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La pensée et l’oeuvre d’Yves Congar inspirent une nouvelle génération de chercheurs et on ne peut que se réjouir de voir cet héritage fructifier à travers leurs travaux. François-Marie Humann en fait partie et ce 274e volume de la collection « Cogitatio Fidei » publie sa thèse réalisée à l’Institut Catholique de Paris. La relecture qu’il propose s’intéresse à une question clé de la théologie d’Yves Congar, la théologie de l’Esprit-Saint. En effet, celui-ci, au contact avec la pensée orthodoxe, a milité en faveur d’une ecclésiologie pneumatologique, consacrant un important ouvrage à l’Esprit-Saint (Je crois en l’Esprit-Saint), au tournant des années 1980. Toutefois, même si Congar a dénoncé le christomonisme en ecclésiologie et en théologie des ministères, il est indéniable que sa première ecclésiologie a été davantage christologique et que, par la suite, l’articulation entre les deux missions trinitaires, celle du Christ et de l’Esprit, a été plus de l’ordre de la juxtaposition que de l’articulation. C’est précisément à cette relation de l’Esprit-Saint au Christ qu’est consacrée cette recherche, question d’un grand intérêt oecuménique en raison de la querelle autour du filioque. En ce sens, entrer dans cette question à partir de Congar s’impose encore davantage en raison de sa qualité d’oecuméniste et d’ecclésiologue.
La première partie de l’ouvrage retrace la genèse d’une christologie pneumatique dans l’oeuvre de Congar. Ce parcours est réparti en trois étapes : des années 1930 aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale, de la fin de la Deuxième Guerre mondiale au Concile Vatican II et, finalement, la période postconciliaire. Cette périodisation me semble s’imposer, non seulement en fonction de critères externes — les grands événements déterminant la délimitation des périodes — mais en raison même des étapes que l’on peut identifier dans l’évolution de la pensée et de l’oeuvre d’Yves Congar, notamment sur la question de la relation du Christ à l’Esprit-Saint. La première période montre que les réalités christologiques et pneumatologiques sont simplement juxtaposées dans l’oeuvre de Congar, dans le cadre d’une ecclésiologie marquée par la pensée scolastique. La deuxième période, où la méthode théologique évolue sensiblement, est marquée par une réflexion en profondeur qui se traduit dans plusieurs articles importants sur la relation entre christologie et pneumatologie, réflexion sans doute influencée par la réflexion de Congar sur les rapports entre Orient et Occident. Les années 1950-1955, marquées par plusieurs anniversaires qui conduisent à autant d’articles importants (le 900e anniversaire du schisme de 1054, le 1 500e anniversaire du Concile de Chalcédoine et le 100e anniversaire de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception), me semblent représenter le foyer de cette réflexion. Enfin, la dernière période se caractérise par un aboutissement de cette réflexion dans le cadre d’ouvrages de synthèse importants : Je crois en l’Esprit-Saint (3 volumes) et La Parole et le Souffle.
La deuxième partie (chapitres V à VIII) présente l’anthropologie ou la relation de l’homme à Dieu comme le motif central du rapport entre le Christ et l’Esprit chez Congar. C’est sans doute là le coeur de cet ouvrage et l’A. a bien compris la place déterminante qu’occupe « la question de l’homme dans l’itinéraire intellectuel de Congar » (p. 127), en particulier à partir de son expérience de captivité au cours de la Deuxième Guerre mondiale, mais déjà auparavant. C’est dans cette section (p. 131) que l’auteur fait appel pour la première fois à un ouvrage fondamental pour comprendre la pensée de Congar, son Journal d’un théologien. Les deux premiers chapitres de cette section suivent davantage l’approche plus historique ou génétique de la pensée de Congar (son « tournant anthropologique » et son dialogue avec la Réforme), alors que les deux autres procèdent davantage à partir d’une approche systématique. Enfin, la dernière partie, qui comporte également quatre chapitres, est résolument systématique. Nous ne sommes plus à proprement parler ici dans une « relecture d’Yves Congar », comme le suggérait le sous-titre (Balthasar, le théologien le plus souvent cité dans l’ouvrage si l’on se fie à l’index onomastique, y revient plus souvent que Congar), mais dans l’élaboration d’une théologie systématique, principalement sur la base des sources patristiques (tout le chapitre X y est consacré), de la relation de l’Esprit-Saint au Christ.
L’ensemble témoigne d’une excellente connaissance de l’oeuvre de Congar même si, et ce sera ma principale réserve, celle-ci est saisie un peu en l’absence de la vie de Congar. Certes, l’A. voit bien que la pensée de Congar « s’est largement enrichie et même modifiée au contact des rencontres humaines et du brassage social et religieux […] » (p. 26) ou que son expérience de captivité a été importante (p. 131), mais l’homme Congar (ses rencontres, son expérience) disparaît derrière les écrits de Congar qui, certes, sont présentés avec quelques repères contextuels (la célébration des divers anniversaires que nous avons évoqués ou le dialogue oecuménique), mais qui sont surtout considérés en dehors de leur histoire. Pourtant, encore une fois, l’A. nous dit à quel point l’histoire est capitale pour Congar et sa théologie, et combien l’anthropologie ou la « chair du monde », expression de Merleau-Ponty à laquelle on a recours (p. 338), est cruciale pour sa réflexion. Ce sont probablement ces éléments qui manquent le plus dans ce livre. S’il est vrai que Congar procède davantage à partir d’une approche historique et économique de la Révélation plutôt qu’avec une méthode conceptuelle-déductive (ce qui nous est rappelé à la p. 128), la relecture de Congar gagnerait sans doute à adopter une méthode appropriée à son objet de recherche.
Par ailleurs, la place faite à l’orthodoxie dans cet ouvrage sur le rapport entre le Christ et l’Esprit-Saint ne m’a pas paru excessive, pour dire les choses ainsi, et elle ne semble intervenir qu’après le Concile Vatican II (p. 26, 30, etc.). En revanche, la place faite au dialogue avec la Réforme — qui est certes très important dans la vie et l’oeuvre de Congar — occupe une place beaucoup plus importante : toute une section du chapitre III est consacrée au dialogue avec Luther, de même que tout le chapitre VI. Non seulement on ne trouve pas d’équivalent pour le dialogue avec l’orthodoxie, mais le chapitre III, par exemple, ne traite pas en profondeur d’une « publication importante » (p. 77) à l’occasion de l’anniversaire du Grand Schisme. On a peut-être minimisé l’apport de la pensée orientale dans l’oeuvre de Congar et, cela, dès les années 1930.
Bref, un ouvrage qui aborde un grand auteur et une question capitale pour le dialogue oecuménique actuel. Un travail rigoureux qui fait preuve d’une bonne connaissance de l’oeuvre de Congar et qui ne répète pas les nombreuses études déjà réalisées sur ce théologien. L’ensemble est suivi d’une bibliographie où l’on trouve les nombreuses études récentes qui lui ont été consacrées, ainsi qu’un index onomastique qui permet de naviguer avec plus d’aisance dans l’ouvrage.