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Introduction

De nombreux travaux historiques et anthropologiques ont mis en évidence des variations dans les conceptions, les normes, les interdits et les pratiques entourant la sexualité de même que ses articulations aux représentations du cosmos, du surnaturel, du corps et de la maladie (Bullough, 1976 ; Frayser, 1985 ; Reiss, 1986 ; Lévy, Baruffaldi et Crépault, 1991 ; Lévy et Vidal, 1996 ; Markowitz et Ashkenazi, 1999 ; Bonnard et Schoumann, 1999 ; Foucault, 1996 ; Le Rest, 2003). Cinq grandes finalités de la sexualité peuvent être dégagées de ces études : finalité reproductive, hédonique et récréative (visant les modulations du plaisir), exploitatrice (agressions sexuelles), médicale (Van Gulik, 1961) ou mystique, comme c’est le cas en Chine avec le taoïsme (Van Gulik, 1961), en Inde avec le tantrisme (Rawson, 1973) et dans d’autres contextes culturels où les états de transe associés aux rituels orgiaques jouent aussi un rôle significatif.

L’exercice de la sexualité, en fonction de ces objectifs, nécessite le déploiement de stratégies visant à maintenir ou amplifier la réponse sexuelle et les états de conscience qui l’accompagnent (Cohen et Lévy, 1986), restaurer les fonctions sexuelles, prévenir ou traiter les défaillances sexuelles, mais aussi, dans certains cas, réduire l’appétit sexuel.

La panoplie des moyens fait appel à des techniques corporelles (postures, méditation, respiration, maîtrise musculaire et de la réponse sexuelle), en particulier dans les sociétés où dominent les formes d’ars erotica (Foucault, 1976) ou à des approches thérapeutiques cognitives ou comportementales, comme c’est le cas dans les sociétés contemporaines.

À part ces dispositifs, dans de nombreuses sociétés, on retrouve l’usage de plantes et de produits dont les propriétés, réelles ou mythiques, interviendraient sur les états de conscience érotiques, l’intensification de la réponse sexuelle (activation du désir, amplification de la sensibilité corporelle, de l’excitation et du plaisir, réduction des inhibitions), son maintien ou sa réappropriation (Pelt, 1971 ; Rouet, 1973 ; Abel, 1985 ; Taberner, 1985 ; Money, Leal et Gonzalez-Heydrich, 1988 ; Camporesi, 1990 ; Ky et Drouard, 1992 ; Müeller-Ebeling et Rätsch, 1993 ; Rosen et Ashton, 1993 ; Rosenzweig, 1998 ; Rätsch, 2001).

Dans les sociétés traditionnelles et dans plusieurs civilisations, ces substances se retrouvent dans les rituels magico-religieux de type orgiaque. Elles sont aussi présentes dans le contexte quotidien où elles servent à amplifier la réponse sexuelle lors des relations avec les partenaires, s’articulant alors sur des conceptions médicales fondées sur des savoirs traditionnels et sur des croyances ou des pratiques où l’efficacité symbolique côtoie des conceptions plus empiriques.

Dans le cas des sociétés industrialisées, les usages à des fins hédoniques et récréatives ou médicales sont dominants. Les développements dans le champ de la chimie et de la pharmacologie contribuent à la diversification des produits (drogues et médicaments) qui peuvent affecter les états de conscience et la réponse sexuelle. Les progrès dans la compréhension des processus physiologiques touchant la sexualité ont aussi contribué à la fabrication et la mise en marché de médicaments directement axés sur le traitement de troubles sexuels, comme le sildénafil (Viagra) et d’autres molécules du même type. Ces tendances pharmacologiques constituent un nouveau jalon dans l’évolution des rapports anciens établis entre drogues et sexualité que nous esquisserons ici.

Substances aphrodisiaques

Les recherches ont mis en évidence la diversité des substances végétales ou animales qui sont considérées comme aphrodisiaques et dont la nomenclature et les usages dépendent des sociétés[1]. Les végétaux aux effets érotiques constituent une catégorie privilégiée dans cette liste. Müller-Ebeling et Rätsch (1993) et Rätsch (2001) recensent ainsi plus de 1 000 plantes qui sont utilisées à ces fins. Provenant des différentes régions du monde, elles sont consommées sous des formes variées (infusions, décoctions, plats cuisinés, onguents, poudres, inhalations, etc.) afin de maintenir et d’améliorer les fonctions sexuelles par leurs effets stimulants, leurs retombées sur le tonus musculaire ou le système vaso-dilatateur.

Leur usage, associé à des pratiques religieuses, magiques ou médicales, peut se fonder sur le principe de ressemblance quand, par leur forme ou leur texture, ces plantes rappellent celles des organes sexuels. Dans ce vaste ensemble, plusieurs catégories peuvent être dégagées. Les fruits (bananes, grenades, coings, par exemple), les noix (pin, ginkgo, bétel, noisettes, noix de muscade, noix de cola) auraient ainsi des propriétés aphrodisiaques tout comme de nombreuses épices (graines de cardamone, clous de girofle, cannelle, curcuma, poivre, safran, etc.), les tisanes et décoctions (verveine, menthe, salsepareille, échinacée) et des plantes diverses (basilic, laurier, céleri, moutarde, romarin, sauge, sarriette, gingembre, piments, persil, thym, ail et oignons) dont plusieurs contiendraient des substances phytochimiques aux propriétés érotisantes. D’autres plantes comme la mandragore, le ginseng, le cacao, le guarana, le damiana (turnera diffusa) entrent aussi dans cette nomenclature.

On retrouve aussi, dans plusieurs régions, l’emploi de décoctions d’écorces d’arbre aux effets aphrodisiaques. Les Antilles connaissent ainsi l’usage de l’écorce du richéria grandis, ou bois bandé réputé pour ses propriétés stimulantes de la réponse sexuelle masculine. Consommé en infusion ou macéré dans des boissons chaudes ou froides, il peut aussi s’ingérer sous la forme de concentré naturel ou mélangé à du rhum. Au Brésil, les autochtones utilisent l’écorce du muira puama (ptychopetalum olacoides) en décoction pour stimuler les fonctions génitales. En Afrique occidentale, on retrouve, comme stimulant érotique employé lors de rituels religieux et sexuels, le yohimbé (provenant du corynanthe yohimbe), un arbre dont l’écorce contiendrait des alcaloïdes susceptibles de traiter les dysfonctions sexuelles tant masculines que féminines.

Les substances animales, plus d’une centaine, provenant de plusieurs classes (mollusques, vers, crustacés, insectes, poissons, amphibiens, reptiles, poissons, oiseaux, mammifères) sont aussi prisées et elles entrent souvent dans la composition des remèdes proposés dans les différentes traditions médicales (Müller-Ebeling et Rätsch,1993). Les coquillages (huîtres, moules de vénus pulvérisés) ou d’autres produits, par exemple, les oeufs de crocodile, l’ambre, la bile de carpe, la mouche espagnole (qui contient de la cantharidine) ou la peau de crapaud (qui contient de la bufoténine) sont utilisés pour leurs effets aphrodisiaques. Des éléments, végétaux ou animaux, peuvent être combinés pour donner lieu à des potions ou à des philtres à des fins sexuelles.

Le principe de ressemblance intervient aussi dans le choix et les produits provenant des cornes (rhinocéros), des bois (cerf ou renne), ou des parties génitales (musc, pénis) font, dans certaines régions du monde, l’objet d’un trafic important sans que leurs effets érotiques soient prouvés.

Dans la société contemporaine, l’intérêt et la curiosité pour les plantes alimentaires ou médicinales ou d’autres substances qui agiraient sur les fonctions sexuelles continuent de se maintenir (Rowland et Tai, 2003). Le catalogage des remèdes pour soigner les dysfonctions sexuelles disponibles dans des magasins de produits naturels souligne qu’ils contiennent des extraits de plantes diverses (ginseng, damiana, muira pauma, tribulus terrestris, palmier nain, ginkgo biloba, maca, yohimbine) censés améliorer les fonctions sexuelles.

De rares études sur le sujet montrent que leurs effets sur la sexualité sont variables (Charney et Heninger, 1986 ; Danjou et coll., 1988 ; Mann et coll., 1996 ; Nessel, 1994 ; Riley et coll., 1993), certaines rapportant une amélioration des dysfonctions érectiles chez environ 30 % des patients. Par contre, une comparaison entre deux groupes d’hommes (souffrant ou non de dysfonction érectile) ne démontre aucun effet du yohimbé sur la plupart des mesures retenues (désir sexuel, excitation, capacité érectile) chez les hommes sans dysfonction (Rowland, Kallan et Slob, 1997). Dans le second groupe, quelques hommes rapportent une amélioration certaine ou partielle de la réponse sexuelle, alors que d’autres ne notent aucun effet évident. Les données des journaux personnels tenus quotidiennement montrent aussi l’influence de facteurs psychosociaux et relationnels dans la modulation de la réponse sexuelle sous l’effet du yohimbé. À l’inverse, le ginseng et le ginkgo semblent réduire les dysfonctions sexuelles, ce qui n’est pas le cas du velours du bois de cerf, un produit vanté pour l’amélioration de l’énergie sexuelle et le traitement des troubles érectiles (Conaglen, Suttle et Conaglen, 2003). Cette substance, comparée à un placebo, n’a aucun effet sur les mesures sexuelles sélectionnées (désir sexuel, fonction orgasmique, satisfaction sexuelle, niveaux d’hormones), à la fois chez les hommes et les femmes.

Bien qu’en 1989 les experts de l’organisation gouvernementale américaine, Food and Drug Administration, aient remis en question la valeur des produits aphrodisiaques vendus sur le marché, à cause de l’absence de preuves scientifiques de leurs effets, leur achat constitue aujourd’hui une part appréciable du marché des médecines alternatives, évalué à plus de 800 millions de dollars par an. Le nombre d’ouvrages de vulgarisation sur ces questions atteint plus d’une centaine de titres en langue anglaise et plus d’une trentaine en français. Le développement d’Internet a amplifié ce mouvement et l’on compte de nombreux sites d’information sur les aphrodisiaques et anaphrodisiaques avec près de 500 000 pages en français et plus de deux millions en anglais. Ces sites et ces textes explorent les facettes de cette question, proposant une classification des produits et des recettes d’utilisation, ce qui indique l’influence des croyances et de l’imaginaire dans la quête d’une santé et d’une vie sexuelle épanouies. D’autres plantes aux vertus psychoactives plus directes ont aussi été utilisées pour moduler la réponse sexuelle.

Plantes psychoactives et sexualité

Plusieurs sociétés font une place significative aux plantes dont les propriétés psychédéliques, stimulantes ou narcotiques peuvent provoquer des états de conscience modifiés qui peuvent moduler l’expérience érotique et la réponse sexuelle. Leurs fonctions religieuses et magiques, associées à des représentations mythiques et cosmogoniques élaborées et à des rituels d’ingestion codifiés et régulés, se retrouvent historiquement dans des aires culturelles variées. Certaines plantes et leurs dérivés sont aussi utilisés dans nos sociétés à des fins plus festives et récréatives, avec des effets sur la sexualité que plusieurs recherches ont tenté de mettre en évidence à partir d’études phénoménologiques, comportementales et expérimentales. Nous dégagerons ici quelques-uns de ces complexes.

L’alcool a été associé aux états de conscience modifiés et employé à des fins orgiaques ou récréatives tant dans les sociétés traditionnelles que les grandes civilisations. Par exemple, dans l’ancienne Égypte, le vin issu de la fermentation des raisins ou des grenades intervenait dans les rites orgiaques. Dans les cultes grecs, le vin, mélangé à des plantes aromatiques et psychédéliques, occupait une place centrale dans le déroulement des rites associés à la déesse Aphrodite mais surtout à Dionysos, en particulier dans le cadre des cultes à mystère, un usage qui s’est prolongé dans les bacchanales romaines. Dans ce contexte, les participants atteignaient des états de transe paroxystiques et le recours à des pratiques érotiques contribuait à une sociabilité extrême qui avait pour fonction, par les excès et les transgressions qui l’accompagnaient, d’aider à pénétrer les arcanes secrets de l’univers. L’ingestion des boissons alcooliques à des fins orgiaques et sexuelles s’est maintenue tout au long de l’Histoire et s’est prolongée dans le monde contemporain avec les carnavals ou d’autres occasions festives où sont mises entre parenthèses les contraintes du quotidien (séjours touristiques, partys, congrès et rites d’initiation universitaires), l’alcool contribuant à réduire les inhibitions sociales. La consommation d’alcool dans un contexte plus convivial ou plus intime peut aussi être le prélude aux activités sexuelles.

Les effets sexuels de l’alcool varient selon les niveaux de consommation et la durée de son usage, mais d’autres facteurs biologiques, culturels et psychosociaux peuvent cependant intervenir. Les études réalisées sur les répercussions de l’ingestion d’alcool sur la sexualité montrent la complexité de son retentissement (Abel, 1985 ; Schuster, 1988 ; Van Thiel, Gavaler et Tarter, 1988 ; Cooper, 1992 ; Donovan et McEwan, 1995 ; Fortenberry, 1995 ; Halpern-Felsher, Millstein et Ellen, 1996 ; Wilsnack et Wilsnack, 1997 ; George et Stoner, 2000 ; McKay, 2005). Consommé en quantités modérées, il constituerait une substance levant les inhibitions, qui amplifie les sensations sexuelles et contribuerait à une augmentation de l’excitation sexuelle, mais cet effet pourrait être dû en partie aux attentes (culturelles ou sociales) plutôt qu’à son action strictement biochimique. Ainsi comme l’ont montré des expériences en laboratoire, ces attentes semblent jouer sur l’érection et l’excitation sexuelle évaluées subjectivement (Roerich et Kinder, 2002). Au fur et à mesure que la dose augmente, les fonctions sexuelles (excitation sexuelle, éjaculation) peuvent être sévèrement affectées chez les hommes, à cause des conséquences sur les fonctions physiologiques, et les mécanismes neurologiques. La production des stéroïdes peut aussi être altérée dans le cas d’une consommation chronique.

Les études, moins nombreuses, menées sur les femmes fournissent des résultats contradictoires et difficiles à interpréter. Ainsi, la consommation d’alcool augmenterait le désir sexuel, l’excitation et le plaisir subjectivement évalués chez nombre de femmes, mais l’excitation physiologique serait, quant à elle, réduite. L’usage n’entraînerait pas chez une majorité d’entre elles de désinhibitions dans les comportements sexuels (Beckman et Ackerman, 1991). Selon George et Stoner (2000), les effets liés aux attentes ne sont pas aussi directs que dans le cas des hommes chez qui les relations entre les mesures d’excitation objectives et subjectives sont plus cohérentes, ce qui n’est pas le cas chez les femmes. Parmi les femmes alcooliques (Wilsnack, 1991), des études ont démontré la présence de problèmes sexuels significatifs (intérêt sexuel affaibli, absence d’excitation sexuelle et orgasmes rares). Ces études suggèrent que les effets sexuels de l’alcool sont modulés par un ensemble de variables complexes et encore mal cernées.

Les plantes psychédéliques, dont l’utilisation se retrouve dans plusieurs aires géographiques, peuvent contribuer à moduler l’expression érotique comme le montrent les travaux ethnologiques et historiques sur les aphrodisiaques (Taberner, 1985 ; Money, Leal et Gonzalez-Heydrich, 1988 ; Müeller-Ebeling et Rätsch, 1993 ; Rätsch, 2001). L’une des substances les plus répandues est le cannabis sativa (marihuana, chang, haschich, charis, ganja et kif). Connue depuis des millénaires, cette plante se retrouve dans plusieurs régions du monde et son usage à des fins religieuses et récréatives est fréquent.

Dans le tantrisme (Rawson, 1973), on retrouve, entre autres, un rituel fondé sur la relation érotique, la maithuna, dont l’objectif essentiel est d’atteindre, à travers la maîtrise des pulsions sexuelles à un état de conscience de l’unité de l’univers et l’union avec la divinité. Dans ce contexte, le cannabis, après avoir été mélangé à d’autres produits (lait, sucre, poivre, etc.), est fumé ou ingéré par les deux partenaires, ce qui augmente l’intensité de l’extase sexuelle. C’est aussi le cas dans le monde musulman, de l’Afrique du Nord au Moyen-Orient, où il peut être mélangé à de l’opium et d’autres substances à des fins sexuelles plus hédoniques.

L’usage du cannabis s’est prolongé dans le monde contemporain et les effets de la marihuana sur la sexualité suggèrent qu’elle amplifie le désir, le plaisir corporel et orgastique, qui devient plus diffus. Elle contribue à la satisfaction sexuelle, en particulier chez les usagers les plus réguliers, mais ces effets varient selon la dose et la durée de la pratique (Lewis, 1970 ; Abel, 1985 ; Buffum et coll., 1988 ; Money et coll., 1988 ; Paradis, 1998 ; Mckay, 2005). Des entrevues réalisées auprès de consommateurs de marijuana indiquent des effets marqués sur l’érotisme qui se manifeste par plusieurs indices. En réduisant les inhibitions, en amplifiant la relaxation, elle contribue à une plus grande spontanéité dans l’expression érotique, élargissant l’exploration du répertoire corporel. La transformation du rapport au temps, qui semble se dilater, accentue la valeur de chacun des gestes et des touchers. La sensibilité et l’attention envers un partenaire augmentent, accompagnées d’un sentiment de fusion émotive et corporelle accentué. L’orgasme, qui devient secondaire dans l’interaction, s’intensifie et se prolonge (Lewis, 1970).

Les études quantitatives confirment que ce sont moins les fonctions physiologiques sexuelles (érection, lubrification, etc.) qui sont affectées, mais plutôt les aspects comme le plaisir, la qualité de l’orgasme et la satisfaction sexuelle (Halika, Weller et Morse, 1982 ; Crenshaw et Goldberg, 1996). Ces effets ne sont pas présents chez tous les usagers, ce qui suggère qu’ils dépendent de la personnalité de l’usager et du contexte d’utilisation ; de plus les répercussions à long terme sont très peu connues (Mckay, 2005). Johnson et coll. (2004) ont aussi démontré une association entre la consommation de cannabis, la dyspareunie et l’inhibition de l’orgasme. Pour les personnes atteintes de sclérose en plaque, le cannabis semble améliorer les dysfonctions sexuelles induites par la maladie (Consroe et coll., 1997). Ces résultats démontrent les effets perturbateurs contradictoires induits par cette substance.

Dans l’Inde ancienne, le Rg Veda, un recueil de textes religieux datant de plusieurs millénaires, rapporte l’usage rituel du soma, un champignon sacré qui, mélangé à du miel et du lait, provoquait des états extatiques et contribuait à l’amplification des réactions érotiques. Ce soma serait, selon une hypothèse de Wasson (1968), le champignon amanite tue-mouches (amanita muscaria) que l’on retrouve dans d’autres contextes tels que les rites chamaniques sibériens.

Sur le continent nord-américain, le peyote ou peyotl (lophophora Williamsii) était valorisé parmi plusieurs groupes du Mexique préhispanique, en particulier pour ses effets érotiques intenses. Quant au datura, le plus souvent employé dans un contexte divinatoire, d’initiation et de diagnostic des maladies, mais aussi pour ses propriétés aphrodisiaques, on en retrouve l’usage chez les Indiens Huichols et les Tarahumaras, des groupes localisés dans l’État de Guerrero au Mexique, les Amérindiens de Virginie, du Nouveau-Mexique et de Californie. L’expérimentation de cette drogue par des chercheurs a montré des effets comme une immersion dans l’ici-maintenant associé à une réduction des inhibitions, une augmentation de la sensibilité corporelle ainsi que la prolongation des réactions sexuelles et de la réponse orgastique (Muller-Ebeling et Rätsch, 1993).

Plusieurs groupes de l’Amazonie occidentale et des régions situées le long de la côte du Pacifique, entre la Colombie et le Pérou, font usage du yagé ou ayahuasca (banisteriopsis caapi) dans le cadre de rituels chamaniques, touchant en particulier la guérison des maladies, mais à de faibles doses, il est consommé essentiellement par les hommes qui obtiendraient ainsi de fortes réactions érectiles et des orgasmes fréquents.

Les mouvements religieux autochtones de l’Afrique de l’Ouest subsaharienne associés à des cultes de fertilité ont recours à l’écorce des racines de l’arbre tabernanthe Iboga, d’où dérive l’ibogaïne. À dose normale, la drogue agit comme un tonique, en créant un sentiment de légèreté, mais, à plus forte dose, elle modifie la perception corporelle, augmente l’acuité auditive et visuelle et provoque des visions. Appréciée pour ses qualités énergétiques, elle contribuerait à prolonger les performances sexuelles.

Parmi les opiacés, l’opium, extrait du pavot (papaver somniferum) occupe une place significative dans plusieurs cultures (Rätsch, 2001). « Plante de la joie » ou « plante diabolique », ses propriétés pharmacologiques (narcotiques, sédatives, analgésiques) sont rapportées dans plusieurs civilisations (européennes, méditerranéennes, moyen-orientales, asiatiques et mexicaines). Il est aussi réputé pour ses effets aphrodisiaques qui amplifient les images et les fantasmes érotiques ainsi que la sensibilité corporelle et la réponse sexuelle. Au Mexique, les feuilles séchées du pavot épineux étaient fumées à cette fin alors qu’en Chine, il était souvent mélangé au ginseng et au musc pour augmenter ses propriétés. Dans le monde oriental et arabe, les « pilules de joie », qui incorporent aussi du chanvre et des épices étaient utilisées comme aphrodisiaques puissants, alors qu’au Moyen Âge, associé à la déesse Aphrodite, l’opium entrait dans la composition des philtres d’amour et des potions.

L’usage de l’opium s’est prolongé avec ses dérivés, la morphine et l’héroïne dont les effets sur la sexualité ont été évalués (Abel, 1985 ; Crenshaw et Goldberg, 1996). Ils semblent ainsi avoir des répercussions problématiques sur les fonctions sexuelles des hommes (réduction du désir sexuel, dysfonctions érectiles, éjaculation retardée et difficultés à atteindre l’orgasme) chez de nombreux hommes, alors que les femmes expérimentent une baisse de libido, une réduction de l’activité sexuelle et des dysfonctions sexuelles prononcées.

Dominante dans les grandes civilisations précolombiennes sud-américaines, bien que combattue par les conquérants espagnols, la feuille de coca continue de servir aujourd’hui à supprimer les sensations de faim, de soif, de fatigue ou de froid. Utilisée par les chamans dans leurs voyages extatiques, la coca servait aussi à des pratiques divinatoires dans le domaine amoureux et comme aphrodisiaque. Le dérivé de la coca, la cocaïne, un stimulant du système nerveux central et périphérique, provoque des sentiments de bien-être, d’euphorie et d’acuité. Ces conditions peuvent intensifier le désir sexuel, la sensualité et retarder l’éjaculation (Rosen, 1991 ; Peugh et Belenko, 2001), mais son usage à long terme entraîne des dysfonctions sexuelles significatives chez une majorité d’usagers (MacDonald, Waldorf, Reinarman et Murphy, 1988 ; McKay, 2005). La cocaïne, sous la forme de crack, semble avoir des effets contradictoires sur la sexualité (Wetherby, Shultz, Chitwood et coll., 1992 ; Henderson, Boyd et Whitmarsh, 1995). Si une grande majorité de répondants, hommes et femmes, ont expérimenté une baisse de désir, une plus grande incapacité à atteindre un orgasme ainsi que des dysfonctions sexuelles chez les femmes, d’autres rapportent des effets inverses. Plusieurs études ont par ailleurs montré que la consommation de crack-cocaïne contribuait à des conduites sexuelles à risque face au VIH/sida et aux infections transmissibles sexuellement (ITS) (Jones, Irwin, Inciardi et coll.,1998 ; Ross, Hwang, Zack, Bull, Williams, 2002 ; Maranda, Han et Rainone, 2004).

Le tabac, quant à lui, occupe une place particulière dans ce tableau, puisqu’il peut agir comme une substance hallucinogène, stimulante, déprimante, tranquillisante ou comme un relaxant musculaire. Fumé, bu en décoction, mâché, léché, reniflé ou pris en lavement, il se retrouve dans plusieurs régions du monde (Afrique, Moyen-Orient, Asie centrale). Depuis des siècles, les groupes antillais et sud-américains ont utilisé le tabac comme hallucinogène, à des fins magico-religieuses, en particulier dans les rituels chamaniques ou pour des occasions cérémonielles comme les rites d’initiation et le mariage. Employé par les groupes autochtones d’Amérique du Nord, il se diffuse en Europe après 1492 où on lui attribue des propriétés médicales et aphrodisiaques avant qu’il devienne, avec la cigarette, l’un des produits de consommation les plus répandus dans le monde, avec des effets addictifs très importants. Les études contemporaines indiquent que l’usage de la cigarette entraîne des dysfonctions érectiles majeures dépendantes du nombre de cigarettes fumées et de la durée de la consommation (McKay, 2005 ; Gades, Nehra, Jacobson et coll., 2005). Peu d’études ont porté sur les habitudes tabagiques sur la sexualité féminine mais d’après Mckay (2005), le tabac pourrait aussi affecter négativement le fonctionnement sexuel des femmes.

Substances psychoactives de synthèse et sexualité

À part ces plantes et les produits qui en dérivent, d’autres substances sont employées pour leurs effets psychédéliques et elles ont pour corollaire des effets érotiques variables (Hautefeuiile et Velea, 2002). Parmi celles-ci, on peut d’abord faire mention de l’acide lysergique ou LSD 25 dont les effets psychoaffectifs avaient été mis à jour par Hoffman qui en avait effectué la synthèse en 1938. Dans les années 1960, cette drogue se répand parmi les tenants de la contre-culture, influencés par deux professeurs de l’Université Harvard, Richard Alpert et Timothy Leary. Ces derniers la considéraient comme l’un des outils essentiels dans la transformation des valeurs socioculturelles associées à ce mouvement de revendications, dont le slogan dominant était le fameux Faites l’amour, pas la guerre.

Ses effets psychédéliques comprennent une amplification de tous les sens, une distorsion de l’espace et du temps, qui peut s’accompagner d’un sentiment d’éternité. Les couleurs prennent une profondeur insoupçonnée et l’utilisateur expérimente une union avec un grand Soi ainsi qu’avec le monde extérieur et les personnes. Les effets d’euphorie et d’extase peuvent être contrebalancés par des expériences plus négatives associées à des épisodes d’anxiété, de confusion et des hallucinations. Dans son livre polémique, La politique de l’extase (1973), Leary souligne la surstimulation des sens que le LSD entraîne : « Le réveil des sens est l’aspect le plus fondamental de l’expérience psychédélique, l’ouverture des yeux, la mise à nu du toucher, l’intensification de l’ouïe, de l’odorat et du goût revivifiés » (p. 27). Cette exacerbation se prolonge dans le champ érotique, entraînant une multiplication des points érogènes qui s’étendent à l’ensemble du corps, tandis que le sentiment d’extase et de fusion prédomine. Leary, dans une interview, définit ainsi l’expérience érotique associée au LSD de la façon suivante (p. 146-148) :

« Le toucher devient électrique aussi bien qu’érotique. Je me souviens d’un moment, au cours d’une séance, où ma femme se pencha vers moi et toucha légèrement la paume de ma main avec son doigt. Immédiatement une centaine de milliers de terminaisons nerveuses explosèrent dans ma main en un doux orgasme. Une énergie extatique palpita le long de mon bras et fusa jusqu’à mon cerveau, où une autre centaine de milliers de cellules explosèrent en un plaisir pur et délicat... [...]. Vague après vague des courants de ravissement éthérés, délicats, frémissants, circulaient de son doigt à ma main... [..]. Le LSD libère une énorme quantité d’énergie de toutes les fibres de votre corps et, plus particulièrement, l’énergie sexuelle. Il est indiscutable que c’est le plus puissant aphrodisiaque que l’homme ait découvert. »

D’autres travaux menés auprès d’usagers du LSD confirment que cette drogue amplifie le plaisir érotique, en particulier sur le plan du toucher sans cependant améliorer de façon significative l’érection ou la maîtrise de l’éjaculation, mais ces effets dépendent des doses. Lorsque les doses sont faibles, les répercussions érotiques sont les plus évidentes, mais ces dernières disparaissent en présence de doses plus fortes, les expériences psychédéliques intenses prenant alors le dessus sur les autres aspects (Abel, 1985).

Les amphétamines, synthétisées en 1927, et utilisées pour améliorer les performances quotidiennes et comme euphorisants, constituent une autre classe de drogues qui peuvent affecter les fonctions sexuelles (Greenspoon et Hedblom, 1975). À forte dose, elles créent des sentiments d’euphorie, d’énergie et de confiance, mais des effets secondaires apparaissent après un usage répété : fonctionnement mental désorganisé, hallucinations et délires paranoïaques qui peuvent s’accompagner de comportements antisociaux et agressifs. Leurs effets sexuels, à faibles doses, sont notables avec une augmentation de la libido, y compris chez les femmes, du maintien des érections et du contrôle de l’éjaculation. Par contre, à des doses moyennes, ces substances entraîneraient des dysfonctions sexuelles (incapacité à atteindre une érection ou un orgasme, absent aussi chez les femmes) alors qu’à des doses plus élevées, l’activité sexuelle peut cesser, ce qui survient aussi lorsque l’usage devient routinier.

Les méthamphétamines (crystal meth, drogues de party ou de clubs), ingérées, fumées, prisées ou injectées ont des effets semblables aux autres amphétamines et elles auraient un effet aphrodisiaque en augmentant le désir sexuel et les sensations tout en réduisant les inhibitions (Degenhardt et Topp, 2003 ; Semple, Patterson et Grant, 2002). Selon Mckay (2005 : 51), la « méthamphétamine ne vise pas indépendamment ou directement des aspects spécifiques du cycle de la réponse sexuelle. Plutôt, parce que la métamphétamine est un puissant stimulant du système nerveux, elle amplifie le sentiment de bien-être et l’excitation, ce qui, comme résultat, entraînerait l’intensification des expériences sexuelles ». À long terme, des dysfonctions érectiles peuvent apparaître (Frosch, Shoptaw, Hubert et coll., 1996), tout comme des éjaculations retardées ou des orgasmes différés chez les femmes (Peugh et Belenko, 2001).

Quant au MDA (Méthylènedioxyamphétamine) connue sous le nom d’ecstasy et sa variante, la MDEA (methylène-dioxythyl-amphétamine), elles amplifient l’énergie et l’état de veille et elles sont utilisées dans les raves pour faciliter l’euphorie, l’empathie et la sociabilité, mais aussi dans le contexte religieux monastique pour faciliter les expériences mystiques (Saunders, 2000). Leurs répercussions sexuelles se font sentir sur le plan de la proximité affective qui est alors amplifiée, tout comme la sensibilité, sans toutefois toujours entraîner des relations sexuelles. Pour d’autres usagers, le désir, l’excitation sexuelle, tout comme la satisfaction sexuelle sont intensifiés (Zemishlany, Aizenberg, et Weizman, 2001 ; McElrath, 2005 ; Schilder, Lampinen, Miller et Hogg, 2005). D’autres recherches (Beck et Rosenbaum, 1994 ; Comer, 2004) indiquent cependant que l’usage de l’ecstasy peut entraîner des dysfonctions érectiles et un orgasme retardé, bien que plus intense chez les hommes et les femmes (Zemishlany, Aizenberg et Weizman, 2001).

On retrouve aussi dans le contexte des raves, l’usage du 2CB (2,5-diméthoxy-4-bromo-phényléthylamine) connu sous les noms de Nexus, Éve, Vénus, Érox. Cette substance, dont la formule chimique se rapproche de la mescaline, a des propriétés aphrodisiaques très importantes et elle augmente le désir et la performance sexuels alors que la 5-MeO-DIPT (N, Ndiisopropyl5-méthoxytryptamine) est hautement aphrodisiaque (Hautefeuille et Véléa, 2002).

Les nitrites volatiles (poppers), comme les nitrites d’amyl développés dans la moitié du XIXe siècle, sont utilisés en inhalation pour augmenter le plaisir sexuel. À partir des années 1970, ils sont devenus l’une des drogues récréatives les plus répandues, en particulier dans le milieu homosexuel. Selon Lowry (1982), Gillman, Mark et Lichtigfeld (1983), ces produits constituent des aphrodisiaques qui contribuent à amplifier l’expérience de l’orgasme et l’accompagnent d’effets psychédéliques. Chez les femmes, cet usage contribue à l’augmentation de l’excitation sexuelle et des effets des fantasmes sexuels, en plus d’aider à réduire les tensions au niveau des zones génitales et à augmenter l’attention sur leur désir et sur le déroulement de l’activité sexuelle.

De nombreuses autres drogues récréatives disponibles sur le marché ont aussi des retombées sexuelles, mais peu d’études leur ont été consacrées (Buffum, Moser et Smith, 1988). Parmi celles-ci, on peut relever les PCP (phencyclidine, angel dust, fairy dust, peace pill, cristaux) qui peuvent être ingérés, inhalés, prisés, fumés ou injectés par voie intraveineuse. Hautement toxiques, ils ont des effets variables, selon la dose, psychédéliques, anesthésiants, analgésiques ou stimulants. La kétamine, proche des PCP (Spécial K, vitamine K, Ket, Ketty, Kit kat) est prisée, avalée ou injectée par voie intramusculaire. Ses effets sont variables et elle peut agir comme déprimant, stimulant, hallucinogène ou analgésique, avec des effets fluctuants sur la sexualité.

Le GHB (gamma-hydroxybutyrate) est un déprimant puissant du système nerveux central. À faibles doses, il entraîne des effets de relaxation, de l’euphorie, une réduction des inhibitions, une amplification de la sensibilité et de la sexualité, alors qu’à plus hautes doses, et à cause de ses propriétés sédatives, il est souvent utilisé, comme la kétamine, à des fins d’agression sexuelle, car il induit des états de vulnérabilité ou d’inconscience et des pertes de mémoire chez les victimes.

Le GHB n’est pas la seule drogue impliquée dans les agressions sexuelles, l’alcool jouant aussi un rôle important, tout comme le cannabis, les benzodiazépines et la cocaïne interviennent dans les contextes de coercition sexuelle (Péclet, 2003). Les études indiquent que 50 % des agressions sexuelles chez les jeunes seraient associées à la consommation d’alcool et de drogues. Au Québec, le GHB n’interviendrait que dans 0,5 % des cas d’agression sexuelle, mais pour les jeunes collégiens, l’alcool et le GHB sont perçus comme les drogues les plus fréquemment employées dans ce contexte (Perreault, Bégin, Michaud et Denoncourt, 2005). Cette importance du GHB s’expliquerait par la couverture médiatique entourant cette drogue. Une recension des écrits portant sur les liens entre drogues et agressions sexuelles (Tourigny et Dufour, 2000) montre que plus de 50 % des agresseurs sexuels impliqués dans des viols avaient consommé des drogues et de l’alcool avant leur acte. Des pourcentages semblables se retrouvent dans le contexte des relations amoureuses tant chez les agresseurs que les victimes. Les recherches sur les agressions sexuelles sur les enfants et les adolescents indiquent aussi que l’alcool et les drogues sont fréquemment utilisés par un parent ou des membres de la famille.

Ces drogues peuvent aussi avoir des répercussions problématiques sur la santé sexuelle en augmentant les comportements sexuels à risque de transmission du VIH/sida et des IST, en particulier dans les populations homosexuelles et bisexuelles. Ainsi, il semble que plus la consommation de drogues et d’alcool est élevée, plus les conduites sexuelles à risque sont fréquentes (Vanable, Ostrow, McKirnan, Taywaditep et Hope, 2000 ; Stall et Purcell, 2000 ; Mansergh, Colfax, Marks, Rader, Guzman et Buchbinder, 2001). L’usage des poppers, de la cocaïne et des méthamphétamines a été aussi fortement associé à des activités sexuelles à risque (Chesney, Barrett et Stall, 1998 ; DiFranceisco, Ostrow et Chmiel, 1997 ; Gorman, Purcell et coll., 2000 ; Kalichman, Tannenbaum et coll.,1998). Quant à l’ecstasy, les études ethnographiques suggèrent qu’en inhibant l’activité sexuelle, cette drogue réduirait les risques (Southgate et Hopwood, 1999 ; ACT, 2001), alors que d’autres recherches quantitatives montrent des effets inverses lorsqu’elle est fréquemment employée (Topp, Hando et coll., 1999 ; Klitzman, Pope et Hudson, 2000 ; Novoa, Ompad, Wu, Vlahov et Galea, 2005). L’étude de Hammersley, Khan et Ditton (2002) suggère par ailleurs que les effets sur la sexualité varient en fonction du niveau de consommation, les usagers plus « accrocs » ayant plus d’activités sexuelles et utilisant moins le condom.

Les médicaments et la sexualité

Avec le développement de l’industrie pharmaceutique, de nombreux médicaments ont été mis sur le marché et, bien que la grande majorité ne ciblait pas directement la sexualité, des effets à ce plan ont été découverts pour plusieurs d’entre eux et ils font souvent partie aujourd’hui des drogues récréatives illicites, après un usage d’abord détourné. Ainsi, la Méthaqualone (Quaalude), un médicament d’abord développé contre la malaria, puis reconnu pour ses propriétés sédatives/hypnotiques, est devenue par la suite la « drogue yuppie» dans les années 1970. Elle se retrouve ainsi dans le circuit des drogues illicites où elle est plus appréciée que la marijuana pour ses effets aphrodisiaques. À cause de ses effets euphoriques, relaxants et anxiolytiques, elle favoriserait la sensibilité corporelle, l’érection et retarderait l’atteinte de l’éjaculation et de l’orgasme, bien que ces répercussions diminuent avec l’usage (Abel, 1985 ; Crenshaw et Goldberg, 1996).

Les études sur les autres classes de médicaments, antihypertenseurs et antidépresseurs montrent que dans leur très grande majorité, ils contribuent aux dysfonctions sexuelles en réduisant le désir, l’excitation et l’orgasme (Galbraith, 1991 ; Crenshaw et Goldberg, 1996 ; Margolese et Assalian, 1996 ; Ferguson, 2001 ; Baldwin, 2004). Ces effets sont particulièrement dus aux inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine qui pourraient entraîner des dysfonctions sexuelles chez 30 % à 60 % des patients (Gregorian, Golden, Bahce, Goodman et coll., 2002). Les nouvelles molécules comme le bupropion, la moclobemide, le nefazodone (retiré du marché canadien) et la reboxetine affecteraient moins les fonctions sexuelles ou même les amélioreraient (Ferguson, 2001 ; Baldwin, 2004). Ainsi la trazodone augmenterait la libido chez les hommes et les femmes, favoriserait les érections, mais aussi le priapisme, et retarderait l’orgasme ou l’éjaculation. Le bupropion semble améliorer les troubles du désir, les dysfonctions érectiles et l’anorgasmie. Il augmenterait le niveau d’excitation, l’intensité et la durée de l’orgasme et réduirait les éjaculations anhédoniques (Crenshaw et Goldberg, 1996 ; Modell, Katholi, Modell et DePalma, 1997). Moins de 10 % des patients souffriraient de dysfonctions sexuelles à la suite de la prise de bupropion ou de nefazodone (Gregorian, Golden, Bahce, Goodman et coll., 2002).

Quant aux benzodiazépines (anxiolytiques), ils contribueraient, à forte dose, à la baisse du désir, à des dysfonctions dans l’excitation et la réponse orgasmique (Landry, 2001), alors qu’à faibles doses, en réduisant l’anxiété, ils pourraient aider à atténuer les dysfonctions sexuelles de type psychogène.

Depuis les années 1980 (Lévy et coll., 2005), on assiste cependant à des efforts de recherche pharmacologique orientés directement vers le traitement des dysfonctions sexuelles masculines. Ainsi, de nombreux produits (phentolamine, papavérine, yohimbine, prostaglandine, testostérone, DHEA, chlorhydrate d’apo-morphine, etc.) ont été testés et certains mis sur le marché avec des succès mitigés. C’est avec le sildénafil, sous le nom de Viagra, que le médicament principal pour le traitement des dysfonctions sexuelles masculines a été mis au point par la compagnie Pfizer, révolutionnant le champ de la sexualité. D’abord testé contre l’angine de poitrine, les effets du Viagra sur les érections ont réorienté l’évaluation de la molécule vers ses propriétés sexuelles, puis la mise en marché du médicament a suivi en 1998. D’autres médicaments similaires ont depuis été développés comme le Levitra et le Cyalis.

Les études montrent que, malgré certains effets indésirables comme le priapisme, le Viagra réduit les dysfonctions érectiles et augmente la satisfaction sexuelle. Néanmoins, aujourd’hui le recours au Viagra ne se limite plus aux prescriptions médicales, mais il devient aussi un produit récréatif, en vente sur le marché de la drogue mais aussi sur Internet. Des enquêtes montrent que le Viagra est aujourd’hui utilisé pour contrebalancer les effets anerectiles de l’ecstasy ; il peut aussi être mélangé à d’autres substances (cocaïne, LSD, marijuana, alcool, poppers), ce qui pourrait entraîner des conséquences sur la santé des utilisateurs. Dans le cas du mélange avec des poppers, des problèmes de tension artérielle et des crises cardiaques pourraient survenir. Aux États-Unis, parmi les hommes gais, la fréquence d’usage varierait selon les études mais elle reste significative : 12 % selon Purcell et coll., (2002), 16 % selon Crosby et DiClemente (2005) et 32 % selon Kim et coll. (2002), alors que ce chiffre serait de 7 % chez les hommes hétérosexuels. Au Québec, selon les réponses à des questionnaires placés sur un site de prévention du VIH/sida, RÉZO, ciblant des hommes gais, ce pourcentage serait de 8,6 % (Dumas et coll., 2005). L’usage du Viagra se retrouve aussi chez les jeunes de 18 à 25 ans et 6 % d’entre eux y auraient recours, souvent sans supervision médicale et en combinaison avec des drogues récréatives (Musacchio, Hartrich et Garofalo, 2006). Ces chiffres indiquent que le Viagra échappe à la régulation médicale pour devenir un objet d’auto-médication, employé dans des contextes problématiques qui s’éloignent de ses fonctions biomédicales, une tendance qui pourrait aller en s’accentuant.

Conclusion

Ce survol de l’utilisation des plantes, des drogues et des médicaments à des fins sexuelles suggère qu’ils ont occupé et occupent une place importante dans les modulations de la sexualité et de l’érotisme. Ils provoquent des effets variables sur les différentes dimensions de la sexualité (désir, excitation, réponse sexuelle, sensibilité corporelle et génitalité) qui dépendent du contexte, de la dose et de la durée d’utilisation.

Contrairement aux sociétés plus traditionnelles et les grandes civilisations, où les dimensions mythiques et religieuses sous-tendent l’usage de plantes psychoactives à des fins sexuelles, dans les sociétés modernes, ce sont les objectifs hédoniques et, à un moindre degré, ceux orientés vers des fins d’exploitation sexuelle qui dominent.

Néanmoins, la quête d’états de conscience altérés continue d’être poursuivie pour amplifier l’euphorie, l’empathie et la sociabilité et permettre ainsi l’établissement de rapports sociosexuels plus détendus, sans éliminer totalement les fonctions extatiques ou mystiques dont on retrouve des références dans les témoignages expérientiels. Cette quête se prolonge avec l’usage des substances de synthèse qui n’est pas sans avoir des répercussions multiples sur l’expression de la sexualité, depuis la simple détente jusqu’aux effets directs sur la réponse sexuelle, en plus d’être employées dans le contexte des agressions sexuelles.

Paradoxalement, dans le champ de la pharmacologie moderne, les médicaments pour améliorer les fonctions sexuelles ont tardé à être développés et la plupart des substances ont plutôt des effets négatifs sur la sexualité. C’est avec le Viagra que l’on a accédé récemment à des traitements plus directs des dysfonctions érectiles, mais comme dans le cas pour les autres substances médicamenteuses, on constate le détournement de ces médicaments à des fins récréatives, non sans conséquences problématiques sur la santé. Les développements pharmacologiques entraîneront sans nul doute l’apparition de nouveaux produits aux effets érotiques plus spécifiques, amplifiant la technologisation de la fonction sexuelle (Lévy, Garnier et Thoër-Fabre, 2006).

Il reste cependant que tout le champ des rapports entre drogues, médicaments et sexualité demande à être mieux compris. Comme le soulignent Rowland et Tai (2003), il est nécessaire de bien distinguer les composantes sexuelles affectées, et ce, en tenant compte du sexe, de dégager l’effet placebo, d’évaluer précisément les mesures physiologiques et hormonales, de distinguer les effets généraux sur la santé de ceux touchant spécifiquement la réponse sexuelle.

Un vaste programme de recherches serait donc à mettre en place pour mieux saisir ces modulations. Dans cette perspective, il serait ainsi important de privilégier, une perspective comparative et interdisciplinaire, faisant appel à des méthodologies de type ethnographique et à des approches qualitatives et quantitatives qui pourraient aider à mieux saisir les usages des substances et leurs répercussions sur les différentes dimensions de la sexualité.