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Dans son étude sur la rhétorique de l’autoportrait littéraire, Miroirs d’encre[2] (1980), Michel Beaujour postule que « [l]’autoportrait se présente à nous comme une combinaison du Sphinx et d’Oedipe, comme une tension perpétuelle, toujours défaite et toujours renouée, entre “le monstre inouï posant des énigmes” et l’interprète qui résout l’énigme symbolique[3] ». L’énigme suppose une chose difficile à comprendre, à expliquer, à connaître. Mais le Sphinx, posant l’énigme, en connaît, lui, la résolution. Est-ce à dire que l’autoportrait découvre, dévoile un secret, caché, une chose qui nous était voilée ou devant laquelle on se voilait les yeux ? Ses pratiques contemporaines reconduisent-elles l’antique topos, convoqué dans une vaste étude sur le genre de l’autoportrait conduite par Omar Calabrese[4], de Philon d’Alexandrie, un philosophe chrétien du 1er siècle qui soutenait que « immanquablement, les oeuvres d’art révèlent leur créateur » ? « Qui, en effet », demandait-il, « en regardant des statues ou des peintures, ne s’est pas fait aussitôt une idée sur le sculpteur ou le peintre ? » Toute oeuvre d’art serait-elle dès lors un autoportrait ? L’idée de Philon d’Alexandrie se répercute jusque dans la tendance largement répandue à chercher dans les romans de fiction des indices qui pointeraient vers l’auteur·rice et permettraient une lecture autobiographique. Là où Philippe Lejeune parle d’un « soupçon biographique[5] », François Nourissier propose quant à lui que c’est peut-être l’un des plus vifs plaisirs du lecteur, ce « frémissement » qui l’émeut quand il a l’impression d’avoir affaire à un « roman-confidence[6] ».

Chercher l’aveu, la chose vraie, la vraie peau en dessous de la peau de nylon, est-ce que c’est ça, le projet de l’autoportraitiste ? Dans Renaître (2010), une édition posthume des journaux de Susan Sontag réalisée par son fils, l’écrivaine américaine écrit : « Je porte une peau de nylon. Cela prend beaucoup de temps + d’efforts de la maintenir en bon état, et elle ne me va pas parfaitement, en plus, mais j’ai peur de l’enlever, car je ne crois pas que la peau humaine qui est dessous pourra le supporter[7]. » Que craint Sontag qu’il arrive à sa peau sous le nylon si elle venait à paraître ? Quel risque court-elle à se retrouver nue, sans la peau synthétique pour protéger la « peau humaine » ? Peut-être est-ce pour écarter ce risque que l’autoportraitiste recourt à diverses stratégies pour se découvrir sans se démasquer. Le geste de se « confier », dans l’autoportrait, est un geste autoréflexif particulièrement attentif aux conditions de sa réalisation; il est accompli sans compter sur la discrétion du destinataire — l’autoportraitiste, après tout, désire être vu —, mais sans rien lâcher plutôt du contrôle des effets et des conséquences de la confession.

Je m’attacherai, dans cet article, à penser la manière dont l’autoportraitiste répond à la grande question « Qui suis-je ? » — qui n’est pas sans favoriser la confidence. Or, en se racontant — en insistant sur le présent de l’énonciation qui permet à cette narration d’advenir —, l’autoportraitiste ne se décrit pas tant qu’il « se produit », et peut-être produit-il même une sorte de peau synthétique semblable à celle de nylon dont Sontag dit être recouverte, qui colle plus ou moins à la peau humaine qui se trouverait en dessous.

Pour ce faire, l’autoportraitiste n’en entreprend pas moins souvent de décrire son corps — l’autoportrait est le seul genre, pour Michel Beaujour, « où l’écriture est inéluctablement amenée à s’interroger sur le lieu de sa production, sur l’incarnation du verbe et sur la résurrection du corps[8] » —, mais c’est un corps en morceaux qui, rapidement, apparaît sous sa plume et ne lui suffit pas pour rendre compte de lui-même. Il emploie alors toutes sortes de moyens détournés : mention de son signe astrologique, portrait chinois, tests de personnalité, descriptions des vêtements, du décor dans lequel a lieu la scène de création de l’autoportrait. Ainsi, l’expression de l’aspect physique (extérieur) se double de l’expression des affects (aspect intérieur) qui s’insère dans un contexte narratif éclairant une personnalité. L’autoportrait, postule Calabrese, n’est donc plus simplement le reflet de l’auteur sur une surface réfléchie, il est aussi le reflet de son âme[9]. C’est également sur cette base que naît, à la fin du 16e siècle et au 17e siècle, la physiognomonie.

Je me propose ici d’observer, à travers des oeuvres précises, dans quelle mesure cette articulation entre extériorisation et intériorité se révèle féconde — et productrice autant de sujets que d’oeuvres. Ce corpus, extensible et composite, a été choisi notamment afin de dégager des stratégies formelles et critiques différentes, et de parcourir sur plusieurs versants de cette question de la représentation de soi et de la confession dans l’autoportrait littéraire, à la manière d’Alix Cléo Roubaud qui articule, dans son Journal (2009), confession et photographie :

Autoportrait photographique, comme la transposition du regard de Dieu, une métaphore, un relai. Comme la confession est un relai opéré par le repentir.

La photographie est : comme se déshabiller devant le médecin (le savoir); l’amant (le don) ; la société (la séduction, l’uniforme). Et cependant la forme spécifique de la conversation à trois termes qu’est la confession doit avoir son équivalent visuel[10].

Cet article veut décrire le comment, la manière par laquelle l’autoportrait advient et, avec lui, la confidence de l’autoportraitiste qui entreprend d’y dire « me voici tel que je suis (ou tel que je voudrais être vu) ». Mon étude est, dans sa forme même, le résultat d’une expérimentation croisant les analyses textuelles et les ancrages théoriques sur lesquels je me suis appuyée. Elle relance l’interrogation relative aux liens entre photographie et littérature, et s’inscrit de surcroît dans une perspective qui suppose qu’il est utile, sur le plan d’une épistémologie de la littérature, de lire des textes comme des autoportraits et de dégager ce qui, en eux, a à voir avec cette pratique lourde de son héritage pictural et photographique et du modèle philosophique de la connaissance de soi ou de la confession.

I. « Par l’aveu, je décide de moi[11]. »

Il existe un consensus dans la critique sur l’autoportrait[12] qui voudrait, pour paraphraser Beaujour, que l’autoportraitiste tienne « le discours de sa vérité à partir d’une économie qui est celle de son corps[13] ». Le corps de l’autoportraitiste est un corps qui écrit (ou qui pratique un art), donc le lieu de production de l’activité stylistique. Pour Luigi Magnon, « [i]nsérer le corps dans l’art équivaut pour beaucoup à travailler sur son propre corps, voire à même le corps comme moyen, support, surface d’inscription[14] ». Qu’est-il écrit, alors, sur ce corps ? Quelles informations, quels messages transmet-il ? L’image d’auteur·rice qui point dans la scène de l’artiste au travail — la manifestation visible et physique de la subjectivité, de l’ego — est peut-être elle-même à envisager comme médium qui permet de mettre en relation le texte et le corps de l’auteur·rice. Le corps est aussi une voix, un corps énonçant[15]. Mais l’autoportrait ne peut pas saisir tout le corps par la description (peut-il même le saisir en partie ?) et c’est peut-être « précisément dans la mesure où il prend le langage pour thème, où il interroge et décrit son langage — dans la mesure même où l’autoportrait est toujours, d’emblée, discours et métadiscours — que l’autoportraitiste laisse dire son corps[16] » ? 

I.1. « Comment étaient donc les hommes sans portrait[17] ? »

Pour Michel Beaujour, « l’étude de l’autoportrait doit s’ouvrir par une analyse des Confessions de saint Augustin, ou du moins par celle de leur dixième livre, qui présente en creux, pour ainsi dire, les principaux linéaments de l’autoportrait méditatif et topique[18] ». Frédéric Boyer, qui en a actualisé la traduction en 2008 chez P.O.L sous le titre Aveux, rappelle que c’est en réaction à un Empire divisé (ou, du moins, dans ce contexte) que saint Augustin écrit ses Confessions : « Dans ce monde ouvert et sans limites, dans ce monde ancien et inconnu, les questions les plus urgentes seront : qui suis-je ? que faire de ma vie[19] ? » Augustin n’est pas le premier à raconter sa vie ni même le premier à écrire ses aveux, poursuit Boyer, « [m]ais il est sûrement le premier à être capable d’exprimer le débordement de l’angoisse, cette horreur de soi et de l’existence familière qui nous prend soudain à la gorge jusqu’à presque détruire notre conscience de nous-mêmes quand nous sommes happés par le désir de changer, d’être meilleur et de devenir autre[20] ». Selon Rousset, cité par Beaujour, les questions relatives à « l’expression de la voie intérieure », telles que « “Est-il possible de se connaître ?” “Quels sont les moyens d’expression du for intime ?” », peuvent être explorées dans les autoportraits, les essais, la méditation, le journal intime, où l’on parle de soi à soi-même et pour soi-même; mais, poursuit-il, « [o]n peut parler aussi par le détour de la fiction et par personnes interposées — à supposer que la fiction et la création soient absentes des formes directes de l’autobiographie[21] ».

Tous s’entendent, toutefois, pour reconnaître que l’expression de l’intériorité exige un support extérieur, une extériorisation. Chez Alain Baczynsky, artiste israélien d’origine belge, ce support — d’abord une psychanalyse — finit par ne pas suffire. Pendant les trois ans que durera son analyse, il dédoublera (redoublera ?) le processus de connaissance de soi entamé dans le bureau de l’analyste en se rendant à l’issue de chaque séance au Photomaton de la station de métro la plus proche, Jussieu, pour produire un autoportrait. « Avant tout homme d’image », rappelle Clément Chéroux, qui signe la préface du livre colligeant la démarche de l’artiste, Regardez, il va peut-être se passer quelque chose, Bacsynksky ne se contente pas du processus d’élaboration par la parole : « il croit au pouvoir de l’automatisme — celui du Photomaton, comme celui du processus récurrent auquel il s’astreint —, à sa capacité à faire sortir les choses et à révéler l’inconscient[22] ». Cherche-t-il à capter les transformations induites par la thérapie ? Quelle énigme essaie-t-il de résoudre par ce processus ? Clément Chéroux lie le résultat du processus de l’artiste, s’étalant sur près de 30 mois, entre février 1979 et juillet 1981, produisant 242 autoportraits automatiques, à une autre série réalisée au milieu du 19e siècle, dans un contexte très différent, par le physiologiste Guillaume Duchenne de Boulogne. Le médecin, rappelle Chéroux, « photographia [avec l’aide d’Adrien Tournachon, le frère de Nadar] un patient dont les muscles faciaux étaient méthodiquement électrisés afin d’établir une typologie des expressions du visage humain : mépris, douleur, tristesse, etc.[23] ». Sa recherche s’inscrivait dans la tradition de la physiognomonie, discipline apparue au 18e siècle et qui, au moment où Baczynsky reprend l’hypothèse d’une extériorisation des sentiments, a été reléguée au rayon des parasciences. C’est dans le contexte de la psychanalyse, postule Chéroux, que le photographique « nous offre un nouveau Traité des émotions[24] ».

Le samedi 12 janvier 1980, il fait la tête, comme on le dit de quelqu’un qui boude. « À cette expression, il n’y a rien à ajouter », est-il écrit au verso de l’image. Rien à ajouter en effet, puisqu’il maîtrise avec talent l’art de la pantomime. Il y a de l’acteur en Baczynsky lorsqu’il rejoue dans la cabine ce qui s’est dit — ou non — pendant la séance de psychanalyse qui a précédé la séance photo : « Lorsqu’il [a été] question de sexe, il fait mine d’ouvrir sa braguette. S’il a parlé d’argent, il apparaît avec un billet dans la bouche. S’il est resté muet, il ferme les lèvres, ou disparaît de l’image. […] Il mime la colère, la joie, [l’envie de] pleurer[25]. » Le visage, par ses expressions, révèle des sentiments : crainte, inquiétude, angoisse, peine. Mais Baczynsky, avec son « extraordinaire collection de “têtes d’expression” », subit-il, en tant que modèle du portrait, le même sort que les héros de fiction ? « [Paul] Ricoeur observe en effet cette propension à blâmer ou à louer les personnages des récits littéraires », écrit la sémioticienne spécialiste de l’image Anne Beyaert-Geslin dans Sémiotique du portrait, rappelant que, dans le portrait, contrairement à ce qui se produit dans un récit exposant les actions qui vaudraient aux personnages cette moralisation, les préjugés de la physiognomonie sont la seule grille interprétative[26].

Difficile en effet de juger la valeur de celui qui, jouant un mimodrame intime derrière le rideau de la cabine Photomaton du métro Jussieu, « réinvente le langage des signes[27] ». Est-ce la solitude de la cabine photographique qui épargne à Baczynsky l’angoisse de « perdre la face » ? Le monde continue pourtant de grouiller de l’autre côté du rideau tiré, comme de l’autre côté de la porte de la salle de bain de la librairie Le Port de tête, dans laquelle se réfugie, en plein lancement, l’écrivaine québécoise Vickie Gendreau :

Je guette la porte, j’ai peur qu’il surgisse. Je vais verser ce qui me reste de face dans le lavabo encore. Je vérifie que je suis safe puis floc, ça remplit tout le lavabo d’un coup. Je sors sur la terrasse. Fumer toute seule. Loin des visages. Si je n’ai pas de visage, personne n’a de visage. Sujet à proverbe. […] Où est Stanislas ? Regard dans l’espèce de miroir d’autobus perché entre les livres. Proust, Proust, Nietzsche et moi, pas une écrivaine. Bien loin de la littérature, je suis. Entre les deux rangées. À essayer de mémoriser les titres de films qu’on me suggère. Plus de vin. Plus de mélancolie. Plus de vin[28].

Dans Testament (2012), Vickie Gendreau s’imagine, à la suite d’un diagnostic de tumeur cérébrale, déjà morte, et se raconte à travers le regard de ses ami·e·s et de sa famille; elle se met en scène au milieu du petit monde littéraire montréalais, poursuivant un garçon qu’elle aime, mais qui en aime une autre, se débattant à la fois avec son aspiration à la légitimité littéraire et avec la maladie dont elle va mourir, elle en est sûre, bientôt. La menace de « perdre la face » vient de partout, et si le roman s’attelle, avec les ressources qui sont les siennes, à essayer du mieux qu’il peut de prolonger la durée de vie du visage déposé, « floc », dans le lavabo de la salle de bain exiguë du Port de tête, il entreprend en même temps de multiplier sur ce visage les regards et les masques revêtus successivement pour plaire ou déplaire à ces regards. Vickie Gendreau devient au fil du livre tour à tour une poupée gonflable, une clé USB, une boîte noire, une image de malade sur un paquet de cigarettes, « un petit amalgame de chair trop assaisonnée[29] »; une sorte de vanité peut-être, comme celle qui marque pour Omar Calabrese, en peinture, le début de l’abandon de la figure dans l’autoportrait contemporain[30]. Le visage, force d’incarnation, est en effet dans l’autoportrait souvent mis à mal, transformé, voilé, masqué, détruit[31].

I.2. Une silhouette composée de branches et de racines rhizomatiques

« Par opposition à la présence non organique de la matière inerte », écrit Hannah Arendt dans « L’apparence », « les êtres vivants ne sont pas qu’apparences » :

Les objets vivants se présentent, comme des acteurs, sur une scène qu’on leur a préparée. C’est une scène commune à tous les vivants, mais elle semble différente à chaque espèce, et aussi à chaque spécimen. Sembler — le « il me semble » dokei moi — est le mode, le seul possible peut-être, selon lequel on peut prendre conscience d’un monde apparent et le percevoir. Paraître signifie toujours sembler aux autres, et ce sembler varie selon le point où se place le spectateur et la perspective qu’il adopte. En d’autres termes, toute chose qui paraît acquiert, en vertu de son paraître, une espèce de masque qui peut très bien, mais pas nécessairement, la dissimuler ou la déformer. Le sembler correspond au fait que toute apparence, malgré sa propre identité, est perçue par une multiplicité de spectateurs[32].

Dans Chaque jour est un arbre qui tombe[33] (2005), le personnage Hippolyte, sorte d’alter ego de l’écrivaine Gabrielle Wittkop, se trouve dans une salle d’examen devant une radiographie de ses vertèbres. Suivant Arendt, l’acteur dépend de la scène, des autres acteurs et des spectateurs; tout objet vivant ainsi a besoin des autres pour reconnaître son existence, mais le sujet chez Wittkop se détourne du diagnostic médical pointé par l’index pédant du praticien, se retourne sur lui-même, retourne en lui-même, là d’où la vie commence en boucle, s’engendre d’elle-même. Chaque jour est un arbre qui tombe explore le mouvement décrit par Arendt et auquel chaque vie serait soumise : « un processus de développement au cours duquel une entité se déploie selon un mouvement ascendant jusqu’à ce que tous ses attributs soient bien en vue; à cette phase succède un temps d’arrêt — floraison ou épiphanie, si l’on veut — qui est suivi à son tour d’un mouvement descendant de désintégration résolu en une disparition totale[34] ».

Au beau milieu du corps et de ses structures les plus secrètes, la courbure embryonnaire, ses redondantes germinations permettent à l’arbre de tomber chaque jour et pourtant de demeurer « comme le germe des tachigalias, ces géants suicidaires qui périssent après une seule floraison[35] ». Ici, l’autoportrait est affaire de spéléologie. Il faut, à l’Hippolyte de Wittkop, « [s]’avaler dans la caverne de [sa] propre gorge, descendre avec [son] oeil et [son] âme dans les chairs friselées, ondulées, crépues, nervurées de l’oesophage, jusqu’au plus noir, au plus profond de [ses] entrailles[36] », se désintéresser enfin de « la géométrie d’un visage[37] » que l’oeil d’autrui a de toute façon déformé dans une étude au crayon et qu’il a réduit à un « assemblage de formes inhabitées[38] ». Sous terre, il n’y a aucune source lumineuse et, passé quelques virages, la lumière extérieure n’est plus perceptible. Sans éclairage, la progression du spéléologue est impossible. C’est grâce à une exposition aux rayons X que l’intérieur du corps s’extériorise sur l’écran fluorescent de la radioscopie, que le dedans — la colonne invertébrée comme celle d’un reptile, désalignée et flexible, le contraire d’un pilier qui tiendrait droit — est mis au jour sur la surface plane du dehors : « D’un index pédant, le praticien indique sur la radioscopie la déviation de mes vertèbres cervicales. Intéressante photographie. Memento mori. Confrontation inopinée presque à mes structures les plus secrètes[39]. » Sur la photographie prise par le praticien et décrite par Hippolyte, la « tige fragile », lumière blanche sur fond noir, et ses « germinations » qui se répandent dans toute la nuque, dans le reste du dos qu’on ne peut qu’imaginer, de même que le filet de taches blanches verticales qui tiennent ensemble par un lien ténu, forment ensemble quelque chose comme « l’arbre de la vie[40] ». Cette image radiographique me fait penser aux racines adventives de la planche d’anatomie à la fin de Roland Barthes par Roland Barthes[41].

Si l’on se fie à l’épigraphe à la fin du livre de Barthes, écrire le corps (ou le décrire, comme dans l’autoportrait), la totalité du corps, ce ne serait donc dire « [n]i la peau, ni les muscles, ni les os, ni les nerfs, mais le reste : un ça balourd, fibreux, pelucheux, effiloché, la houppelande d’un clown[42] » ? Il est vrai que le personnage dessiné par les racines sur la planche d’anatomie a quelque chose d’indéterminé, comme le pronom démonstratif « ça »; quelque chose de souterrain comme les pulsions inconscientes auxquelles le « ça » réfère en psychanalyse.

I.3. Des robes habitées par des fantômes

Anne Beyaert-Geslin postule que « le visible du portrait cache un visuel à reconstruire[43] ». L’autoportrait se doit de porter attention à ce qui ne se voit pas, à ce qui est hors champ, aussi à ce qui n’est pas montré, volontairement hors cadre. La photographie qu’étudie Gabrielle Wittkop dans Chaque jour est un arbre qui tombe est une radiographie, une photo de ce qu’on ne peut pas voir à l’oeil nu, et même de ce qu’on ne peut pas voir tout court. L’autoportrait met donc en forme une identité fragmentée, multiple; en tant que portrait, il instaure une dialectique entre la présence et l’absence du modèle. Il existe, en effet, un travail figuratif de l’absence. Pour Beyaert-Geslin, le portrait relève d’un projet de pérennisation. Il se propose de conserver l’image d’un être absent, dans un battement de présence-absence qui :

s’inscrit dans une expérience plus générale et de plus en plus banale de conjugaison de l’absence et de la présence, par laquelle l’espace lointain perce le proche. […] L’interrogation de la présence inclut donc la possibilité de l’absence. En somme, la présence est nécessairement travaillée par l’absence. C’est même l’absence qui la détermine[44].

Dans Le regard du portrait (2006), le philosophe Jean-Luc Nancy écrit en effet que « [le] portrait rappelle la présence, aux deux valeurs du mot “rappel” : il fait revenir de l’absence et il remémore dans l’absence[45] ». Et dans Chaque jour est un arbre qui tombe, Gabrielle Wittkop raconte qu’Hippolyte avait aimé un cerf-volant, « un grand dragon d’Or, déchiré pourtant, qu’un jour d’enfance le vent lui avait retiré en douceur » :

[…] soudain la corde n’était plus entre ses doigts et lui, là-haut, suspendu sur le ciel mauve où pas un oiseau ne volait, sur la mer mauve où pas un bateau ne passait, ne fuyant même pas mais intangible, irréversiblement parti, parti pour jamais, présent encore, immobile et jaune et superbe. Courant sur les galets, pleurant tout bas, Hippolyte avait aimé le cerf-volant d’être perdu, l’avait aimé comme un ami mort[46].

« [P]arti pour jamais », « présent encore »; l’autoportraitiste serait peut-être dans l’autoportrait telle cette armature légère sur laquelle est tendue une étoffe qui n’est attachée à la terre que par une ficelle dans une main humaine, une main faillible, qui peut l’échapper, l’abandonner à la menace du vent de le reprendre, de l’arracher. La main d’Hippolyte qui cherche entre ses doigts la corde du cerf-volant envolé est comme la fille de Dibutade, peut-être, qui trace les contours du visage de son amoureux qui s’en va. La trace, le trait, la sensation fantôme dans la main, c’est ce qui demeure de ce qui est parti.

Ces contours qui découpent, qui tracent, cette circonscription de l’ombre par la fille de Dibutade, du profil de son amoureux projeté sur le mur fixe, rappelle Beyaert-Geslin, composent la première définition du portrait comme ritratto[47]. Le mot italien ritratto est le résultat de l’évolution phonétique de retractum, participe passé de retrahere à valeur réversive. Retrahere, c’est-à-dire reculer, supprimer, retraire dans le sens de retirer; mais aussi « je traîne (ou tire) quelqu’un ou quelque chose de force, je récupère, je retourne chercher quelqu’un ou quelque chose, je le ou la ramène »; ou « je la remets en lumière, je l’expose à nouveau[48] ». Mais quand ce quelque chose ou quelqu’un n’est pas un autre que soi, et qu’il ne risque pas — à part dans la mort et alors il n’en saurait rien — de s’en aller, l’expérience inaugurale de l’autoportrait est-elle celle du vide, de l’absence à soi, comme c’est le cas dans le portrait ?

II. La présence et l’absence sont-ils le recto et le verso du visible ?

Quelque chose, donc, disparaît, dans cette quête d’apparaître de l’autoportraitiste. Peut-être le corps se perd-il dans la description que fait de lui-même ou d’elle-même l’auteur·rice d’un autoportrait ? Peut-être aussi que s’éclipsent tout ce qu’il choisit de ne pas dire, tout ce qui s’est transformé dans ses mots, ce qui s’est embelli, ce qui s’est enlaidi, pour se réduire à une seule vision, la sienne propre, passée au tamis de son jugement, avant de retourner vers l’autre ? L’autoportraitiste se dévoile, certes, mais il se dissimule également derrière des archétypes, des clichés, des accessoires; révélant du même coup certains aspects de lui-même en utilisant ces moyens détournés.

II.1. L’autoportrait est un devenir

Aux signes astrologiques sont communément associés divers traits[49], et même des caractéristiques physiques, liées aux éléments auxquels les signes se rattachent (eau, feu, terre, air). Ainsi les Gémeaux, signe d’air, seraient volatiles, les Lions, signe de feu, passionnés, etc. L’astrologie fait partie des outils employés par l’autoportraitiste pour se définir et se livrer au regard d’un·e autre. Il est question, dans Sujet Angot (2000) par exemple, du fait que Christine Angot est Verseau, des caractéristiques des Verseau, celles que l’écrivain possède et celles qu’elle n’a pas. Ces caractéristiques sont énoncées comme elles le seraient par une astrologue dans les pages d’un magazine ou encore par l’algorithme des applications Co-Star ou The Pattern, à la deuxième ou à la troisième personne :

Douée d’une intelligence créatrice et intuitive, vous manquez de discernement dans vos sentiments, emportée par des élans impulsifs pour des causes ou des êtres qui ne répondent pas toujours à la réalité. Votre grand défaut est de vivre à la limite du réel et de l’irréel, plaçant toute chose sur le plan de la féérie[50].

Plus loin dans Sujet Angot, toujours à propos du natif du Verseau, on lit : « Souvent lymphatique, il ne profite pas des plaisirs de la vie. Activités et distractions nombreuses lui seront conseillées. Aliments : artichaut, camomille, asperge. Fruits bénéfiques : prunes. Fleurs bénéfiques : mimosa, roses[51]. » Si l’on suivait l’adage qui veut que l’on soit ce que l’on mange, l’artichaut, la camomille, l’asperge, les prunes, le mimosa, les roses viendraient sans doute nous informer sur ce que sont les Verseau : légèrement amers comme les asperges, voire aigres comme l’artichaut, à moins qu’ils n’en possèdent le coeur, auquel cas ils pourraient tomber fréquemment amoureux, sans discernement ?

L’astrologie est une façon de décrire le tempérament d’une personne, mais aussi de proposer des prédictions à son sujet. Ce n’est pas seulement une science rétrospective, qui se penche sur le positionnement des planètes au moment de la naissance d’une personne, positionnement qui définirait pour le reste de sa vie ses goûts, son tempérament, son identité. De même la confession, si on entend, en plus du sens classique du mot latin confessio, qui désigne l’action de reconnaître quelque chose, le sens que Frédéric Boyer confère aux Aveux de saint Augustin, est un geste qui institue une transformation[52]. Il s’agit, dans les deux cas, d’un élan vers l’avenir, d’une force motrice qui cherche à produire un effet.

Dans Testament, Vickie Gendreau faisait dire à son personnage Mathieu :

Son astrologie celtique le disait. Elle allait être posthume. La reine est morte. Elle était si trash, si pétillante, si explosive, tellement de sa génération. François Villon en smoking, en boîtier avec thèmes deletés. L’amour, ne jamais en parler assez, juste parler de ça. Marie Uguay en tutu. Je sais que nous l’avons aimée. Ses amis, sa mère et moi. Si nue, si réelle, princesse de riens[53].

Or, c’est l’autrice elle-même, qui, dans le livre, entreprend d’esquisser l’image qui devrait rester d’elle après sa mort; c’est la morte à venir qui prend les commandes des rituels posthumes. Elle raconte en effet avoir remis à son ami Mathieu une enveloppe brune adressée à chacun·e de ses ami·e·s et qu’il aura la responsabilité de leur faire parvenir lorsqu’elle sera morte. Le livre met en scène ses ami·e·s recevant cette enveloppe, et découvrant avec les lecteur·rice·s la nature de son contenu, la façon dont chacun·e réagit au décès de leur amie Vickie qui rappelle, par cette mise en scène, combien le désir d’être aimée par-delà la mort est criant. L’astrologie, dans ce passage de Testament, vient seulement exalter le destin de l’autrice, comme s’il avait été écrit dans le ciel et qu’elle confiait simplement sa vie aux astres, s’abandonnait à leur influence en étant sûre de l’aboutissement, aussi malheureux puisse-t-il être.

II.2. Écrire « j’écris »

Est-ce la littérature qui fait passer de l’aveu au récit, de soi au personnage ? L’esthétique est-elle la forme qui transforme le rapport au réel (au soi réel) ? L’écriture — la photographie ou la peinture selon le média emprunté par l’autoportraitiste — est-elle la technique qui fait passer la vie du côté de la fiction ? Cette technique est liée chez saint Augustin à sa foi (et aux doutes de sa foi). Quelle est la technique d’un·e écrivain·e ? Il y a bien sûr des formes de discours qu’il ou elle peut emprunter et adapter à son sujet, des registres sur lesquels il ou elle peut jouer, des genres auxquels il ou elle peut s’associer. Mais si un privilège doit être accordé à l’autoportrait, écrit Anne Beyaert-Geslin, « c’est peut-être parce que tout tableau, toute image même, se laisse décrire comme un autoportrait pour autant qu’il conserve au moins les traces de la pratique de fabrication et schématise la forme du corps de son producteur[54] ». Il suffit, pour faire un autoportrait, de se représenter au travail, de s’écrire et non d’écrire sur soi. Le philosophe et psychanalyste J.-B. Pontalis, qui dit tenir beaucoup à cette différence, avance, pour bien la marquer, le terme d’« autographie » : « L’autographie n’est pas un genre littéraire comme le journal intime, les mémoires, l’autobiographie, l’autoportrait. À mes yeux, elle est à la fois la source et la finalité de l’acte d’écrire[55]. »

La graphie, c’est la représentation écrite d’un mot, d’un énoncé : c’est l’orthographe, la manière d’écrire les mots d’une langue. La graphie, ce serait donc la technique de l’écriture[56]. Et si l’autographie fait nécessairement penser à l’autographe, au document écrit de la propre main d’une personne, il s’agit au début du 19e siècle d’un procédé d’imprimerie directement issu de la lithographie, permettant de transposer sur une pierre des dessins ou des textes réalisés avec une encre grasse. Cette technique évitait d’avoir à dessiner ou à écrire à l’envers directement sur la pierre lithographique, ou de passer par la gravure, qui, si elle est mal réalisée, peut réduire l’expressivité des traits. Dans l’autoportrait, on voit le médium, c’est même le médium que l’on décrit. Le sujet des autoportraits d’Alix Cléo Roubaud, par exemple, c’est la photographie en train de se faire, l’idée même de la « photogénie », « une photographie plus photographique que la photo[57] ». La représentation met cartes sur table, elle montre qu’elle est une représentation et non pas la chose en soi.

L’autoportraitiste dont l’image advient par l’autoportrait est tout à la fois producteur et modèle de cette image. Ainsi la construit-il par et pour l’image — ou pour dire aux lecteur·rice·s quelque chose de cette image ? Pour Anne Beyaert-Geslin, suivant le philosophe Jean-Luc Nancy, « le seul portrait véritable entrerait dans la catégorie du “portrait autonome”, dans lequel “le personnage représenté n’est pris dans aucune action ni même ne supporte aucune expression qui détourne de sa personne elle-même”[58]. » Elle poursuit, analysant pour les besoins de son étude le selfie et le portrait anthropométrique, mais proposant des observations qui ne sont pas sans éclairer les thèses que j’ai défendues ici concernant l’autoportrait en littérature :

Ces effets de vie et de vérité, rendus indémêlables, pourraient constituer l’intentionnalité cachée du portrait qui, en fonction de son statut social, portera plus ou moins l’effort vers l’expressivité (selfie) plutôt que sur l’imitation (portrait anthropométrique). Mais une difficulté surgit, qui interroge la finalité même de l’imitation. Reconnaît-on une personne au dessin précis de ses traits ou à son expression, au souffle de vie, à l’énergie qui la traverse ? Le portrait anthropométrique fait des figures de papier alors qu’il faudrait façonner un acteur jouant sa vie, actorialiser donc. En dépit de son effort d’exactitude et d’objectivité, le portrait anthropométrique manque son but parce qu’il rend la personne moins reconnaissable que certains portraits artistiques. De surcroît, dans la mesure où il représente la généralité, un prototype, il manque tout à fait l’individu[59]⁠.

L’anthropométrie, d’abord liée au domaine judiciaire, concerne notamment les dimensions d’une personne — sa taille, la longueur des parties de son corps —, ses masses et ses circonférences. Même s’il a pour objectif de permettre l’identification judiciaire de criminels, par exemple, le portrait anthropométrique — tout comme la physiognomonie, par ailleurs — repose sur des caractéristiques communes à tous les visages que seules distingueraient les variations de la longueur et de la largeur des membres ou des marques particulières comme des tatouages, des grains de beauté, des cicatrices. Mais « [l]a finalité de l’autoportrait [comme du selfie] est de communiquer une identité[60] », affirme Beyaert-Geslin. L’autoportrait est alors une manifestation visible d’une ambition dont la contradiction me semble se résoudre en lui : l’introspection et l’autoréflexivité ont besoin de l’expression afin de se tourner vers le monde extérieur.

Conclusion

L’autoportrait réunit producteur, observateur et modèle, de sorte qu’il faut, pour le comprendre, convoquer la notion de sujet, en art, et d’auteur·rice, en littérature. Ses clichés autoréférentiels, avec « en point de mire la représentation conceptuelle du personnage de l’artiste[61]  », proposent une vision radiographique d’un sujet, partant de l’individu visible pour rendre compte de ses qualités cognitives et de ses affects[62]. Il dépend donc de la définition que chaque époque a pu donner du « sujet », du « moi », acte de légitimation de l’artiste dès la Renaissance, représentant de la nature humaine ou de la science de l’homme à l’époque moderne, quelqu’un qui parle, qu’importe qui[63], pour les écritures contemporaines. Il ne suffit pas non plus pour aborder l’autoportrait d’ajouter une dimension réflexive à ce que les études sur le portrait nous apprennent de la représentation d’une personne. La « généralité » du portrait rend en effet sa définition compliquée : « nous affrontons le plus grand corpus potentiel d’images », avance Anne Beyaert-Geslin dans son étude Sémiotique du portrait, « [à] peu près toutes les époques et toutes les cultures s’y sont adonnées et ses occurrences sont si nombreuses que le terme a désigné naguère la généralité de la peinture[64] ».

Le modèle philosophique privilégié par Michel Beaujour pour parler de l’autoportrait littéraire est celui de la connaissance de soi ou de la confession. Mon étude, quant à elle, voulait ici envisager que la dispersion du sujet — sa fragmentation, sa monstration et sa disparition — dans les autoportraits littéraires contemporains a peut-être plus à voir avec la photographie. L’autoportrait est considéré par Philippe Dubois, dans L’acte photographique et autres essais[65] (1990), comme le mode par excellence de la photographie tout entière. Pour Jean-Pierre Montier, le glissement de l’autobiographie à l’autofiction serait la conséquence ou l’effet souterrain de la photographie sur nos modèles mimétiques et nos schèmes de représentation. Il émet l’hypothèse, dans « Traces de soi en régime totalitaire[66] », que l’évolution sémantique qui a fait passer de la catégorie traditionnelle d’autobiographie à la notion d’autofiction est moins la conséquence d’une réaction aux thèses et aux oeuvres de l’ère du soupçon inaugurée par le nouveau roman qu’un effet secondaire et souterrain de la photographie sur nos modèles mimétiques et nos schèmes de représentation. La plupart des critiques s’entendent pour dire que l’autoportrait littéraire ne respecte pas une chronologie linéaire (comme ce serait le cas dans l’autobiographie, par exemple), que sa forme relève plus de la compilation que de la narration et, en ce sens, que sa temporalité est proche de celle d’une image arrêtée.

« Par l’aveu, je décide de moi[67] », écrivait saint Augustin. Autant que possible, Frédéric Boyer, lorsqu’il en a actualisé la traduction en 2008 chez P.O.L sous le titre Aveux, a évité l’usage des mots français confession et confesseur, auxquels il a préféré aveu, avouer ou confier à, se confier. L’idée, écrit-il, est moins de déconfessionnaliser l’oeuvre d’Augustin que de faire violence aux traditions de sa réception. Chez Augustin, il faut entendre l’aveu, poursuit-il, comme le projet de « remettre en question un régime de vérité » qui n’a rien à voir avec les secrets du confessionnal, mais plutôt avec une pratique d’écriture sur soi qui est transformatrice[68]. C’est à cette transformation — productrice d’une oeuvre en même temps que de la figure de l’écrivain·e — que j’ai voulu m’attacher. Dans tous les cas, l’entreprise de la confession, lorsqu’elle passe par un langage investi d’un pouvoir transformatif, mobilise, « on le sent bien », écrit encore Boyer, « un immense effort de construction imaginaire et de croyance. Déplacements, fables, oublis, remords, ajustements… Il n’y a donc pas de soi sans fiction[69] ». « Ou plus exactement », nuance-t-il, « nous consacrerons la vérité sur nous-mêmes dans un travail de fiction que nous habillerons d’authenticité et de sincérité ». Et c’est ainsi que ce que nous appelons « quête de soi prend l’allure complexe et mystérieuse d’une odyssée, d’une enquête[70] ».

« [M]es autoportraits, quels seront-ils[71] ? », demande l’Hippolyte de Wittkop. « Qu’est-ce qui meurt quand on meurt[72] ? », s’interroge Alix Cléo Roubaud dans son Journal. « [Q]uel pacte puis-je passer avec moi-même, comment puis-je faire comme si[73] ? », se questionne Chantal Akerman dans le synopsis de son Autoportrait en cinéaste (2004). « “Je fais du Angot”, c’est ça, non[74] ? », écrit Christine Angot dans Sujet Angot. Ces questions, comme d’autres qui donnent leur impulsion aux démarches autoportraitiques, me paraissent aussi intemporelles qu’intermédiatiques : l’autoportraitiste a beau se les poser à lui-même, elles signalent néanmoins que l’autoportrait est le lieu d’une adresse, d’une confession qui ne se produit peut-être plus dans un paradigme de la transcendance comme c’était le cas chez saint Augustin, mais qui n’en appelle pas moins à une réinvention de soi et de sa vie.