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Introduction

En Fédération Wallonie-Bruxelles de Belgique (FWB), le taux d’échec et d’abandon en première année de l’enseignement supérieur (ES) avoisine les 60 % (Brunet et al, 2021). Pour lutter contre cette tendance, les institutions d’ES ont mis sur pied divers dispositifs d’aide à la réussite. Cependant, ceux-ci soutiennent essentiellement le développement des compétences académiques et disciplinaires (De Clercq et Perret, 2022) et ne permettent pas toujours de prendre en compte la diversité des profils des étudiants (De Clercq et al., 2020).

Du mentorat par les enseignants à l’ULiège

L’Université de Liège (ULiège) est la seule université de FWB à proposer aux étudiants primants du mentorat par les enseignants, dont la littérature atteste des effets positifs sur la réussite et la persévérance en première année (Campbell et Campbell, 1997 ; Sneyers et De Witte, 2018). Plus précisément, l’ULiège a participé au développement d’un vaste programme de mentorat au sein du Pôle académique Liège-Luxembourg (il existe plusieurs pôles académiques en FWB, rassemblant chacun une université et d’autres institutions d’ES) et l’a développé en son sein dans plusieurs départements. Ce programme, nommé POLLEM (un acronyme de Pôle académique Liège-Luxembourg Expérience Mentorat), consiste, pour l’enseignant qui y participe, à construire avec un étudiant primant qui lui est officiellement confié une relation suivie de soutien, conseil, réassurance, coaching, mise au défi, etc., de manière à soutenir la réussite académique, professionnelle et personnelle de l’étudiant (Johnson, 2015)[1]. Loin de se limiter à la sphère académique, ce mentorat est un accompagnement holistique qui considère les étudiants dans leur singularité et, de ce fait, permet d’en appréhender la diversité.

Figure de soutien, figure d’attachement

Aux effets avérés du mentorat sur la réussite et la persévérance s’ajoute un bénéfice complémentaire à l’origine de la mise en place du POLLEM : selon une recherche récente et locale menée auprès de bacheliers de FWB devant évaluer l’utilité perçue d’outils d’aide à la réussite (Mouhib, 2018), la disponibilité des enseignants arrivait en tête, entendue comme une relation informelle et soutenante avec l’un d’eux. Plus précisément, les étudiants relataient le besoin d’une « figure de soutien bienveillante et experte », qui comprend, encourage et témoigne d’une expertise quant aux études et au fonctionnement de l’institution.

Ce besoin exprimé par les étudiants évoque la littérature sur l’« attachement », système comportemental ou disposition à chercher la proximité et un contact avec une figure spécifique, dite « figure d’attachement », en cas d’inconfort, de peur, etc. (Bowlby, 1969). La notion fait suite aux travaux de Harlow (1959) montrant que le sentiment de sécurité constituait un besoin fondamental. En accroissant ce sentiment par le soutien et la réassurance qu’elle offre, la figure d’attachement active automatiquement chez l’individu un système comportemental exploratoire qui l’incite à découvrir son environnement et favorise son adaptation. Depuis ces travaux séminaux, les neurosciences ont confirmé la théorie et identifié les circuits neuronaux impliqués dans l’attachement chez l’enfant et l’adulte (Feldman, 2017).

S’il est établi que les enseignants peuvent constituer une figure d’attachement favorable à la réussite des élèves du primaire et du secondaire (Bergin et Bergin, 2009 ; Virat, 2016), plusieurs recherches montrent que cela s’étend à l’ES également. Lors de la transition dans le supérieur, l’étudiant découvre un nouvel environnement où il manque d’expérience (Plumat et al, 2012). La qualité de ses interactions avec les professeurs aura un impact sur son succès académique (Pascarella et Terenzini, 2005) et sa persévérance (Pascarella et Terenzini, 2005 ; Tinto, 1993). Le fait de pouvoir compter sur un mentor bienveillant, soutenant et expert favoriserait un sentiment de sécurité et l’activation du système exploratoire de l’étudiant, qui s’adapterait à cet environnement. De fait, la sécurité perçue dans la relation au mentor prédit l’ajustement à l’ES (Soucy et Larose, 2000 ; Larose et al., 2005).

Quand les étudiants sous-exploitent les dispositifs d’accompagnement conçus à leur intention

Les travaux de Mouhib (2018) laissaient pressentir une adhésion importante des primants au mentorat, celui-ci répondant au besoin d’une relation avec un enseignant bienveillant et expert. Or, les taux de participation ont été relativement bas lors du lancement du dispositif, reflétant « une contradiction forte chez les étudiants… car, d’une part, ils insistent sur la nécessité d’un encadrement et, d’autre part, ils réclament plus d’autonomie » (Altet, dans Langevin, 2009, p. 141). Devant ce paradoxe, il était important de se pencher sur les facteurs affectant la participation des étudiants aux dispositifs mis à leur disposition en général et au mentorat en particulier.

La littérature a identifié des facteurs inhibant la participation des étudiants à des dispositifs d’aide à la réussite, tels que leur motivation, leur capacité à évaluer un besoin d’y participer (Le Mener, 2015), le manque d’expérience permettant d’évaluer ce qui les attend, la crainte d’une stigmatisation (Plumat et al, 2012) et plus largement les normes sociales, les attitudes et le contexte (Bornschlegl et al., 2020). Un certain nombre d’études se sont spécifiquement intéressées aux facteurs affectant l’engagement dans des relations mentorales, tels que les bénéfices attendus (Tilooby et al., 2023 ; Pham et al., 2019), le sentiment de capacité (Pham et al., 2019), le statut de l’enseignant, les horaires, la différence d’âge, les intérêts communs, le fait de pouvoir choisir son mentor (Hayes, 2001), avoir un mentor humble, accessible et engagé qui démystifie l’université et fournit un soutien psychosocial (Li et al., 2018) ou encore, le besoin d’autonomie (Rice et Brown, 1990). Toutefois, ces résultats sont peu transposables aux cas d’étudiants qui doivent décider d’avoir un mentor lors de leur arrivée dans l’institution. En effet, les travaux précités concernent des étudiants déjà engagés dans du mentorat et le besoin d’autonomie relaté par Rice et Brown est curvilinéaire, donc peu actif lors de l’entrée dans le dispositif. Larose et al. (2009), pour leur part, ont montré un impact de variables individuelles telles que des traits de personnalité des étudiants du secondaire et le soutien social dont ils bénéficient dans la sphère privée sur leur intention d’avoir un mentor lors de leurs études supérieures. Ces facteurs, étudiés dans le cadre d’un mentorat par les pairs, ne peuvent malheureusement pas faire l’objet d’une intervention de la part des institutions. Au regard de la nécessité d’explorer, en amont du dispositif de mentorat par les enseignants, la décision des étudiants de première année d’y participer et en vue de proposer des interventions susceptibles de la stimuler, le recours à la théorie du comportement planifié est apparu adéquat.

La théorie du comportement planifié

La théorie du comportement planifié (TCP, Ajzen, 1991, 2020) se définit comme un cadre conceptuel s’intéressant aux prédicteurs de l’adoption d’un comportement non-réflexe, quel qu’il soit. Appliquée à notre objet (Figure 1), la TCP prédirait la participation des étudiants au mentorat ou le fait d’être mentoré, par l’intention qu’ils ont d’être mentorés. Celle-ci serait elle-même prédite par trois déterminants :

  1. L’attitude des étudiants relative au fait d’être mentorés, c’est-à-dire l’évaluation qu’ils en font. Elle combine un aspect cognitif et un aspect affectif ou expérientiel émanant des croyances relatives, respectivement, aux conséquences factuelles et à l’expérience vécue. Ainsi, l’attitude relative au fait d’être mentoré sera d’autant plus favorable que cela sera jugé bénéfique et agréable.

  2. La norme sociale subjective. Elle comporte un volet descriptif relevant des croyances portant sur les étudiants qui sont ou ne sont pas mentorés et un volet injonctif relevant des croyances relatives aux attentes d’autrui. Cette norme sera d’autant plus en faveur d’une participation au mentorat que les étudiants penseront que des tiers qu’ils estiment sont mentorés et/ou souhaitent qu’ils le soient.

  3. Le contrôle comportemental perçu (CCP), c’est-à-dire le sentiment subjectif qu’être mentoré est facile ou compliqué. Il se compose à la fois d’un sentiment de capacité et d’un sentiment d’autonomie. Le CCP sera d’autant plus favorable au mentorat que les étudiants se sentiront capables d’être mentorés et qu’il existera peu/beaucoup de facteurs limitant/favorisant leur autonomie à cet égard. Notons qu’en plus de son effet sur l’intention, le CCP influence le lien intention-comportement.

Figure 1

Prédiction de la participation au POLLEM selon la TCP

Prédiction de la participation au POLLEM selon la TCP

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Si la matérialisation de l’intention dans un comportement n’est pas automatique, plus l’intention est élevée, plus la probabilité que le comportement soit adopté l’est aussi. La TCP possède une importante puissance prédictive : une méta-analyse d’Armitage et Conner (2001) montre qu’ensemble, attitude, norme subjective et CCP expliquent 39 % de la variance de l’intention et 27 % de la variance du comportement, ce qui est important pour un modèle de sciences humaines.

Questions de recherche et hypothèses

S’appuyant sur la TCP, cette étude a pour objectif de répondre à deux questions de recherche.

QR1 : Quels sont les déterminants majeurs de l’intention qu’ont les étudiants primants d’être mentorés ?

Selon la méta-analyse d’Armitage et Conner (2001) et les études précitées relatives à l’engagement dans les dispositifs d’accompagnement (Le Mener, 2015 ; Plumat et al, 2012 ; Bornschlegl et al., 2020), tous les déterminants de l’intention (attitude, norme, CCP) devraient influencer significativement celle des primants d’être mentorés. Toutefois, nous émettons un doute quant à l’effet de la norme sociale. En effet, les valeurs véhiculées dans les organisations se traduisent par l’émission de signes à destination de la collectivité (Huron et Spieth, 2013). Or, les valeurs de liberté et de responsabilité prônées par l’université en général (Ward, 2007) et l’ULiège en particulier conduisent naturellement les départements à rendre la participation au mentorat facultative et à la présenter comme un choix purement personnel. Aussi faisons-nous l’hypothèse que les actes et les avis d’autrui ont peu d’impact sur l’intention qu’ont les étudiants de l’ULiège d’être mentorés. Concernant le sentiment d’autonomie, les travaux précédemment cités, bien que concordants, conduisent à des prédictions différentes du fait du moment de l’année où se déroule notre étude. En nous référant à Altet (dans Langevin, 2009), qui oppose le besoin d’autonomie au besoin d’un encadrement pourtant souhaité par les étudiants, nous prédisons un impact important du sentiment d’autonomie sur l’intention de participer au mentorat. Nous basant sur Rice et Brown (1990) toutefois, nous prédisons que l’autonomie n’aura pas d’effet important en début d’année académique.

QR2 : Quelles croyances relatives au fait d’être mentoré sont importantes ?

Si identifier les déterminants de l’intention d’être mentoré (par exemple, l’attitude) revient à identifier quels freins et leviers influencent cette décision, l’identification des croyances qui les sous-tendent (par exemple, être mentoré aura la conséquence x) permet d’identifier comment actionner ces freins et leviers (en agissant sur x ou sur la perception que les étudiants en ont). Si les croyances dépendent des particularités de la population et du contexte concernés, notre hypothèse est que nous retrouverons à tout le moins certains éléments relevés par Tilooby et al. (2023), Hayes (2001), Li et al. (2018), Pham et al. (2019) et Larose et al (2009), qu’il s’agisse d’éléments propres aux mentorés (par exemple, la personnalité), aux mentors (tels que le statut, la posture) ou à l’organisation (par exemple, les horaires, le libre choix du mentor).

Méthodologie

Échantillon

Le questionnaire (appendice A, Tableau 2) a été transmis par courrier électronique à la rentrée académique 2020-2021 à tous les étudiants primants des départements mettant en oeuvre le POLLEM à l’ULiège. Bien que les inscriptions ne se soient pas terminées avant le mois de novembre et que les étudiants aient tardé à activer leur adresse courriel institutionnelle, nous avons obtenu 80 réponses[2] : 37 en sciences pharmaceutiques, 20 en sciences informatiques, 15 en sciences géographiques et 8 en sciences dentaires. Aucune question n’était obligatoire, ce qui explique les variations légères du N entre les questions. Les participants étant tous des primants, leur âge était, à de rares exceptions près, de 18 ans.

Instrumentation

Conformément aux indications d’Ajzen (2006, 2020), un sondage en ligne avec questions ouvertes mené auprès de 25 étudiants s’inscrivant pour la première fois dans l’ES[3] (appendice A, Tableau 1) a permis d’identifier les croyances attitudinales, normatives et de contrôle les plus accessibles dans un échantillon de la population concernée. Sur cette base, nous avons créé un questionnaire (appendice A, Tableau 2) évaluant ces croyances via des paires d’items mesurant, sur des échelles de Likert en 7 points (de 1 à 7), leur force et leur importance pour les étudiants. Les items de chaque paire ont été multipliés afin de pondérer la force d’une croyance par la valeur que lui attribue l’étudiant. Afin de mesurer les deux volets de chacun des déterminants de l’intention d’être mentoré et celle-ci elle-même, autant de paires d’items repris d’Ajzen (2006) ont été ajoutées.

Considérations éthiques

Cette étude a reçu l’aval du comité de pilotage du POLLEM. Les étudiants étaient informés que leur participation, anonyme, était volontaire et qu’ils pouvaient y mettre fin à tout instant sans justification.

Stratégie d’analyse

Notre stratégie d’analyse se base sur les contributions de von Haeften et al. (2001), de Leeuw et al. (2015), d’Ajzen (2020) et d’Huart et al. (2022). Des analyses préliminaires ont été menées en vue de construire les variables et de vérifier les présupposés théoriques concernant le modèle. La corrélation de Pearson entre les deux items mesurant l’intention étant significative (r = 0.81, p < .001), la variable intention a été créée en en calculant la moyenne. Afin de vérifier si les déterminants de l’intention étaient à considérer comme un tout (attitude, norme sociale subjective, CCP) ou en deux volets (attitudes cognitive et expérientielle, normes descriptive et injonctive, CCP-capacité et CCP-autonomie), nous avons procédé à des analyses factorielles exploratoires (AFEs) utilisant la méthode d’extraction « Résidu minimum » en association avec une rotation oblimin pour chaque quatuor d’items mesurant ces déterminants. Les items saturant systématiquement sur deux facteurs correspondant aux volets susmentionnés (appendice B, Tableau 1), les variables correspondantes ont été créées en calculant la moyenne des items concernés. Suivant von Haeften et al. (2001) et de Leeuw et al. (2015), nous avons de surcroit créé quatre variables composites agrégeant les croyances attitudinales, les croyances relatives à la norme descriptive, celles liées à la norme injonctive et celles relatives au CCP, et mesuré les corrélations entre, d’une part, chaque variable composite et le déterminant correspondant et, d’autre part, ces éléments et l’intention. L’intention corrèle avec les attitudes cognitive (r = 0.41, p < .001) et expérientielle (r = 0.48, p < .001), le CCP-capacité (r = 0.55, p < .001) et l’agrégat des croyances relatives à ce dernier (r = 0.49, p < .001). Les attitudes cognitive (r = 0.56, p < .001) et expérientielle (r = 0.41, p < .001) et le CCP-capacité (r = 0.70, p < .001) corrèlent avec l’agrégat de leurs croyances relatives. Le modèle se présente ainsi comme prévu par la théorie en ce qui concerne ces construits. Les normes et le CCP-autonomie ne montrent pas les associations attendues avec l’intention et leurs variables composites respectives.

Afin de répondre aux questions de recherche et d’identifier, d’une part, les déterminants de l’intention des répondants d’être mentorés durant leur première année à l’université (QR1) et, d’autre part, les croyances s’y rapportant qui jouent un rôle prépondérant (QR2), nous avons eu recours à des analyses de régression multiple. Plus précisément, nous avons d’abord régressé l’intention d’être mentoré sur les attitudes cognitive et expérientielle, les normes descriptive et injonctive, les CCP-capacité et autonomie, puis avons régressé les déterminants atteignant la significativité sur leurs croyances respectives. Si d’autres chercheurs régressent d’abord l’intention sur ses déterminants, puis sur les croyances se rapportant aux déterminants ayant atteint la significativité (par exemple, von Haeften et al., 2001), nous avons choisi cette procédure alternative parce qu’Ajzen lui-même a précisé que les effets des croyances sur l’intention étant médiés par les déterminants correspondants, il est préférable de prédire celle-ci par ces déterminants plutôt que par les croyances (Ajzen, 2020). Il est cependant intéressant d’identifier les croyances qui contribuent le plus aux déterminants qui en découlent (de Leeuw et al., 2015 ; Huart et al., 2022). Dans leur article dédié à l’analyse des résultats lors d’études mobilisant la TCP, von Haeften et al. (2001) ont pointé le fait que les corrélations entre croyances relatives à un même déterminant conduisent à ce que des croyances pourtant importantes n’atteignent pas la significativité lors des analyses de régression, la significativité n’étant atteinte qu’en cas d’effet indépendant. En outre, après vérification des corrélations entre les croyances d’intérêts, nous avons procédé à des AFEs (extraction résidu minimum, rotation oblimin) afin d’identifier comment rassembler les croyances en un nombre restreint de facteurs. Des variables composites agrégeant les croyances saturant sur un même facteur ont été créées et entrées comme VIs dans l’analyse de régression. Des corrélations s’observant à nouveau entre ces facteurs, afin d’avoir une compréhension aussi large que possible des influences existantes et d’identifier des facteurs dont la contribution n’est pas indépendante des autres, nous avons de surcroit eu recours à des analyses séparées pour régresser les déterminants de l’intention sur les croyances relevant de chacun des facteurs.

Résultats

En moyenne, l’intention des répondants d’être mentorés durant leur première année d’étude (M = 4.96, SD = 2.05) est relativement modérée. Concernant les déterminants de cette intention, l’évaluation que font les répondants des apports factuels (attitude cognitive, M = 5.85, SD = 1.19) et de l’expérience du mentorat (attitude expérientielle, M = 5.26, SD = 1.24), de même que le sentiment d’être capables d’être mentorés (CCP-capacité, M = 5.76, SD = 1.22) et autonomes dans leur décision (CCP-autonomie, M = 5.04, SD = 2.11) sont relativement hauts. A contrario, les évaluations relatives aux étudiants mentorés (norme descriptive, M = 3.30, SD = 1.31) et aux personnes qui souhaiteraient qu’ils le soient (norme injonctive, M = 2.69, SD = 1.44), sont relativement faibles. Afin d’éviter d’alourdir le texte, nous nous limitons à détailler ci-dessous les résultats qui sont significatifs.

Déterminants de l’intention d’être mentoré

Considérés conjointement, les déterminants susmentionnés contribuent significativement à expliquer l’intention qu’ont les répondants d’être mentorés (R²-ajusté = .31, F(6,61) = 6.02, p < .001). Deux déterminants apportent une contribution indépendante. Il s’agit, d’une part, de l’évaluation de l’expérience du mentorat (attitude expérientielle, b = 0.44, SE = 0.21, IC [0.01 ; 0.87], t(61) = 2.04, p = .046) et, d’autre part, du sentiment d’être capable de participer (CCP-capacité, b = 0.74, SE = 0.23, IC [0.28 ; 1.20], t(61) = 3.23, p = .002).

À titre informatif, notons que l’absence d’effet des apports factuels d’une participation au mentorat (attitude cognitive) est imputable aux corrélations de ce déterminant avec ceux qui atteignent la significativité : considéré seul (dans une analyse de régression univariée), il l’atteint également (b = 0.70, SE = 0.19, IC [0.32 ; 1.08], t(67) = 3.68, p < .001).

Croyances prépondérantes dans la représentation de l’expérience du mentorat

Les croyances attitudinales s’organisent en 5 facteurs rapportés dans le Tableau 1ci-dessous (RMSE = 0.04, TLI = .98, χ²(10) = 11.4, p = 0.33). Le facteur 1 comprend les croyances selon lesquelles avoir un mentor permet d’être vite fixé quant au choix d’études, d’être mieux informé du cursus et des options et de mieux connaitre les débouchés. Sur le facteur 2 saturent les croyances selon lesquelles avoir un mentor offre une figure de soutien bienveillante et experte, une réassurance et un gain de confiance en soi. Le facteur 3 compte une croyance unique, selon laquelle être mentoré facilite l’adaptation à l’ES. Le facteur 4 rassemble les croyances selon lesquelles être mentoré induit plus de motivation et moins de décrochage. Enfin, le facteur 5 lie les croyances selon lesquelles être mentoré implique d’avoir moins de temps pour étudier et de venir sur le campus en dehors des cours. Des corrélations s’observent entre plusieurs facteurs.

Tableau 1

Résultats de l’AFE portant sur les croyances attitudinales

Résultats de l’AFE portant sur les croyances attitudinales

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L’analyse de régression montre que les (variables composites des) 5 facteurs considérés ensemble contribuent significativement à l’évaluation de l’expérience du mentorat (attitude expérientielle, R²-ajusté = .16, F(5,58) = 3.38, p = .010). Si aucun facteur n’apporte une contribution indépendante des autres, lorsqu’on les considère dans des analyses séparées, on observe un effet significatif des croyances du facteur 2 (R²-ajusté = .21, F(3,66) = 7.01, p < .001), parmi lesquelles nulle contribution indépendante d’une croyance particulière n’apparait. On observe également un effet du facteur 3, autrement dit de la croyance relative à l’adaptation à l’ES (b = 0.05, SE = 0.01, IC [0.03 ; 0.07], t(68) = 4.33, p < .001).

Croyances contribuant au sentiment d’être capable d’être mentoré

Les croyances relatives au CCP s’organisent également en 5 facteurs présentés par le Tableau 2 ci-dessous (RMSE = 0.04, TLI = .95, χ²(16) = 18.1, p = 0.32). Le premier rassemble les croyances relatives au fait d’être timide et impressionné par les enseignants et celui d’avoir du temps libre (ou de ne pas en avoir). Les facteurs 2 et 3 relèvent chacun d’une croyance unique relative, respectivement, au fait d’obtenir des notes insatisfaisantes et d’avoir confiance en soi en ce qui concerne les études. Sur le facteur 4 saturent les croyances relatives à la disponibilité des mentors, au fait qu’ils soient réellement concernés par leurs étudiants et que les rencontres se déroulent en colloque singulier (en privé). Le facteur 5 rassemble les croyances portant sur la clarté et la complétude de l’information et sur la facilité d’inscription. Des corrélations s’observent entre plusieurs facteurs.

Tableau 2

Résultats de l’AFE portant sur les croyances relatives au CCP

Résultats de l’AFE portant sur les croyances relatives au CCP

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L’analyse de régression montre que les 5 facteurs considérés conjointement contribuent au sentiment d’être capable de participer au mentorat (CCP-capacité, R²-ajusté = .55, F(5,62) = 17.37, p < .001) et que le facteur 5 a un effet indépendant des autres (b = 0.05, SE = 0.01, IC [0.03 ; 0.08], t(62) = 4.86, p < .001). Les régressions menées séparément sur les croyances de chacun des facteurs montrent un effet de la croyance du facteur 3 relative à la confiance en soi concernant les études (b = 0.04, SE = 0.01, IC [0.02 ; 0.07], t(68) = 3.30, p = .002). Elles montrent également un effet des croyances du facteur 4 (R²-ajusté = .32, F(3,66) = 11.99, p < .001), parmi lesquelles la croyance relative au fait que le mentor soit réellement concerné apporte une contribution indépendante (b = 0.04, SE = 0.02, IC [0.01 ; 0.07], t(66) = 2.28, p = .026). En cohérence avec ce qui précède, on observe un effet du facteur 5 (R²-ajusté = .50, F(2,66) = 35.5, p < .001), dont chacune des croyances a un effet indépendant de l’autre, qu’il s’agisse de celle relative à la clarté et la complétude de l’information (b = 0.03, SE = 0.01, IC [0.01 ; 0.05], t(66) = 3.17, p = .002) ou de celle relative à la facilité d’inscription (b = 0.04, SE = 0.01, IC [0.02 ; 0.06], t(66) = 3.42, p = .001).

Discussion

Afin d’étudier ce qui stimule/freine l’intention des étudiants de première année de participer au mentorat par les enseignants, nous avons eu recours à la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991, 2020).

Considérer le mentorat comme une expérience positive et se sentir capable d’être mentoré favorise l’intention de participer

Conformément aux travaux de Bornschlegl et al. (2020), nos résultats montrent que l’intention qu’ont les primants de participer au mentorat est influencée par l’évaluation qu’ils en font : l’attitude. Plus précisément, ils montrent que l’anticipation de vivre une expérience positive (attitude expérientielle) pèse davantage que ses conséquences factuelles présumées (attitude cognitive), en apportant une contribution indépendante à l’explication de l’intention. Ce résultat concorde avec ceux de La Barbera et Ajzen (2022), qui ont récemment montré que, lorsque les deux facettes de l’attitude sont étudiées, l’attitude expérientielle aurait un impact prépondérant. Un autre facteur déterminant est le sentiment de capacité, en concordance avec les résultats de Pham et al. (2019).

Ce que font et pensent les autres (normes sociales) et l’autonomie relative à la décision de participer au mentorat (CCP-autonomie) ne montrent pas d’impact significatif sur l’intention d’y participer, contrairement à ce que les résultats d’Armitage et Conner (2001) et de Bronschlegl et al. (2020) laissaient présumer. Si toute interprétation d’une absence d’effet ne peut qu’être spéculation, une piste d’interprétation prudente concernant les normes pourrait se trouver dans les valeurs de l’université. Concernant l’absence d’effet de l’autonomie, surprenante si l’on considère qu’Altet y voyait l’élément freinant l’adhésion des étudiants à un encadrement qu’ils souhaitent paradoxalement (Langevin, 2009), une piste d’interprétation pourrait concerner la période durant laquelle l’étude s’est déroulée : la rentrée académique. Rice et Brown (1990), pour rappel, ont montré que le besoin d’autonomie freine la participation au mentorat de façon curvilinéaire au cours du bachelier : si les étudiants éprouvent d’abord un besoin faible d’autonomie et un besoin important d’une relation soutenante, ils réduisent ensuite les interactions avec leur mentor le temps de construire leur autonomie, puis y sont de nouveau réceptifs lorsque le passage vers l’étape suivante se profile (Johnson, 2015). Ces résultats sont en accord avec la littérature sur l’attachement, notion qui s’est avérée centrale dans la représentation de l’expérience du mentorat.

L’attachement au centre de l’expérience du mentorat

Si les primants ont d’autant plus l’intention de participer au mentorat qu’ils y voient une expérience positive, qu’est-ce qui favorise une telle perception ? Nos résultats indiquent qu’il s’agit de penser y trouver, d’une part, une figure de soutien bienveillante et experte, de la rassurance et de la confiance en soi (cf. facteur 2) et, d’autre part, une meilleure adaptation à l’enseignement supérieur (cf. facteur 3), ces croyances étant liées (cf. la corrélation entre les facteurs 2 et 3). Ces résultats font écho à ceux de Soucy et Larose (2000) et de Larose et al. (2005) liant la sécurité perçue dans la relation au mentor à l’ajustement à l’ES : les mentorés chercheraient dans le mentorat une figure de soutien favorisant un sentiment de sécurité et l’activation du système exploratoire des étudiants, qui leur permettrait de s’adapter à leur nouvel environnement et d’y devenir de plus en plus autonomes, jusqu’au changement suivant où ils viendraient de nouveau chercher de la réassurance et ainsi de suite. Ceci correspond précisément aux résultats de Rice et Brown (1990) exposés au point précédent. Vue sous cet angle, la contradiction apparente entre besoin d’encadrement et besoin d’autonomie (Langevin, 2009) disparait : ils vont de pair, voire se rencontrent lorsqu’un encadrement, parce qu’il rassure, active l’exploration et favorise l’autonomie (Larose et al., 2005).

Des caractéristiques du mentoré, du mentor et de l’organisation particulièrement facilitatrices

Si les primants ont d’autant plus l’intention de participer au mentorat qu’ils s’en sentent capables, qu’est-ce qui contribue à ce sentiment ? Faisant échos aux travaux mettant en évidence le rôle de caractéristiques personnelles (Larose et al., 2009), nos résultats indiquent que la confiance en soi relative aux études intervient (cf. facteur 3). En concordance avec Li et al. (2018), ils pointent également la disponibilité du mentor, le fait que celui-ci se montre concerné et l’organisation des rencontres en colloque singulier (cf. facteur 4), ce qui évoque les conditions d’une relation interpersonnelle qualitative. Nos résultats attirent enfin l’attention sur le lancement du programme en révélant l’importance d’une information claire et complète et d’une inscription aisée (cf. facteur 5).

Des régulations basées sur les résultats

Les résultats de cette étude ont généré divers aménagements du mentorat à l’ULiège. Il a été demandé aux mentors de favoriser le colloque singulier et de se montrer, sinon fort disponibles, fortement concernés par leurs mentorés (par exemple, en prenant régulièrement des nouvelles par courriel). Une formation relative à l’attachement leur a été proposée. L’information communiquée aux étudiants a été revue, la procédure d’inscription facilitée. Dans un département, un appariement mentors-mentorés sur base d’intérêts communs a été proposé dans l’espoir de favoriser la confiance en eux des étudiants concernant leurs études.

Limitations et perspectives

Une première limite de cette étude est qu’elle se penche sur les prémisses de la décision de s’inscrire dans un programme de mentorat, mais ne dit rien de la participation en cours d’année. L’engagement dans des relations existantes a cependant déjà été étudié (Hayes, 2001 ; Li, 2018 ; Pham, 2019 ; Tilooby et al., 2023).

Si nous avions anticipé une absence d’effet de la norme sociale, nos résultats ne permettent pas d’affirmer qu’elle est en lien avec les valeurs véhiculées par l’institution. Peut-être nos mesures normatives, bien qu’adaptées d’Ajzen (2006), n’étaient-elles pas optimales. L’impact des valeurs ou normes institutionnelles sur la participation aux dispositifs d’accompagnement pourrait toutefois s’avérer intéressant à étudier.

Si le rôle de l’attachement dans le mentorat a déjà été étudié (Larose et al, 2005 ; Soucy et Larose, 2000), nos résultats invitent à étendre son impact à l’intention même d’y participer. Nous pensons qu’il serait également prometteur de l’étendre à d’autres dispositifs d’accompagnement, en ce qu’il parait résoudre l’apparente contradiction dénoncée entre les besoins d’encadrement et d’autonomie des étudiants (Langevin, 2009).

Conclusion

La participation des primants aux dispositifs de soutien à la réussite peut s’avérer faible. Alors que le mentorat par les enseignants, dont l’efficacité a été démontrée, se développe à l’ULiège, il existe un réel enjeu concernant le fait qu’il soit adopté par le plus grand nombre. À cette fin, il est utile d’identifier des conditions optimales pour favoriser la participation étudiante. Basée sur la théorie du comportement planifié d’Ajzen (1991, 2020), cette étude montre que l’intention qu’ont les primants d’être mentorés dépend de leur représentation du mentorat comme une expérience positive et du sentiment d’en être capable. Ces déterminants sont eux-mêmes prédits par des croyances qui témoignent de l’importance de l’attachement, de la confiance en soi concernant les études, de la qualité relationnelle et de facteurs organisationnels pour favoriser la participation étudiante.