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A l’instar de la question de la flexibilité (Camps et al. 2016) ou de la résilience (Bustinza et al. à paraître) des salariés dans un contexte hypermoderne[1] marqué par de nombreux changements, celle de l’agilité face à des événements exogènes se pose désormais sérieusement (Muduli 2013; Sherehiy, Karwowski, et Layer 2007), notamment dans le contexte manufacturier (Sherehiy et Karwowski 2014).

Dans un environnement marqué par de nombreux bouleversements techniques, organisationnels, économiques et sociétaux, la thématique de la performance adaptative au sein des entreprises revêt un intérêt majeur pour les responsables de la fonction Ressources Humaines (RH). Jundt et al. (2015, 53) affirment que « l’étude de la performance adaptative pourrait produire une compréhension plus riche de la nature dynamique de la performance des salariés dans des conditions de changement et d’ambiguïté. ». En fait, la performance adaptative aurait d’autant plus un rôle central dans la réussite d’un changement que ce dernier ne prendrait pas toujours la forme d’une rupture. Il s’agirait alors d’apprendre le changement permanent. Caldwell (2013, 19) précise que « ce qui est frappant pour les salariés n’est pas un changement organisationnel mais plutôt une organisation changeante ». Selon Johnson (2001), la performance adaptative correspond ainsi à l’aptitude d’une personne à modifier ses comportements pour s’adapter à un environnement donné.

La capacité d’une entreprise à développer la performance adaptative de ses salariés conditionnerait ainsi sa compétitivité. S’il semble essentiel d’en connaître les déterminants, rares sont cependant les études empiriques qui examinent les antécédents, notamment les déterminants individuels (Charbonnier-Voirin et El Akremi 2016, 45). En effet, « à quelques rares exceptions (e.g. Huang et al. 2014), les recherches n’ont pas considéré les interactions personne – situation » afin de mieux comprendre le niveau de performance adaptative (Jundt, Shoss, et Huang 2015, 59). Enfin, si Petrou et al. (à paraître) indiquent que la capacité à pouvoir façonner son emploi permet aux salariés d’avoir une meilleure adaptabilité, Charbonnier-Voirin et El Akremi (2016) ont invité à l’investigation de l’autonomie au travail pour mieux appréhender la performance individuelle au travail.

La mobilisation du concept de satisfaction des besoins fondamentaux (d’autonomie, de compétence et d’affiliation sociale) apparaît alors indispensable, non seulement parce qu’elle traite notamment de l’autonomie mais aussi parce qu’elle illustre la perception par l’individu de son environnement. Les pratiques de développement des compétences – qui génèrent la satisfaction des besoins fondamentaux – sont un premier domaine d’action à investiguer parallèlement dans le but d’encourager la performance adaptative. Les domaines d’action, les facteurs motivationnels et les mécanismes intermédiaires menant à la performance adaptative que nous proposons de mobiliser ont effectivement été négligés dans la littérature (Jundt, Shoss, et Huang 2015). Comme Charbonnier-Voirin et El Akremi (2016, 47) le précisent, Jundt et al. (2015) ont proposé d’« intégrer des cadres théoriques multiples afin de mieux comprendre les mécanismes sous-jacents à ce type de performance ».

Pour commencer à explorer les variables intermédiaires qui seraient ici à l’oeuvre, nous proposons de dévoiler comment les pratiques de développement des compétences influencent la performance adaptative à travers la satisfaction des besoins fondamentaux. Les recherches précédentes semblent s’être concentrées sur le design des formations et n’ont pas investigué comment les cognitions pouvaient nourrir la performance adaptative (Jundt, Shoss, et Huang 2015). Un environnement organisationnel favorable est effectivement susceptible d’initier des réactions cognitives individuelles en soutien du changement (Colquitt et al. 2006). Kirrane et al. (2017, 47) se sont intéressés à des variables intermédiaires (entre soutien perçu du management et capacité à changer - qui ont similairement reçu peu d’attention) et concluent que « les réactions des salariés face au changement sont [notamment] façonnées par […] leurs perceptions de l’environnement organisationnel ». Par ailleurs, Fletcher et al. (à paraître) montrent que la perception des pratiques de développement des compétences a bien un impact sur des attitudes au travail centrales comme l’intention de quitter l’entreprise, et ce à travers des variables médiatrices qu’il convient également d’identifier pour la performance adaptative.

Pour répondre aux appels ci-dessus et apporter notre contribution à une meilleure compréhension des mécanismes intermédiaires de la performance adaptative, la présente recherche propose de tester l’influence des pratiques de développement des compétences sur la performance adaptative à travers la satisfaction des trois besoins fondamentaux. Nous effectuons cette étude sur 161 salariés roumains de l’industrie automobile.

Tout d’abord, nous présentons le cadre théorique de l’étude. Les concepts de performance adaptative y sont explicités. La mise en relation avec les pratiques de développement des compétences et la satisfaction des besoins fondamentaux y est également détaillée. Ensuite, la deuxième partie est consacrée à la démarche méthodologique avec la présentation du terrain de recherche et les modalités d’enquête. La troisième partie présente nos résultats et enfin, nous listons les conclusions de notre recherche.

Revue de littérature

La performance adaptative des collaborateurs : définition et antécédents

Selon plusieurs auteurs (Albach et al. 2014; Autissier, Johnson, et Moutot 2015), le changement serait permanent. Malhotra et Hinings (2015, 1) évoquent effectivement « les preuves abondantes qui suggèrent que les transformations organisationnelles se produisent à travers un processus de continuité et de changement plutôt qu’à travers un bouleversement disruptif ». Dans un contexte de changement organisationnel permanent, Huang et al. (2014, 162) rappellent que « s’adapter joue un rôle vital dans le succès des salariés et donc des organisations ». Développer et entretenir la performance adaptative s’avère donc être un enjeu majeur nécessitant d’en identifier les antécédents.

Si les entreprises attendent des salariés une capacité décisionnelle et d’action élevée dans les situations nouvelles et urgentes, les chercheurs se sont penchés sur la performance adaptative (Charbonnier-Voirin 2013). Les comportements valorisés par l’organisation dans un contexte dynamique sont le développement de nouvelles compétences, la créativité, le savoir interagir avec autrui et l’adaptation à de nouveaux contextes. Si « la Théorie de la psychologie évolutionniste considère les différences individuelles comme théoriquement importantes de par leur rôle dans les problémes d’adaptation sociale » (huang et al. 2014, 164), Hesketh et Neal (1999) se réfèrent les premiers à la performance adaptative qu’ils définissent comme la capacité des individus à s’adapter à des situations de travail dynamiques. Une personne développe sa performance adaptative en ajustant ses comportements aux demandes de situations de travail et d’événements nouveaux (Pulakos et al. 2000). Johnson (2001) définit la performance adaptative comme l’aptitude d’une personne à modifier ses comportements afin de s’adapter à un nouvel environnement ou à une situation donnée. Il s’agit des capacités des collaborateurs à faire preuve de créativité, d’apprentissage continu et de gestion de situations non prévues ou urgentes en faisant preuve d’adaptabilité interpersonnelle (Charbonnier-Voirin 2013).

Si la littérature sur la performance adaptative continue de s’étendre, il reste encore beaucoup d’inconnues, notamment en ce qui concerne les étapes que les organisations peuvent suivre pour encourager la performance adaptative auprès de leurs salariés (Jundt, Shoss, et Huang 2015). Nous suggérons donc d’explorer le rôle des pratiques de développement des compétences en tant que première étape dans la génération de la satisfaction des besoins fondamentaux et de la performance adaptative. En effet, si des premières études « étaient essentiellement intéressées par l’efficacité du design de la formation, elles n’ont pas examiné comment les capacités cognitives influencent la performance adaptative […] au-delà de l’apprentissage initial » (Jundt, Shoss, et Huang 2015, 57), nous proposons d’investiguer la manière dont les pratiques de développement des compétences entretiennent la performance adaptative à travers la satisfaction des besoins fondamentaux.

Nous souhaitons ainsi explorer la manière dont des conditions organisationnelles favorables peuvent être entretenues afin d’activer les réactions cognitives individuelles (Colquitt et al. 2006) favorables au changement.

Si « les facteurs de différence individuelle ont été les antécédents de la performance adaptative les plus communément examinés » (Jundt, Shoss, et Huang 2015, 56), les interactions individus – situation ont été particulièrement négligées (Jundt, Shoss, et Huang 2015; Huang et al. 2014). Charbonnier-Voirin et El Akremi (2016, 56) suggèrent que les « antécédents situationnels du sentiment d’auto-efficacité, liés à l’environnement de travail, pourraient être étudiés » afin de mieux comprendre la performance adaptative. Ces auteurs (2016) invitent ainsi à investiguer l’autonomie perçue du travail qui influence le sentiment d’auto-efficacité (Parker, Williams, et Turner 2006).

En effet, la performance adaptative suppose une volonté d’apprentissage, d’accomplissement, de perfectionnement et d’affiliation sociale qui correspondent particulièrement aux besoins fondamentaux. De plus, la satisfaction des besoins fondamentaux (autonomie, compétence, affiliation sociale) représente une part significative des interactions d’un individu avec son contexte.

Favoriser la performance adaptative : l’importance de la satisfaction des besoins fondamentaux grâce aux pratiques de développement des compétences

Plusieurs études (Ryan et Connell 1989; Ryan et Brown 2005) menées dans différentes cultures concluent que les besoins fondamentaux d’autonomie, de compétence et d’appartenance sont universels. Dans le cadre d’un changement permanent, il semblerait que la satisfaction de ces besoins soit essentielle.

(1) Le besoin d’autonomie renvoie à la possibilité d’avoir un libre choix. Un salarié autonome a l’impression de rester lui-même au travail. À l’opposé, un besoin d’autonomie frustré provoque une sensation de pression. (2) Le besoin de compétence englobe la capacité d’expression de son potentiel et renvoie à la volonté d’apprentissage de savoirs et pratiques nouveaux. Il est lié à l’accomplissement au travail. Enfin, (3) le besoin d’affiliation sociale correspond à la nécessité d’appartenir à un milieu donné. Les salariés affiliés socialement apprécient leurs collègues. Ils sentent que les gens dans leur milieu de travail se soucient d’eux. À l’inverse, les travailleurs dont le besoin d’affiliation sociale n’est pas satisfait ont peu de contacts sociaux au travail et ne se sentent pas appréciés.

La Théorie de l’AutoDétermination (TAD) (Ryan et Deci 2000) a identifié empiriquement les besoins psychologiques les plus importants pour expliquer le bien-être et a démontré que trois d’entre eux doivent être satisfaits pour un fonctionnement optimal dans les organisations (Gagné et Deci 2005). La TAD postule que les milieux de travail où la satisfaction des besoins est possible sont bénéfiques sur les plans individuel et organisationnel (Brien et al. 2012) augmentant ainsi la performance (Greguras et Diefendorff 2009; Gagné 2015).

La satisfaction de ces besoins semble essentielle puisque, sans autonomie, sans volonté d’apprentissage, sans relations sociales saines et satisfaisantes, la coopération et la collaboration pour l’atteinte des objectifs organisationnels sont quasiment impossibles. D’où l’importance des leviers d’action qui permettent l’obtention d’un tel résultat.

Se pose alors la question de savoir comment augmenter la satisfaction des besoins ? Notre recherche souhaite apporter des éléments de réponses à cette interrogation en s’appuyant sur le modèle de Lawler (1986) pour établir un focus sur un des leviers d’action possible : les pratiques de développement des compétences. La TAD identifie le plus souvent la rémunération et les relations avec le supérieur immédiat comme les grandes sources de satisfaction des besoins psychologiques au travail (Gagné et Forest 2008) et le supérieur immédiat (Baard, Deci, et Ryan 2004). Nous estimons que les pratiques de gestion des ressources humaines, et plus précisément, celles de développement des compétences, peuvent également avoir une contribution majeure (García-Chas, Neira-Fontela, et Varela-Neira 2016; Ogbonnaya et Valizade à paraître). Il semble donc intéressant d’évaluer les effets de ces pratiques sur la satisfaction des besoins puis la performance adaptative. Cela contribuerait à préciser les leviers sur lesquels l’entreprise peut s’appuyer pour agir sur la performance au travail.

Les pratiques de GRH sont un levier de développement du capital humain et des capacités d’innovation (Donate, Peña, et Pablo 2016), une facette de la performance adaptative. Le courant de la Gestion Stratégique des Ressources Humaines reprend à son compte des résultats issus de la théorie du capital humain (Becker 1964; Schultz 1961) et de l’approche basée sur les ressources développée à partir des années 1980 (Amit et Schoemaker 1993; Wernerfelt 1984).

Dans cette perspective, certains travaux suggèrent que de « bonnes pratiques de GRH » entraînent des effets positifs sur les organisations. Les études empiriques réalisées par Huselid, (1995) ont montré que la mise en place de pratiques de GRH était corrélée positivement à une augmentation des profits. Pour Wright et Sherman (1999), il est essentiel de saisir les mécanismes intermédiaires par lesquels les pratiques de GRH impactent la performance. L’approche comportementale offre un fort potentiel d’explication théorique. Selon cette perspective, des pratiques de GRH induiraient des comportements fortement valorisés et nécessaires à la performance organisationnelle. Selon Macduffie (1995), les pratiques de GRH incitent les salariés à adopter des comportements qualifiés dans la littérature sous plusieurs vocables. Les modèles conceptuels de Lawler (1986) identifie des grappes de pratiques de GRH : le partage de l’information, le développement des compétences, le partage du pouvoir et les systèmes de reconnaissance.

Ce sont les pratiques de développement des compétences qui nous intéressent particulièrement ici. Le modèle conceptuel de Lawler (1986) suggère que la gestion des compétences soit un levier d’action dans la mobilisation des collaborateurs. Les pratiques liées aux compétences sont généralement appréhendées à l’aide de deux facteurs. Le premier a trait aux pratiques de développement des compétences. Le second facteur est lié à la maîtrise des compétences. Le développement des compétences correspond aux pratiques de formation ou aux autres activités de développement de carrière. Nous pouvons penser que plus les collaborateurs ont des occasions de développer leurs compétences, plus ils sont susceptibles de développer une certaine performance adaptative. Plus un collaborateur maîtrise ses compétences, plus il assume son rôle et est enclin à aller au-delà des tâches et des rôles prescrits. Les pratiques de développement des compétences sont en effet un des principaux leviers des High Performance Work Systems – HPWS (Zhong, Wayne, et Liden 2015). Ces systèmes exigeants d’organisation à haute performance nécessitent effectivement en amont des pratiques de développement des compétences car ils invitent les salariés à faire appel à leurs compétences à travers une forte autonomie au travail afin de les satisfaire (García-Chas, Neira-Fontela, et Varela-Neira 2016) et d’atteindre un haut niveau d’engagement et de performance (Ogbonnaya et Valizade à paraître). Ainsi, la satisfaction des besoins fondamentaux est réalisée à travers les pratiques de développement des compétences. Ces dernières témoignent d’un effort d’investissement à l’égard des salariés confirmant que leur milieu de travail se soucie d’eux, ce qui leur permet également de satisfaire leur besoin d’affiliation sociale. Zhong et al. (2015) montrent en effet que les pratiques de HPWS - telles que le développement des compétences - augmentent le Soutien Organisationnel Perçu. Nous supposons alors que les pratiques de développement des compétences influencent positivement la satisfaction des trois besoins fondamentaux.

Si un besoin d’autonomie satisfait permet au salarié de sentir libre et donc de pouvoir s’adapter librement à de nouvelles contraintes, il développerait ainsi une meilwwleure performance adaptative. De plus, un besoin de compétences satisfait traduit un désir d’accomplissement au travail et d’apprentissage de savoirs et pratiques inédites, ce qui alimenterait là encore la performance adaptative (Jundt, Shoss, et Huang 2015, 53). Si un besoin de compétences satisfait est corrélé à une meilleure performance adaptative (Shoss, Witt, et Ahlburg 2012, 910) : satisfaction du besoin de compétences et performance adaptative seraient ainsi également positivement corrélés. Enfin, un salarié affilié socialement a des attitudes positives vis-à-vis de son environnement et devrait ainsi avoir une inclinaison plus forte en termes de performance adaptative. Nous supposons alors le lien suivant : la satisfaction des trois besoins fondamentaux influence positivement la performance adaptative.

Les pratiques de développement des compétences n’auraient pas qu’un effet indirect à travers la satisfaction des besoins fondamentaux. Nous supposons aussi un effet direct. En effet, les pratiques de GRH sont d’abord un générateur des capacités d’innovation (Donate, Peña, et Pablo 2016), une facette de la performance adaptative. Ensuite, Huang et al. (2014, 163) rappellent que « les chercheurs ont bien identifié les capacités cognitives comme un prédicteur de la performance adaptative », des capacités cognitives entretenues par les pratiques de développement des compétences. Enfin, ces pratiques rendraient le salarié plus efficace sur son poste travail, ce qui le disposerait ainsi à mieux assumer des tâches ou des rôles inhabituels induits par la gestion d’un changement organisationnel. Le sentiment d’auto-efficacité a effectivement été identifié comme source d’une meilleure performance adaptative (Charbonnier-Voirin et El Akremi 2016). Nous supposons alors ce dernier lien : les pratiques de développement des compétences influencent positivement la performance adaptative. La Figure 1 ci-dessous illustre notre modèle de recherche théorique. En combinant les liens supposés ci-dessus, nous formulons l’hypothèse suivante : Les pratiques de développement des compétences influencent positivement la performance adaptative à travers la satisfaction des besoins fondamentaux.

FIGURE 1

Modèle de recherche théorique

Modèle de recherche théorique

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Méthodologie de l’étude empirique

Contexte de l’étude

La présente étude a été réalisée dans la filière automobile, un secteur qui nécessite un ajustement permanent des organisations et des équipes à cause d’une conjoncture cyclique et d’une concurrence exacerbée, notamment en Europe. L’industrie automobile est particulièrement présente en Europe centrale et orientale, notamment à travers l’implantation de grands groupes internationaux. Le secteur automobile européen y occupe d’ailleurs une place prépondérante. La Roumanie est le quatrième pays émergent producteur de voitures en Europe, après la République Tchèque, la Slovaquie et la Pologne, grâce à Dacia (Renault) et Ford.

La Roumanie a été le lieu de transformations des mentalités et de l’évolution des pratiques de gestion, principalement causées par la mondialisation et par les profondes réformes qui ont radicalement changé les activités, les routines et les comportements de tous les salariés.

Le groupe américain Ford a investi près de 800 millions d’euros en Roumanie depuis 2008. A Craiova, capitale de la région d’Olténie, les Américains ont acheté une ancienne usine du sud-coréen Daewoo en 2007 - que nous avons choisi d’étudier pour la présente recherche. A travers l’établissement de son réseau de fournisseurs, Ford a revitalisé l’économie de la ville et même de toute la région. Aujourd’hui, le management pratiqué dans cette usine et en Roumanie en général évolue pour correspondre à la vision contemporaine que l’on a de cette discipline. La majorité des voitures produites à Craiova sont destinées au marché européen alors que les moteurs sont livrés aux usines en Asie et en Europe. Les décisions du groupe américain pour réorganiser les activités de toutes les usines qu’il possède en Europe sont prises fréquemment et justifiées par les transformations continues du marché. La modification du schéma de production et du flux logistique global est un défi qui induit de multiples difficultés et qui nécessite une certaine flexibilité organisationnelle. De plus, chaque changement affecte en chaîne tous les partenaires du réseau constructeur automobile de Craiova. L’entreprise applique une politique visant à transférer régulièrement les managers exécutifs d’une unité à une autre, à la fois entre des usines européennes mais aussi entre les sites d’autres continents. En fait, très peu de gestionnaires restent plusieurs années au même endroit. Cette vision dynamique de l’ensemble de l’organisation est une priorité pour ces managers qui développent le processus dit de policy deployment[2]. Les ajustements permanents réclament une performance adaptative que le management des RH de Ford Roumanie s’efforce de favoriser via une politique RH centrée notamment sur le développement des compétences.

La société Ford Motors Romania alloue un budget pour le développement des équipes de travail et pour les processus de changement organisationnel. Le budget moyen pour les programmes de formation des salariés Ford était pendant les dernières années d’environ 10 M € par an.

Échantillon

Les données de cette étude ont été recueillies au moyen d’une enquête par questionnaire. Pour administrer le questionnaire, nous nous sommes adressés aux collaborateurs de Ford Craiova. Préalablement à l’étude, une lettre de présentation est distribuée au directeur des ressources humaines et au directeur général contactés. Elle présente l’origine et le cadre de la recherche. L’accent est mis sur les objectifs et les thèmes abordés dans le questionnaire. L’engagement à faire parvenir les résultats de la recherche est également signalé. De plus, il est précisé que l’anonymat des personnes interrogées est respecté.

L’entreprise ciblée a un effectif de 2668 salariés. Initialement, nous avions convenu avec l’équipe de direction d’administrer 300 questionnaires. Suite à des perturbations, 180 questionnaires sont administrés en face à face en juillet 2015. 161 questionnaires valides ont finalement été retenus, les autres comportant des données manquantes. La taille de notre échantillon est donc définie selon un arbitrage entre architecture de la recherche et faisabilité sur le terrain étudié. Si la faiblesse de notre échantillon ne permet pas de généraliser les résultats, cette limite de validité est évoquée dans la discussion.

L’échantillon retenu propose autant de travailleurs femmes que de travailleurs hommes. La structure professionnelle des répondants est la suivante :

  • 11 % de managers exécutifs : Plant manager, Area, Sector ou Department managers;

  • 19 % de managers intermédiaires : Team leader / Foreman, Superintendent;

  • 18 % de personnel administratif

  • 52 % d’ouvriers et d’exécutants.

Tous les répondants sont roumains. Les répondants travaillant dans l’industrie automobile ont une expérience dans l’entreprise élevée : 15,2 ans en moyenne. Cette valeur est expliquée par la conservation des fonctions des anciens salariés de l’usine après le rachat par Ford. Toutefois, plus de 30 % des questionnaires retournés ont été remplis par des nouveaux salariés avec une ancienneté de 3 à 7 ans.

Tableau 1

Echantillon de l'étude

Echantillon de l'étude

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À noter qu’au cours des trois années précédant l’étude, l’usine a enregistré des sous-performances liées à la réduction de la demande pour le modèle de véhicule fabriqué en Roumanie. De plus, les marchés européens ont contraint l’usine à réduire le nombre de salariés (de 20 %) et à induire le sentiment que cette tendance pourrait se poursuivre.

Mesure des concepts[3]

La collecte effectuée a permis de constituer un échantillon final constitué de 161 répondants. Il a été demandé aux personnes interrogées d’indiquer leur opinion sur une échelle allant de 1 « pas du tout d’accord » à 5 « tout à fait d’accord ».

Pratiques de développement des compétences - Les pratiques de développement des compétences sont mesurées à l’aide des échelles développées par Guay et al. (2000) et reprises dans Simard et al. (2005) et Tremblay et al. (2010). Nous avons utilisé la version courte qui correspond au facteur « développement des compétences ». Un item illustratif est par exemple « Mon organisation me donne la formation nécessaire pour bien effectuer mon travail ». Nos analyses (voir Tableaux 2 et 3) ont confirmé l’unidimensionnalité de ce construit avec une fiabilité très acceptable (alpha de Cronbach = 0,88).

Satisfaction des besoins fondamentaux - Il s’agit de l’échelle proposée par Brien et al. (2012). Exemple d’items : « Je peux assumer des responsabilités dans mon travail ». Nos résultats (Tableaux 2 et 3) ont démontré la validité des trois dimensions de satisfaction avec pour chacune une fiabilité acceptable (alpha de 0,70, 0,72 et 0,89).

Performance adaptative -SS Nous avons utilisé l’instrument proposé par Charbonnier-Voirin et Roussel (2012). Cette échelle de mesure capture les différentes facettes du construit et offre de bonnes qualités psychométriques. Elle s’appuie sur l’approche de Pulakos et al. (2000) et la complète. L’échelle comporte 19 items répartis en cinq dimensions. La dimension créativité/résolution de problèmes nouveaux, représente l’aptitude des salariés à trouver des solutions ou des approches nouvelles dans des situations complexes ou inédites. La seconde dimension correspond à la réactivité face aux urgences et aux imprévus. Elle rassemble les items qui saisissent les capacités individuelles de gestion des priorités. La troisième dimension, adaptabilité interpersonnelle, représente la capacité des salariés à ajuster leur style interpersonnel afin d’évoluer efficacement face à la diversité interne et/ou externe des collaborateurs. La quatrième dimension efforts d’apprentissage/développement des compétences capte l’attitude volontaire et proactive vis-à-vis du développement personnel. La cinquième dimension gestion du stress correspond à la capacité d’un individu à bien maîtriser et réguler son stress et celui de son équipe. Les cinq facteurs restitués par les analyses exploratoires et confirmatoires réalisées par Charbonnier-Voirin et Roussel (2012) capturent l’ensemble des comportements définis par Pulakos et al. (2002), à l’exception de la dimension Adaptabilité physique. Exemple d’items : « Dans mon service, on compte sur moi pour proposer des solutions nouvelles » ; « Je cherche des solutions en discutant calmement avec mes collègues ».

Les résultats ont démontré la validité de cinq dimensions. Chaque dimension représente une bonne cohérence interne (alpha de 0,85; 0,77; 0,73; 0,85 et 0,82).

Variables de contrôle : dans le cadre de notre modèle de recherche nous avons mobilisé deux variables de contrôle qui représentent des caractéristiques distinctives des personnes interrogées. Ces variables se rapportent à l’âge et à l’ancienneté dans l’entreprise.

Analyse des données

La modélisation par équations structurelles (SEM) est en mesure d’estimer et de tester simultanément notre modèle de recherche. Pour analyser les données nous utiliserons l’approche du PLS-SEM (Partial Least Squares SEM) de Wold (1985).

L’approche PLS fait partie des modèles d’équations structurelles, c’est « une démarche itérative non linéaire suivant les moindres carrés partiels qui minimise les variances résiduelles sous une contrainte de point fixe » (Fernandes 2012, 103). Hair et al. (2016) affirment que l’approche du PLS-SEM est devenue une bonne alternative aux approches basées sur la covariance (comme LISREL : Linear Structural Relationship).

Résultats

Conformément aux suggestions des auteurs comme Hair et al. (2016) et Sarstedt et al. (2014) sur l’utilisation de l’approche PLS, cette étude a suivi une démarche en deux étapes : (1) l’évaluation du modèle de mesure (modèle externe), et (2) l’estimation du modèle structurel (modèle interne) et du test de notre hypothèse.

Modèle de mesure

La validité des instruments de mesure a été testée grâce à une analyse SSfactorielle confirmatoire sur l’ensemble des instruments de mesures mobilisés (voir Tableau 2 et Tableau 3). Pour vérifier la validité des échelles de mesure utilisées nous avons suivi les étapes suivantes :

La cohérence interne : des auteurs comme Hair et al., (2013) et Sarstedt et al. (2014) suggèrent que sous l’approche PLS-SEM, la « fiabilité composite » est une alternative à l’indice alpha de Cronbach pour évaluer la fiabilité de la cohérence interne des construits. Selon Hair et al. (2013), des valeurs comprises entre 0,70 et 0,95 sont « satisfaisant à bon ». Dans le Tableau 2, toutes les valeurs sont > 0,6 ce qui soutient la bonne fiabilité des instruments de mesure.

La validité convergente : Les loadings des indicateurs de chaque construit ont été supérieurs à 0,5 (voir Tableau 2). Par ailleurs, les résultats ont montré que toutes les valeurs des variances moyennes extraites (AVE) étaient supérieures au seuil de 0,5 ce qui est considéré comme acceptable selon Chin (1998) et Hair et al. (2016).

La validité discriminante : Selon Fornell et Larcker (1981) pour établir la validité discriminante, la racine carrée de l’AVE pour chaque variable latente doit est supérieure aux valeurs de sa corrélation avec toutes les autres variables latentes. La matrice de corrélation dans le Tableau 3 montre que la validité discriminante a donc été établie pour tous les construits.

Tableau 2

Echantillon de l'étude

Echantillon de l'étude

Note : C.R = composite reliability; α = alpha de Cronbach; and AVE = average variance extracted.

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Tableau 3

Corrélations et résultats de la validité discriminante

Corrélations et résultats de la validité discriminante

Note : **La corrélation est significative au niveau de 0,01.

Les éléments en diagonale et en italiques sont les racines carrées de l’AVE (variance moyenne extraite).

En dessous les éléments diagonaux sont les corrélations entre les constructions.

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Modèle structurel

Pour l’opérationnalisation des variables dans le modèle final, les tests réalisés se sont basés sur les scores des échelles mentionnées précédemment. Après la validation des structures factorielles à travers l’Analyse factorielle confirmatoire les items des construits multidimensionnels ont été agrégés. Ainsi, la satisfaction des besoins fondamentaux et la performance adaptative ont été calculées en fonction des scores de leurs dimensions. Spécifiquement, les dimensions de chacun de ces construits sont formées de la moyenne de leurs propres items. Concernant le construit unidimensionnel des pratiques de développement de compétences les items n’ont pas été agrégés.

Estimation du modèle structurel : Notre modèle structurel, appelé aussi modèle interne, est évalué par rapport à la multicolinéarité, à la qualité d’ajustement du modèle et à la pertinence prédictive des variables latentes. Par ailleurs nous avons pris en compte plusieurs indices pour mieux étayer le bon ajustement de notre modèle (voir Tableau 3).

VIF (ou Variance Inflation Factor) : Pour détecter des multicolinéarités au sein d’un groupe de variables, l’indice VIF a été calculé. Les résultats ont montré que les valeurs VIF pour toutes les variables indépendantes se situaient entre 1,28 (Performance adaptative) et 1,39 (Satisfaction des besoins fondamentaux), ce qui indique que les résultats ne sont pas affectés négativement par la multicolinéarité car ils étaient tous inférieurs au seuil de 5 (Hair et al. 2013).

Coefficient de détermination (R2) : La valeur R2 est une mesure de la variance expliquée dans chaque construction endogène et la capacité prédictive du modèle. Selon Hair et al. (2013), Sarstedt et al. (2014) et Croutsche (2002), le R2 peut être considéré comme solide (pour une valeur de 0,75), modéré (pour une valeur de 0,50) ou faible (pour une valeur de 0,25). Les R² de notre modèle de recherche global sont (satisfaction des besoins fondamentaux : 0,46 et performance adaptative : 0,51) acceptables. Ainsi, le modèle est significatif.

GoF (Goodness-of-fit) : Le GoF est un critère global de la qualité d›ajustement SSdu modèle sous l’approche PLS-SEM. Il représente la moyenne géométrique de la communalité moyenne et du R² moyen (Amato, Esposito Vinzi, et Tenenhaus 2004). C’est un indice de validation globale du modèle PLS. Wetzels et al. (2009) recommandent un seuil de GoF> 0,36. Le GoF permet effectivement de juger simultanément la qualité des modèles de mesure et structurel. Pour notre modèle, le GoF de 0,97 est considéré comme acceptable.

Q2 de Stone-Geisser : Le Q2 appelé coefficient Q2 de Stone-Geisser est un autre indicateur d’évaluation du modèle structurel qui permet de mesurer la capacité prédictive du modèle. Le coefficient Q2 supérieur à zéro pour toute variable endogène indique que la pertinence prédictive des relations dans le modèle est acceptable (Hair et al. 2016). Les valeurs Q2 de Stone-Geisser pour l’ensemble des construits endogènes (sur le modèle global incluant toutes les variables dans l’étape 4) sont au-dessus de zéro (satisfaction des besoins fondamentaux : 0.28 et performance adaptative : 0,22) ce qui soutient la pertinence prédictive du modèle. Au regard de ces indices le modèle structurel est approuvé.

Testde l’hypothèse centrale : Nous cherchons à vérifier la relation entre les trois variables du développement des compétences, de satisfaction des besoins fondamentaux et de la performance adaptative. Par ailleurs nous testerons l’effet implicite de médiation du niveau de satisfaction des besoins fondamentaux.

La démarche de Baron & Kenny (1986) a été suivie dans la mise en évidence d’une médiation. Cette démarche nécessite la vérification des conditions suivantes :

  • Etape 1 et 2 : Tout d’abord, la variable indépendante (développement des compétences) et la variable médiatrice (satisfaction des besoins fondamentaux) doivent exercer un effet significatif sur la variable dépendante (performance adaptative).

  • Etape 3 : Ensuite, la relation entre la variable indépendante (développement des compétences) et la variable médiatrice (satisfaction des besoins fondamentaux) doit être significative.

  • Etape 4 : Enfin, la relation entre la variable indépendante (développement des compétences) et la variable dépendante (performance adaptative) en contrôlant l’effet de la variable médiatrice (satisfaction des besoins fondamentaux). Ainsi, l’effet indirect doit être supérieur à l’effet direct.

Résultats

La Figure 2 ci-dessous synthétise le modèle testé ainsi que les résultats de nos analyses.

Les résultats des analyses portant sur les étapes de la vérification de notre hypothèse sont présentés dans le Tableau 4. D’abord, le développement des compétences et la satisfaction des besoins fondamentaux exercent un effet significatif et positif sur la performance adaptative (ß de 0,54 pour un t – de Student – de 8,01; de 0,68 pour un t de 11,53). Ensuite, le développement des compétences impacte significativement et positivement la satisfaction des besoins fondamentaux (ß de 0,68 pour un t de 11,71). Enfin, l’effet de développement des compétences devient faible (ß de 0,16 pour un t de 1,99) dès lors que le médiateur est intégré dans le modèle (satisfaction des besoins fondamentaux). Il est à noter que les variables de contrôle relatives à l’âge et à l’ancienneté des répondants n’ont montré aucune interaction avec les autres variables du modèle.

Nous pouvons conclure à une validation de notre hypothèse de recherche. Il s’agit précisément d’une médiation partielle de la satisfaction des besoins fondamentaux de la relation entre le développement des compétences et la performance adaptative.

Discussion

Apports théoriques : une connaissance du processus favorisant la performance adaptative

Rares sont les études empiriques qui ont examiné les antécédents, les déterminants individuels (relations individu – situation) et les mécanismes intermédiaires de la performance adaptative (Charbonnier-Voirin et El Akremi 2016; Huang et al. 2014; Jundt, Shoss, et Huang 2015). Si Kayes (2015, vii) rappelle que « l’apprentissage et l’adaptation deviennent l’activité centrale pour les organisations qui construisent la résilience organisationnelle » et si les recherches sur le changement ont investigué les attitudes vis-à-vis du changement (Choi 2011) et les questions d’apprentissage (Chandler et Hwang 2015), aucune n’a à notre connaissance cherché à déterminer l’influence des politiques de développement des compétences et de la satisfaction des besoins fondamentaux sur la performance adaptative.

FIGURE 2

Modèle testé

Modèle testé

Note : p ≤ 0,10, * p ≤ 0,05, ** p ≤ 0,01, *** p ≤ 0,001)

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Notre recherche complète ainsi la littérature existante qui appelait à de plus amples investigations des leviers d’action et des processus intermédiaires (médiateurs) de la performance adaptative en intégrant des cadres théoriques multiples (Jundt, Shoss, et Huang 2015) et en investiguant l’autonomie au travail (Charbonnier-Voirin et El Akremi 2016). En effet, nos résultats suggèrent que la satisfaction des besoins psychologiques d’autonomie, de compétence et d’affiliation sociale permet ensuite le développement d’une performance adaptative. Nos données montrent aussi que cette satisfaction et cette performance adaptative sont provoquées par le développement des compétences. Plus les salariés développent leurs compétences, plus ils ont une maîtrise de leur poste de travail et y sont satisfaits. Cette maîtrise et cette satisfaction les disposeraient enfin à mieux assumer des tâches ou des rôles non-prescrits (en plus de leur activité classique – i.e. faire face au changement), et donc à avoir une meilleure performance adaptative.

Les attitudes des salariés vis-à-vis du changement seraient donc bien fonction de leurs perceptions de l’environnement organisationnel (Kirrane et al. 2017). En effet, Straatman et al. (à paraître) rappellent que selon Armenakis et Bedeian (1999), les éléments de contexte du changement - comme le soutien apporté par le management pour le développement des compétences - permettent le développement des attitudes (et donc des intentions) positives vis-à-vis du changement (Ajzen 1991).

Tableau 4

Résultats des analyses

Résultats des analyses

Note : p ≤ 0,10, * p ≤ 0,05, ** p ≤ 0,01, *** p ≤ 0,001.

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En fait, l’organisation apprenante (Senge et al. 1999) serait une organisation qui permet avant tout aux salariés de se développer sur leur poste, créant un « climat pour l’apprentissage » (Örtenblad 2013, 28). La performance adaptative est alors susceptible d’apparaître dans un contexte permettant une proactivité durable au travail. Strauss et Parker (2015, 50) rappellent que la proactivité « implique une action menée de sa propre initiative et orientée sur le futur qui vise à apporter un changement, dans son comportement ou dans son environnement de travail ». Il reste cependant à pondérer l’effet des différentes formes de la performance adaptative, selon qu’elle soit réactive ou proactive (Berg, Wrzesniewski, et Dutton 2010; Ployhart et Bliese 2006).

Nos résultats confirment aussi le discours des tenants de l’Organizational Development (OD) (Burke et Noumair 2015; Cheung-Judge et Holbeche 2011) pour qui la santé de l’entreprise est fonction du développement individuel du salarié (Allen et McCarthy 2016). Notre étude irait également dans le sens d’une approche émergente du changement organisationnel où celui-ci serait le fruit d’une accumulation de préparations et d’un alignement continu. En effet, Burnes (2012, 133) cite Falconer (2002) pour préciser que « l’approche émergente du changement est basée sur l’hypothèse que le changement n’est pas un processus linéaire ou un évènement unique et isolé, mais un processus continu, sans fin définie, cumulatif et imprévisible d’alignement et de réalignement de l’organisation à son environnement changeant ».

Un exemple de convergence entre GRH et OD (Rothwell 2010) apparaît ici : les salariés dont les compétences sont particulièrement développées deviennent en mesure d’augmenter leur performance adaptative et de rendre leur organisation agile. Notre étude confirmerait ainsi qu’une entreprise aurait intérêt à créer les conditions pour que le changement émerge principalement depuis la base de l’organisation. En effet, Buchanan (2016, 9) écrit que « le manager du changement ou le meneur du changement efficace change rarement quelque chose : leur rôle est d’orchestrer les conditions qui permettent aux autres de concevoir et de mettre en place les changements qui leur sont personnellement nécessaires ».

Plus généralement, nos données confirment l’effet positif de ce type de management sur les attitudes vis-à-vis du changement. Les antécédents du changement, comme le contexte interne dont les politiques de gestion des compétences font partie (Oreg, Vakola, et Armenakis 2011), ont effectivement un impact sur les réactions face au changement et les conséquences du changement. A l’instar du travail de Christian et al. (2017, 76) sur la dimension collective de la performance adaptative, « nos résultats montrent peut-être surtout que le contexte […] [conditionne la relation] avec la performance adaptative ».

Enfin, notre étude permet d’initier la discussion sur la manière dont l’environnement roumain influence nos résultats. En effet, si Örtenblad et al. (2013, 40) se demandent « si oui ou non, ou dans quelle mesure, l’idée de l’organisation apprenante est pertinente dans un contexte spécifique », nous pouvons nous demander s’il en est de même pour la performance adaptative. En effet, selon certains auteurs, l’idée de l’organisation apprenante nécessiterait une version qui prend en compte la culture afin de mieux faire sens auprès de ces organisations (Chen et al. 2010; Zhang, Zhang, et Yang 2004). Similairement, la notion de performance adaptative pourrait être dépendante du contexte culturel.

Apports pratiques : former et mesurer la performance adaptative

Dans l’action, la personne prend conscience d’elle-même, de son environnement et de ses capacités (Autissier, Johnson, et Moutot 2015). Il serait donc primordial de proposer aux collaborateurs des possibilités de développement des compétences pour permettre une actualisation permanente des connaissances et des ressources afin de pouvoir réaliser les objectifs. Les efforts de développement des compétences, par la formation notamment, témoignent la considération portée aux salariés par l’organisation qui considère son capital humain comme une source d’avantage compétitif. Le développement des compétences peuvent permettre de réduire les préoccupations liées aux inquiétudes, à l’organisation (légitimité du changement), à l’expérimentation (formation et accompagnement proposés) et à la collaboration (inquiétudes quant au transfert d’expertise/devenir une entreprise apprenante).

Les méthodes d’adaptation amenées par les entreprises industrielles occidentales fonctionnent à la fois comme un levier et comme un défi. Nous avons identifié tout au long de notre recherche qu’il y avait des aspects positifs générés par le système industriel mis en oeuvre, ainsi que des ressentis personnels négatifs caractérisés par quelques réticences, désapprobations et des craintes au niveau de l’individu envers les nouveautés, ce dont traite Șchiopoiu (2014) dans le contexte roumain. L’analyse de notre étude confirme ainsi l’éventail des attitudes possibles vis-à-vis du changement organisationnel (Choi 2011; Greenberg 2013).

Dans cet environnement marqué par de multiples changements, la performance adaptative est un élément crucial dans l’atteinte des objectifs de l’entreprise. Notre recherche confirme aussi la pertinence de la mesure de la performance adaptative qui s’avère fort utile pour évaluer (diagnostic des comportements), justifier (les effets obtenus) et apporter les actions correctives au niveau des leviers d’actions (ajustements). En effet, l’obtention des investissements nécessaires pour les initiatives dans le domaine du management des ressources humaines requiert désormais une argumentation solide. Il est important de démontrer l’impact des actions menées. Dans cette optique, il est essentiel de mesurer au mieux les effets des politiques et des pratiques de RH. Il s’agit d’indiquer les résultats après le déploiement. Dans les organisations en quête de mutation et de transformation, diagnostiquer la performance adaptative permet de mesurer l’état des compétences individuelles et de définir des programmes adaptés de formation et d’accompagnement du personnel et/ou d’opter pour une stratégie d’évolution appropriée en ce qui concerne les politiques et les pratiques de développement des compétences.

Conclusion

L’objectif de cet article était de comprendre les effets des pratiques de développement des compétences sur la performance adaptative, à travers la satisfaction des besoins fondamentaux.

A l’aide de la technique des PLS appliquée aux données récoltées auprès d’un échantillon de 161 salariés roumains de l’industrie automobile lors d’une enquête menée en 2015, nos résultats ont montré que le développement des compétences influence positivement la performance adaptative avec une médiation partielle de la satisfaction des besoins fondamentaux. Les perceptions de développement, et donc de satisfaction, sur un poste de travail disposeraient ainsi le salarié à mieux assumer des tâches ou des rôles inhabituels induits par la gestion d’un changement organisationnel.

Limites

La taille restreinte de notre échantillon appartenant à une seule entreprise et le contexte roumain spécifique limitent la généralisabilité des résultats. Toutefois, notre étude permet déjà de soulever des propositions prometteuses pour des recherches futures. L’objectif de notre travail était surtout de comprendre comment favoriser la performance adaptative dans un contexte de changement permanent.

Une autre limite de notre étude est que les données primaires proviennent d’une unique source : un même questionnaire administré aux salariés. Cette limite correspond au biais de méthode commune et apparaît lorsqu’un même questionnaire mesure à la fois les variables indépendantes et dépendantes du modèle. Si nous n’avons pas pu collecter les données auprès de sources différentes (notamment auprès des managers) ou administrer le même questionnaire plusieurs fois (pour mesurer un éventuel décalage avant que la performance adaptative n’apparaisse), nous avons pu limiter ce biais par d’autres moyens. En effet, nous avons (1) garanti l’anonymat des répondants pour qu’ils se sentent libres de répondre, (2) eu recours à des échelles de mesure solides, et (3) organisé l’ordre des items afin que l’on puisse clairement distinguer les variables dépendantes des variables indépendantes (Podsakoff et al. 2003).

De plus, si nous n’avons pas pu mesurer la performance adaptative des collaborateurs auprès de leurs managers, les recherches futures pourraient envisager cette piste. Parallèlement, une collecte de données longitudinale pourrait permettre d’identifier un éventuel décalage avant que la performance adaptative n’apparaisse.

Perspectives de recherches futures

A noter que la relative simplicité de notre modèle de recherche appelle à de plus amples investigations pour le compléter. Il serait par exemple intéressant d’analyser les antécédents et les conséquences de chacun des trois besoins sur les différentes dimensions de la performance. Une autre piste serait l’exploration de l’impact des différents types de pratiques de développement des compétences ou celui d’autres pratiques RH sur la performance adaptative – comme Khan et al. (à paraître) viennent de faire sur la résilience.

Nos premiers résultats mériteraient également une confirmation empirique supplémentaire, par exemple dans d’autres contextes ou sur un échantillon plus important voire dans d’autres contextes – comme celui des populations managériales dont le mécanisme de développement de la performance adaptative pourrait être particulier (Huang et al. 2014). Davantage de recherches pourraient aussi investiguer comment les formes de la performance adaptative (proactive ou réactive) peuvent être influencées par d’autres variables intermédiaires. Ensuite, tout comme l’étude de Branicki et al. (à paraître) sur la résilience, il serait opportun de se pencher sur les différents niveaux de performance adaptative et sur leurs relations, que ce soit auprès de l’individu, de l’équipe (i.e. Christian et al. 2017) et de l’organisation.

Enfin, si notre article suggère que le développement de la performance adaptative est susceptible de passer par la prise en compte des besoins fondamentaux et du développement des salariés, la littérature sur l’apprentissage organisationnel pourrait davantage se nourrir des travaux en GRH afin de générer des attitudes positives de la part des salariés. Hotho et al. (2015) avaient déjà recommandé de mieux combiner l’approche de l’apprentissage organisationnel et celle de la stratégie internationale afin de proposer de meilleures contributions scientifiques.