Abstracts
Résumé
Cadre de la recherche : De par leur offre commerciale et leur configuration spatiale inédite, les centres commerciaux au Maroc attirent des foules hétérogènes, incluant les jeunes et les adolescents qui y effectuent des pratiques rappelant les lieux publics de la ville
Objectifs : la contribution étudie les pratiques sociales et les images qu’associent les jeunes et particulièrement les adolescents aux espaces commerciaux en tant que nouveaux lieux de rencontre et de sociabilité
Méthodologie : le travail combine des entretiens réalisés auprès d’une trentaine de jeunes et adolescents et des séances d'observations portant sur leurs pratiques sociales effectuées dans quelques malls de Rabat
Résultats : la contribution montre comment ces malls sont l'objet d'images et de représentations fortes que ces profils juvéniles associaient auparavant aux lieux publics de la capitale. Ils s’érigent, à leurs yeux, comme de nouveaux espaces publics où l’image, le paraitre, le virtuel, l’hédonisme et le consumérisme occupent une place prépondérante dans leur rapport à l’urbanité.
Conclusions : Elle montre que des dimensions telles que la sécurité, l’animation, la consommation et la simulation sont de plus en plus des éléments prépondérants dans le rapport des jeunes et des adolescents aux espaces publics, justifiant leur engouement aux malls par rapport aux lieux publics traditionnels .
Contribution : Les malls doivent être pensés autrement que des lieux privés, fermés et marchands mais de plus en plus les supports d’une nouvelle urbanité mettant en exergue de nouveaux rapports à la ville et à l’espace public.
Mots-clés :
- jeune,
- adolescent,
- espace public,
- centre d’achat,
- représentation,
- Rabat
Abstract
Research Framework: Due to their offer and their spatial configuration, shopping malls in Morocco attract heterogeneous crowds, including the young people and the teenagers who make practices there remember the public places of the city
Objectives : The contribution studies the social practices and the images which associate the young people and particularly the teenagers with the commercial spaces as new places of meeting and sociability
Methodology : The work combines interviews realized with around thirty young people and teenagers and observations concerning their social practices made in some malls of Rabat
Results : The contribution shows how this malls is the object of images and strong representations which these young and teenagers associated previously with the public places of the capital. They set up themselves, for them, as of new public places where the image, by, the virtual, the hedonism and the consumerism occupy a dominating place in their relationship to the urbanity
Conclusions : She shows that dimensions such as the safety, the animation, the consumption and the simulation are more and more preponderant elements in the report of the young people and the teenagers in the public places, justifying their appreciation in malls with regard to the traditional public places.
Contribution : Malls must be thought than what of the private, closed and trade places but more and more the supports of a new urbanity highlighting new reports in the city and in the public place.
Keywords:
- youth,
- teenagers,
- public place,
- shopping center,
- representations,
- Rabat
Article body
C’est au cours des deux dernières décennies que la capitale administrative du Maroc connait l’arrivée d’importantes concentrations commerciales qui s’implantent à sa périphérie. Il s’agit de centres commerciaux géants introduits par des chaines étrangères et marocaines et conçus, le plus souvent, selon le modèle des malls américains et européens.
Avec une offre diversifiée, combinant des espaces de shopping et des lieux de récréation, ces malls attirent des foules considérables qui y effectuent des pratiques sociales hétérogènes (shopping, déambulation, rencontre, etc.). En nous focalisant sur le rapport matériel et symbolique qu’entretiennent les jeunes et particulièrement les adolescents avec ces espaces marchands, nous explorerons ici les pratiques sociales et les images qu’associent ces profils sociaux à ces espaces de consommation et les grandes marques internationales qui y existent. Sur la base d'une série de séances d'observations combinées à des entretiens réalisés auprès de 35 jeunes et adolescents (ayant un âge situé entre 13 et 24 ans), cette dernière montre comment ces malls sont l'objet d'images et de représentations fortes auparavant associées aux lieux publics de la capitale. Ils s’érigent, à leurs yeux, comme de nouveaux espaces publics où l’image, le paraître, le virtuel, l’hédonisme et le consumérisme occupent une place prépondérante dans leur rapport à l’urbanité.
De la Zanka[1] aux nouveaux lieux publics marchands : Des rapports renouvelés aux espaces publics au Maroc
Sous l’effet d’une urbanisation galopante, le Maroc a connu au cours du siècle dernier des changements sociaux, culturels et économiques impressionnants[2]qui se sont traduits par une recomposition sociale et spatiale de ses espaces urbains. L’un des changements les plus frappants observés dans ses grandes villes concerne le rapport des citadins marocains à la ville et plus particulièrement à ses espaces publics (Navez-Bouchanine, 2002). Si autrefois ces espaces aménagés par les pouvoirs publics représentaient (en plus des espaces verts et des forêts urbaines situées dans les espaces périphériques) les principaux lieux de rencontre, de déambulation et de mixité sociale pour une grande frange la population urbaine, ce n’est plus le cas aujourd’hui avec la multiplication des espaces marchands ouverts au public qui assument de plus en plus ces fonctions (Harroud, 2013). Le manque d’entretien et d’animation observés le plus souvent dans les espaces publics traditionnels[3] associés à une gestion municipale jugée défaillante, sans oublier les problèmes d’insécurité et d’incivilité notamment à l’encontre des jeunes et des femmes, sont autant de raisons justifiant l’abandon grandissant de ces lieux par les familles citadines qui privilégient de plus en plus des espaces commerciaux et récréatifs impulsés par le secteur privé (Jolé, 1999)[4]. C’est particulièrement auprès des jeunes et des adolescents qu’il faut observer les mutations des rapports aux espaces publics au Maroc (Navez-Bouchanine, 2002). Tant au Maroc que dans d’autres contextes, la jeunesse représente une catégorie aux frontières mouvantes historiquement et culturellement dont les limites restent floues et relatives. (Galland, 2004). Sa délimitation est sujette encore à des controverses au Maroc entre chercheurs notamment autour de la tranche officielle proposée par la Direction des statistiques qui la situe entre 15 et 24 ans. Cette délimitation semble de plus en plus remise en question avec les changements sociaux et culturels que connait le Maroc, lesquels sont marqués notamment par le prolongement des études et le retard constaté pour l’accès au travail et à la vie conjugale. Nous la situons entre 15 et 30 ans qui représentent à notre sens les âges « limites » marquant le passage à l’âge adulte. La même tranche d’âge a été adoptée par l’une des rares spécialistes de la sociologie de la jeunesse au Maroc, la sociologue Bennani Chraïbi (Bennani-Chraïbi, 1994).
Jusqu’aux années 1980, les pratiques de loisirs et de divertissement des jeunes et adolescents dans les grandes villes du Maroc se font essentiellement dans les places et boulevards du centre-ville (Berriane, 1988), les jardins publics (Gillot, 2007) et particulièrement dans la Zanka qui représentait à la fois un espace de socialisation, de jeu et de distraction pour les enfants (Mekideche, 2001). Or, il semble que les changements sociaux, démographiques et économiques qu’a connus le royaume[5] à partir des années 1990, marquant l’entrée du Maroc dans une société de consommation, ont progressivement remis en question le rôle de la Zanka comme principal lieu de socialisation auprès des adolescents (Morin et Durler, 2005). Ces derniers, sous la pression de leurs parents qui exigent pour eux une plus grande sécurité (Heiderich, 2005), se rendent dans des espaces marchands impulsés par le secteur privé. Parmi ces espaces, les malls[6] représentent par leur offre commerciale, leur ambiance spécifique et leur configuration fermée, de véritables destinations urbaines pour de nombreuses familles qui en font de plus en plus le principal espace de distraction pour leurs enfants (Harroud, 2016). L’importance sociale et symbolique qu’occupent ces lieux dans le vécu et l’imaginaire de ces jeunes Marocains invite à s’interroger sur les implications qu’ils peuvent induire sur le rapport aux espaces publics de la ville.
Le sujet du rapport des jeunes aux espaces publics, et particulièrement aux espaces publics marchands, semble intéresser de plus de chercheurs dans les pays du nord.
En effet, la question de l’usage et l’appropriation des espaces publics par les jeunes est aujourd’hui un champ récurrent de la sociologie de la jeunesse qui a été abordé à partir des années 1980 dans différents contextes socioculturels en Europe et en Amérique du Nord. Toutefois, la question des pratiques de ces catégories juvéniles dans les espaces marchands et les centres commerciaux reste encore peu développée, notamment dans la littérature francophone. Mentionnons à cet égard les travaux de recherche réalisés par Valérie-Inès de La Ville, Daniel Thomas Cook, Wendy Bryce Wilhelm, Sandra Mottner, Deborah Roedder-John, Patti Valkenburg et Joanne Cantor sur les pratiques de consommation des enfants dans les milieux marchands (Cook, 2004 ; de La Ville, 2009 ; Roedder-John, 2001 ; Wilhelm et Mottner, 2005 ; Valkenburg et Cantor, 2001). Il existe cependant de nombreux travaux réalisés à ce sujet dans une perspective managériale. Dans son article intitulé « L'enfant dans l'espace commercial : éléments pour une mise en perspective », Valérie-Inès de La Ville présente un état de la question sur ces travaux (de La Ville, 2009). Dans un autre registre, soulignons les travaux focalisés sur le rapport des personnes âgées aux centres commerciaux avec les recherches menées par Besozzi qui a analysé finement leurs pratiques et leurs modes d'appropriation et de socialisation dans ces lieux marchands (Besozzi, 2017a ; 2017b).
Il reste toutefois un sujet peu exploré, voire inexistant, dans les recherches urbaines et sociologiques dans le monde arabe et au Maroc[7] en particulier. Une bonne partie de ces travaux se sont focalisés davantage sur les pratiques de contestation et de rébellion de ces jeunes et sur leur rapport à la religion et au politique que sur leur rapport aux espaces publics et à la ville en général (Adam, 1961 ; El Ayadi, 2013 ; Bourquia, 2000 ; Bennani-Chraïbi, 1994).
La présente contribution se propose d’explorer ce champ de recherche dans le contexte marocain en analysant les pratiques sociales et spatiales de ces jeunes[8] dans quatre malls situés dans différents quartiers de Rabat, en faisant ressortir les images et les significations qu’ils assignent à ces lieux. Elle repose pour cela sur des investigations principalement qualitatives[9], combinant observations denses[10] de l’utilisation de ces malls par les jeunes et entretiens réalisés avec un échantillon exploratoire d’entre eux[11].
Le choix de ces centres commerciaux a reposé sur la combinaison d’un ensemble de critères permettant de dégager un échantillon de malls distinct et diversifié en rapport avec la question de la fréquentation des jeunes et leurs pratiques socio-spatiales. Ces critères ont concerné notamment leur localisation géographique (centre/périphérie, leur proximité des établissements scolaires), leur taille, leur concept commercial, leur accessibilité spatiale, leur offre commerciale, la nature de leur clientèle, etc. Ainsi ont été choisis deux centres commerciaux périphériques à vocation alimentaire très prisés principalement par les familles à fort et moyen pouvoir d’achat (Marjane Ryad et Aswak Assalam à Hay Ryad au sud du Rabat), un centre commercial situé dans un quartier populaire péricentral prisé par un public à faible pouvoir d’achat (Al Manal dans le quartier Yacoub Al Mansour) et enfin un Méga mall géant à vocation récréative localisé dans un quartier huppé de Rabat et fréquenté par un public à fort revenu, constitué principalement de cadres supérieurs (Méga mall à Souissi au sud-est de Rabat) (voir la Figure 1).
L’arrivée des malls au Maroc : de nouveaux univers de consommation en plein essor
Les centres commerciaux ont fait leur apparition au Maroc à la fin des années 1990, bénéficiant d’une conjoncture économique, sociale et politique favorable à leur implantation[12]. Depuis, ils ne cessent de se multiplier dans les grandes villes du royaume au point de constituer aujourd’hui de véritables repères urbains qui structurent leur paysage urbain[13].
Des chaînes étrangères font leur apparition sur la scène nationale pour faire du Maroc un terrain approprié pour le développement de leur réseau commercial. Aujourd’hui, on peut recenser une centaine d’équipements commerciaux répartis sur les principales villes du royaume. L’apparition récente de malls géants axés sur le loisir et le divertissement constitue un nouveau tournant dans le développement de ces équipements au Maroc. « Méga-Mall » est le nom qui a été attribué à l’un des plus grands centres commerciaux du Maroc. Réalisé en 2005 dans la capitale du royaume, ce centre colossal combine les activités commerciales et les activités ludiques qui se déclinent en une hétérogénéité d’espaces, depuis la petite boutique, jusqu’aux grandes salles de patinoires et de bowling. C’est un véritable parc de loisirs couvert qui, selon l’un de ses responsables, interviewé en 2011, « fascinera plus d’un et donnera un nouveau visage à la ville de Rabat ».
Ces espaces représentent de grandes concentrations marchandes et ludiques qui réunissent diverses fonctions liées au loisir et au divertissement. Mais, au-delà de leur offre commerciale dense et diversifiée, il faut surtout mentionner leur configuration spatiale fermée et sécurisée dans laquelle on reproduit l’atmosphère des espaces publics dans une ambiance festive et ludique très particulière (Capron, 1998). Ils s’organisent souvent autour de galeries de déambulation ponctuées par des bancs et longées par des boutiques commerciales qui cherchent à rappeler les ambiances des boulevards commerciaux de Rabat.
Sur le plan social, l’importance de ces équipements marchands attire un public grandissant et hétérogène[14] de plus en plus séduit par les offres et les ambiances particulières qu’ils proposent. Les jours de fin de semaine et les périodes de vacances sont des occasions propices pour observer comment leurs galeries marchandes sont investies par une population hétérogène qui en fait des espaces de déambulation, de lèche-vitrine et de rencontre sociale. Cela laisse penser que ces lieux sont loin d’être réduits à des non-lieux (Augé, 1992) ou de simples lieux d’achat et d’approvisionnement.
Des offres ludiques centrées sur la distraction des jeunes
L’une des principales caractéristiques de ces nouvelles générations de centres commerciaux, qui fait d’ailleurs leur succès auprès du public Rbati, repose sur la mise en scène des univers et des ambiances bien spécifiques visant à stimuler les sensations de leurs visiteurs et susciter leur imaginaire collectif (Chivallon, 1998). Dans la plupart des malls de Rabat, il s’agit d’ambiances distractives et festives qui mettent en scène l’atmosphère de fête, de sécurité et de divertissement[15], contrastant avec la monotonie et l’insécurité qui caractérisent le plus souvent les espaces publics traditionnels de la capitale marocaine. Ils proposent, pour cela, tout un ensemble de dispositifs et de décors physiques qui visent à offrir un cadre sécurisé et agréable pour les sorties familiales et la distraction des enfants. Ce concept a été adopté, d’ailleurs, par l’enseigne d’Aswak Assalam qui a fondé sa stratégie commerciale sur la distraction des familles et des enfants
Aswak Assalam c’est l’hyper famille, nous avons privilégié la famille élargie qui représente l’un des traits caractéristiques de notre société locale. L’offre à proposer doit être centrée autour des attentes de la famille et de ses différentes générations des grands-parents aux petits-fils. Tous les membres de la famille trouvent leur plaisir dans un espace conçu pour leur divertissement et leur distraction. (D’après l’entretien réalisé avec un responsable commercial à Aswak Assalam Ryad, 2009).
En fait, la plupart des promoteurs de ces malls font des enfants, et plus généralement des jeunes, leurs cibles privilégiées[16] pour attirer toute la famille et particulièrement les jeunes mères. Ces dernières apprécient, essentiellement, les offres et les services qu’ils proposent pour leurs enfants. Ainsi, au-delà de la configuration fermée et sécurisée de ces malls, qui représente, d’ailleurs, le motif principal de leur fréquentation (Harroud, 2016), il existe tout un ensemble de services qui leur sont offerts pour rendre plus aisées leurs pratiques de shopping : des haltes-garderies dédiées pour la distraction et la surveillance des petits enfants, des manèges proposés dès l’entrée à l’espace commercial, des tombolas et des animations ludiques ciblant les enfants, des projections de films gratuites, des ateliers de dessin, de jeux et d’apprentissage, etc.
À ces divers services dédiés aux enfants, s’ajoutent également des offres commerciales diversifiées comprenant de nombreux magasins de prêt-à-porter pour adolescents, des grands magasins de jeux, des lieux de loisirs et de distraction pour les jeunes (bowling, patinoire, cinéma, parcs de jeux, des lieux de recréation thématique (cafés, restaurants thématiques)). De nombreuses animations sont organisées périodiquement par des enseignes de restauration et d’ameublement au profit des enfants. C’est le cas, par exemple, des fast-foods de McDonald’s (dont une majorité est localisée dans ces centres commerciaux), qui font de l’animation pour enfants la base de leur stratégie commerciale. Ils offrent des menus spéciaux équipés de jouets « gratuits » et autres gadgets qui sont fortement prisés par les jeunes couples accompagnés de leurs jeunes enfants.
Certains magasins offrent même des aménagements spécifiques qui visent les enfants et stimulent leur imaginaire. Les promoteurs de l’enseigne Imginanuim dans le centre commercial Marjane Ryad ont aménagé un univers sur mesure pour l’enfant. Dès l'entrée, une porte conçue à l’échelle de l’enfant lui permet d’entrer, en plus de celle destinée aux adultes. À l’intérieur du magasin, l’enfant peut tester et manipuler lui-même certains articles sans aucune restriction. Les jouets, en général, sont classés par sections thématiques et sont facilement accessibles et manipulables par les enfants.
Enfin, d’autres magasins sont consacrés principalement aux jeunes adolescents comme le bowling et la patinoire qui comportent des salons et des buvettes dédiés aux pratiques de rencontre et de sociabilité pour ces jeunes.
Il faut ajouter, enfin, les manifestations musicales éducatives, sportives et culturelles destinées aux jeunes qui sont organisées périodiquement pour les attirer ainsi que leur famille. Des tombolas, des concerts musicaux, des compétitions de jeux vidéo ou des échecs, sont autant d’événements festifs organisés à l’attention des jeunes et des adolescents[17].
Ces différentes offres sont, par ailleurs, mises en scène dans une sorte de théâtralisation de l’espace commercial qui inclut des décors et des univers thématiques stimulant les sensations et l’imaginaire de ces jeunes (Crawford, 1992). Il s’agit de scénographies soigneusement orchestrées par les concepteurs de ces équipements où le réel se mêle au virtuel, formant des univers séduisants pour ces jeunes. Elles cherchent à reproduire et à simuler des lieux emblématiques dans leur imaginaire comme la rue publique (Zanka), le boulevard, la place publique agrémentée par des fontaines et des bancs, mais dans une logique de déformation du réel. Les ambiances caractéristiques de ces lieux publics (configuration spatiale, bancs, lampadaires, etc.) sont reproduites uniquement dans leurs aspects les plus positifs tandis que leurs défauts et nuisances sont totalement évacués et filtrés. Ainsi, les rues publiques marocaines sont simulées en filtrant les nuisances contemporaines qui les caractérisent (pollution, bruit, trafic carrossable, promiscuité et bousculade, insécurité, propreté) et en mettant en valeur d’autres aspects « matériels » dans ces malls (mobiliers, sécurité, fermeture, climatisation, animation, embellissement, etc.)[18]. À travers cette logique de filtration, les concepteurs cherchent à reproduire un univers qui se veut plus beau, plus sécurisé et plus réel que le lieu « copié » où la copie dépasse même « l’originale », permettant ainsi de brouiller complètement les repères de leurs visiteurs[19]. Ces mises en scène « retravaillées » nous renvoient, ici, aux notions de copie et de simulacre conceptualisées par Baudrillard[20] (Baudrillard, 1981). Les enfants et les jeunes adolescents peuvent, ainsi, se socialiser dans de « nouveaux lieux publics » sécurisés, conçus sur mesure et offrant un cadre surveillé et animé pour leur divertissement.
D’autres univers thématiques sont, souvent, mis en scène dans ces espaces marchands faisant référence à des lieux fictifs dans l’imaginaire de ces jeunes. Il s’agit d’univers présentant les décors et les personnages issus des dessins animés très connus comme ceux de Walt Disney ou présents dans des films célèbres d’Hollywood pour enfants, permettant d’imbriquer le fictif avec le réel.
Parfois, l’incarnation de symboles ou de personnalités imaginaires brouille complètement les repères entre le réel et l’imaginaire chez les enfants, à l’exemple d’un show avec une sirène « humaine » qui s’est tenu dans le grand aquarium du Morocco mall à Casablanca.
Les annonces publicitaires de ce spectacle la présentent, d’ailleurs, comme un fait réel « venez découvrir une sirène au Morocco Mall »[21].
En somme, ces malls participent à la fabrication, pour les jeunes Rbatis, de lieux publics d’un nouveau genre où le divertissement, la consommation, la simulation et la sécurité occupent une place prépondérante, laissant présager un rapport renouvelé aux lieux publics. Il sera opportun d’analyser comment de tels espaces sont vécus et perçus par ces jeunes.
Des lieux prisés par les jeunes et supports à des pratiques et des sociabilités juvéniles inédites
Les statistiques de fréquentation affichées occasionnellement par quelques malls de Rabat font peu allusion à l’importance de la fréquentation et des adolescents et des enfants[22] malgré leur forte présence dans ces espaces marchands. En fait, les gestionnaires de ces malls mettent l’accent, souvent, sur les caractéristiques socio-économiques des adultes et des jeunes au-delà de 18 ans. Alors que les adolescents et les enfants sont souvent considérés comme des profils mineurs accompagnés de leurs parents. Nos propres observations faites sur plusieurs temporalités ont révélé la forte présence de ces catégories juvéniles, particulièrement le mercredi après-midi, la fin de la semaine et les périodes de vacances. Ils sont le plus souvent accompagnés de leurs parents. Nous avons également observé des bandes d’adolescents et d’étudiants qui se donnent rendez-vous dans ces lieux marchands. Il arrive aussi que des établissements scolaires (privés) ou des associations culturelles organisent, pour des groupes d’élèves, des visites des centres commerciaux. Leurs responsables déclarent alors apprécier la sécurité qui y règne et le bon entretien des lieux.
Certains espaces, situés dans ces malls, sont réputés comme étant des lieux de rendez-vous et de mixité des jeunes adolescents, notamment pour ceux qui proviennent des quartiers populaires où un contrôle social fort s’exerce surtout sur les jeunes filles (Harroud, 2016). Le food-court ainsi que l’espace café du bowling, situé au Méga Mall, sont souvent, voire exclusivement, investis par des groupes d’adolescents et de lycéens qui y viennent en grand nombre pour se divertir ou préparer leurs examens scolaires. Il est, en effet, rare d’y trouver des tables ou des banquettes occupées par des profils autres que cette clientèle juvénile. Dans l’esprit de ces jeunes, ces espaces sont en quelque sorte des coins qui leur sont réservés et dans lesquels ils s’y reconnaissent.
Par ailleurs, si leur présence s’observe principalement dans ces lieux récréatifs ainsi que dans les espaces de jeux (bowling, patinoire, parc des jeux) et les lieux de restauration (Mcdonald’s et les foods-courts), il n’est pas rare de les voir se balader dans la galerie marchande, rappelant les pratiques de déambulation réalisées, autrefois, sur les boulevards prestigieux de Rabat.
En effet, nous les avons observés, à maintes reprises, faire des allers-retours dans la galerie marchande en se contentant, parfois, d’avoir quelques glaces et rafraîchissements.
Ils sont cinq jeunes adolescents qui déambulent en groupe dans la galerie marchande du Méga mall, portant presque tous des tenues sportives et arborant des casquettes, des écouteurs et des baskets signés. Dans leur déambulation prolongée dans le mall, il est rare de les observer en train de discuter si ce n’est un échange de regards et de mouvements corporels qu’ils adressent aux passants qu’ils croisent. De temps en temps, ils font des haltes dans des magasins de sport pour scruter les tenues sportives des équipes internationales de football. Avant de quitter le mall, ils se sont installés dans le food-court autour d’une table sans rien commander et en se contentant de manipuler leur smartphone dernier cri. Après un échange visuel établi avec les autres clients et avec les serveurs, ils ont décidé de quitter le food-court et le mall sans faire aucun achat. (Extrait du journal du bord au Méga Mall, un jeudi après-midi du janvier 2015)
Situé sur l’avenue Mohammed VI dans laquelle se trouve un ensemble de groupes scolaires privés (groupes scolaires, lycées et instituts de formation), le Méga Mall se caractérise par la présence remarquable de collégiens et d’étudiants en provenance de ces établissements.
Collégiens et de lycéens y viennent en bandes pour siroter des boissons ou préparer leurs examens dans le food-court en profitant de l’offre gratuite d’accès à l’Internet. Mais leur point de rencontre s’observe, le plus souvent, dans l’espace extérieur immédiat du mall et dans son aire de stationnement. Ces jeunes s’installent sur les marches et les bacs à plantes situés à côté des accès du centre commercial avant d’entrer dans l’espace commercial. De temps en temps, des adolescents jouent au skateboard et au roller dans le parking du mall, et ce, malgré les remontrances des agents de sécurité.
En effet, les jeunes adolescents ne sont pas toujours appréciés par les vigiles surtout lorsqu’ils ne sont pas accompagnés par des adultes. Affluant en groupe et transgressant, le plus souvent, les normes d’usage établies dans ces espaces marchands (par leurs comportements bruyants ou par leurs pratiques déambulatoires qui sont, rarement, soldées par des pratiques d’achat), ces profils sont une source de dérangement pour les clients de ces malls, comme nous l’a affirmé un agent de sécurité du Méga Mall. D’où leur surveillance de près par ces vigiles, au point de désigner souvent un agent chargé de les suivre dans leur itinéraire notamment dans les centres commerciaux huppés comme celui du Méga Mall. Parfois, des situations de tension entre les agents de sécurité et ces adolescents poussent ces derniers à réajuster leurs comportements bruyants ou à libérer les bancs et les escaliers qu’ils occupent de façon prolongée sans aboutir, d’après nos propres observations, à des situations d’expulsion du centre commercial. Toutefois, certains arrangements s’établissent entre ces jeunes et le personnel au point de donner lieu à des amitiés.
Il nous a suffi de donner un paquet de cigarettes à un agent de sécurité qui nous a énormément dérangés lors de nos fréquentations précédentes du Méga Mall pour qu’il nous laisse en paix. Depuis lors, il devient un ami sympathique avec lequel on échange souvent des salutations, confirme dans ce sens un jeune lycéen de 17 ans issu d’un quartier populaire Takaddoum et dont le lycée se trouve à une centaine de mètres du Méga mall.
À l’intérieur de ces centres commerciaux, il est impressionnant de relever comment ces jeunes, plus particulièrement les adolescents, font des espaces de circulation, appréciés pour leur caractère anonyme, des lieux d’observation et de séduction. Ils privilégient certains endroits qui leur servent de postes d’observation (le sommet de l’escalier, les garde-fous des patios, la galerie marchande de l’étage supérieur, les zones de croisement, etc.).
Au Méga Mall, des jeunes collégiens se baladent et s’approprient les garde-fous de sa galerie supérieure. Profitant de la vue panoramique qu’ils offrent sur les ambiances intérieures du mall, ils font de ces emplacements un espace de contemplation, mais aussi une opportunité d’interagir visuellement avec les autres passants. L’ascenseur transparent du mall, qui offre une vue panoramique sur l’enceinte, est souvent utilisé par ces jeunes pour scruter les lieux. Ils y font une série de descentes et de montées en jetant des regards sur les différents passants de la galerie marchande.
Venant et circulant en bandes, ces jeunes apprécient, en réalité, les ambiances proposées par ces lieux dont les images occidentalisées correspondent à leurs attentes et aspirations. Ils peuvent s’y exprimer et s’y afficher librement, y compris par le vêtement, en s’affranchissant des normes et contraintes imposées par la société et la culture locales.
Leurs différentes activités de consommation sont souvent ponctuées de balades dans la galerie marchande avec des haltes et des regroupements qui s’observent occasionnellement dans certains lieux spécifiques (ascenseur, escaliers, garde-fous, etc.).
Certains rayons d’hypermarchés dédiés aux enfants se transforment en véritables lieux de jeux (les rayons de jouets) ou en espace de lecture et de dessin (les rayons des livres). Dans ces grandes surfaces alimentaires, qui offrent toutes sortes d’objets et de biens matériels accessibles et manipulables par les enfants, il est intéressant de voir comment les enfants accompagnés de leurs parents, lors des pratiques d’approvisionnement, se comportent en véritable « client consommateur ». À maintes reprises, ils choisissent eux-mêmes les biens à acheter ou négocient ceux choisis par leurs parents.
D’autres s’autonomisent complètement de leurs parents en trainant leurs propres caddies et en faisant leurs propres achats. Cela montre comment ces malls parviennent à véhiculer une culture de consommation chez ces jeunes, participant à la construction de leur identité individuelle et collective. (Valkenburg et Cantor, 2001).
L’ensemble de ces pratiques ludiques déambulatoires et consommatoires sont l’occasion de repérer, de façon assez visible, des formes plus ou moins intenses d’appropriation du centre commercial par ces jeunes. Quoique dissuadées par les interventions verbales et « visuelles »[23] des vigiles, des formes manifestes de l’occupation de l’espace sont repérées, notamment, dans certains espaces « interstitiels » situés dans les recoins dissimulés des centres commerciaux. Les marches, les bancs, les fontaines et les ascenseurs leur servent, souvent, d’espaces de repos, d’attroupement, de rencontre et d’exploration des lieux. Bien que temporaire (réduite dans le temps) et ponctuelle (limitée à des micro-lieux), l’installation dans ces interstices est le reflet d’une appropriation d’un espace conçu initialement pour être traversé et consommé sans laisser de traces (Harroud, 2013). Ces jeunes, dans leur rapport avec ces espaces marchands et leurs vigiles, mobilisent par ailleurs des ruses et des arts de faire (De Certeau, 1980) pour s’approprier et tirer profit de ces espaces conçus pour d’autres fins. Ils détournent et contournent ainsi les normes établies, bricolent de nouveaux usages, permettant de reconvertir le centre commercial d’un espace « contraignant » à un espace « ressource » qui leur est profitable[24] (Harroud, 2013).
Par ailleurs, les entretiens réalisés ainsi que les échanges informels réalisés avec certains d’entre eux révèlent comment les centres commerciaux représentent leur principal lieu de rencontre et de divertissement à l’échelle de la ville.
En effet, certains des jeunes que nous avons interrogés inscrivent ces équipements parmi les rares espaces de socialisation et de rencontre à l’échelle de Rabat. Le récit de ce jeune étudiant de 19 ans est éloquent à cet égard :
À part l’université où l’on peut se côtoyer de temps en temps, le Méga Mall reste notre principal lieu de rencontre et de rendez-vous à Rabat. Avant on fréquentait souvent le club des œuvres sociales de la justice. Mais avec la création de ce mall, on n’y va plus... Étant tous inscrits au club de bowling, on s’y retrouve presque quotidiennement pour jouer une partie du bowling et prendre un café au food-court.
La ville se résume et s’articule, essentiellement, pour cet étudiant, autour de trois espaces principaux : la maison, l’université et le centre commercial qui forment l’unique référence de son expérience urbaine.
Comme l’indiquent Emile Hooge et Geoffroy Bing dans un autre contexte urbain, ces malls permettent à ces jeunes de « faire l’expérience de la ville et s’extraire de la tutelle familiale et territoriale de [leur quartier] [C’est] une autre manière [pour eux] d’être dans et de la ville, une porte d’entrée dans la ville et un mode d’initiation à la culture urbaine » (Hooge et Geoffroy, 2009 : 36).
En fait, ces malls offrent une sorte de compromis entre le besoin d’autonomisation et de libération du contrôle parental recherché par ces jeunes et le besoin d’assurance et de sécurité exigé par leurs parents. C’est ce qui explique certainement qu’ils soient très prisés auprès de la plupart des familles Rbaties.
« S’il y a un lieu où je peux laisser mes enfants jouer sans les surveiller de près, c’est bien le centre commercial qui est fermé, surveillé et connu par sa bonne fréquentation », nous confie une jeune médecin de 36 ans et mère de deux enfants.
En rassemblant des activités diverses (d’approvisionnement de restauration, de divertissement, de déambulation, etc.), le mall représente, pour une partie de ces jeunes, une ville miniature qui a tendance à supplanter d’autres espaces urbains avec lesquels ils entretiennent de moins en moins de relations[25]. Un tel propos se confirme au niveau du centre-ville historique de Rabat, qui représentait, pour leurs parents, le creuset de l’urbanité à l’échelle de Rabat, et qui devient, aujourd’hui, un lieu méconnu et peu fréquenté par ces nouvelles générations. Ces jeunes s’identifient, de plus en plus, à ces lieux « importés » et marchands comme en témoignent l’intensité de leurs pratiques sociales et la prégnance des images et des significations associées à ces nouveaux espaces publics à l’échelle de la ville. La plupart des jeunes que nous avons interrogés mettent en avant de nouveaux fondements dans l’appréciation symbolique de ces centres commerciaux. Ils ne s’identifient pas, alors, à ce quartier central et ne ressentent aucun attachement à son égard.
Dans toute ma vie ça fait deux ou trois fois où je fréquentais le centre-ville pour aller surtout au cinéma. On entend parler beaucoup de cet espace, mais ça ne signifie rien pour moi si ce n’est un espace où se concentrent les administrations et le commerce traditionnel (Étudiant en économie, 19 ans).
Loin de s’identifier aux symboles politiques et historiques (les valeurs historiques et patrimoniales) incarnés par ces espaces traditionnels, ces jeunes mettent plutôt en avant d’autres éléments symboliques qu’ils considèrent comme plus déterminants dans l’appréciation de ces espaces.
Ces éléments symboliques s’articulent, le plus souvent, autour de la consommation qui structure leurs identités et leurs imaginaires. Hédonisme, consumérisme, aventure, liberté, individualité, évasion, rébellion : autant de valeurs prônées par les marques[26] et les enseignes internationales qui trouvent un large écho chez cette catégorie de « consommateurs » (Heilbrunn, 2005). L’observation de leurs codes vestimentaires et langagiers et l’analyse de leurs récits sublimant ces marques montrent à quel point l’imaginaire dessiné par ces enseignes internationales et plus généralement par la consommation est ancré dans leurs façons de voir et se représenter les espaces et les objets qui les entourent. Ceci explique, finalement, que ces jeunes s’identifient et s’attachent, davantage, à ces marques[27] et aux centres commerciaux qui leur offrent plus de marges d’affichage corporel et de liberté.
À ce sujet, mentionnons la présence occasionnelle au Méga Mall, de jeunes issus des quartiers populaires de Rabat (Takaddoum, Hay Nahda) qui font l’expérience de ce mall et de l’univers de la mode qu’il met en scène. Ils sont facilement repérés par leur affluence en groupe, ainsi que par leur look insolite par lequel ils cherchent à « dissimuler » leur quartier d’origine[28]. Toutefois, les apparences qu’ils cherchent à exposer sont trahies par leur gestuelle, leurs allures corporelles et leurs codes linguistiques dominés par des expressions langagières de la rue. Ainsi, ils sont facilement identifiés aussi bien par les usagers que par les vigiles. Ces jeunes font de ces malls des espaces privilégiés d’exhibition de leurs singularités individuelles et collectives. Ils ne cherchent pas seulement « à être vus », mais aussi « à être bien vus ». Le port des accessoires de marque est, à ce propos, l’un des moyens les plus utilisés pour ne pas passer inaperçus dans ces complexes. Ces objets, reconnus et appréciés par les jeunes, permettent d’afficher une identité valorisée et valorisante auprès de leurs pairs. « Tout se passe comme si la marque dotait les jeunes d’une reconnaissance supplémentaire ». (Berthet, 2007). Dans le cadre de ces mises en scène du paraître, certains groupes d’adolescents font de véritables « parades » au sein de la grande marchande du Méga Mall. Un jeu très visible et théâtralisé de corps et de regards caractérise leur déambulation. La scène suivante, extraite de notre journal de bord, décrit ces parades juvéniles.
Cela fait une demi-heure qu’une bande de quatre adolescents font des allers et retours dans cet axe principal de Marjane Ryad. La façon avec laquelle ils ont mis en scène leur paraître, attire les regards et la curiosité de ceux qui les croisent. Des tenues en basket avec une casquette signée en tête, des tenues de sport d’Adidas ainsi que des coupes de cheveux très insolites rappellent les uniformes revêtus par les stars américaines de rap. À travers leurs façons de déambuler dans la galerie, de parler entre eux, de regarder les autres, d’établir des gestes relativement synchronisés, ces jeunes donnent l’impression qu’on est dans un véritable spectacle de rap. (Journal de bord, Marjane Ryad, mardi juin, 2009)
Ce rapport au corps et au paraître affiché par ces jeunes exprime une autre manière de s’approprier et de s’intégrer dans ces lieux branchés. C’est ce que pointe Jean Marc Berthet dans son étude des formes d’appropriation de la gare par les jeunes Lyonnais. Il remarque que ce sont ces profils qui font preuve de grandes dispositions à s’approprier physiquement et symboliquement cet espace de mobilité. Ces adolescents « parlent peu, leurs réponses sont lapidaires et ils vont à l’essentiel pour exprimer leurs pratiques et leurs représentations. Les réponses sont homogènes pour les garçons, en résumé elles montrent un réel attachement pour cet endroit car il suggère un sentiment de liberté » (Berthet, 2007).
Par ailleurs, ces échanges corporels et visuels, qui s’établissent autour du paraître, prennent une autre acuité entre les jeunes de sexe distinct. Au-delà de se faire apprécier et se distinguer par ses semblables de même sexe, on cherche, également, à séduire et attirer l’autre sexe. À l’instar de ce qu’Ossman Susan a noté à propos des pratiques de drague dans le parc de la Ligue Arabe de Casablanca, nous affirmons que le centre commercial « fonctionne pour les jeunes gens et les jeunes filles, à la recherche de rencontres, comme une sorte de « marché du paraître » dans lequel ils se jaugent et s’interagissent » (Ossman, 1996 : 46).
En analysant les discours et les représentations qu’ils associent à ces espaces, il ressort en effet que la plupart d’entre eux apprécient la rupture que ces malls établissent avec l’extérieur et plus globalement avec le monde réel qu’ils décrient d’ailleurs souvent. Ces enclaves fermées et périphériques représentent, pour la plupart d’entre eux, des « espaces à part » au sein de la ville qui leur permettent d’expérimenter de nouvelles identités (Barthel, 2005).
Leur ambiance occidentalisée (affichant des images de femmes européennes émancipées et proposant des offres commerciales identiques à celles qu’on retrouve en Europe) conjuguée à leur anonymat et leur configuration fermée permet à ces jeunes, notamment aux jeunes filles, de jouir d’une plus grande liberté et de se détacher provisoirement des normes contraignantes du contrôle social imposé par leur quartier d’origine ou leur milieu domestique. Ainsi, des comportements qui pourraient être jugés socialement déviants ou choquants dans la rue publique (fumer une cigarette, porter des uniformes osés, se faire des looks ou des chevelures insolites, accompagner ou embrasser son copain, etc.) prennent à l’intérieur de ces espaces « branchés » d’autres significations. C’est ce que souligne l’anthropologue Davis Hannah dans le cadre de son analyse de la fréquentation des McDonald’s par les femmes marocaines.
Le McDonald's [pour ces femmes] est un lieu public "domestiqué", autorisant des comportements détendus en dehors du foyer. Mais cette sécurité vient aussi de son américanité". Si McDonald's séduit par son "goût d'ailleurs", le petit coin d'Amérique qu'il offre est totalement innocent. On traverse le seuil, et on est "ailleurs", …. À l’abri de la critique et du harcèlement masculin. Ici [au Mcdo], une femme marocaine peut être vue, sans être mal vue » (Hannah, 1995 : 18-19).
Un propos que confirme cette étudiante en économie, âgée de 22 ans et habituée du Méga Mall de Rabat : « Ici, je me sens plus libre et plus sécurisée par rapport au reste de la ville, c’est comme si je me trouve au cœur d’une île à part où les femmes peuvent se retrouver en paix ».
En concentrant essentiellement de marques internationales dans des configurations identiques aux centres commerciaux européens, ces malls sont perçus par ces jeunes, dont l’Occident structure fortement leur imaginaire, comme des vitrines de la mondialisation. Ils les représentent comme des supports privilégiés à de nouvelles formes d’identification (extra-urbaines et extra-nationales), leur permettant de forger de nouvelles identités urbaines qui ne sont pas forcément confinées à l’échelle de leur ville ou de leurs quartiers d’origine. Le centre commercial est perçu, à ce titre, comme un sas symbolique tourné vers l’extérieur qui leur offre la possibilité de « se connecter et se brancher avec les nouvelles tendances internationales » (Étudiant en économie, 19 ans).
À travers ces lieux mondialisés, ils peuvent se « brancher » (ne serait-ce que virtuellement) à des contextes symboliques jugés plus valorisants. Ils peuvent également se détacher symboliquement de leur lieu d’origine peu apprécié. Un tel constat est confirmé par la sociologue marocaine Bennani Chraïbi à propos des discours des jeunes Marocains et Égyptiens sur l’Occident. Elle indique que « la glorification de l'Occident qui structure souvent les discours des jeunes constitue fréquemment le paravent à une contestation de tout ce qui compose le lieu d'appartenance » (Bennani-Chraïbi, 1994). Les récits qu’ils mobilisent et les répertoires symboliques qu’ils utilisent, se rapportant souvent à l’idée de l’étranger (Kharij) et de l’extérieur (Barra), en attestent largement. C’est ce qui a été affirmé par un étudiant en Droit, issu d’un quartier populaire de Rabat et qui avait toujours rêvé d’émigrer à l’étranger et particulièrement aux É.-U. Il perçoit sa visite régulière du Méga Mall comme une possibilité de se brancher à l’Europe :
À chaque fois que je fréquente le méga Mall, j’ai eu l’impression comme si j’étais dans une île américaine. La présence de ces équipements exceptionnels comme la patinoire et le bowling et la concentration de grandes marques américaines me procurent des sensations particulières.
Ce qui est frappant dans son récit, c'est cette utilisation assez évocatrice de la métaphore « île ». Elle symbolise l’idée de détachement et dissociation du mall par rapport à son environnement urbain. Tout se passe, alors, comme si l’entrée dans ce mall, lui permet un accès direct à la mondialisation et de participer à la civilisation planétaire. (Ghorra-Gobin, 2000).
Dans le cadre de la mise en scène de leur paraître, certains groupes d’adolescents font de véritables « parades » et « défilés » au sein de ces malls en mettant en scène de manière ostentatoire leur paraître. Dans cet univers centré sur les apparences, on comprend très bien l’importance du détail de la tenue et de l’accessoire qui fait signe. Le choix de la tenue vestimentaire, le traitement de la chevelure, le port de certains accessoires, tout concourt pour faire de leur visite une expérience distinctive et valorisante.
La pluralité des looks mis en scène au sein de ces équipements en est la parfaite illustration. Des « punks », des « classiques » des « tecktoniks », des « gothiques », des rockers, etc., pour reprendre des expressions véhiculées par les jeunes dits branchés : autant de looks et styles « insolites » qui sont expérimentés et affichés dans ces malls.
Ces looks sont l’occasion de voir comment ces jeunes cherchent à s’afficher socialement dans ces malls, à s’intégrer dans ces lieux occidentalisés en imitant les stars internationales de musique et de sport et plus globalement d’exprimer une sorte d’émancipation voire une libération des normes sociales et culturelles locales. Ces malls représentent, pour eux, des enceintes qui leur permettent de se comporter plus librement et d’assurer une sorte d’évasion ou de fuite par rapport à leur quotidien.
La toponymie utilisée par les jeunes : une autre manière de s’approprier ces lieux marchands
La toponymie et les dénominations des centres commerciaux par les jeunes sont également d’autres moyens et indicateurs par lesquels peuvent être appréciés les rapports symboliques qu’ils entretiennent avec ces lieux marchands.
En effet, ces dénominations traduisent, souvent, la capacité et la volonté de ces jeunes de se familiariser avec ces espaces et d’en faire des lieux signifiants. C’est ce que résume Élisabeth Dorier-Apprill lorsqu’elle écrit que « l’appropriation d’un espace se fait « par le corps », dans l’usage, dans les pratiques quotidiennes, mais également par le langage, la mise en mot de cet espace » (Dorier-Apprill, 2003 : 151).
L’analyse des désignations utilisées par ces jeunes révèle comment ces malls s’érigent en véritables lieux signifiants, faisant référence tantôt à des lieux emblématiques issus de la mémoire locale (kissaria, souk, Souika, marché), tantôt à des espaces publics ou des lieux de centralité de la ville (Saha, centre, boulevard, esplanade, etc.).
En effet, les jeunes utilisent, le plus souvent, des appellations abrégées et codifiées (qui ne peuvent pas être saisies que par leurs copains) qui sont partagées par les membres d'un groupe d'amis.
Les jeunes adolescents détournent, ainsi, les noms officiels de ces malls pour adopter des désignations nouvelles plus adaptées à leur usage social et à leur manière de parler, de paraître et de socialiser entre leurs pairs. Ce sont la plupart des cas des abréviations textuelles et phonétiques des noms officiels de ces espaces. À titre d’exemple, « Al Mano » renvoie au centre commercial Al Manal. À ces appellations abrégées, nous pouvons rajouter des toponymes assez significatifs qui font référence à des lieux spécifiques de sociabilité et de rencontre pour ces jeunes. « Le boulevard » désigne le mail central du centre commercial Marjane, « Saha » réfère à l’esplanade d’Al Manal, et « Kasbah[29] » désigne le Méga mall. Ces dénominations symboliques, qui renvoient également à des espaces urbains particuliers ou à des lieux structurants des zones centrales de la ville, véhiculent l’usage social que font ces jeunes des centres commerciaux fréquentés. Ils représentent, essentiellement, des lieux de déambulation, de rencontre, de sociabilité, d’affichage, etc. Pour le cas du Méga Mall, l’utilisation de la métaphore de la Kasbah pourrait s’expliquer par le fait que ce centre commercial s’apparente, dans son architecture et sa façade ponctuée par deux tours parallèles, à une véritable Kasbah. Cette image nous a été confirmée par son architecte dans le propos suivant :
loin d’être une réplique standardisée des malls occidentaux, nous avons voulu créer une véritable Kasbah qui rappelle ces lieux emblématiques de notre patrimoine architectural. Les quatre tours qui ponctuent les différents coins de l’enceinte matérialisent le jeu de volumes de cet édifice historique (L’architecte du Méga Mall, 2009).
Mais au-delà son apparence physique avec l’architecture du mall, la Kasbah pourrait, à notre sens, incarner, par les images qu’elle symbolise, l’idée de retranchement, d’enfermement et de rassemblement, que ces jeunes recherchent pour leurs pratiques intimes de sociabilité en dehors des contraintes imposées dans l’espace public et leur univers domestique.
Bien qu’elles soient fugaces et difficiles à identifier, les désignations utilisées par les jeunes témoignent, au final, d’un rapport singulier et intense avec ces espaces marchands, perçus, plutôt, comme micro-territoires intimes de rencontre, de rassemblement, de reconnaissance et de sociabilité.
Les malls supports à de nouveaux rapports aux espaces publics et à la ville ?
Les malls représentent un phénomène universel qui se répand partout dans le monde (Capron, 1998). Ils sont, surtout, un véritable phénomène social au Maroc qui séduit et attire une frange grandissante de la population locale. C’est auprès des jeunes et des moins jeunes que ces équipements marchands trouvent une forte résonance. Avec leur offre distractive très bien mise en scène, ces espaces mettent en scène une sorte d’urbanité « fantasmée » et « sécurisée », combinant le local et le global, le réel et le virtuel, qui séduit de plus en plus ces catégories juvéniles. Ils parviennent à structurer de plus en plus leurs pratiques sociales et spatiales à l’échelle de la ville au point de représenter, pour certains jeunes, les principaux supports de leur expérience urbaine.
La manière avec laquelle ces adolescents investissent, s’approprient et dénomment ces lieux de consommation en les érigeant comme des lieux symboliques « signifiants » au même titre que les hauts lieux de la ville (le centre-ville, les grandes places publiques, les sites historiques) invite à se demander si ce n’est pas dans ces espaces marchands dépourvus d’une charge historique et identitaire que s’inventent de nouvelles formes d’urbanité à l’échelle de la ville.
Bref, ces malls participent à la fabrication, pour les jeunes Rbatis, de lieux publics d’un nouveau genre où le divertissement, la consommation, la simulation et la sécurité occupent une place prépondérante, laissant présager un rapport renouvelé aux lieux publics.
Appendices
Notes
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[1]
La Zanka est une expression utilisée localement pour désigner la rue publique et plus globalement les espaces urbains à l’extérieur du domicile. Elle prend de plus en plus une connotation négative chez un bon nombre de familles marocaines en raison de la montée des incivilités qui y sont observées. Cette notion a été utilisée par Mekideche dans son analyse de l’appropriation des espaces urbains par les enfants au Maghreb. Il la définit comme « tout espace extérieur, proche ou moins proche, centré sur le domicile, à la libre appropriation des enfants, vécu dans la sécurité puisque les lieux et personnes sont connus » (Mekideche, 2001 : 118)
-
[2]
Ces changements qui ont été impulsés dès la période coloniale, vont connaitre surtout un tournant à partir des années 1990 avec l’introduction du Maroc dans une économie néolibérale impulsée par l’arrivée du nouveau Roi.
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[3]
Dans cette contribution, nous appréhendons la notion d’espaces publics dans une signification plus large qui ne se réduit pas au statut juridique (c’est-à-dire les espaces réalisés et gérés par les pouvoirs publics). A l’instar de Michèle De la Pradelle, nous considérons qu’ «un lieu soit ouvert à tous [et réalisé par les pouvoirs publics] n’en fait pas nécessairement un espace public (mais) c’est un certain usage social de ce genre d’espace qui le transforme effectivement en un lieu public » (De la Pradelle, 2001 : 180). Nous qualifions ces espaces de traditionnels pour les distinguer des nouveaux espaces publics marchands en multiplication à Rabat.
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[4]
C’est le constat qui a été fait par Michèle Jolé après une longue période d’absence du Maroc. Elle a observé le fait que les nouvelles classes moyennes supérieures ont commencé à délaisser les rues et les espaces publics du centre-ville. Celui-ci, de plus en plus populaire, n’attire plus l'élite, la bourgeoisie et les intellectuels qui leur préfèrent désormais d’autres lieux privés. (Jolé, 1999 : 208).
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[5]
Marqués par l’amélioration des conditions sociales et économiques et l’implication du secteur privé dans l’aménagement urbain et la création des espaces publics
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[6]
En suivant Christine Chivallon, les malls peuvent être définis comme tout « édifice à l’intérieur duquel il reste possible de déambuler grâce à la présence d’un réseau d’allées couvertes, équivalentes à des galeries, où sont disposées, de part et d’autre, les boutiques qui constituent[son]armature commerciale » (Chivallon et al., 1998 : 28).
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[7]
Cf. les travaux pionniers réalisés par la sociologue marocaine Bennani Chraïbi qui a étudié dans son ouvrage « Soumis et rebelles, les Jeunes au Maroc » la participation des jeunes dans la vie politique au Maroc ainsi que leurs attentes et revendications (Bennani-Chraïbi, 1994).
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[8]
Nous nous intéressons particulièrement aux pratiques effectuées par les adolescents. Au même titre que la jeunesse, l’adolescence reste une période difficile à délimiter de manière précise puisqu’elle varie en fonction du vécu de chaque jeune (Landais et Sechet, 2013). Si certains chercheurs au Maroc la limitent à l’âge légal pour le mariage (18 ans) (Grousset, 2002), nous l’appréhendons, ici, moins par l’âge que par les changements de comportements sociaux et les pratiques qui seront observés.
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[9]
Ces enquêtes ont été réalisées dans le cadre d’une thèse de doctorat en géographie que nous avons intitulée « Émergence de nouvelles centralités commerciales à Rabat » et soutenue en 2013.
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[10]
Il s’agit de séances d’observation directe réalisée sur différentes périodes réparties sur trois ans entre 2008 et 2010. Pour chaque période, trois mois distincts de l’année ont été consacrés à l’observation des pratiques sociales à l’œuvre dans ces malls. À l’observation à partir d’un poste fixe, s’est rajoutée l’observation mobile centrée sur les parcours suivis par les personnes observées.
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[11]
Il s’agit d’une trentaine de jeunes ayant des âges et des profils distincts, qui ont été choisis principalement dans les différents espaces marchands (cafés, galerie marchande, foot court, bowling, etc.) à l’intérieur du centre commercial.
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[12]
De grandes facilités administratives, réglementaires, foncières et fiscales leur ont été accordées par les pouvoirs publics.
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[13]
Ne dépassant guère une dizaine de malls dans les années 2000, ces équipements dépassent aujourd’hui une centaine d’unités réparties sur les grandes villes du Maroc.
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[14]
Il n'existe pas au Maroc des sources officielles présentant l'évolution du nombre de visiteurs des centres commerciaux. Une étude sur la grande distribution au Maroc a été réalisée en 2004 par le Ministre de Commerce et de l'Industrie, mais elle a englobé différents types de commerces en confondant centres commerciaux et grandes surfaces alimentaires, ce qui remet en question les chiffres présentés. En revanche, il est possible de se référer aux statistiques publiées par quelques promoteurs de malls géants comme celui du Morocco Mall à Casablanca qui présente annuellement un bilan de la fréquentation de son espace marchand. Ainsi d'une moyenne initiale en 2011 de 6 millions de visiteurs par an (soit 500 000 personnes par mois), le mall accueille en 2017 plus de 18 000 millions de visiteurs, soit 1.5 millions de personnes par mois. (D’après un communiqué de presse publié sur le site du mall 2017).
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[15]
Rappelant, d’ailleurs, l’ambiance des parcs thématiques.
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[16]
Les femmes et les mères de famille restent les principales cibles de ces malls. Les pratiques de distraction des enfants s’inscrivent dans une autre stratégie adoptée par les promoteurs pour fidéliser cette clientèle.
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[17]
La responsable marketing du Méga Mall à Rabat le confirme, elle disait en 2010 « Nous avons durant la semaine deux principaux moments d’affluence : le mercredi après-midi où l’on enregistre l’arrivée des familles accompagnées de leurs enfants. Pour l’accueil de ces clients nous mettons en place tout un programme d’animation et de distraction. Il y a également le weekend et essentiellement le samedi soir qui restent les périodes de la plus grande affluence. Tous nos services sont sollicités dans cette période pour répondre aux attentes d’une clientèle diversifiée».
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[18]
Ce sont certaines des raisons qui ont fait le succès de ces malls auprès des jeunes mères de famille à la recherche de lieux sûrs pour leurs enfants.
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[19]
À ce propos, certains auteurs tels que Chivallon parlent plus d’espaces «artefacts » ou « simulacres», qui ne se contentent pas d’imiter les espaces publics de la ville, mais créent une perversion et un détournement de la chose imitée (Chivallon et al., 1998).
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[20]
Elles renvoient également à cette notion d’hyperréalité qui représente une réalité différente de la réalité objective. Elle est plus réelle, plus satisfaisante que le réel qui lui donnait origine (Perry, 1998).
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[21]
D’après une annonce publiée sur le site web du mall.
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[22]
Les adolescents sont souvent considérés comme des profils mineurs accompagnés de leurs parents. Ce qui explique qu’ils ne sont pas pris en compte, toujours, dans les sondages de fréquentation réalisés par les services marketing de ces malls.
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[23]
Le regard intense et stigmatisant des vigiles à l’encontre de ces jeunes est une autre manière de rendre gênante leur fréquentation du mall.
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[24]
Certains jeunes adolescents sont, souvent, perçus comme des profils «à problème» particulièrement ceux qui sont en provenance des quartiers populaires et dont la capacité de consommation est très réduite.
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[25]
À l’exception des jeunes issus des quartiers populaires qui entretiennent toujours des rapports étroits avec la rue et les espaces publics de la ville. Mais il n’est pas rare de croiser certains d’entre eux dans ces malls lors des fêtes et des périodes de vacances.
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[26]
Selon Heilbrunn les marques, «sont de véritables dispositifs idéologiques […] Dans une société largement dépolitisée et sécularisée, les marques sont parvenues à jouer le rôle d’une véritable religion en structurant de façon déterminante nos façons de voir, de sentir, d’agir et de penser». (Heilbrunn, 2005 : 26)
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[27]
On peut observer dans leurs propos, une sorte de sublimation de ces marques auxquelles ils s’identifient et se reconnaissent à travers leurs codes langagiers et vestimentaires.
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[28]
Les expressions corporelles affichées par ces jeunes, nous renvoient aux notions d’hexis et d'habitus développées par Bourdieu pour exprimer les dispositions physiques du corps dans l’espace urbain (manières de marcher, de parler et d'interagir) et qui sont le reflet des positions sociales qu'occupent ces jeunes dans la société (Bourdieu, 1972 ; 1980)
-
[29]
La Kasbah signifie en langue arabe la citadelle tandis que la Saha signifie l’esplanade.
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