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Globalizing Human Rights de Charles Anthony Smith est un ouvrage collectif que signent des chercheurs en sciences politiques et en relations internationales. Les éditeurs ont repris ici des contributions déjà publiées dans un numéro spécial du Journal of Human Rights. Le choix de ce nouveau format témoigne sans doute de l’intérêt public pour le sujet abordé. En effet, bien que l’utopie cosmopolite ait certes ses pourfendeurs inlassables, elle n’a cessé de mobiliser une littérature florissante au cours des dernières décennies, notamment lorsqu’elle s’est intéressée à des problématiques aussi concrètes que la jouissance et la protection des droits humains de tout un chacun. Sur ce dernier enjeu, les auteurs de Globalizing Human Rights nous engagent à explorer une préoccupation qui meuble inlassablement l’actualité, à savoir l’effectivité des droits humains à travers le monde. L’originalité de leur approche mérite d’être soulignée, puisque, rompant avec la fixation de l’abondante littérature contemporaine sur l’interventionnisme international, les auteurs postulent que, la globalisation du droit étant acquise, il convient de s’attarder sur son effectivité relativement au respect des droits humains. Leur méthodologie combine habilement, mais avec une délicate rigueur, analyses qualitative et quantitative.
D’entrée de jeu, Alison Brysk et Arturo Jimenez, cherchant les implications de la mondialisation du droit pour la jouissance des droits de la personne, remettent en selle la figure de l’État comme unité ultime du pouvoir à tous les échelons de la gouvernance mondiale. Aux niveaux interne, régional, transnational et international, l’État demeure the ultimate enforcer of rights. Les auteurs suggèrent ainsi qu’il y a lieu de tester davantage l’importance de l’indépendance judiciaire pour expliquer l’adhésion aux droits humains dans une relation État-société.
Le thème de l’indépendance judiciaire au sein des États domine en effet les différentes contributions. Wayne Sandholtz, dans le deuxième chapitre, défend l’idée que la jouissance des droits repose en bonne partie sur la relation que les systèmes juridiques nationaux entretiennent avec le droit international. Au terme de l’étude de données sur les constitutions de pays qui formalisent les rapports entre ces deux ordres juridiques, il en vient à la conclusion que l’indépendance judiciaire est bénéfique à la fois pour les droits humains et pour la mise en oeuvre du droit international. Les auteurs Mary Volcansek et Charles Lockhart partent de cette conclusion pour s’interroger sur la nature des institutions judiciaires que les États devraient mettre en place pour parvenir à la réalisation des droits fondamentaux. L’étude pointe du doigt le contrôle judiciaire des actions gouvernementales qui se sont répandues dans le monde comme modalité de garantie la plus performante. Se fondant sur l’analyse des données sur 27 pays de l’Union européenne, les auteurs parviennent à la conclusion que l’indépendance judiciaire nécessaire aux droits humains repose moins sur la technique du contrôle judiciaire que sur la dispersion du pouvoir à travers les compétitions démocratiques. La dispersion empêche l’emprise d’une branche du gouvernement sur l’autre. Plus intéressant encore, l’étude conclut que le niveau de développement économique n’est pas une variable déterminante dans la réalisation des droits. Il n’agirait selon les auteurs que comme une variable de facilitation.
Les contributions qui suivent analysent le rôle spécifique de certains acteurs dans la globalisation des droits humains. Heather Smith-Cannoy et Charles Anthony Smith critiquent ainsi les Pays-Bas, reconnus pour leur fermeté au niveau mondial dans la lutte contre le trafic des êtres humains, mais qui peinent à apporter une réponse adéquate à ce phénomène à l’intérieur des territoires dont ils ont le contrôle, notamment leurs îles de l’océan Indien. Cette contribution souligne de fort belle manière que le respect des droits humains ne devrait pas se limiter à une question de rhétorique politicienne. Il n’y aurait mondialisation effective que s’il y a concrètement internalisation des principes appliqués au niveau international. Cette conclusion est partagée par Michael C. Tolley qui s’intéresse au rôle de la Cour européenne des droits de l’homme dans le contrôle politique en Europe. Son étude révèle que les tribunaux des États européens soumis au contrôle de ce tribunal importent non seulement ses principes dans leurs décisions, mais y prennent appui pour développer de nouveaux droits. Cette tendance qui traduit un rejet du souverainisme judiciaire démontre par ailleurs un recul de l’idéologie dans la mise en oeuvre du droit international relatif aux droits humains. La contribution de Royce Carroll et Lynda Tiede, qui s’intéressent au vote idéologique au sein du tribunal constitutionnel chilien, est digne d’intérêt à cet effet. Bien que l’idéologie soit présente dans le vote en fonction de l’appartenance politique, l’étude conclut qu’il n’y a pas pour autant politisation ou polarisation en raison de la diversité des blocs représentés sur le banc du tribunal.
En outre, la mondialisation des droits humains doit pouvoir compter non seulement sur les acteurs étatiques, mais très certainement sur les mouvements de la société civile. Shawn Schulenberg souligne ainsi la contribution du mouvement LGBT à la légalisation du mariage homosexuel en Argentine, une percée majeure dans un continent traditionnellement conservateur sur le sujet en particulier et l’égalité en général. De fait, le rôle des organisations de la société civile est indiscutablement mis en évidence dans l’étude de Heidi Nichols Haddad qui examine les multiples facettes de leur implication dans le renforcement des institutions judiciaires en rapport avec les droits humains devant les cours constitutionnelles, les tribunaux internationaux ou dans la littérature juridique. Ce tiers acteur participe de cette façon à l’expansion des droits de la personne dans le monde.
En somme, Globalizing Human Rights interpelle les chercheurs sur la justice globale, mais aussi tout acteur qui oeuvre dans le domaine, sur la manière de théoriser le respect des droits humains à travers le monde. On a trop souvent insisté sur les lacunes de la gouvernance globale. Pour autant, il semble que celle-ci ne soit rien d’autre que le reflet des manquements des sociétés États à l’intérieur de leur propre sphère d’influence. La globalisation des droits mérite en effet d’être pensée plus sérieusement selon une approche bottom-to-top qui s’inscrirait dans la responsabilisation des États, à travers leurs structures politico-judiciaires, et la mobilisation tous azimuts des acteurs non étatiques et transétatiques. Par une recherche fort bien documentée, les auteurs de cet ouvrage nous en donnent une convaincante illustration.