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Introduction

Les photographes R. Doisneau et E. Boubat nous ont transmis à travers leurs travaux des images du « bon vieux temps », celui du Paris des années 1950-1960, où l’on voit des enfants jouer dans les rues en culottes courtes... Depuis, les choses ont bien changé. La ville et les modes de vie ont connu de fortes mutations, qui se sont opérées en grande partie par et pour l’automobile. L’avènement « des quatre roues de la fortune », comme le dit G. Dupuy (1999) en tant que mode de transport principal a fait évoluer les caractéristiques de la mobilité, les formes urbaines et au-delà notre rapport au temps et à la distance. Ainsi, l’objectif des aménagements urbains a consisté – jusqu’à une période très récente – à accompagner ces changements en cherchant à adapter les espaces publics à la logique routière afin de permettre une bonne fluidité du trafic automobile (élargissement des voies de circulation, rétrécissement des trottoirs, gestion des flux par feux, primauté des exigences techniques…). Pour les enfants, cela se traduit par leur exclusion de la rue et une plus grande dépendance vis-à-vis des parents et de l’automobilisme.

Aujourd’hui dans les pays occidentaux développés, sous couvert de développement durable ou de santé publique, on note un regain d’intérêt pour les mobilités dites « douces » ou « actives ». Dans ce contexte général, les enjeux en matière de développement urbain sont partagés. Ils visent à aménager la ville pour tous: les jeunes, les plus âgés, les mobiles, les moins mobiles... au nom d’une certaine équité qui reste à définir. Si le mouvement pour les rues résidentielles, dans les années 1970, a fortement été lié à la préservation de la qualité de vie dans les quartiers, et tout spécialement par rapport aux déplacements et aux jeux des enfants, la question n’apparaît plus vraiment aujourd’hui. Pourtant, les enfants et les jeunes se déplacent beaucoup et au moins autant pour des activités extra scolaires que pour se rendre à l’école. Leur mobilité constitue un enjeu important tant pour leur épanouissement, pour leur santé (comme le fait de bouger plus) que pour leur sécurité (les enfants représentent une catégorie d’usager dit vulnérable). La marche et le vélo correspondent aux modes de déplacement les plus appropriés à leur âge, mais pas forcément à leurs besoins (en matière de distance à parcourir notamment). Du côté des enjeux de la ville durable, il est un autre objectif récurrent: celui de contenir l’étalement urbain. Or si l’on (re)densifie la ville, faut-il aussi y garantir les ressources nécessaires afin de satisfaire l’épanouissement de tous ses habitants ?

Depuis la fin des années 1990, de nombreuses initiatives sont prises pour revaloriser la marche et le cyclisme dans les villes françaises (accès à des vélos en libre service, démarche code de la rue, réaménagement de la rue). Différents outils réglementaires, comme les zones 30 ou plus récemment les zones de rencontre, sont à la disposition des aménageurs locaux afin de modérer la circulation et de faciliter la cohabitation des usagers dans l’espace public. Notre question propose une certaine forme d’évaluation de ces dispositifs: l’aménagement de la rue constitue-t-il un facteur suffisant pour favoriser une mobilité autonome chez les enfants ? La méthodologie retenue pour traiter cette problématique repose sur une série d’observations non participantes des comportements de mobilité en situation réelle dans la rue. Pour ce faire, dix terrains d’études ont été choisis à Paris ou dans des communes de sa proche banlieue.

Afin de présenter les principaux résultats de cette étude empirique, nous proposons dans un premier temps de clarifier la définition des zones 30 et leur principe d’aménagement, puis nous poserons le contexte général de la mobilité des enfants, avant d’exposer en détails la méthodologie mise en place et les résultats obtenus.

1. L’aménagement de la rue en zone 30: un incubateur des comportements de mobilité

Une zone 30 correspond à un espace public dans lequel on cherche à apaiser la vitesse et la circulation automobile de manière à améliorer le confort et la sécurité des usagers vulnérables que sont les piétons et les utilisateurs de deux-roues (Certu, 2006). Cette pratique d’aménagement a été introduite pour la première fois dans le Code de la route en France en 1990, après une décennie d’expériences dans de nombreuses villes de toutes tailles (Certu, 1994). Réglementairement, la zone 30 est définie comme:

une section de route ou un ensemble de sections constituant dans une commune une zone de circulation homogène, où la vitesse est limitée à 30 km/h et dont les entrées et sorties sont annoncées par une signalisation et font l’objet d’aménagements spécifiques.

Code de la route, art. R. 411-4

1.1. La question de la vitesse

D’un point de vue sécuritaire, l’abaissement de la vitesse de circulation permet de réduire les risques d’accident entre un véhicule et un piéton en diminuant notamment la distance de freinage (cf. Figure 1).

Figure 1

Courbe en escargot de la distance de freinage en fonction de la vitesse (sur chaussée sèche)

Courbe en escargot de la distance de freinage en fonction de la vitesse (sur chaussée sèche)

Une vitesse modérée permet par ailleurs d’établir un contact visuel entre les usagers de la route, favorable à une meilleure sécurité du piéton en situation de traversée (cf. Figure 2).

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Figure 2

Vitesse et perception de l’environnement

Vitesse et perception de l’environnement

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Enfin, la gravité des blessures en cas de collision peut elle aussi être grandement diminuée. Le risque de décès pour un piéton en cas d’accident n’est pas linéaire: il augmente en fonction de la vitesse. S’il est renversé par une voiture qui roule à 50 km/h, le taux de probabilité qu’il soit tué tourne autour de 70 % – il n’est que de 10 % avec une vitesse de 30 km/h (cf. Figure 3).

Figure 3

Courbe de la mortalité pour un piéton en cas de collision en fonction de la vitesse

Courbe de la mortalité pour un piéton en cas de collision en fonction de la vitesse

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Les zones 30 ont remporté un vif succès dans les villes françaises. En effet, cet aménagement est particulièrement adapté aux voies desservant un établissement scolaire et aux voies de desserte locale dans les quartiers résidentiels, un peu à la façon des woornerfs hollandais. Il constitue aussi une solution souvent retenue pour aménager la traversée des petites agglomérations en permettant de concilier à la fois la fonction de trafic de la route traversant la ville et la vie riveraine (Dubois-Taine et Chalas, 1997). Enfin, il est parfois utilisé dans des secteurs plus centraux des villes afin de requalifier l’espace en faveur des modes « doux » sans pourtant trop contraindre le trafic automobile. La décision de mise en zone 30 d’un espace donné incombe à l’autorité locale responsable du réseau viaire (la commune le plus souvent).

1.2. Principes d’aménagement d’une zone 30

L’aménagement d’une zone 30 ne requiert pas d’investissements trop lourds, ce qui explique en grande partie son succès. Les solutions techniques retenues varient d’un site à un autre ; le cadre général fixé par le Code de la route laissant une certaine flexibilité dans les choix techniques. De fait, une certaine diversité peut être observée dans l’aménagement proprement dit des rues en zone 30, les rendant plus ou moins efficaces. La configuration de la rue reprend le schéma courant: une chaussée centrale dévolue à la circulation automobile et latéralement, légèrement surélevés, des trottoirs destinés aux piétons. Il n’y a pas forcément d’aménagements pour la circulation des cyclistes dans ce type de rue: la vitesse modérée permettant normalement de faire circuler en sécurité sur la chaussée centrale les vélos et les autres véhicules motorisés. En outre, en juillet 2010, les rues en zone 30, bien souvent en sens-unique, devront être ouvertes à la circulation des cyclistes en double-sens (sauf disposition particulière prise par le maire de la commune). Classiquement, les solutions que l’on retrouve dans ce type d’aménagement sont les suivantes (cf. Figure 4):

  • un rétrécissement de la largeur de la chaussée centrale favorable à la réduction de la vitesse mais aussi à la sécurité des piétons au moment de la traversée (temps d’exposition au risque de collision moins important) ;

  • la mise en place de sens-uniques ;

  • l’utilisation de la priorité à droite pour les croisements internes à la zone (sauf pour les rues sortantes) ;

  • la création de ralentisseurs sur la chaussée (tels que les coussins berlinois…) ;

  • l’utilisation de matériaux roulants différents en certains lieux (asphalte par exemple) ;

  • une réorganisation du stationnement ;

  • une modification du profil en travers de la rue de manière à couper les perspectives en cas de ligne droite (par le stationnement entre autre) ;

  • l’installation de potelets le long du trottoir pour éviter le stationnement sauvage ;

  • la végétalisation (installation de bacs à végétaux, plantation d’arbres…).

Figure 4

Exemple d’aménagement de rue en zone 30 – Le Plessis Robinson (Photos de l’auteur)

Exemple d’aménagement de rue en zone 30 – Le Plessis Robinson (Photos de l’auteur)

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La largeur de la chaussée a été abaissée de manière à conserver des places de stationnement de part et d’autre (à la demande de la population riveraine) tout en permettant la circulation des autobus collectifs. Les passages piétonniers ont été matérialisés au sol par un changement de matériaux (peintures ou pavés) et une peinture réglementaire. Les trottoirs ont été abaissés à l’approche d’un lieu de traversée ; du mobilier bas (boules vertes) a été installé pour empêcher le stationnement sauvage. Des bacs végétaux ont parfois été construits afin de réduire la largeur de la voie de circulation à un carrefour (technique dite des « oreilles de Mickey »). Enfin, des barrières bordent certains trottoirs empruntés de manière fréquente par des écoliers.

En revanche, il n’existe pas d’aménagement spécifique pour le piéton ; celui-ci étant tenu aux mêmes règles que dans les autres rues. Il doit marcher sur les trottoirs et traverser sur les passages piétonniers lorsque ceux-ci ont été marqués au sol. En leur absence, il est autorisé à traverser en tous lieux de la chaussée. La définition officielle va encore plus loin à ce sujet puisque, selon le Code de la route, les aménagements réalisés doivent faciliter la traversée des piétons partout le long du tracé de la rue et limiter le recours aux passages.

Aujourd’hui, certaines villes s’engagent dans une politique plus ambitieuse de généralisation des zones 30 à l’ensemble de leur voirie, comme cela est le cas à Lorient. Cette initiative, non isolée, s’intègre dans un nouveau cadre règlementaire apporté par une évolution du Code de la route français en juillet 2008 (décret 2008-754). Elle instaure la zone de rencontre et modifie par là même la définition de la zone 30. Une zone de rencontre correspond à une pratique d’aménagement urbain importée de Suisse. Il s’agit d’une zone ouverte à la circulation automobile mais où la priorité est clairement donnée aux piétons (nouvelle signalisation, réaménagement total de l’espace public, mise à plat complète des chaussées, limitation de la vitesse à 20 km/h, mise en priorité à droite). En complément, la zone 30 est redéfinie comme un espace mixte où l’on recherche un équilibre entre les besoins du trafic automobile et ceux de la vie locale des quartiers (permettre le stationnement, les déplacements à vélo, faciliter les cheminements des piétons en multipliant les points de traversée de la chaussée, sécuriser les abords des écoles, modérer les nuisances dues au trafic telles que le bruit et la pollution). En somme, la recherche d’un regain d’urbanité. Le Centre d’Etudes des Réseaux et des Transports Urbains estime que près de 70 % de la voirie des agglomérations peut être aménagée en zone 30. À Paris, de nombreux quartiers ont été aménagés sur ce principe, auquel peut être associé celui du « quartier vert » mais dont la finalité cherche plus à réduire les nuisances et en particulier les pollutions (cf. Figure 5).

Figure 5

Les aménagements de quartier en faveur d’une limitation de la vitesse à Paris (2009)

Les aménagements de quartier en faveur d’une limitation de la vitesse à Paris (2009)

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2. La mobilité des enfants en ville: ce que l’on sait

2.1. Données de cadrage

La mobilité des jeunes enfants (avant 12 ans) est mal connue en France. Les grandes enquêtes de mobilité, nationale comme l’enquête Transports et communications (INRETS), ou locales appelées enquêtes ménages déplacements (sous la responsabilité des collectivités territoriales) interrogent respectivement des individus de plus de 6 ou 5 ans, mais rares sont les exploitations des données collectées pour cette sous-population.

Selon les données rendues publiques de la dernière Enquête globale de transport (EGT) d’Île-de-France (2001), la part des déplacements ayant pour motif « enseignement » dans la mobilité générale des Franciliens est de 15 %.

Parmi ces déplacements, 52 % sont réalisés à pied, 28 % en transport en commun, 17 % en voiture et 2 % en deux-roues. La part de la marche est assez importante, reflétant peut-être une particularité locale: de manière générale, on marche plus à Paris que dans l’ensemble des autres villes françaises. La durée d’un déplacement pour ce motif est de 21 minutes, tous modes confondus: 13 minutes pour les déplacements effectués à pied, 39 minutes pour ceux réalisés en transport en commun, 15 minutes pour les trajets faits en voiture et 14 minutes pour ceux accomplis en deux-roues. Les distances parcourues vont de 600 mètres pour les déplacements à pied contre plus de 6 km en transport en commun, 3,5 km pour les trajets automobiles et 2,3 km en deux-roues. Ces données, quoique bien trop générales, mériteraient d’être approfondies et comparées entre différentes villes mais aussi en fonction de la morphologie du tissu urbain (dense, de banlieue ou périurbain). Elles permettent un premier cadrage de la question de la mobilité des enfants. Cependant, le motif « enseignement » englobe les déplacements réalisés par les enfants en âge scolaire mais aussi ceux des étudiants – une population qui ne nous intéresse pas dans le cadre de cette étude. Enfin, une étude menée en Suisse (Sauter, 2006) montre que l’école ne constitue pas le seul motif de déplacements des jeunes enfants: la part des déplacements pour les loisirs apparaît aussi importante (sport, activités culturelles, visites à autrui). Or, d’une part les données n’en tiennent pas compte ici ; d’autre part, cette mobilité propre aux loisirs est bien souvent plus hétérogène (en formes et en destinations) et plus complexe.

La question de la sécurité est importante ; encore faudrait-il vérifier son importance lors du choix du mode de transport pour l’enfant. En 2008 en France, un peu plus de 7400 enfants de moins de 15 ans ont été accidentés sur la route. Cette population représente environ 3 % de la totalité des personnes tués sur la route. Parmi les enfants tués en particulier, 27,5 % étaient des piétons, 40,5 % des passagers de voiture de tourisme, 13,7 % des cyclistes et 9,3 % des usagers de deux-roues à moteur. Enfin, au regard de l’ensemble des piétons tués, les moins de 15 ans en représentent 6,2 %, loin derrière les 46,7 % de plus de 65 ans (cf. Tableau 1).

Tableau 1

Répartition du nombre de tués par classe d’âges et catégorie d’usager

Répartition du nombre de tués par classe d’âges et catégorie d’usager
Source: Observatoire National Interministériel de la Sécurité Routière, 2008

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2.2. Pourquoi défendre une mobilité autonome chez les enfants ?

Les premières expériences de pacification du trafic automobile ont vu le jour aux Pays-Bas dans les années 1970 et ont donné naissance aux woornerfs ou cours urbaines. Sous l’impulsion des habitants de quartiers résidentiels, il s’agissait d’apaiser la circulation automobile par des aménagements spécifiques afin de rendre la rue aux résidents et surtout aux jeux des enfants (vélo, ballon…). L’objectif était de garantir une certaine qualité de vie aux habitants et de lutter contre l’invasion de l’automobile. Ce courant a fait des émules dans les pays du nord de l’Europe, en Allemagne ou encore en Suisse. En France, nous pouvons considérer que le principe de la zone 30 en est un héritage, même si la place accordée à l’enfant a totalement disparu du discours de l’aménageur.

De manière générale, le thème de l’enfant et de sa place dans la ville est assez minoritairement débattu dans le domaine de l’aménagement ou de l’urbanisme. Le plus souvent, il est abordé dans les questions de mobilité et la plupart du temps sous l’angle assez restrictif des déplacements scolaires et de leur sécurité. Selon l’association Rue de l’avenir, les statistiques des accidents routiers ne montrent pourtant pas tout: si effectivement, les accidents impliquant des enfants diminuent graduellement « elles ne montrent pas l’influence qu’a pour l’enfant le fait d’être continuellement accompagné (notamment les 6-10 ans) ». Selon ces auteurs, la baisse du nombre d’accident pour cette tranche d’âge d’enfants est à mettre sur le compte de l’accompagnement et du fait que les enfants ne fréquentent plus les espaces publics de manière libre. Une étude menée en Angleterre a ainsi montré l’évolution de la pratique d’accompagnement des enfants au cours de leur déplacement entre 1971 et 1990 (Hillman, 1993). Elle révèle un recul très prononcé de la mobilité autonome de l’enfant (cf. Figure 6).

Figure 6

Proportion d’enfants se déplaçant seuls selon l’âge en 1971 et 1990 à Londres

Proportion d’enfants se déplaçant seuls selon l’âge en 1971 et 1990 à Londres

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Dans le passé, les expériences éducatives de l’enfant s’organisaient dans la rue. L’enfant investissait pleinement les espaces publics de la cité qui constituaient de véritables lieux d’échanges sociaux et d’éducation. Il n’existait pas d’espaces propres à l’enfant. Ce dernier vivait et circulait parmi les adultes et ne se distinguait pas d’eux en ce qui concernait ses caractéristiques intellectuelles et sociales, et par conséquent son mode de vie (Tsoukala, 2007). La révolution industrielle, avec ses évolutions socio économique et technologique, aura une incidence directe sur la place de l’enfant dans l’espace urbain. Celui-ci commence à être considéré comme une catégorie spécifique de la population. Cette prise de conscience contribue à l’éloigner de la rue et ainsi de la vie des adultes, d’où la création d’espaces qui leur sont dédiés comme les squares. La démocratisation de la voiture un siècle plus tard amplifie ce changement: la morphologie des villes accentue la mise à distance du jeune public de la rue. Le cadre urbain devient hostile à l’enfant, en raison de l’insécurité liée à la circulation automobile. La rue perd alors véritablement sa fonction sociale.

Des experts estiment que l’exclusion des enfants de la rue peut avoir des répercussions sur leur développement: cela peut affecter leur comportement en général (Hüttenmoser et Sauter, 2006), et leur autonomie en matière de déplacement en particulier (Granié, 2004).

L’autonomie au plan de la mobilité est essentielle au développement et à l’acquisition d’habiletés. Le quartier constitue un lieu d’apprentissage en parallèle à la famille et à l’école.

Risotto, 2002

En matière de comportement, des études ont montré que les enfants qui peuvent jouer librement dans les espaces publics, comme la rue, développent plus vite certaines compétences sociales: ils ont plus de camarades, des relations sociales plus stables, développent plus de jeux de groupe ou de rôle, apprennent à régler leurs conflits par la négociation, satisfont mieux leur besoin de bouger du fait de leur autonomie de déplacement, accaparent moins les adultes (Chawla, 1992 ; Abu-Ghazzeh, 1998).

En matière de déplacement, l’accompagnement peut agir comme un facteur de risque plus tard: en effet en France, on observe au niveau de l’accidentologie piétonne un pic à 11 ans, au moment de l’entrée au collège, alors que l’enfant devient pour la première fois autonome dans ses déplacements.

Ceci montre que loin d’être limité à la question des capacités permettant de gérer sa présence dans l’espace routier, le problème soulevé par l’accidentologie des enfants à l’entrée au collège marque aussi la place de l’expérience préalable du trafic et du contexte social de l’activité.

Granié, 2004

L’enfant trop accompagné n’acquiert peut-être pas forcément ou suffisamment d’expérience de mobilité et lorsque vers 10-11 ans, il se retrouve seul à se déplacer, il n’est pas en mesure de le faire en toute sécurité. En effet, la mobilité ne peut être effective qu’en rapport à un potentiel, que l’on peut rapprocher de la notion de « motilité » (Kaufmann et Flamm, 2002). Cette dernière se définit comme le potentiel d’un individu à se déplacer, tant physiquement qu’intellectuellement. Ce capital s’acquiert dès l’enfance, dans le jeu et dans les relations parents-enfants, notamment à travers l’exemple donné par les aînés en matière de comportement dans l’espace public ou au volant.

La motilité se compose de l'ensemble des facteurs définissant la potentialité à être mobile dans l’espace, soit par exemple les capacités physiques, les aspirations à la sédentarité ou à la mobilité, les systèmes techniques de transport et de télécommunication existants et leur accessibilité, les connaissances acquises.

Kaufmann, 2008

Le manque d’autonomie chez les enfants en matière de déplacement peut parfois conduire à des mises sous tension dans les rythmes familiaux quotidiens, notamment en ce qui l’organisation spatio temporelle de la mobilité pour les différents membres de la famille, comme l’ont montré (Kytta, 2002) et (McMillan, 2007).

Pour terminer, certaines études ont montré que les enfants résidant dans les zones périurbaines ont des territoires de mobilité plus étendus que les enfants vivant en centre-ville (Hart, 1979 ; Bachiri, 2008), mais aussi un recours plus important à l’accompagnement et à l’automobilisme. À ce sujet, certains chercheurs ont mis en évidence que c’est dans des contextes urbains peu denses ou des petites villes que les enfants sont les plus autonomes (O’Brien, 2000). Hillman (1997) a dans ses travaux clairement identifié que l’aménagement du quartier comme la création d’espaces publics devant les immeubles, et la modération du trafic ont un impact favorable sur la mobilité des enfants. Cependant, la morphologie urbaine, l’aménagement de la rue et le trafic ne peuvent pas expliquer à eux seuls la mobilité des enfants. Leurs modes de vie sont régis par de nombreux paramètres comme les normes socio culturelles, l’offre de transport qui leur est accessible, le contexte familial, des facteurs socio économiques, la perception des parents des dangers que représente l’environnement urbain… autant de facteurs qui s’articulent et se combinent entre eux (Depeau, 2008).

3. Méthodologie et résultats

Bien souvent, les études portant sur la mobilité passent par des enquêtes au domicile sur les déplacements réalisés la veille de la venue de l’enquêteur. Elles permettent de connaître les caractéristiques de la mobilité au travers différents indicateurs standardisés que sont le nombre de déplacements réalisés par jour, leur motif, leur durée, la distance parcourue, les modes de transport utilisé, parfois les trajets réalisés, etc. Ces enquêtes sont aussi l’occasion de recueillir l’opinion ou les perceptions des personnes interrogées, ainsi que certains déterminants sociaux. En revanche, l’information collectée reposant sur le souvenir et la verbalisation à postériori d’un événement passé, elles ne permettent pas d’obtenir avec exactitude les actions des individus au cours des déplacements eux-mêmes. En France, l’âge minimal requis dans ce type d’enquête est de 5 ou 6 ans. Or en matière de mobilité enfantine, le plus souvent ce sont les parents qui influencent ou régissent les pratiques ; pour comprendre les comportements des enfants, il conviendrait alors d’interroger directement les parents. Par ailleurs, il n’est pas certain que les enfants – notamment lorsqu’ils sont jeunes – se souviennent avec précision de ce qu’ils ont fait la veille. Notre objectif étant d’évaluer l’impact de l’aménagement de zone 30 sur les pratiques de mobilité et les comportements des piétons enfants dans la rue, l’observation directe non participante en situation réelle nous est apparue une méthode intéressante à mettre en oeuvre. Nous allons développer plus en détail les raisons de ce choix méthodologique dans les paragraphes suivants.

3.1. Petit retour d’expériences sur les techniques d’observation des piétons

La question du cheminement des piétons et de leur exposition au risque d’accident a été beaucoup plus débattue dans les pays anglo-saxons, et en particulier celle des déplacements des enfants sur le chemin domicile-école. Dans leur étude, Carré et Julien (2000) se sont livrés à une recherche bibliographique poussée, recensant plus de 900 références ayant trait à la sécurité, l’exposition au risque, l’accidentologie… des piétons.

Différentes méthodes d’investigation ont déjà été testées. Nous proposons de les classer en deux grandes familles: les méthodes de terrain, qui reposent sur une observation non participante de piétons en situation réelle (approche éthologique) et les enquêtes à domicile, plus classiques et moins appropriées à notre problématique. Concernant les méthodes de terrain, l’ampleur de ces enquêtes est souvent considérable du fait du grand nombre d’éléments à observer: le piéton lui-même, son trajet, son comportement, les caractéristiques environnementales des rues empruntées, les lieux de traversée et surtout le trafic routier avec lequel le piéton entre en interaction. Le choix de la méthode d’enquête est donc souvent lié à un équilibrage entre précision et finesse de la connaissance et/ou précision et finesse des conditions environnementales et du trafic routier.

Parmi les méthodes de terrain, trois retours d’expérience nous apparaissent intéressants à exposer.

En premier lieu, les études de sites (Routledge, 1974). Un observateur posté en un point fixe (à proximité d’un lieu de traversée, par exemple) relève, pendant une période de temps déterminée à l’avance, un certain nombre d’informations dans une grille préalablement établie (nombre de traversées, conditions de ces traversées, caractéristiques et comportement des piétons…). Ces observations sont souvent complétées par un comptage du trafic routier. L’instrumentation de cette technique (utilisation d’un magnétophone, d’une tablette graphique ou d’une caméra) permet d’augmenter la fiabilité et la quantité des relevés, sous condition de discrétion.

Le suivi constitue une deuxième possibilité (Routlege, 1974 ; Carré et Julien, 2000). Un observateur suit un piéton et relève sur une carte le trajet effectué, les lieux de traversée, le comportement du piéton, les conditions de trafic et celles de l’environnement. Ce suivi peut être fait de manière furtive et minutée (5 minutes de suivi maximum, par exemple) à partir d’un point de prise en charge du piéton (station de métro, gare…) ou en accord avec le piéton (Carré et Julien, 2000). Dans cette étude, 51 piétons ont été suivis une journée entière par un enquêteur du départ jusqu’au retour à leur domicile. En ce qui concerne les piétons enfants, le suivi – plus délicat d’un point de vue éthique – est généralement réalisé suite à l’obtention d’un accord des parents. La prise en charge de l’enfant se fait souvent à la sortie de l’école sur une période de temps définie, à son insu, de manière à ne pas influencer son comportement ; les enfants bénéficiant d’une autorisation de suivi étant repérables par un badge (Granié, 2004).

Enfin, la méthode qui a retenu notre attention concerne les enquêteurs mobiles (Knighting, 1972). Cette technique d’observation, originale et moins souvent utilisée, a été mise au point pour étudier les enfants piétons en particulier. Elle repose sur le parcours d’un secteur urbain par un enquêteur selon un cheminement prédéfini et au cours duquel différents relevés sont effectués chaque fois que l’enquêteur croise un enfant (position, activité, comportement, âge…). Ce procédé donne une assez bonne image de l’activité des enfants dans la rue et pas seulement au cours de leur trajet domicile-école. Elle présente aussi l’avantage de ne pas nécessiter d’autorisation préalable de la part des parents, puisqu’il n’y a ni suivi de l’enfant, ni identification de son domicile. Dans l’étude citée, 2 500 enfants ont été observés sur une période de vacances scolaires.

3.2. Le protocole d’observation

Notre travail de terrain est fondé sur une série d’observations non participantes effectuées par des enquêteurs mobiles circulant dans un ensemble de rues prédéfinies. Chaque enfant ou groupe d’enfants rencontrés au cours des maraudes a été comptabilisé. Chaque individu a été identifié en fonction de son sexe et de l’estimation de son âge selon des classes (4-6 ans, 6-8 ans, 8-10 ans, 10-12 ans). Certes, il s’agit là d’une estimation d’une information importante pouvant porter discrédit à la donnée mais nous avons choisi de ne pas poser directement la question aux enfants afin de ne pas perturber leurs actions en cours. Les caractéristiques de déplacement des enfants ont été consignées dans une grille de conditions préalablement constituée, qui comporte les éléments suivants:

  • l’enfant se déplace seul ou accompagné ;

  • en cas d’accompagnement, l’accompagnateur est soit un ou plusieurs adultes, soit un ou plusieurs autres enfants. Dans ce cas, le nombre d’enfants constituant le groupe est renseigné ;

  • l’enfant est à pied, en patin à roulettes, en trottinette ou à vélo ;

  • l’enfant est aperçu sur le trottoir, sur la chaussée, sur un passage piéton, sur une piste cyclable, ou sur une voie d’autobus ;

  • son comportement (marche, court, stationne sur le trottoir, est en attente de traversée) ;

  • pour chacun de ses comportements, il est précisé si l’enfant est tenu par la main ou s’il tient une poussette, s’il est libre à côté de l’adulte accompagnateur ou libre à bonne distance de cet adulte (devant ou derrière) ;

  • l’activité au cours du déplacement (mange, discute, écoute de la musique, téléphone, joue avec précision du type de jeu) ;

  • enfin, lorsque l’enfant est observé en situation de traversée, sont notés le lieu de la traversée (sur passage en respectant la signalisation lumineuse, sur passage sans respect des feux, sur passage sans signalisation, hors passage), la présence ou non de brigadier, l’autonomie (tenu par la main ou non), la vitesse (marche ou court).

Les observations ont été effectuées uniquement par beau temps et à des créneaux horaires restreints correspondant à des moments de la journée pendant lesquels un plus grand nombre d’enfants est attendu: en fin d’après-midi, pour une durée d’une heure après la sortie des classes (c’est-à-dire de 16 h 30 à 17 h 30) ou en milieu d’après-midi le mercredi et le samedi (entre 16 h et 17 h).

Les maraudes ont été définit en fonction des sites de manière à le parcourir de part et d’autre sans autres consignes. Les enquêteurs ont travaillé par binôme ; l’observation en direct et le report des informations sur le grille se faisant de manière simultanée.

3.3. Cinq sites d’étude dans Paris

Les sites d’étude retenus présentent des caractéristiques similaires: un ensemble contigu de rues en zone 30 et de rues – que nous qualifierons de classiques – où la vitesse est limitée à 50 km/h. Il s’agit la plupart du temps de boulevards ou d’avenues plus importants que les voies de circulation situées à l’intérieur de la zone 30. La distinction du type de rues a été faite au cours des observations permettant ainsi une analyse comparée des comportements. Par ailleurs, chacun des sites comporte au moins une école ou un square.

L’étude a porté sur 10 sites au total: 8 sites dans Paris et 2 sites en proche banlieue correspondant à des quartiers nouvellement aménagés. De ce fait, nous ne les avons pas intégrés à cette restitution, le traitement de l’espace public et les aménagements réalisés présentant des différences trop marquées par rapport aux autres zones. Par ailleurs, 3 sites parisiens ont été retirés des résultats présentés dans cet article pour des raisons similaires. Au final, nous disposons de 5 sites différents pour lesquels 660 enfants ont été observés au cours de leur présence dans la rue:

  • un site dans le 5e arrondissement, autour de l’école Buffon et à proximité du Jardin des plantes ;

  • un site dans le 6e arrondissement, autour de l’école Notre-Dame-des-Champs, à proximité du Jardin du Luxembourg ;

  • un site dans le 13e arrondissement, autour de l’école Château-Rentier et à proximité de la mairie de l’arrondissement ;

  • un site dans le 14e arrondissement, au coeur du quartier Montparnasse, autour de l’école Delambre ;

  • le dernier site dans le 18e arrondissement, dans un quartier d’habitations, essentiellement autour de l’école Damremont.

Chaque site a fait l’objet d’une analyse urbaine détaillée portant sur la hiérarchisation du réseau de circulation, l’aménagement de la chaussée (nombre de voies, présence de couloirs d’autobus…), l’aménagement des trottoirs (présence de potelets, de barrières, d’obstacles…), l’attractivité de la rue (nombre de commerces, présence de squares ou de parcs…). Ainsi, la base de données sur les comportements des enfants est enrichie de données sur les caractéristiques de la rue dans laquelle l’observation a été faite (nom, type, vitesse autorisée, niveau d’attractivité).

3.4. Des enfants majoritairement accompagnés

Sur l’ensemble des observations (660 enfants), la répartition selon le genre est quasi similaire (318 filles et 342 garçons). En revanche, on peut noter une représentation plus importante des enfants ayant près de huit ans, ce qui soulève d’ores et déjà des questions quant à la mobilité des enfants plus jeunes et surtout au mode de transport par lequel leurs déplacements sont effectués.

Pour ce qui est de l’accompagnement, comme l’on pouvait s’y attendre, seuls 26 % des enfants observés se déplaçaient sans accompagnateur adulte. Parmi ces enfants non accompagnés, 35 % marchaient effectivement seuls et 65% marchaient par groupe de deux enfants ou plus (cf. Figure 6). La proportion d’enfants non accompagnés par un adulte augmente graduellement en fonction de l’âge, mais à nouveau ne révèle pas de différence notable selon le sexe. Près de la moitié des enfants observés sans accompagnateur adulte ont autour de 10 ans selon les enquêteurs. Ces résultats étaient somme toute assez attendus: en effet, les déplacements d’enfants sans accompagnateur adulte sont souvent organisés par les parents soit au sein même de la fratrie, soit entre copains ou voisins. Toujours est-il que la présence d’enfants seuls dans la rue est assez rare, du fait de craintes ou de peurs qui restent à identifier par le biais de questionnaires auprès des parents eux-mêmes (peur des accidents, des agressions, des rapts d’enfants…).

Majoritairement, 73 % des enfants ont été observés sur le trottoir: 21 % ont été observés en situation de traversée, et 6 % sur la chaussée automobile, sur des voies réservées au autobus ou sur une piste cyclable.

Très peu d’enfants se déplaçaient à vélo, en patin à roulettes ou en trottinette: l’essentiel des trajets a été réalisé à pied, soit 93 %. Cette observation est à rapprocher des comportements observés: la plupart des enfants marchaient tranquillement, 76 % des observations, moins de 10 % couraient. Très peu de jeux ont été remarqués au cours des maraudes. Les activités les plus souvent rapportées sont la discussion ou encore la prise du goûter. Seules trois observations de jeu de ballon et quatre observations de jeu avec le mobilier urbain (tourner autour de potelets, jouer à saute-mouton sur des bornes…) ont été consignées.

En ce qui a trait au comportements de déplacement, les observations ont montré une certaine souplesse dans l’accompagnement quelque soit l’âge de l’enfant: un tiers des enfants marchaient tenus par la main, un autre tiers marchaient librement à côté de l’adulte, et le dernier tiers marchaient ou couraient à distance de l’adulte accompagnateur. Ces observations de comportement sont confortées par celles relatives aux enfants en situation de traversée, puisque dans 67 % des cas, l’enfant n’est pas tenu par la main au cours de la traversée, mais marche librement à côté de l’adulte et 33 % des enfants sont tenus par la main au cours de la traversée. Dans les quelques rues piétonnes faisant partie de l’échantillon, la proportion d’enfants marchant librement à côté de l’adulte est de près de 90 %.

À propose des situations de traversée, il a été remarqué que seulement 15 % concernent des enfants non accompagnés par un adulte. En revanche, parmi ces enfants traversant seuls la chaussée automobile, près d’un quart le font en courant. De manière générale, les comportements de traversée apparaissent plus dangereux lorsque l’enfant est seul: au cours des observations, près de 12 % des enfants traversant seuls l’ont fait sur passage sans respecter les feux de signalisation contre 5 % lorsque l’enfant est accompagné (cf. Figure 7).

Figure 7

Résultats généraux des observations

Résultats généraux des observations

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Figure 8

Lieux et comportements de traversée (en %)

Lieux et comportements de traversée (en %)

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Pour terminer, les comportements de déplacement des enfants varient sensiblement en fonction du type de la rue. Ainsi, en comparant les résultats de nos observations selon trois types de voie de circulation (les boulevards ou avenues avec vitesse limitée à 50 km/h, les rues locales à faible trafic avec vitesse limitée à 50 km/h et les rues en zone 30), on observe une augmentation de la proportion d’enfants non accompagnés par un adulte dans les zones où le trafic automobile a été pacifié même si cette proportion est assez faible (cf. Tableau 2).

Tableau 2

Proportion d’accompagnement selon le type de rue

Proportion d’accompagnement selon le type de rue

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4. Conclusion, discussion

En guise de conclusion, nous aimerions mettre l’accent sur l’intérêt que représente une telle étude du comportement du piéton enfant en lien avec un aménagement spécifique tel qu’une zone 30. Plusieurs points peuvent être soulevés. Les déplacements du piéton enfant – en termes d’accompagnement, de comportement ou encore de choix de trajet – sont mal connus. Nos travaux permettent d’apporter quelques éléments nouveaux. Les enfants ne consomment pas l’espace public comme les adultes ; cet espace public ne leur étant de toute manière pas véritablement rendu accessible même lors d’aménagement plus spécifique (mobilier et panneaux à hauteur d’adulte…).

La question des déplacements autonomes des enfants en ville constitue un sujet délicat que les aménageurs et urbanistes n’abordent pas souvent: les dangers liés au trafic automobile représentent une cause importante du recul de la marche et de la pratique du vélo sans accompagnement chez les jeunes enfants, mais elle n’agit pas seule. D’autres déterminants sont en jeu, comme la crainte des agressions ou encore celle de l’enlèvement. La difficulté et l’enjeu en matière de mobilité consistent à ordonner ces différents facteurs en fonction de l’importance que les parents leur accordent, puisqu’ils peuvent expliquer les raisons du recul des modes doux et de la perte d’autonomie des enfants dans leur activité de déplacement. Cette question mériterait d’être approfondie par des sondages auprès de parents pour connaître leur représentation des risques auxquels les enfants sont ou peuvent être exposés dans l’espace public. Les travaux de M.S. Cloutier (2008) sur les comportements de mobilité d’écoliers montréalais et les représentations du risque routier de leurs parents apportent déjà quelques éléments de réponse. Par ailleurs, il est assez vain de s’intéresser aux comportements de mobilité des enfants sans connaître celle des parents (Flamm, 2004), la mobilité des enfants étant le plus souvent régie par les parents eux-mêmes (en fonction de leurs contraintes, de leurs opinions, de leurs propres pratiques et de leurs représentations).

Quant à la méthode d’observation directe non participante utilisée au cours de cette étude, elle a permis de montrer la faible fréquentation des espaces publics ouverts par les enfants dans les différents sites parisiens retenus en dehors des horaires scolaires. Ainsi, la présence des enfants est assez homogène en terme d’horaires entre les différents sites, et surtout très rythmée et concentrée autour de ces heures scolaires. Elle a montré aussi la faible part des comportements de jeu dans l’espace public que constitue la rue qui, de fait, assure une fonction de déplacement principalement. Les observations ont pu enfin mettre en évidence des comportements d’accompagnement nombreux, cependant assez souples: bon nombre de ces enfants n’étaient pas tenus par la main, même au cours des traversées, et marchaient à côté, devant ou derrière l’adulte.

Cette méthode présente pourtant le désavantage d’être coûteuse en temps et en personnels: il faut un grand nombre d’enquêteurs pour pouvoir parcourir les sites retenus de part et d’autre plusieurs fois au cours de maraudes, d’autant que le remplissage en temps réel des grilles d’observation s’est révélé parfois difficile. Leur présence dans les rues a parfois été sujette à question de la part des adultes accompagnant les enfants sans pourtant mettre en péril leur travail. Si l’observation en situation réelle permet de connaître les comportements des enfants au travers un nombre donné de paramètres, certaines informations mériteraient une enquête auprès des enfants eux-mêmes et de leurs parents.

À partir de nos observations de terrain, nous avons pu mettre en évidence que les enfants non accompagnés par un adulte sont légèrement plus nombreux dans les rues où la circulation a été pacifiée. Ce qui ne signifie pourtant pas que l’aménagement en zone 30 soit le garant d’une plus grande pratique de la marche ni d’une plus grande autonomie chez les enfants. Dans ce contexte, les réaménagements qu’entraine la création d’une zone de rencontre (qui s’accompagne bien souvent d’une démarche du type Code de la rue comme en Belgique) semblent plus favorables: « elle permet avec relativement peu de moyens financiers d'activer les potentiels d'intégration et d'augmenter la qualité de la vie pour tous » (Hüttenmoser et Sauter, 2006).

Au final, pour développer la marche chez les enfants, il nous paraît évident que l’aménagement de la rue seul ne règlera pas l’affaire: il est nécessaire d’accompagner ce processus d’autres actions comme la sensibilisation des parents, des habitants des quartiers concernés et des automobilistes eux-mêmes, ou encore l’éducation à la sécurité routière des enfants. Dans ce contexte, les démarches participatives qui émanent des riverains eux-mêmes semblent plus porteuses d’espoir pour faire changer réellement les comportements. En résumé, il convient dans un premier temps de faire évoluer les représentations et les pratiques de mobilité des parents.