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Dans la foulée de la tradition française d’études brésiliennes, Xavier Arnauld de Sartre contribue avec ce livre à la compréhension des dynamiques paysannes présentes et passées d’Amazonie. S’attardant à démontrer la nouvelle pluralité des modes de vie paysans dorénavant à disposition des enfants des colons amazoniens, l’auteur explore la dichotomie continuité/rupture de l’histoire des migrations paysannes vers le nord du Brésil en y juxtaposant la réalité des jeunes ruraux d’Amazonie d’aujourd’hui. Tiraillée entre les lumières de la ville et la tradition paysanne de travail sur la terre familiale, la relève agricole semble bien informée des options de vie et suffisamment outillée, dans le cas de ceux qui choisissent la même vie que leurs parents, pour transformer la petite exploitation familiale en entreprise agricole. Nous pourrions dire que l’exposé de Xavier Arnauld de Sartre explique avec moult détails cette crise résultant des choix difficiles qu’ont à faire les jeunes ruraux, la nouvelle importance accordée à l’éducation comme moyen d’ascension sociale et le passage d’une agriculture de subsistance à l’entreprenariat agricole où les rendements et la productivité font l’objet d’un nouveau calcul influençant les prises de décision à la ferme. Cette étape charnière à laquelle fait face le monde rural amazonien est typique de ce que connaissent de nombreuses régions rurales, confrontées à l’exode des jeunes, ailleurs dans le monde. En soi, ceci n’a rien de nouveau si ce n’est que pour le territoire sur lequel porte cette étude : les fronts pionniers de l’est de l’Amazonie. La question que se pose l’auteur est « Y a-t-il émergence d’un monde rural en arrière des fronts pionniers ? ».
Dans un premier temps, l’auteur prend soin de contextualiser la construction des fronts pionniers en identifiant les phases de défrichement des terres dans l’histoire de l’Amazonie. Une première phase, à partir de 1966, débuta avec la construction de la route Transamazonienne sous le gouvernement militaire brésilien. Celle-ci avait pour but de permettre l’occupation des terres du nord afin de légitimer la juridiction du Brésil sur une Amazonie convoitée par la communauté internationale désireuse de la protéger et de gérer l’utilisation de ses ressources. Ces routes ouvrirent la voie aux colons sans terre en partance du sud du pays et du nordeste, aux garimpeiros (orpailleurs) et aux seringueiros (collecteurs de sève d’hévéas, l’arbre à caoutchouc). Une deuxième phase, allant de 1974 à 1978, davantage orientée vers la production agricole d’exportation, favorisa l’installation de grands propriétaires terriens (fazendeiros) se consacrant à l’élevage et à la culture du soja. Ces derniers prirent fréquemment possession des terres défrichées par les premiers colons après un certain temps. Une troisième phase a cours aujourd’hui, essentiellement basée sur la dynamique agriculture/grands travaux d’infrastructures dans la perspective d’intégration économique régionale. Sous le vocable d’IIRSA, l’Initiative d’Intégration de l’Infrastructure Régionale en Amérique du Sud, celle-ci suppose la création de grands corridors routiers et océaniques ayant pour but de relier des villes et des sous-régions de l’intérieur du continent sud-américain au réseau du commerce international. Est associée à cette phase la consolidation de certains titres de propriété visant la reconnaissance des droits d’accès à la terre aux autochtones et le droit d’usufruit des populations locales sur de grandes étendues. C’est dans ce contexte que la consolidation d’un monde rural en arrière des fronts pionniers serait possible. Cependant, le spectre d’une crise agricole plane étant donné la carence éventuelle d’une relève agricole.
Dans un deuxième temps, la méthodologie d’enquête déployée par l’auteur fait état d’une connaissance approfondie de ces dynamiques et des perceptions que les colons ont de la crise agricole, compréhension facilitée par les nombreux extraits de verbatim reproduits. Un échantillon de 86 familles avec un total de plus de 500 enfants a été construit pour les fins de l’enquête, ce qui représente un potentiel d’étude non négligeable. Cependant, la place réservée à l’analyse socioanthropologique semble démesurée par rapport à celle du potentiel biophysique agricole du milieu et à celle des conséquences sur la gestion des communautés locales. En se centrant sur l’échelle des maisonnées, l’auteur semble négliger les autres échelles d’analyse géographique qui auraient permis d’avoir une meilleure idée de la gouvernance territoriale de la région étudiée. En fait, la région est trop peu souvent mentionnée, alors que dans son introduction, l’auteur avait pourtant annoncé une étude de construction de la région des fronts pionniers. La pertinence de la multiplication des verbatims et de l’utilisation de certains sous-thèmes (tel le mariage paysan qui fait l’objet d’un exposé extensif) peut être questionnée alors que certains de ces choix paraissent peu contributoires à l’argumentaire principal qui est la compréhension du rapport à l’espace des sociétés rurales étudiées.
Alors que la présentation des résultats d’enquête et la mise en discours des logiques paysannes sont appréciables, somme toute, il semble que des exemples-types auraient pu être choisis pour illustrer la trajectoire de certains groupes représentatifs. D’ailleurs, l’effort de classification de la relève agricole est apprécié, mais arrive bien tardivement dans l’ouvrage. Quant aux liens sommairement évoqués avec la théorie sociale dans la section de l’interprétation des résultats, le lecteur averti aurait souhaité voir davantage une explication nuancée quant à la construction du sujet social rural et à d’autres concepts qui parsèment, sans plus, les propos de l’auteur.
Bref, un ouvrage qui, par sa minutie et son détail, permet de connaître les logiques décisionnelles des paysans dans leur quotidien, mais qui omet de dégager leurs significations aux autres échelles territoriales, comme la communauté et la région, et qui ne permet pas d’entrevoir l’avenir de la région étudiée. Par le manque d’attention porté aux spécificités du territoire, cette étude pourrait se dérouler dans n’importe quel autre milieu rural, sur n’importe quel autre front pionnier de la planète. Alors que l’auteur réussit à lever le voile sur ce qui pouvait être perçu comme une homogénéité paysanne, en montrant les différents modes de vie paysans et la modernisation des sujets ruraux, son traitement indifférencié de l’espace provoque l’effet inverse, soit de rendre l’espace du bassin amazonien isomorphe. Ce qui, du fait, ne reflète pas sa complexité.