Recensions

Pierre-Olivier Léchot, Luther et Mahomet : le protestantisme d’Europe occidentale devant l’islam (XVIe–XVIIIe siècle) (Paris : Les Éditions du Cerf, 2021), 576 p.

  • Philippe Sannier

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  • Philippe Sannier
    Doctorant, Département d’histoire
    Université de Montréal—Canada
    Université de Rouen—France

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Cover of Scandales et Silences, Volume 39, Number 1, Fall 2023, pp. 6-292, Cahiers d'histoire

En retraçant les évolutions du regard protestant sur l’islam, de l’âge de la Réforme au siècle des Lumières, Pierre-Olivier Léchot, professeur d’histoire moderne à l’Institut protestant de théologie de Paris, signe là comme ce qui semble représenter la seule synthèse réalisée sur un riche champ thématique et un large éventail temporel, présentée sous un intitulé qui n’est pas sans faire écho au titre de la célèbre thèse de Henri Pirenne, publiée il y a presque un siècle de cela. Ne nous y trompons toutefois pas : les différents points abordés par ce docteur en théologie n’ont pas pour finalité de chambouler toute une foisonnante historiographie, en révélant des auteurs jusque-là inconnus ou en mettant en lumière des oeuvres inédites. Sa « relecture des sources » (p. 13) s’inscrit, en revanche, dans une tentative de compréhension visant à saisir la pluralité des approches protestantes vis-à-vis de la religion musulmane, de son fondateur et de son livre saint. Afin de parvenir à un tel objectif, Pierre-Olivier Léchot a choisi de découper son ouvrage en trois temps, extrêmement denses, suivant par-là un ordre purement chronologique. Chaque chapitre débute par une contextualisation politique, culturelle et religieuse, dont le but, justifié, est de permettre au lecteur de cerner l’environnement dans lequel sont amenés à s’exprimer certains personnages. Ainsi, tour à tour, est présentée, dans des cadres thématiques délimités, une succession d’auteurs protestants, dont Léchot retrace le parcours et analyse les principales oeuvres traitant de la civilisation et de la religion islamiques. Loin d’être strictement compartimentées, ces biographies et analyses textuelles s’insèrent dans ce flux des idées ininterrompu, où chaque penseur, chaque théologien, est regardé dans le prisme des sources qu’il utilise, des connaissances (linguistiques et religieuses) qu’il a pu acquérir, ou encore des influences qui ont été les siennes au cours de sa vie. Au-devant de cette multiplicité de discours, Léchot distingue principalement deux types d’approches de l’islam ayant marqué, chacune à leur manière, le protestantisme : d’une part, une volonté de « différenciation » de la part de certains auteurs protestants vis-à-vis de la religion musulmane, considérée à cette époque comme une hérésie ; d’autre part, une tradition de penseurs et d’érudits animés par une curiosité pour cet Autre, lointain mais familier. Le premier chapitre prend place dans un contexte géopolitique particulièrement sensible, marqué tant par l’éclatement du christianisme que par la progression ottomane en Europe. Rappelant quels ont été les représentations et les éléments de connaissance sur l’islam au Moyen Âge, Pierre-Olivier Léchot analyse dans le détail les écrits, fortement marqués par une vision apocalyptique, de Martin Luther. Ce dernier, alerté par le péril turc, insiste sur l’importance d’étudier les textes religieux islamiques afin d’en faire, ensuite, la réfutation. C’est dans cet esprit qu’est éditée la première traduction latine du Coran en Europe par Théodore Bibliander en 1543. Léchot démontre cependant que le regard porté sur l’islam n’est pas linéairement polémique, mais qu’il attire la sympathie de réformateurs jugés hétérodoxes, tel l’unitarien Michel Servet, qui puise dans le texte coranique pour conforter sa doctrine antitrinitarienne et qui témoigne d’une vision plutôt positive de la vie de Muḥammad. Le second chapitre est axé essentiellement sur les développements de l’érudition néerlandaise et britannique, au cours d’un XVIIe siècle apparenté à une période de « transition » d’après les termes de l’auteur. Ainsi, les travaux d’arabisants (Léchot ne parle d’« orientalistes » qu’à partir du siècle des Lumières) comme Thomas Erpenius, premier à occuper une chaire d’arabe à Leyde, sont scrutés avec attention. L’auteur insiste sur la multiplication notable des études, tant des sources arabes que musulmanes, parmi les savants et théologiens protestants. C’est à …

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