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Le maintien de la paix est un concept abondamment utilisé et son usage s’en retrouve souvent dénaturé. Après plus de cinquante ans d’existence, cette pratique demeure donc incomprise. Plusieurs raisons expliquent les différentes perceptions entourant le maintien de la paix, dont le fait que l’usage s’en est développé avant même sa conceptualisation théorique et surtout du fait qu’il s’agit d’une doctrine en constante évolution. Twenty-First-Century Peace Operations aspire à faire la lumière sur le mythe entourant le maintien de la paix, a poser certains jalons théoriques et, surtout, à démontrer les modifications qu’ont connues les opérations de paix.
Twenty-First-Century Peace Operations s’inscrit dans une série de trois ouvrages publiés par l’United States Institute of Peace Press. L’auteur, William Durch, n’en est pas à ses premières armes sur le sujet, le premier tome de cette série, The Evolution of un Peacekeeping, publié en 1993, étant toujours considéré comme un incontournable dans le domaine. La deuxième publication, un Peacekeeping, American Policy and the Uncivil Wars of the 1990s (1996) montre déjà la distinction entre ce que l’on appellera désormais, « le maintien de la paix classique » et un autre genre d’opérations de paix. Les changements survenant rapidement, il faudra donc peu de temps pour que l’équipe de Durch propose une mise à jour de ce qu’elle considère comme une modification importante de la pratique et de l’aspect théorique des opérations de paix. Ce troisième volume boucle la série d’évolutions rapides qu’a connues le maintien de la paix à la suite des bouleversements des années 1990. Si l’aura de Durch pouvait à elle seule assurer la valeur de ce collectif, il n’en est pas moins enrichi par la contribution de collaborateurs affichant une étonnante symbiose entre la recherche et l’expérience sur le terrain.
Avec cette publication, les auteurs désirent mettre en évidence la mutation qu’ont subie les opérations de paix depuis leur mise en place. D’entrée de jeu, les auteurs annoncent que les défis auxquels le maintien de la paix a dû faire face au cours des cinquante ans d’adaptation aux différentes situations où ont imposé à celui-ci une transformation radicale. Pour eux, les opérations de paix ne seraient donc plus une simple interposition entre deux belligérants. Aujourd’hui, il s’agit d’opérations complexes déployant des efforts sur plusieurs dimensions, de la sécurité jusqu’à la réingénierie des États. Ils souhaitent également démontrer que les opérations de paix des Nations Unies méritent beaucoup plus de crédit que ce qui leur est généralement accordé. Selon eux, les casques bleus opèrent généralement dans un contexte difficile, avec un minimum de financement ; ils doivent se reposer sur du personnel qui manque d’entraînement, alors que leurs objectifs sont difficiles à atteindre et qu’ils ne peuvent pas s’y préparer adéquatement.
En plus de la préface, Twenty-First-Century Peace Operations se compose de huit parties, dont six études de cas. La première section propose un cadre théorique solide. Durch y fait une revue presque complète des différentes typologies du maintien de la paix, suivie d’une récapitulation des différents concepts et problèmes entourant les opérations d’appui à la paix (Peace Support Operations), leur financement et l’évaluation de leur efficacité. Cette section de l’ouvrage deviendra sans conteste un incontournable sur le sujet.
Les six chapitres suivants traitent chacun d’un cas particulier. Ils sont, dans l’ordre, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, le Timor oriental, la République démocratique du Congo, le Sierre Leone et l’Afghanistan. Chaque étude de cas est décrite selon un modèle concerté et bien coordonné. Ainsi, chaque chapitre offre six parties qui couvrent le processus de paix et la signature des accords concernant le cas à l’étude ; expose l’appui qu’a reçu cet accord par le pays, ses voisins et les différents acteurs de la crise ; énonce sommairement le mandat de la force de paix ; décrit le financement, la planification et la mise en oeuvre des opérations de paix ; évalue l’accomplissement des objectifs de la mission de paix ; et offre des conclusions générales au sujet des leçons retenues à la suite de cette opération spécifique.
Chaque chapitre couvre donc en une centaine de pages les éléments particuliers et détaillés de chaque mission, afin d’en tirer des observations et des enseignements judicieux. Le chapitre sur l’Afghanistan est particulièrement éloquent, compte-tenu de la complexité de ce conflit. Le niveau de détail et d’analyse des chapitres permet au lecteur de disposer des informations nécessaires pour bien comprendre les racines structurelles des conflits, ainsi que les mécanismes de paix déployés pour les résoudre. La qualité de chaque étude de cas montre une connaissance approfondie du sujet et on peut apprécier les efforts pour combiner les différents chapitres en un ensemble harmonieux.
Le chapitre huit résume les leçons retenues de ces récentes études de cas, ainsi que les observations tirées les plus pertinentes. Cette conclusion permet de saisir le nouveau concept de mission de paix qui s’inscrit dans un concept large de sécurité. Durch conclut avec huit suggestions qui découlent d’enseignements historiques, dont : le rôle des saboteurs du processus de paix (spoilers), le consentement de la population locale au processus de paix, les dispositions variables d’une autorité de transition, ainsi que d’autres conclusions plus évidentes, voire redondantes, mais toujours aussi difficiles à appliquer : un mandat clair et réalisable, une disponibilité des ressources, une capacité de planification au sein de l’onu, sans oublier la coordination harmonieuse des efforts menant à une responsabilisation des acteurs devant le Tribunal pénal international. Plusieurs de ces suggestions n’ont rien d’original, car elles sont similaires à celles de nombreux rapports et études. Par contre, ces recommandations se distinguent des autres du fait qu’elles sont le fruit d’une analyse théorique cohérente. Par exemple, pour les besoins de cette recherche, les auteurs prennent pour point de départ l’approche des trois générations d’opérations de paix. Ces générations sont divisées de la façon suivante : la période classique ou traditionnelle, de 1956 à 1988 ; après 1989 la norme devient celle des opérations complexes combinant des éléments militaires et civils comme celle du Congo (même si cet anachronisme date de 1964) et de la Namibie ; cette période se termine sur un échec avec la Somalie et le Rwanda et laisse la place à la troisième génération, celle des interventions plus musclées comme au Kosovo À la suite de leurs analyses, les auteurs purifient cette typographie de son caractère temporel pour finalement la réinventer sur des bases théoriques solides.
De par sa qualité et son acuité, Twenty-First-Century Peace Operations pourrait devenir d’ici peu une référence théorique et académique incontournable sur le sujet. Les différentes contributions y sont agencées harmonieusement, afin de faire de cet ouvrage collectif un ensemble très cohérent. La lecture en est facile est s’adresse à tous les types de publics. La portion théorique met en perspective les différents concepts et expose clairement le développement des opérations de paix durant les cinquante dernières années.