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La constitution française a été révisée le 28 juin 1999 pour permettre la ratification du traité relatif à la Cour pénale internationale, qui avait été déclaré non conforme à la constitution par le juge constitutionnel dans la décision no 98-408 dc du 22 janvier 1999. Cette révision constitutionnelle soulève de nombreuses interrogations sur « le chef d’État et le droit international ».

Ce thème a été abordé à l’occasion du colloque, organisé en 2001 par la Société française pour le droit international dans les locaux de l’Université d’Auvergne, dont les actes sont entièrement retranscrits dans l’ouvrage publié au cours de la même année.

La première partie du livre est consacrée à la définition du chef d’État. Cette question permet de poser les bases d’une réflexion générale et pluridisciplinaire. Le rapport introductif présenté par Jean-Paul Pancracio sur « l’évolution historique du statut du chef d’État » constitue en l’occurrence une impressionnante source d’informations (plus de 100 pages). L’auteur expose, dans un premier temps, les deux évolutions radicales du statut international du chef d’État. La première rupture concerne le passage de la souveraineté incarnée par la personne du chef d’État à la souveraineté désincarnée de l’État. L’incarnation de la souveraineté dans la personne du monarque se manifestait au niveau de la reconnaissance internationale, des engagements internationaux et des relations diplomatiques. Quand la souveraineté était attachée à la personne même du monarque, il existait une inégalité des chefs d’État nonobstant la théorie du droit des gens de Grotius. Cette inégalité se manifestait dans le cérémonial et dans l’exercice du droit de légation et du droit de conclure des traités. De nombreux exemples sont cités pour illustrer les rapports inégaux entre souverains notamment les relations hiérarchiques entre l’Empereur du Milieu, érigé en suzerain du monde, et les autres souverains européens considérés comme de simples vassaux. Cette iniquité est abandonnée lorsque l’État devient la personnification de la nation souveraine. La seconde rupture a trait à la consécration du principe d’égalité juridique des États par les traités de Westphalie de 1648, qui mettent fin à la guerre de Trente ans. L’article 2§1 de la Charte des Nations Unies affirme l’égalité souveraine des États. Il en résulte l’application d’un statut identique pour tous les chefs d’État même s’ils exercent, par ailleurs, une fonction spirituelle comme le Roi du Maroc, qui a la qualité de commandeur des croyants. L’identité du cérémonial, des conférences et des visites, l’abandon du droit de légation au profit de la généralisation des ambassades, et les immunités, qui sont désormais attachées à la fonction du chef d’État et non à sa personne, font figure de symbole du principe contemporain d’égalité des chefs d’État, qui découle du principe d’égalité des États. De plus, l’affirmation du principe de l’intangibilité des accords internationaux met fin à la limitation de leur durée par la fin du règne du Roi.

Dans un second temps, le professeur met en exergue les constances relatives du statut du chef d’État. Il explique, en premier lieu, la permanence de la situation particulière de chefs d’État dans l’ordre international à partir des cas particuliers du Souverain Pontife, puis, du chef d’État multiple comme la Reine d’Angleterre, qui est également le chef d’État de l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Jamaïque et le Canada, ensuite, du seigneur féodal du xxie siècle tel que le président de la République française, qui est également coprince d’Andorre, et enfin du chef des armées. Il décrit, en second lieu, l’évolution des systèmes internationaux de protection et de responsabilité des chefs d’État.

Hélène Tourard, maître de conférences, prolonge cette dernière interrogation, dans sa contribution consa-crée à la « qualité de chef d’État ». À partir d’une étude de droit comparé reposant sur les pays européens, américains et africains, l’auteur nous invite à suivre quatre pistes de réflexion : la désignation, le mandat, la vacance et la responsabilité interne du chef d’État.

L’ambassadeur de France, Jacques Andreani, nous guide dans les arcanes du pouvoir en dévoilant le jeu des influences. Il remémore ses souvenirs pour dresser le portrait et le rôle des personnes qui constituent l’entourage du chef d’État.

La deuxième partie de l’ouvrage est dédiée à l’étude des fonctions du chef d’État. Le professeur Jean Salmon s’interroge sur « la représentativité internationale et chef d’État ». Il propose une analyse des concepts de « représentation » et de « représentativité », avant de montrer leur incidence sur le statut et le régime privilégié du chef d’État.

À partir de son analyse sur « le chef d’État et les engagements internationaux », le professeur Yves Gautier démontre, d’une part, la dispersion des prérogatives du chef d’État en matière de négociation et, d’autre part, l’affaiblissement des prérogatives du chef d’État en matière d’accords ou d’engagements internationaux au profit du gouvernement.

La troisième partie des actes du colloque concerne la protection et la responsabilité du chef d’État. Tout d’abord, le professeur Michel Cosnard propose une analyse des « immunités du chef d’État ». Il propose une définition du principe immunitaire, expose les fondements des immunités et explique l’opération d’identification du chef d’État, qui va bénéficier d’une immunité. L’universitaire présente, enfin, la teneur et l’étendue du régime des immunités du chef d’État.

Le professeur Isabelle Pingel-Lenuzza poursuit cette réflexion en examinant « la protection du chef d’État étranger », et plus précisément la protection de son intégrité physique et de son honneur.

L’ouvrage se termine par la retranscription de la table ronde consacrée aux difficultés de mise en cause de la responsabilité personnelle du chef d’État à laquelle ont participé Raymond Ranjeva, juge à la Cour internationale de Justice, Claude Jorda, président du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et Luigi Condorelli, professeur à l’Université de Genève.

Cet ouvrage constitue un outil pédagogique et synthétique pour travailler sur la question relative au chef d’État et au droit international. Il peut, à ce titre, être conseillé aux étudiants mais aussi à tous les enseignants-chercheurs qui souhaitent approfondir leurs connaissances en la matière. Le thème récurrent de la responsabilité pénale du chef d’État, qui forme le fil d’Ariane des actes du colloque, constitue sans aucun doute la force de cet ouvrage. Mais, il peut aussi conduire à la fragilité de cette recherche, si celle-ci est noyée par la déferlante des nombreuses publications consacrées à ce sujet.