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L’Asie constitue l’une des régions les plus dynamiques et les plus diversifiées sur les plans politique, économique, culturel et religieux. Il s’agit également d’une région du monde où sont répertoriés de nombreux différends internationaux, notamment en matière de délimitation des frontières terrestres et maritimes. Par conséquent, le maintien de la paix et de la sécurité internationale en Asie repose largement sur la gestion et le règlement pacifiques de ces différends.
Dans son ouvrage Les différends internationaux en Asie, Georges Labrecque, professeur titulaire de droit international public et de géographie politique au Collège militaire royal du Canada, propose d’y contribuer en analysant, par la méthode comparative, les apports du mode juridique de résolution pacifique des disputes internationales sur ce continent. Le professeur Labrecque avait publié, en 2005, un ouvrage similaire sur Les différends territoriaux en Afrique dans lequel il offrait une analyse approfondie des jurisprudences africaines en matière de règlements territoriaux.
L’ambition du présent ouvrage est, d’une part, d’estimer l’apport pour le droit international des « affaires asiatiques » ayant fait l’objet d’une décision de la Cour internationale de justice (cij) et, d’autre part, d’évaluer l’efficacité des décisions judiciaires dans la résolution des conflits internationaux asiatiques dont la Cour fut saisie. Selon l’auteur, le continent asiatique présente un intérêt particulier compte tenu de la réticence des États qui le composent à employer ce mode de résolution des différends, et ce malgré les nombreuses disputes dont il est le terrain. L’importance de cette analyse repose également sur le caractère plutôt récent de ce recours. De plus en plus, les États asiatiques seront amenés à faire appel à la cij pour parvenir à résoudre pacifiquement leurs différends, d’où la pertinence d’étudier cette jurisprudence et son efficacité.
Afin de répondre à cette double interrogation, Georges Labrecque propose une analyse jurisprudentielle comparée, par ordre chronologique, de huit différends ayant fait l’objet d’une décision ou d’un avis de la Cour internationale de justice impliquant au moins un État asiatique : le droit de passage du Portugal en territoire indien (Portugal c. Inde, 1955-1960), la frontière dans la région du temple de Préhar Vihéar (Cambodge c. Thaïlande, 1959-1962), le Timor oriental (Portugal c. Australie, 1991-1995), l’incident aérien de 1999, les prisonniers, l’oaci (Pakistan c. Inde, 1971-2000), la souveraineté territoriale et la délimitation maritime (Qatar c. Bahreïn, 1991-2001), la souveraineté territoriale sur des îles (Indonésie/Malaisie, 1998-2002), les plates-formes pétrolières, l’Airbus, les otages américains (Iran c. États-Unis, 1979-2003) et finalement l’avis de la cij sur le mur israélien en Palestine (2003-2004).
Après avoir présenté en introduction les multiples modes de règlement pacifique des différends qui s’offrent aux États (négociation, enquête, médiation, conciliation, arbitrage, recours aux organismes ou accords régionaux), en insistant sur les particularités du mode judiciaire, l’auteur procède à une analyse jurisprudentielle détaillée de chacun des cas susmentionnés, en prenant soin de les replacer brièvement dans leur contexte historique et politique respectif. Pour chaque différend, Labrecque analyse subséquemment les exposés de chacune des parties, la décision de la Cour quant à sa compétence à entendre l’affaire, ainsi que la décision (ou l’avis) de la Cour sur le fond.
En conclusion générale, l’auteur procède à une comparaison transversale démontrant que les « affaires asiatiques » ont permis de faire avancer le droit international ou de confirmer des règles de droit que la Cour avait préalablement définies dans sa propre jurisprudence. À cet effet, Labrecque compare les décisions et avis de la Cour avec la jurisprudence antérieure et postérieure aux cas asiatiques étudiés qui soulèvent les mêmes questions de droit international.
Après avoir fait remarquer que toutes les affaires analysées touchaient directement ou indirectement aux questions de souveraineté territoriale, de délimitation des frontières terrestres, maritime et des espaces aériens, l’auteur démontre que la jurisprudence asiatique a permis à la Cour de préciser le droit international, entre autres, quant à la valeur juridique des cartes géographiques (Cambodge c. Thaïlande), aux critères de détermination du droit international coutumier (Portugal c. Inde et Qatar c. Bahreïn), à la valeur juridique des effectivités pour déterminer la souveraineté territoriale en l’absence de titre juridique (Indonésie/Malaisie), au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, en particulier son caractère erga omnes (Portugal c. Inde, Portugal c. Australie, mur israélien), le droit applicable en territoires occupés (mur israélien), l’usage de la force en droit international (en particulier États-Unis c. Iran, mur israélien, Portugal c. Inde), le caractère erga omnes et intransgressible de certaines dispositions du droit international humanitaire (mur israélien), etc.
L’auteur souligne par ailleurs la jalousie avec laquelle la Cour a fait valoir sa compétence. En effet, malgré les nombreuses exceptions préliminaires présentées par les États parties aux différends étudiés, la Cour n’a pas hésité à les rejeter dans la grande majorité des cas afin d’entendre les requêtes qui lui étaient soumises. Dans le cas du mur israélien, la Cour en profite également pour rappeler les différences entre sa compétence consultative et sa compétence contentieuse qui lui permettent d’accepter la requête de l’Assemblée générale sur la licéité de l’édification du mur de protection en territoires occupés. Labrecque saisit l’occasion pour questionner l’influence des avis de la Cour internationale de justice, notamment en matière d’emploi de la force, alors qu’autant dans le cas du mur israélien que dans ceux similaires de l’Afrique du Sud en Namibie et du Sahara occidental, malgré la forte majorité obtenue, ceux-ci n’ont pas mené à des résultats concrets et rapides sur le terrain.
Bien que la rigueur juridique et l’analyse minutieuse de l’auteur présentent un intérêt certain pour les publicistes, l’ouvrage comporte certaines lacunes. En premier lieu, on ne peut passer sous silence la pauvreté des éléments cartographiques qui auraient permis de mieux illustrer les différends analysés et de faciliter ainsi leur compréhension pour les lecteurs. Ceci est d’autant plus regrettable que tous ces différends, aux dires même de l’auteur, abordent des questions de souveraineté territoriale ou de délimitations frontalières.
On a également un peu de mal à saisir, malgré la pertinence de la description et de l’analyse individuelles des cas retenus, ce que leur réunion permet de dégager comme apport général au droit international. Finalement, bien que l’auteur tente de présenter un bref contexte historique et politique dans l’introduction de chaque cas étudié, il n’en demeure pas moins qu’en se limitant à la seule analyse jurisprudentielle, l’ouvrage néglige l’importance des rapports de force politique, militaire et économique qui revêtent une importance particulière dans l’évolution des conflits internationaux en Asie. En présentant la relative efficacité sur le terrain des décisions et avis de la cij dans plusieurs cas sous étude, l’auteur aurait pu saisir l’occasion pour développer davantage ces éléments cruciaux des disputes asiatiques.
Néanmoins, Les différends internationaux en Asie constitue un ouvrage pionnier dans l’analyse de la jurisprudence internationale impliquant des États asiatiques. Il s’agit d’un excellent ouvrage de référence pour tous les étudiants et chercheurs qui s’intéressent particulièrement aux litiges juridiques sur ce vaste continent. Il est de surcroît accompagné d’une bibliographie détaillée qui permet aux lecteurs d’approfondir leurs recherches et leur compréhension des conflits en Asie.