner l’individu, son projet et l’organisation (Levy Tadjine, 2008). De fait, l’opportunité peut être considérée comme un artefact social constitué de multiples projets entrelacés, menés par de nombreux individus ayant des interactions les uns avec les autres (Avenier et Schmitt, 2008). Si nous comprenons la manière dont se conçoit cet artefact, nous pourrons envisager l’entrepreneuriat comme une méthode au même titre qu’une méthode scientifique, capable d’être enseignée à tous comme une compétence utile, nécessaire et un moyen de raisonner dans le monde (Sarasvathy et Venkataraman, 2011). Simon (1996) définit un artefact comme un point de rencontre entre un environnement interne et un environnement externe : l’environnement interne représente les buts et objectifs de l’individu au sens large (entreprise, organisation, marché, économie) et sa capacité d’adaptation rationnelle; l’environnement externe représente le comportement de l’ensemble des autres acteurs. Entrevoir l’opportunité sous l’angle intersubjectif suggère d’étudier l’interface entre ces deux environnements. La vision purement subjective considérant que les actions des individus sont simplement le reflet de leurs perceptions et de leurs représentations du monde est ainsi dépassée. L’entrepreneur n’est plus seulement celui qui s’adapte à son environnement, il agit à la fois sur son environnement interne et externe pour être au plus près de ces aspirations personnelles et des ressources dont il dispose. Il façonne son environnement malgré les contraintes de l’environnement et grâce aux contraintes qu’il se donne avec d’autres (Simon, 1996; Sarasvathy, 2003). De cette façon, il pourra ainsi contribuer à l’émergence d’opportunités servant ses intérêts et ceux de ces parties prenantes.

L’émergence collective sous l’angle intersubjectif

L’étude du processus d’émergence d’opportunités d’affaires a fait émerger plusieurs déterminants en lien avec les ressources informationnelles, permettant à la fois de favoriser la collecte d’informations et de contribuer à l’intégration et l’interprétation des informations de la part de l’entrepreneur.

Les informations à la base du processus

Ainsi, de nombreux travaux ont permis de souligner l’influence du capital social sur l’émergence des opportunités d’affaires (Dew, Velamuri, et Venkataraman, 2004; Arenius et De Clercq, 2005; Tremblay et Carrier, 2006; Ozgen et Baron, 2007; Nambisan et Baron, 2013).

En s’appuyant sur la théorie des liens forts et des liens faibles de Granovetter, Ko (2004) montre qu’en plus de permettre un accès à l’information, les réseaux sociaux — dont les relations entre les individus sont essentiellement composées de liens faibles — offrent une plus grande diversité d’informations aux individus qui en sont membres. Au-delà de la diversité, si plusieurs individus sont impliqués dans un processus d’identification d’opportunités d’affaires, les champs de connaissances spécifiques se multiplient (Tremblay et Carrier, 2006). C’est pourquoi les processus collectifs d’émergence d’opportunités et les techniques d’idéation permettent de surmonter les contraintes liées à la recherche individuelle et ainsi de multiplier le stock de capital social disponible. Ozgen et Baron (2007) s’intéressent à différentes sources sociales d’informations : les mentors, les réseaux industriels informels ainsi que les forums professionnels; ils soulignent leur influence sur la reconnaissance d’opportunités. Le lien entre ces trois formes de capital social et la vigilance entrepreneuriale a été démontré. En tant que pourvoyeurs d’informations, les réseaux sociaux contribuent à l’émergence des opportunités et à leur développement.

Minniti (2004) définit l’entrepreneuriat comme un flot continu de changements alimentés par des individus hétérogènes et interdépendants, c’est-à-dire qui interagissent différemment, évoluent et s’adaptent aux autres. Ainsi, selon l’auteur, le comportement entrepreneurial dépend moins des caractéristiques de l’individu que des relations entre les individus. Certains chercheurs ajoutent que les individus se construisent au travers des échanges relationnels. Pour cela, Dutta et Crossan (2005) s’appuient sur la théorie de l’apprentissage organisationnel et plus particulièrement la théorie des 4I de Crossan, Lane et White (1994) — intuition, interprétation, intégration, institutionnalisation — ils dressent un cadre conceptuel autour des opportunités d’affaires, incluant le contexte dans la compréhension du phénomène. Ainsi, la phase d’intuition est l’étape durant laquelle l’individu développe une intention concernant l’opportunité d’affaires, sur la base de ses expériences antérieures. Il utilise ses modèles de reconnaissance passés afin d’interpréter l’opportunité, les échanges relationnels qu’il entretient lui permettent de renforcer ou non l’interprétation précédemment établie à propos de l’opportunité et pour terminer, la compréhension partagée du phénomène pourra être institutionnalisée en systèmes, procédures, structures, etc. Dans la continuité de ces travaux, Dimov (2007) suggère que la volonté d’action qui est établie par Dutta et Crossan (2005) se base sur des perceptions et des croyances. Ces croyances sont individuelles dans les phases d’intuition et d’interprétation; collectives dans les phases d’intégration et d’institutionnalisation. Ainsi, certains mécanismes relatifs à l’interprétation de l’information constituent des médiateurs de l’information générée socialement, permettant d’opérer une analyse de l’information ainsi collectée (Ozgen et Baron, 2007). Korsgaard (2011), dans une étude des opportunités au prisme de la théorie de l’acteur réseau, suggère que les identités des acteurs et des objets (opportunités) s’établissent dans les échanges relationnels. Il insiste notamment sur le processus de traduction et de transformation de l’opportunité par l’individu. L’opportunité est susceptible d’être réinventée et transformée à plusieurs reprises, autant de fois que l’individu l’adopte et la traduit selon ses propres intérêts. Cette nouvelle vision insiste sur le rôle de l’entrepreneur et sur sa capacité d’action au sein du réseau. De ce fait, le réseau n’est plus considéré uniquement comme un fournisseur de ressources informationnelles; il permet également de façonner l’entrepreneur qui agira à son tour au sein de cet environnement. Afin de développer cette capacité d’action, l’entrepreneur devra faire appel à ses propres expériences et connaissances.

En définitive, l’existence d’une base objective à l’émergence des opportunités d’affaires n’est pas à exclure (figure 1). De nombreux chercheurs considèrent les informations comme un antécédent naturel de l’émergence des opportunités d’affaires (Tocher et al. 2015; Ozgen et Baron 2007; Dimov 2007; Corbett 2007; Ko 2004; Shane et Venkataraman 2000). Celles-ci constituent un antécédent objectif du processus de découverte. L’acquisition et la transformation des informations sont différentes suivant les individus, cela génère des différences dans les connaissances utilisées par chacun pour découvrir les opportunités (Corbett, 2007). L’acquisition d’informations est favorisée par les influences sociales et situationnelles, leur transformation peut dépendre de la créativité de l’entrepreneur (Dimov, 2007a) et des échanges avec les acteurs et parties prenantes qui l’entoure (Sarasvathy, 2001). Ainsi, nous adhérons à l’idée selon laquelle les opportunités n’existent pas indépendamment, mais à travers une coévolution entre l’entrepreneur et les systèmes sociaux (Sarason, Dean, et Dillard, 2006). Bien qu'une opportunité potentielle puisse résulter d'un processus abductif dans l'esprit d'un individu, l'idée sous-jacente à cette opportunité potentielle est susceptible de découler des expériences que l'individu a eues dans le monde, ce qui doit être testé dans ce contexte (Shepherd et Patzelt 2017). C’est la raison pour laquelle, une fois la naissance de l’idée d’affaires, celle-ci doit être confrontée de nouveau au regard d’acteurs sur le marché aux subjectivités cohérentes, afin de parvenir à un accord intersubjectif sur la valeur potentielle de cette idée.

Ainsi, l’opportunité d’affaires sous l’angle intersubjectif peut donc être considérée comme le résultat d’une activité d’abstraction et d’assimilation de l’information, par l’entrepreneur potentiel et les individus qui échangent autour de subjectivités cohérentes sur le sujet; ce processus conduit à la naissance d’une idée d’affaires. Cette idée est transformée par l’intermédiaire d’accords intersubjectifs conduisant à la construction de l’opportunité, de l’artefact social, au sens de Sarasvathy (2004).

FIGURE 1

Une vision collective de l’émergence d’opportunité sous l’angle intersubjectif

Une vision collective de l’émergence d’opportunité sous l’angle intersubjectif

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Ainsi dans la phase (1) de naissance de l’idée d’affaires (figure 1), l’unité d’analyse correspond aux échanges intersubjectifs entre le (ou les) potentiel(s) entrepreneur(s) et des individus partageant des subjectivités cohérentes. Dans la phase (2) de construction, l’unité d’analyse correspond aux accords intersubjectifs qui sont conclus entre le (ou les) potentiel(s) entrepreneur(s) et des individus, autour de la valeur potentielle de cette opportunité.

Au vu de ces différents éléments, l’opportunité d’affaires peut être définie comme une idée d’affaires fruit d’une représentation subjective de l’information collectée par l’entrepreneur; les interactions de l’entrepreneur, basées sur la conclusion progressive d’accords intersubjectifs permettent la construction d’artefacts sociaux constituant les fondements de l’opportunité d’affaires.

Le Processus Intersubjectif d’émergence d’opportunités d’affaires

Au regard des études publiées sur le sujet, on saisit l’importance du contexte informationnel dans la conception du projet entrepreneurial. Toutefois, le fait de disposer de l’information ne suffit pas à réduire l’incertitude liée à l’action d’entreprendre (Sarasvathy et Dew, 2005).

Les échanges intersubjectifs

Hayek (1945) distingue ainsi deux types de connaissances : les connaissances scientifiques qui sont relativement stables et peuvent être approfondies par les experts; les connaissances dispersées spatio-temporelles qui dépendent uniquement de l’importance que leur accorde l’individu. Or, le phénomène d’isotropie environnementale décrit par Fodor (1983) puis repris par Sarasvathy et Dew (2005) indique qu’il n’est pas simple pour l’individu de déterminer si l’information trouvée nécessite qu’il s’y intéresse. Ce phénomène fait référence à un environnement incertain qui rend difficile pour l’individu la sélection d’informations pertinentes. Ainsi, toute action au sein de cet environnement incertain conduit inévitablement à des conséquences futures incertaines également.

Simon souligne que « la plupart des influences sociales renforcent l’adaptabilité du destinataire. Elles lui fournissent des informations et des avis sur le monde, qui sont généralement valides ou au moins beaucoup plus informatifs et valides que celles que le destinataire pourrait générer hors influence, indépendamment » (p.95, 1969).

Le fait de transmettre une information est-il suffisant ? Comment s’assurer que le contenu du message, son sens, est correctement communiqué ? Les discussions autour de la réciprocité des échanges sont un sujet de controverse en sciences sociales. Dupuy (2004) souligne à ce titre l’importance des tiers dans la construction de la cognition sociale. Au travers des travaux d’Hayek sur la théorie de la connaissance, il suggère que les capacités à imiter sont celles qui permettent à l’individu d’absorber les règles et les traditions dans lesquelles il évolue — ces règles et ces traditions étant elles-mêmes constituées du corpus de connaissances à notre disposition. Ainsi, l’imitation peut s’opérer et être efficace à partir du moment où l’information correcte est présente quelque part; elle le sera d’autant plus que l’information est reconnue comme telle. Toutefois, Dupuy met en évidence la difficulté, voire l’impossibilité, à l’intérieur d’un système, de savoir si l’information est bel et bien correcte ou s’il s’agit d’une illusion.

Les travaux de Davidson (2001) sur l’objectivité, l’intersubjectivité et la subjectivité apportent un éclairage à ce propos. Il distingue particulièrement les relations interpersonnelles des relations intersubjectives. Alors que les premières font référence à des échanges entre des individus ayant des subjectivités distinctes, les secondes se réfèrent à des points de vue individuels, subjectifs, cohérents. Dans le cas de l’intersubjectivité, les subjectivités individuelles s’accordent, car les individus partagent une même réalité objective, notamment à travers leurs expériences.

L’intersubjectivité suggère que les échanges sont à la fois consentis et compris par les différentes parties. Le partage d’une même réalité objective entre les parties concernées dans l’échange favorise cette compréhension et donc le passage du message. L’entrepreneur n’est plus seulement celui qui s’adapte à son environnement, il agit à la fois sur son environnement interne et externe pour être au plus près de ces aspirations personnelles, des ressources dont il dispose (Sarasvathy, 2003; Simon, 1996).

Sarasvathy et Dew (2005) proposent une lecture des travaux de Weick (1979) et Fodor (1983).

Selon Weick (1979), les acteurs agissent au sein de leur environnement, mais ils sont dotés d’une cognition limitée. En effet, les sources de critères de sélection des décideurs (indices informationnels utilisés, schémas mentaux, etc) pour le passage à l’action sont le fait d’une cognition humaine bornée et limitée. En ce sens, les acteurs participent à créer de l’incertitude au sein de leur environnement. Cette isotropie de l’environnement rend difficile le choix d’une information pertinente (Fodor, 1983). Le fait de ne pas avoir une idée précise de l’information pertinente à utiliser conduit à des conséquences futures incertaines. Nous suggérons que les échanges intersubjectifs avec des individus partageant une même réalité objective contribuent à diminuer la force de cette relation; par nature, les informations transmises sont mieux intégrées et comprises, contribuant ainsi à diminuer l’incertitude de l’environnement. De plus, lorsque les individus interagissent, ils développent à travers l’abstraction et la généralisation des schémas mentaux à propos de plusieurs domaines de connaissances (Dionysiou et Tsoukas, 2013). Ces schémas mentaux vont permettre à l’entrepreneur d’agir au sein des deux environnements : interne et externe, et donc sur sa capacité à formuler des idées d’affaires.

L’intersubjectivité permet donc le passage de l’individuel au collectif, on considère ainsi l’individu comme un être autonome, mais ne se suffisant pas à lui-même; l’autre est un référent qui va permettre de délimiter, définir jugements et projets individuels.

Les accords intersubjectifs

Dew et al. (2004) se sont intéressés aux relations intersubjectives au sein d’entreprises existantes. Selon eux, l’incertitude liée à toute action entrepreneuriale est le fait de la dispersion de la connaissance. Si un individu, ou un groupe d’individus identifient une opportunité, ils devront obtenir l’accord d’autres individus à propos de la valeur de cette opportunité. Ainsi, les situations incertaines au sein de l’organisation sont celles qui présentent l’échec de l’accord intersubjectif entre les parties concernées. Venkataraman et al. (2012), en se basant sur les travaux de Davidson, proposent justement de repenser l’entrepreneuriat et l’étude des opportunités d’affaires au travers du concept d’intersubjectivité. À travers l’exemple de la découverte d’un billet de 100 dollars sur un trottoir, ils décrivent les étapes successives de la découverte d’opportunités, nécessitant : un lien objectif entre l’entrepreneur et l’opportunité (le billet doit exister et un individu doit le trouver); la subjective interprétation des données (l’individu qui tombe sur le billet doit connaître sa valeur); la base intersubjective d’un marché (d’autres individus doivent être en capacité de reconnaître à leur tour la valeur du billet et être enclin à l’échanger avec quelque chose d’une valeur similaire). Dans cet exemple, les subjectivités des individus à propos de la valeur du billet sont cohérentes et fondent la base intersubjective du marché sur lequel il sera échangé. La littérature sur les opportunités d’affaires insiste sur la fin du processus d’émergence d’opportunités qui se matérialise précisément par la mise en évidence d’une possibilité de gain économique, celle-ci constituant en quelque sorte, la validation de la perception de l’entrepreneur (Chabaud et Ngijol 2010) : « in the absence of market confirmation, the validity of the entrepreneur’s perception is unknown » (Eckhardt et Shane, 2003, p.339). On perçoit dès lors que cette phase d’identification ne peut être prévisible dans le sens où elle implique que l’individu possède des informations qui ne sont justement pas en sa possession au moment de la découverte. La mise en évidence de cette possibilité de gain économique ne peut se faire que par l’interaction de l’entrepreneur avec les différentes parties prenantes. (Venkataraman et al., 2012) font l’hypothèse selon laquelle les projets entrepreneuriaux fournissent un espace pour les parties prenantes afin de s’engager aussi bien dans des interactions coopératives ou compétitives menant à des accords intersubjectifs, ces accords subjectifs constituant la base du futur marché pour l’ensemble des acteurs coopérants. L’émergence d’opportunités dépend donc des connaissances passées et des différentes attentes des individus rendant la valeur de l’opportunité intersubjective. L’idée d’affaires doit donc être testée avant d’être exploitée; ce test nécessite qu’elle soit exposée à une communauté en mesure de comprendre et commenter la promesse et la validité de l’opportunité potentielle (Autio, Dahlander, et Frederiksen, 2013). Par exemple, une communauté composée d’entrepreneurs, de financiers, consommateurs, fournisseurs, qui soient susceptibles de fournir un retour solide sur la valeur de l’opportunité. Selon Tocher et al. (2015) : « Examining the origin of market opportunities through a constructivism lens suggests that opportunities are created over time as potential entrepreneurs interact with knowledgeable others to determine whether ideas they imagine are economically viable » (2015, p.122). Le terme “knowledgeable” signifie que l’interaction se fait sur la base de subjectivités partagées autour de connaissances liées et donc sur la base intersubjective d’un marché pour l’opportunité potentielle. Si l’entrepreneur valide avec chacun des membres de la communauté la valeur potentielle de l’opportunité à travers la conclusion progressive d’accords intersubjectifs, il construit, pas à pas, l’opportunité grâce aux retours des différents acteurs sur le marché.

FIGURE 2

Échanges intersubjectifs et réduction de l’incertitude

Échanges intersubjectifs et réduction de l’incertitude
Adaptation de Sarasvathy et Dew (2005)

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Discussion

Conceptuellement, ce travail contribue à une meilleure compréhension de l’émergence collective d’opportunités d’affaires. En effet, l’adaptation des sciences de l’artificiel (à travers le concept d’intersubjectivité) au champ de l’entrepreneuriat constitue un enjeu pour la communauté de chercheurs. Les méthodes de recherche en sciences sociales sont appropriées pour la compréhension des pratiques passées ou en cours, mais ne permettent pas de faire de prédiction du futur (Ardichvili, 2012). Ainsi, nous ne pouvons toujours pas savoir pour quelles raisons certains individus sont capables d’apprendre plus vite que d’autres. Ou pourquoi certaines organisations sont plus favorables à l’apprentissage (Ardichivili, 2012). C’est ainsi que la communauté s’est questionnée sur les éléments des sciences de l’artificiel pouvant être appliqués à notre champ de recherche. Outre le fait que le processus entrepreneurial puisse s’inscrire dans une activité de conception, celui-ci semble indissociable du collectif dans lequel il s’exerce (Avenier et Schmitt, 2008; Brechet, Schieb-Bienfait, et Desreumaux, 2009; Brechet et Desreumaux, 2010; Emin et Schieb-Bienfait, 2013). Cette activité de conception n’est pas absente des travaux sur les opportunités d’affaires dans les recherches actuelles; le courant de la construction d’opportunités s’est notamment inspiré de cette vision en proposant la construction des opportunités autour des échanges avec les parties prenantes. Cependant, entrevoir l’entrepreneuriat sous la perspective artificialiste permet d’envisager la compréhension de tous les points de vue sur l’émergence des opportunités, pas uniquement celui de la création. De plus, même si le projet de l’entrepreneur est contraint par les influences sociales extérieures (environnement externe), il reste libre de mener à bien son projet en fonction de ses objectifs et de ses motivations propres (environnement interne). En tant qu’entrepreneur, une bonne adéquation entre ces deux environnements permettra de servir les buts assignés au départ.

Ce travail apporte également une clarification sur la nature objective ou subjective des opportunités d’affaires. L’opportunité peut ainsi être définie comme une idée d’affaires fruit d’une représentation intersubjective de l’information objective collectée par l’entrepreneur; les interactions de l’entrepreneur, basées sur la conclusion progressive d’accords intersubjectifs validant la valeur de l’opportunité potentielle, permettent la construction de l’artefact social.

En explorant l’intérêt des relations et accords intersubjectifs dans l’émergence des opportunités d’affaires, ce travail met en lumière le processus de transition entre le non-entrepreneur et l’entrepreneur (Hoang et Gimeno, 2010). En effet, cette recherche suggère que de telles transitions sont le résultat d’un processus progressif par lequel les influences sociales intersubjectives favorisent d’une part la collecte et transformation d’informations en connaissances et d’autre part permettent à l’entrepreneur de valider ou non la valeur potentielle de l’opportunité. Bien qu'il existe une recherche établissant la relation entre les attitudes et les intentions entrepreneuriales (Wagner, 2012) cette étude suggère que les chercheurs peuvent envisager l'identification d’opportunités comme un prédicteur plus fort que les intentions entrepreneuriales. Cette implication peut être particulièrement utile, par exemple, pour les gestionnaires qui souhaitent favoriser le comportement entrepreneurial dans les organisations qui n'ont pas de solution créative aux problèmes (Jarvis, 2016). Cette contribution est importante pour les chercheurs en entrepreneuriat qui souhaitent clarifier les processus cognitifs servant de base aux intentions d’acte entrepreneurial.

Nous soulignons également, dans ce travail, l’importance de l’influence des relations qu’entretient l’entrepreneur avec les autres individus, le poussant à s’adapter et à agir au sein de son environnement interne et externe. Ainsi, nous suggérons pour de futures recherches de nous intéresser à l’influence des réseaux dans le processus d’émergence des opportunités. En permettant de valider ou non la perception de l’entrepreneur à propos de la valeur potentielle de l’opportunité et en favorisant les échanges entre les acteurs, le réseau constitue un facteur d’influence dans l’émergence des opportunités. Cependant, l’établissement de ces accords intersubjectifs entre les individus nécessite l’appréciation d’intérêts communs, le partage d’une même réalité objective et donc une réciprocité. Cette réciprocité est conditionnée par l’établissement de relations de confiance entre les parties et l’absence de comportements opportunistes. Cette analyse pose la question de l’application empirique du modèle et nécessite notamment d’identifier au préalable les déterminants qui conduisent à la conclusion d’un accord intersubjectif. L’étude a posteriori ne parait pas adaptée à l’étude des activités de conception entrepreneuriale (Sarasvathy, 2004). Shu Jung et al. (2013) ont tenté de développer une méthode entrepreneuriale basée sur des expérimentations et des simulations, invitant à réfléchir autour des différences en termes de saisies d’opportunités entre les entrepreneurs. Cette méthodologie, plutôt que de s’intéresser à un évènement instantané, pourrait permettre de mieux comprendre les dynamiques sociales et les dynamiques d’affaires. Toutefois, nous devons être capables de répertorier et d’étudier toutes les situations entrepreneuriales, faisant l’interface entre l’environnement interne et externe, façonnant simultanément les entrepreneurs et leurs environnements au fil du temps. Ainsi, nous serions en mesure de proposer des stratégies d’adaptation à chaque étape de la conception du projet entrepreneurial. D’un point de vue managérial, les structures d’accompagnement pourraient s’appuyer sur des outils permettant d’aider à la co-construction du projet entrepreneurial et seraient en capacité de réajuster si le travail de conception ne s’oriente pas dans la bonne direction.

Par ailleurs, si nous sommes en mesure de répondre à un certain nombre de questions, telles que : la conclusion d’accord(s) intersubjectif(s) est-elle le fruit d’un processus intuitif ? Peut-on la favoriser artificiellement ? Par quel moyen les relations intersubjectives peuvent-elles être favorisées ? Nous pourrons apporter des éclairages considérables aux entrepreneurs et dirigeants de PME sur la façon d’intégrer un réseau en vue d’accroître la saisie d’opportunités pour leur projet entrepreneurial ou leur entreprise. Ainsi, l’étude des relations entre les individus au sein de ces systèmes industriels territoriaux, des réseaux sociaux et des réseaux professionnels semble primordiale afin d’identifier (si elles existent) les bonnes pratiques qui permettraient de favoriser l’existence de liens solides entre les individus, propices à la découverte de l’idée d’affaires et la construction d’opportunités.

Enfin, la dimension collective qui entoure l’émergence d’opportunités d’affaires a été analysée dans sa globalité. Il conviendra dans de futures recherches de s’intéresser aux différents aspects de cette dimension. Les relations intersubjectives et les accords conclus sont-ils les mêmes dans le cadre de relations interorganisationnelles que dans les équipes entrepreneuriales (Ben Hafaïed, 2006) ? Lim, Busenitz, et Chidambaram (2013) se sont intéressés à l’influence des processus d’interactions entre les individus sur l’émergence d’opportunités d’affaires. Ils se sont penchés sur les entreprises créées en équipe et plus particulièrement sur les relations entre les fondateurs – à l’origine de l’idée – et des sous-groupes d’investisseurs. Ils ont ainsi pu mettre en évidence l’influence négative d’opinions divergentes entre les membres de l’échange sur l’identification d’opportunités d’affaires lorsque ces opinions sont considérées comme des attaques personnelles. En effet, de telles attaques peuvent dissuader les membres de traiter et d’évaluer objectivement l’information échangée, ce qui empêche le groupe d’utiliser l’information de manière la plus optimale possible. D’autre part, certains aspects dans le comportement des interlocuteurs, tel que la méfiance, ont été identifiés comme étant de nature à dissuader les discussions constructives; elles ont donc également un impact négatif sur l’émergence d’opportunités d’affaires. Cette dernière étude questionne sur la nature des relations entre les individus et les implications entrepreneuriales qui en découlent.

Conclusion

L’émergence des opportunités fait l’objet d’une attention grandissante dans la communauté de chercheurs en entrepreneuriat (Busenitz et al., 2014). Même si les chercheurs discutant de leur nature tentent de parvenir à un consensus sur la dimension objective et subjective de l’opportunité (Chiasson et Saunders, 2005; Buenstorf, 2007); le débat est toujours d’actualité (McMullen, Plummer, et Acs, 2007; Shane, 2012; Venkataraman et al., 2012). Nous avons donc concentré ce travail sur l’émergence des opportunités d’affaires et avons développé un idéaltype de l’émergence collective d’opportunités. Cet idéaltype permet notamment d’insister sur la perspective évolutionniste des sciences de l’artificiel dans la construction de l’opportunité. En effet, nous croyons que l’émergence de l’opportunité est un processus temporel fait de relations intersubjectives débutant par l’émergence de l’idée d’affaires; la conclusion progressive d’accords intersubjectifs conduit ensuite à la construction de l’artefact social : l’opportunité.