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Introduction

Depuis toujours, de nombreuses populations du monde vivent en contact étroit avec les zones arides, utilisent leurs ressources naturelles et gèrent l’eau de diverses manières. Cette relation étroite et ancienne a fait naître des structures et des liens culturels forts qui ont évolué selon les dynamiques sociales. L’eau et les milieux arides façonnent depuis longtemps la vie des êtres humains. Durant ces dernières décennies, d’importantes transformations ont touché les différents espaces composant le territoire national algérien (littoral, montagne, steppe, Sahara). Les oasis algériennes représentent un bon exemple de ces problèmes. Un essai de typologie d’oasis du Maghreb, assez intéressant, a été proposé par Richter (1995) où quatre grands groupes se dégagent.

  • Le premier, assez rare au Maghreb, représente les oasis sur source au pied d’une montagne ; il se rencontre dans les espaces présahariens (Anti-Atlas) ou sahariens (Hoggar).

  • Le second groupe englobe les oasis sur rivière ; il se retrouve principalement au Maroc, au sud du Haut Atlas (Drâa, Ziz et Rgeris), plus loin dans l’Atlas saharien de l’Est algérien (El Biod), sur les Aurès, et en Tunisie, à Tamerza et Midès.

  • Le troisième groupe comprend les oasis sur nappe phréatique ; des exemples de ce type d’oasis se trouvent à Djanet, dans le Tassili N’Ajjer en Algérie, ou à Djerba en Tunisie.

  • Quant au quatrième groupe, qui nous intéresse le plus, il s’agit principalement d’une utilisation d’eau fossile contenue dans des bassins aquifères sous pression (complexe terminal et continental intercalaire), qui sort naturellement à la surface du sol, ou qui est artificiellement récupérée à l’aide de système de foggaras.

De tels systèmes sont présents sur le Djrid tunisien ou dans le Tafilalet, à Tinghir au Maroc, et bien représentés en Algérie, dans la wilaya d’Adrar qui fait l’objet de notre recherche.

Les espaces oasiens d’Adrar constituent un bon exemple à étudier. Ils peuvent être un cas d’école pour l’analyse de l’impact des transformations socioéconomiques sur le milieu naturel, en vertu de la fragilité de ce milieu et des spécificités environnementales qui interviennent dans son évolution. L’exploitation maximale des ressources naturelles pour subvenir aux besoins des populations a entraîné des problèmes écologiques sérieux. Par ailleurs, la perte du savoir-faire dans la gestion traditionnelle hydraulique ainsi que l’introduction de techniques modernes dans l’exploitation de l’eau ont fortement perturbé l’écosystème oasien. Au début des années 1980, avec l’introduction de la technique de forage pour exhaurer l’eau, le système oasien est entré dans une nouvelle ère de prospérité qui a engendré un bouleversement dans les modes de production, dans les choix technologiques et dans la vie socioéconomique des oasiens. Ce développement a perduré jusqu’au tarissement des principales sources d’eau, qui a marqué le début d’une nouvelle période de pénurie.

Les oasis de la région d’Adrar abritent une population importante et se caractérisent par un système de production millénaire très diversifié et fortement intensif, mais qui a été largement fragilisé, ces dernières années. En effet, de nombreuses menaces pèsent sur le devenir des oasis et nous amènent à questionner leur durabilité. Notre principal objectif, dans ce travail, sera de repérer les dynamiques contemporaines des relations entre milieux et sociétés dans les oasis de la région d’Adrar, lesquelles remettent en question l’avenir de ces zones spécifiques.

De ce point de vue, la principale menace s’avère la diminution des ressources en eau, un facteur aggravant dans la vie oasienne. L’une des causes de cette diminution est la surexploitation des nappes aquifères par la multiplication incontrôlée des pompages et l’utilisation de nappes fossiles pour créer de nouvelles plantations de palmiers dattiers selon un mode intensif. D’autres causes liées au milieu physique peuvent également contribuer au déclin des oasis et affecter leur durabilité. Cela nous amène à examiner les contraintes naturelles et leur évolution, car très instructives dans l’analyse des transformations progressives des oasis d’Adrar.

Les dynamiques spatiales et sociales sont effectivement en interaction, pour peu qu’on parvienne à mettre en évidence leurs différentes articulations. D’une part, l’organisation spatiale de l’oasis à foggara repose sur un plateau renfermant les grès aquifères dont l’eau drainée est acheminée, par des galeries du système foggara, vers l’oasis. D’autre part, l’organisation sociale repose en premier lieu sur l’appropriation et le contrôle de l’eau, qui appartient à plusieurs propriétaires selon une organisation sociale bien hiérarchisée. Dans cette situation, une question reste ouverte : quel effet ces transformations auront-elles sur la durabilité de la gestion sociale de l’eau ?

Le rôle économique et stratégique des oasis d’Adrar a été maintenu par le développement du commerce caravanier transsaharien entre l’Afrique du Nord et les pays du sud du Sahara. Après le déclin de ce commerce, à la veille de l’époque coloniale française, et sous prétexte de contrôle des frontières et des mouvements des populations, ces centres oasiens ont essayé de compenser la réduction des activités traditionnelles par le développement des échanges avec les zones limitrophes. Même si elles ont répondu à des objectifs différents, l’intégration et l’appropriation territoriale et économique entamées pendant la période coloniale se sont accélérées et renforcées à partir de l’indépendance, avec l’action volontariste de l’État algérien. Dans ce contexte, une question pourrait se poser : l’action publique, en Algérie, a-t-elle pour conséquence de réduire ou d’accentuer les menaces qui pèsent sur l’avenir des zones oasiennes d’Adrar ?

Cependant, la forme des occupations oasiennes, leur superficie et le degré de leur rayonnement territorial dépendent de la combinaison entre plusieurs facteurs endogènes (locaux) et exogènes (régionaux, nationaux). Nous entendons par « l’espace oasien » le système qui regroupe à la fois la palmeraie en tant que lieu d’activité agricole, le ksar [1] en tant que lieu d’habitat de la population locale et, enfin, le système hydraulique qui assure l’alimentation en eau pour subvenir aux besoins des habitants et de l’économie locale.

Notre contribution traite de l’évolution des relations entre milieux et sociétés dans les espaces spécifiques que constituent les zones arides du Sahara et leurs oasis, à partir du cas d’Adrar, en Algérie, sur des aspects plutôt spatiaux, sociaux et économiques considérés la plupart du temps comme étant très complexes.

La zone d’étude dans son cadre géographique

L’examen des données du milieu physique nous a permis de déceler quatre régions naturelles marquées par l’aridité au sein de la wilaya d’Adrar :

  • Le plateau du Tademaït concerne la partie nord-est de la wilaya, avec une altitude moyenne de 500 m. Il peut atteindre jusqu’à 636 m dans sa bordure sud. Le Tademaït constitue un élargissement de la dorsale du M’Zab qui sépare l’Erg oriental de l’Erg occidental ;

  • Le pied du plateau est formé d’une série de vastes dépressions du Gourara, du Touat et du Tidikelt avec des pentes qui diminuent du nord vers le sud et de l’est vers l’ouest, marquées par un système endoréique. Ces dépressions affleurent sous des dépôts continentaux récents (tertiaire et quaternaire) ;

  • Les zones ensablées sont constituées par la bordure sud du Grand Erg occidental et de l’Erg Chech ;

  • L’extrême sud de la wilaya comprend le Tanezrouft, qui s’étend entre l’Erg Chech à l’ouest et les tassilis gréseux (Hoggar et n’Ajjer) à l’est.

Issue du découpage administratif de 1974, la wilaya d’Adrar s’étend sur la partie nord du Sud-ouest algérien, couvrant ainsi une superficie de 427 968 km2, soit 17,97 % du territoire national. Elle compte 11 daïra et 28 communes ; sa population est estimée à 320 390 habitants en 2008, soit 0,75 hab. / km2, répartie à travers un chapelet de 294 ksour éparpillés dans les trois régions : le Gourara (Timimoun), le Touat (Adrar) et le Tidikelt (Aoulef). La wilaya d’Adrar est limitée au nord par la wilaya d’El-Bayadh, au Nord-ouest par la wilaya de Bechar, à l’ouest par la wilaya de Tindouf, au sud par le Mali, au sud-ouest par la Mauritanie, au sud-est par la wilaya de Tamanrasset et au nord-est par la wilaya de Ghardaïa (figure 1).

Figure 1

Localisation géographique de la wilaya d’Adrar

Localisation géographique de la wilaya d’Adrar
Conception : Dari, Bellal, Hadeid et Ghodbani, 2014. Source : ONS, 2008

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Le climat de la région d’Adrar est caractérisé par une aridité sévère. La température est élevée toute l’année, surtout pendant la période estivale où elle dépasse des seuils au-delà desquels la vie devient impossible. Les précipitations et les eaux de surface sont rares. En effet, la nappe du continental intercalaire est connue et exploitée depuis des siècles dans la région où elle affleure le Touat, le Gourara et le Tidikelt. Le système aquifère du Sahara septentrional (SASS) est partagé entre l’Algérie, la Tunisie et la Libye. Il est constitué de deux nappes importantes, celle du continental intercalaire et le complexe terminal. Le continental intercalaire, souvent appelé « nappe de l’albien », occupe une partie de cette puissante série sédimentaire. L’épaisseur de la formation du continental intercalaire varie du nord vers le sud et de l’est vers l’ouest. Selon les données des forages semi-profonds, son épaisseur oscille entre 150 et 400 m. Notons que l’épaisseur diminue progressivement de l’est vers l’ouest et du nord vers le sud, et échoue en biseau sur le substratum du primaire. Le niveau statique de la nappe aquifère du continental intercalaire oscille entre 13 et 30 m par rapport à la cote du sol et peut atteindre 100 m au niveau du forage d’Ain Bel Bel, au plateau de Tademaït (ANRH, 2010b).

En ce qui concerne le peuplement, selon le recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de 2008, la population de la wilaya d’Adrar est estimée à près de 400 000 habitants. Le taux d’urbanisation de la wilaya d’Adrar avoisinait les 16,1 % en 1977 pour atteindre 26,5 % en 2008. En 31 ans, la population de la wilaya d’Adrar a presque triplé avec le taux d’accroissement naturel. La région d’Adrar est un véritable archipel oasien de quelque 425 000 km2, dont près de 70 % dans les ksour, c’est-à-dire dans environ 294 noyaux anciens des agglomérations, le reste étant constitué de constructions récentes prenant place dans des zones nouvellement bâties et supposées faire l’objet d’une planification.

La surface agricole utile est limitée aux oasis et aux jardins. Elle a été développée pour atteindre 35 700 ha en 2012, grâce à la politique de mise en valeur des terres agricoles adoptée par l’État, ainsi qu’aux programmes et avantages accordés depuis l’indépendance, notamment au profit des wilayas du Sud. Les différents programmes prévus dans ce cadre ont permis l’exploitation de 28 284 ha de surfaces irriguées, a indiqué la direction des services agricoles. Ces mécanismes ont aussi permis de stimuler l’activité agricole dans la région par la création de 27 460 exploitations agricoles dans les différentes régions de la wilaya d’Adrar.

En ce qui concerne la composition ethnique, la société oasienne est historiquement divisée en groupes sociaux hiérarchisés (chorfas, merabtins, roturiers, harratines et esclaves) et les foggaras sont la propriété des groupes familiaux les plus puissants, comme les chefs religieux, les zaouïas et les commerçants. La population locale s’est fortement distinguée par la mise en place d’un réseau hydraulique source de création de centaines d’oasis et générateur d’une économie locale. Ce système hydraulique multiséculaire n’est autre que cette illustration originale d’ingénieuses techniques, certes traditionnelles et de création purement humaine, par lesquelles l’homme oasien a pu domestiquer la nature et a fait de l’espace Sahara un milieu plein de dynamisme, témoin d’époque, qui doit tout à son effort. Ainsi, le passage d’une agriculture traditionnelle d’oasis, avec de petites parcelles et une irrigation ingénieuse, à une agriculture moderne sur de très grandes surfaces irriguées grâce aux forages et pivots a permis l’extension des zones vertes dans la wilaya d’Adrar. Cela a été favorisé par l’exploitation poussée des ressources souterraines fossiles et l’aide de l’État fournie dans le cadre de plusieurs programmes de mise en valeur agricole (Loi sur l’accession à la propriété foncière agricole (APFA) ; le Plan national de développement de l’agriculture (PNDA) ; etc.).

Cette présentation liminaire montre des changements socioéconomiques qui peuvent avoir des conséquences très importantes sur le rôle de la palmeraie pour l’homme oasien de la région d’Adrar.

Méthodes mobilisées

Des méthodes de travail s’imposent.

  • Par la diachronie, nous avons étudié, à travers des exemples, l’évolution du système de foggaras en interaction avec les différentes composantes du paysage oasien : la palmeraie, le ksar, les extensions sous leurs différentes formes et les éléments de l’environnement à proximité. La technique de comparaison se basera sur la combinaison entre deux éléments d’observation spatiale : les photos aériennes à petite échelle et l’imagerie satellitaire à moyenne et haute résolutions. L’étude de ces documents, à plusieurs dates, nous permettra de déceler et de cartographier toutes les modifications affectant l’espace.

  • L’approche multiscalaire nous permettra d’étudier l’espace oasien à plusieurs échelles, en allant du local au régional, et vice-versa. Nous avons utilisé des données multisources pour dégager des indicateurs socioéconomiques et environnementaux : les données des recensements agricoles, de la population et de l’habitat, ainsi que des données issues des enquêtes de terrain sur l’agriculture, l’eau, la foggara, le forage et la société.

Dans un second temps, nous avons procédé par l’observation de terrain des différents paysages et par des entretiens semi-directifs avec les acteurs institutionnels (les subdivisions hydrauliques et agricoles à l’échelle des daïras, l’Agence nationale des ressources hydrauliques (ANRH) et celle des bassins, pour la wilaya d’Adrar). Ces contacts nous ont permis de recueillir des données quantitatives sur la situation socioéconomique de la région d’Adrar. En plus, des groupes de discussion ont été organisés avec des représentants de la population locale afin de cerner les changements à l’échelle locale ainsi que les transformations socioéconomiques de ces espaces oasiens.

L’analyse statistique a été utilisée pour filtrer les données recueillies, puis pour appliquer une classification des communes de la wilaya d’Adrar basée sur des données de population de la wilaya entre les deux recensements (1998-2008). Les données sur la production en eau actuelle ont été établies à partir des données de l’enquête terrain réalisée par l’antenne régionale de l’ANRH à Adrar. Ces données, de 1998 et de 2010, ont concerné les foggaras et les forages.

L’observation de l’imagerie Google Earth à forte résolution, étalée sur plus de 10 ans, et d’anciennes photos aériennes collectées dans les différentes banques scientifiques nous ont permis, à travers une approche diachronique, de suivre l’évolution spatiale de quelques indicateurs relatifs à notre recherche, tels que la répartition géographique des périmètres de mise en valeur agricole, l’organisation des oasis, l’extension des grandes agglomérations, etc. Nos images satellitaires étaient des images Radar et Landsat à moyenne résolution couvrant toute la région du Touat. Nous avons eu recours à deux logiciels : ENVI 5 et ArcGis 10.1. Le site de United States Geological Survey (USGS) offre la possibilité de téléchargement d’images Landsat à moyenne résolution (30 m x 30 m) pour une période allant de 1984 à 2013. Après consultation d’une centaine d’images couvrant le Touat et élimination de celles n’ayant pas le nombre complet de bandes spectrales, des images floues à cause d’une couverture de nuages ou n’offrant pas une possibilité de téléchargement, nous avons pu choisir trois images couvrant un intervalle de temps assez important (16 et 10 ans).

Par ailleurs, afin d’approfondir la comparaison et l’évolution des transformations socioéconomiques, nous avons exploité des indicateurs, en nous basant, dans un premier temps, sur la lecture de travaux aussi bien anciens que plus récents. La littérature sélectionnée était centrée essentiellement sur l’analyse des relations homme / milieu dans les zones arides à travers le monde, d’une part, et sur l’exploitation du fonds documentaire disponible au Département de géographie d’Oran et dans plusieurs bases de données documentaires, d’autre part.

Les références consultées couvraient les pays du Maghreb en général et le Sahara algérien en particulier. Elles étaient très riches et nombreuses. Des études de cas, abordant les transformations anciennes et récentes dans les oasis nord-africaines sont représentées par les travaux de Popp (2008) au sud de l’Atlas marocain, Kassah (1996) sur le Djrid tunisien, Marouf (2012) sur le Touat et Côte (2005) et Bisson (2003) sur le Bas-Sahara algérien. Ces chercheurs ont réalisé beaucoup de travaux durant les deux dernières décennies. La lecture de leurs études, anciennes et récentes, sur la dynamique de ces milieux ainsi que nos propres observations de terrain sur plus de 15 années nous ont permis d’étayer la problématique de recherche sur la région d’Adrar par rapport à l’évolution des transformations socioéconomiques dans la région et de relever un certain nombre d’indicateurs qui sont au coeur des transformations affectant ces espaces oasiens. Ces indicateurs sont rattachés à sept grands thèmes :

  • le système traditionnel oasien multiséculaire voué à disparaître ;

  • la mise en valeur agricole dans un écosystème très fragile ;

  • la forte concurrence sur les ressources en eau ;

  • les taux d’accroissement élevés de la wilaya d’Adrar ;

  • l’urbanisation accélérée et démesurée ;

  • les politiques d’aménagement en décalage avec les préoccupations environnementales ;

  • les profonds changement sociaux.

Le milieu oasien d’Adrar : des dynamiques spatiales marquées par de fortes contraintes

Le milieu est spécifique : contraintes naturelles qui rendent la vie humaine difficile en dehors des oasis, mise en valeur agricole, ksour qui utilisent la foggara et forage qui marque de son empreinte le paysage oasien (figure 2).

Figure 2

La wilaya d’Adrar : un milieu physique contraignant

La wilaya d’Adrar : un milieu physique contraignant
Source : Bellal, 2015

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Le climat de type désertique continental

Les données climatiques ont été tirées des recueils de l’Office national de la météorologie sur une série de 1975 à 1984 pour la station d’Adrar et de Timimoun. Elles caractérisent le climat de cette région de type désertique continental. La pluviométrie est extrêmement faible sinon insignifiante, sauf dans la région de Timimoun qui, essentiellement en raison de sa situation géographique, enregistre parfois de fortes chutes de pluie. La température maximale en été (plus de 45° C en juin, juillet, août) laisse place à un froid glacial en hiver (atteignant parfois les 0° C en décembre et janvier). D’une manière générale, l’humidité dépasse très rarement les 50 % durant l’année. Par contre, l’insolation journalière dans la région du Touat et dans le Gourara est forte (7 à 8 heures en hiver et 10 à 11 heures en été). Elle se traduit par une évaporation très élevée durant l’année. On enregistre un minimum hivernal et un maximum estival très marqués, soit respectivement 104,4 mm et 723,8 mm pour Adrar, et 148,9 mm et 635,9 mm pour Timimoun. La fréquence des vents est très grande durant toute l’année : 50 % à Adrar et 30 % à Timimoun, avec un maximum de fréquence pour la période de mai à septembre. Les vitesses éoliennes supérieures à 5 m / s peuvent provoquer des vents de sable.

Pour compenser la très faible pluviosité, les hommes oasiens ont capté l’eau des nappes profondes dans le but d’irriguer leurs palmeraies et d’alimenter leurs ksour en eau potable.

Les ressources en eau proviennent du bassin hydrogéologique du Sahara septentrional, non renouvelable et fortement menacé

À partir de l’ensemble des connaissances géologiques, géophysiques et hydrogéologiques de 1972 du bassin hydrogéologique du Sahara septentrional, on évalue les entrées en eau de la nappe à 8,49 m3 / s, soit 264 millions de m3 / an et les sorties à 11,07 m3 / s, soit 344 millions de m3 / an. Ainsi, déjà en 1972, les sorties étaient supérieures aux entrées. Selon l’Étude sur les ressources en eau du Sahara septentrional (ERESS), réalisée en 1983, le réservoir aquifère saharien renferme une quantité d’eau qui peut atteindre 60 000 milliards de m3, correspondant à un débit fictif continu de 1000 m3 par an, pendant 2000 ans. Jusqu’en 1983, l’exploitation de cette nappe albienne est restée faible à 526 l / s. Elle a progressé par la suite pour atteindre 2468 l / s en 1990, et 9200 l / s en 2010. Cette tendance vers l’accroissement des prélèvements sur les réserves s’est largement intensifiée, surtout entre 1990 et 2010. Partant de là, il apparaît que le système actuel d’exploitation de la nappe pose avec acuité la question du rabattement de cette nappe et, par conséquent, celle de la mise en valeur intensive de cette région. C’est précisément dans ce souci qu’a été élaborée l’ERESS, en 1972, en vue de la mise en place d’une politique cohérente de gestion de la ressource.

Cette étude a permis de connaître la nappe du continental intercalaire ainsi que ses réserves, et de déterminer la baisse progressive du niveau de rabattement, selon différents rythmes de prélèvement. Les résultats obtenus montrent que, sur la base d’hypothèses de prélèvement de 2471 l / s au Touat - Tidikelt et de 12 710 l / s dans le Gourara, les rabattements admissibles seront de l’ordre de 49 m à Adrar, 16 m à Aoulef et 37 m à Tiberhamine. Cependant, ces valeurs, qui constituent des moyennes théoriques, ne sont qu’indicatives et ne représentent que les rabattements moyens admissibles correspondant à une moyenne des volumes exploitables par région. Au plan pratique, ce rabattement varie fortement d’un endroit à un autre en fonction des rythmes de prélèvement. Compte tenu de l’exploitation excessive de la nappe du continental intercalaire, la situation des ressources en eau dans la wilaya d’Adrar demeure inquiétante, car l’exploitation sans utilisation rationnelle de la ressource en eau risque de rompre l’équilibre de l’écosystème oasien. Deux systèmes de mobilisation des eaux sont pratiqués et permettent l’entretien ou l’extension de l’agriculture dans la wilaya d’Adrar (UNESCO, 1972 ; OSS, 2008).

  • Le premier est un système agricole traditionnel d’exploitation de la ressource par foggaras. Ces dernières auraient été introduites aux XIe et XIIe siècles par El-Malik El-Mansour, qui aurait creusé les premières foggaras en Algérie, exactement dans la commune de Tamentit, à 10 km d’Adrar. La foggara est une propriété collective ; son principe de fonctionnement ressemble un peu à celui d’une société par actions. Il est vrai que le système de galeries drainantes existe un peu partout à travers le monde, mais le mode de distribution ou de partage tel qu’usité dans le cas des foggaras (notamment à Adrar) n’existe qu’en Algérie (figure 3). Les publications sur les foggaras dans la wilaya d’Adrar sont nombreuses. Parmi les plus remarquables, Cornet (1952) a étudié les drains de ces trois régions, le Capitaine Lô a longuement décrit les foggaras et leur fonctionnement au Tidikelt (1953), Bisson celles du Gourara (1957 et 1995) et Marouf a travaillé sur la lecture de l’espace oasien (2012).

On recense trois types de foggaras dans la wilaya d’Adrar (figure 3) :

    • la foggara de l’Albien, la plus connue de la wilaya d’Adrar ;

    • la foggara de l’Erg, qui capte les eaux de la nappe formée au-dessous du Grand Erg occidental, dans la région du Gourara (Timimoun) ;

    • la foggara de source « Hennou », alimentée par une source d’eau naturelle et pérenne dans la région du Touat (Adrar).

  • Un deuxième système agricole est basé sur les techniques de forage et de fonçage des puits dits modernes. Il s’agit de points d’eau de petit diamètre et de 150 à 200 m de profondeur en moyenne (minimum, 10 m à Charouine, maximum, 510 m à Tit), creusés par un procédé mécanique à moteur (foreuse) et destinés à l’exploitation de la nappe albienne. D’après le traitement des données de l’enquête effectuée pour la wilaya d’Adrar en 2001 et 2002, il apparaît que les forages sont éparpillés sur pratiquement l’ensemble de la wilaya, à l’exception de la commune de Timiaouine. Les forages assurent l’alimentation en eau potable, la mise en valeur des terres agricoles et l’exploitation de quelques entreprises industrielles. Ainsi, les premiers forages dans la wilaya d’Adrar ont été réalisés dans la commune du ksar Aoulef, en 1952, et dans celle du ksar Tit, dans le Tidikelt, en 1956.

Figure 3

Les types de foggara dans la wilaya d’Adrar

Les types de foggara dans la wilaya d’Adrar
Conception : Bellal, 2016. Source : Remini et al., 2010

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La végétation est concentrée dans les oasis et la mise en valeur agricole a permis d’étendre les superficies cultivées

Les oasis d’Adrar représentent une source d’emploi et de revenu pour une bonne partie de la population. Elles constituent le milieu le plus productif en fournissant des produits agricoles, notamment les dattes. Le système de culture s’organise en trois étages.

  • L’étage du palmier dattier constitue l’étage supérieur jouant le rôle de brise-vent et de protecteur des autres cultures contre le soleil. Les dattes sont utilisées comme principale monnaie d’échange et pour la consommation locale.

  • L’étage intermédiaire, constitué d’arbres fruitiers (grenadiers, abricotiers, pruniers, mûriers, pommiers, etc.), n’a jamais pu prospérer dans cette région.

  • L’étage inférieur est constitué de cultures maraîchères (carottes, navets, piments et tomates), de cultures fourragères (luzerne, avoine, orge en vert, etc.) et de cultures industrielles (tabac, henné). Les légumes connaissent également une double récolte : semés à partir de l’automne et récoltés dès janvier ainsi que pendant la saison chaude. Les sols sont constitués par des éléments argilo-sableux avec une absence quasi totale d’éléments organiques. Les exploitants cherchent à remédier à cette carence en utilisant cendres et détritus. Les sols sont très pauvres pour pratiquer des cultures intensives, d’où la pratique très répandue de la jachère.

Les jardins d’oasis sont clôturés par des murs en toub [2] ou par des branches de palmier pour piéger le sable. Une autre constance de la structure oasienne est le travail en planches de culture, une organisation de l’exploitation appropriée à l’irrigation par submersion. Quant au système d’élevage, il a été pendant longtemps basé sur l’élevage des petits ruminants (ovins et caprins). Or, l’équilibre de l’oasis aux productions diversifiées, qui est le résultat d’anciennes pratiques agricoles et d’élevage gérant au mieux les ressources locales, est menacé par les nouvelles pratiques oasiennes introduites par les changements socioéconomiques de la période récente.

La relance d’une agriculture saharienne par suite des programmes de mise en valeur agricole dans un écosystème très fragile, particulier et hostile est le produit d’une politique de l’État et d’une volonté affichée par les agriculteurs eux-mêmes. Le rôle de l’État s’est traduit par la mise en place d’un financement spécifique à cette politique, assorti d’un programme d’équipement des périmètres de mise en valeur. Ainsi, le passage d’une agriculture traditionnelle d’oasis en petites parcelles et d’une irrigation ingénieuse à une agriculture moderne sur de très grandes surfaces irriguées grâce aux forages et pivots a permis l’extension des zones vertes dans le Sahara (Founoughil, Sali Inzeghmir, Aoughrout, etc).

Cela a été favorisé par l’exploitation poussée des ressources souterraines fossiles et les aides de l’État fournies dans le cadre de plusieurs programmes de mise en valeur agricole. En effet, la surface agricole globale de cette wilaya, limitée aux oasis et aux jardins, a été développée pour atteindre 366 077 ha, grâce à la politique agricole adoptée par l’État ainsi qu’aux programmes et avantages accordés depuis l’indépendance, notamment au profit des wilayas du Sud. Le développement des grandes mises en valeur agricoles, lié en partie à un dispositif législatif incitatif, notamment l’APFA de 1983 et le PNDA de l’an 2000, traduisait la volonté d’enrayer la très forte dépendance en produits agricoles de l’Algérie, notamment en blé. L’APFA reconnaît la propriété du lot exploité, après cinq années d’exercice de l’activité. Dans cette phase de réforme, l’État se charge des grandes infrastructures (route, électricité, forage). Il prépare donc les conditions de mise en valeur des parcelles destinées à l’exploitation agricole.

On peut distinguer deux types d’agriculture dans la wilaya d’Adrar : le premier type, à travers l’extension des palmeraies, qui a donné naissance à une agriculture périurbaine ou encore à une « petite mise en valeur », parce que constitué de petites et moyennes exploitations, et le deuxième type, que l’on qualifie de « grande mise en valeur » en vertu de vastes programmes de concession. Les pouvoirs publics ont accordé un intérêt particulier à ce nouveau système agricole. En effet, le coût très élevé de cette opération basée essentiellement sur des subventions étatiques, d’une part, et sur l’exploitation d’une eau fossile qui dépasse largement les capacités de renouvellement, d’autre part, suscite des interrogations sur le bien fondé de cette option de développement agricole, dans une perspective de développement durable. D’après la Direction des Services Agricoles (DSA) de la wilaya d’Adrar et selon des statistiques, la surface agricole exploitée est passée de 6369 ha dans les années 1970 à 35 700 ha en 2012, soit un accroissement de 560 %. Durant la même période, les plantations de palmiers ont crû de 8097 ha à 27 400. La surface globale de la culture céréalière a également augmenté, passant de 1800 ha à 8000, outre les 27 460 exploitations agricoles recensées en 2012. Donc, le foncier à usage agricole de la wilaya d’Adrar est entré dans une phase nouvelle de l’accès à la propriété qui a introduit des mutations profondes dans la structure socioéconomique et spatiale oasienne. Il est fortement dépendant de l’eau de la nappe albienne, de la foggara et des forages profonds.

Érosion éolienne et menace d’ensablement

À ces contraintes fondamentales liées à l’eau et au foncier s’en ajoutent d’autres d’importance variable, notamment en rapport avec le relief dunaire. Sachant que le Sahara algérien est couvert d’impressionnants et gigantesques dépôts de sable, le Grand Erg occidental à l’ouest et l’Erg oriental à l’est, on comprend que la mobilisation par le vent de cet important stock de sable constitue une menace sérieuse pour l’ensemble des infrastructures de développement des wilayas du sud du pays. La wilaya d’Adrar est située dans un couloir de transit de sable. C’est une zone où il y a des mouvements permanents des formations sableuses. Des travaux menés par des géomorphologues (Callot, 1987) ont montré la fragilité des milieux arides algériens quant à la dégradation du sol liée à l’action éolienne, engendrant aussi l’avancée de grandes dunes de sable sur les établissements humains et les cultures.

La station d’Adrar enregistre les taux de fréquence de vents dynamiques les plus élevés par rapport aux autres stations, avec des directions prépondérantes du secteur nord, essentiellement nord-nord-est, nord-est et nord. La majorité des oasis de la région d’Adrar sont donc très exposées au phénomène d’ensablement. Certains espaces oasiens sont certes plus exposés que d’autres ; cependant, le savoir-faire local en matière de fixation des dunes permet une protection efficace contre cette menace récurrente (Bisson, 1984). Ce savoir-faire est connu dans le Sahara algérien par la technique du afreg (grille réalisée en troncs et feuilles de palmiers et sert comme brise-vent). Le manque d’entretien des dunes artificielles par afreg est l’une des principales causes de l’ensablement des oasis. Dans la wilaya d’Adrar, l’ensablement s’explique par la sévérité des conditions climatiques arides, d’une part, et par le mauvais choix des implantations humaines, parfois à l’intérieur même de l’Erg, d’autre part. La population oasienne a complètement délaissé les bonnes habitudes d’entretien et les travaux de Touiza (solidarité et entraide communautaire) deviennent de plus en plus rares et, par conséquent, on assiste à une dégradation avancée des palmeraies et de leur environnement. Nous devons préciser que la technique afreg n’arrête pas complètement l’avancée du sable, mais en ralentit le déplacement. Dans les communes de Tamentit ou de Sali, les dunes afreg n’arrivent plus à retenir le sable. Elles transgressent facilement les obstacles pour envahir les exploitations agricoles et les palmeraies.

Dynamique sociale et développement économique

La répartition et la gestion de l’eau est au coeur de l’organisation de l’espace dans les sociétés oasiennes. De ce fait, cet aspect a imposé des formes spécifiques dans la structuration de l’espace.

Modalités d’accès à l’eau

La foggara est un élément structurant de l’univers mental et spirituel des oasiens et le fondement de leur organisation sociale. Le système de foggara est divisé en deux parties : la partie drainante et la partie de distribution. Le captage de l’eau souterraine de la partie drainante est assuré par une galerie de plusieurs kilomètres, de faible pente, qui draine l’eau de la nappe vers la surface libre. Cette galerie est équipée de plusieurs puits verticaux qui servent à l’entretien et à l’aération de la foggara. La distribution de l’eau s’effectue juste à la sortie de la galerie et repose sur quatre éléments majeurs qui sont : la kasria (répartiteur), le seguia (canal), le madjen (bassin de récupération) et le gamoun (jardin). Une fois l’eau arrivée à la sortie de la galerie, elle est répartie entre les propriétaires par la kasria. Le cheminement de l’eau jusqu’au madjen s’effectue par l’intermédiaire des seguias. Le madjen est un bassin de récupération et de régularisation qui reçoit l’eau des kasriates multiples. De profondeur relativement faible, il joue le rôle d’un château d’eau. Il se situe sur la côte la plus élevée du jardin afin de permettre à l’eau de s’écouler par gravité dans des seguias et d’irriguer l’ensemble du jardin (figure 4). Il est construit de façon à se remplir en 24 heures. On peut distinguer le madjen en terre, plus ancien, dont le fond est couvert d’une couche d’argile pour éviter les infiltrations. L’irrigation s’effectue en règle générale de bonne heure, que ce soit en été ou en hiver.

Une fois arrivée en surface du sol, l’eau de la foggara est distribuée de manière ingénieuse et sans perte, mais surtout avec justice. Les personnes qui ont participé à la réalisation de ce système hydraulique, soit par leurs capitaux, soit par leur travail, procèdent à une première répartition, où chacun à une part d’eau. La quantité d’eau réelle est proportionnelle à l’effort fourni durant la réalisation ou l’entretien de la foggara. L’assemblée des propriétaires constitue la djemaa d’une foggara. Chaque djemaa tient à jour un registre des parts de chaque copropriétaire, la part de chacun étant très précisément mesurée et calculée. Ce mode de captage présente de grands avantages : débit à peu près constant, possibilité d’accroître celui-ci par allongement de la galerie et, surtout, arrosage par gravité. Il présente également des inconvénients non négligeables, comme la faiblesse générale des débits et la nécessité de stocker l’eau dans des bassins.

Figure 4

Description d'une foggara de la région d'Adrar

Description d'une foggara de la région d'Adrar
Source : Bellal, 2015

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L’application de la réforme agraire a transformé l’organisation sociale hiérarchisée

La société oasienne d’Adrar est hiérarchisée en plusieurs groupes sociaux (chorfas, merabtines, roturiers, harratines, esclaves) et les foggaras sont la propriété des groupes familiaux issus de communautés religieuses (zaouïas) ou relevant de grands commerçants. La foggara est l’élément structurant de l’organisation spatiale. Son développement serait lié à celui du commerce transsaharien, la main-d’oeuvre servile périodiquement importée d’Afrique noire assurant une large part des travaux de creusage et d’entretien des galeries (figure 5). Aujourd’hui, cette organisation sociale séculaire semble en rupture, du fait de l’ouverture progressive sur un nouvel environnement politique et économique.

En 1971, le président Boumediene a promulgué les textes de la révolution agraire, étendant au secteur privé la politique de transformation des structures agraires. Cette mesure était dans la logique de l’orientation socialiste du pays. Elle a porté sur la nationalisation intégrale des terres agricoles, qui ont été versées au Fonds national de la révolution agraire (FNRA), soit sous forme de donations, soit par la nationalisation des superficies excédentaires. Finalement, c’est tout le paysage agraire algérien qui s’en est trouvé modifié. Dans la foulée de la nationalisation des foggaras, la réforme a été appliquée dans la wilaya d’Adrar : les droits de propriété ont été transformés en droits d’usage dans la limite des besoins des exploitants (Bendjelid et al., 1999).

La révolution agraire est donc indirectement la cause des problèmes d’irrigation de la région. Les propriétaires fonciers reconnaissent que l’application de cette réforme par le pouvoir central a été à l’origine de la refonte des rapports sociaux au sein de la société oasienne. Cette décision politique a libéré les harratines, qui assuraient une main-d’oeuvre permanente dans l’oasis traditionnelle chez les propriétaires fonciers. Les chorfas et les merabtines se sont donc retrouvés sans les harratines pour travailler la terre et entretenir les foggaras. Ils se sont alors orientés vers la mise en valeur agricole. Cette dernière est liée en partie à ce dispositif législatif incitatif, traduisant la volonté de l’État d’enrayer la très forte dépendance en produits agricoles de l’Algérie, notamment en blé.

Le déstockage et l’importance des ressources en eau souterraine a conduit au tarissement des foggaras

Il y a actuellement 1385 foggaras dans la wilaya d’Adrar, dont 909 foggaras vivantes qui débitaient un volume d’eau annuel de près de 80 millions de m3 en 1998 et 476 foggaras alors taries, soit un taux de près de 35 % de foggaras mortes. Fin 2010 début 2011, l’ANRH divulgue une situation fort préoccupante : sur les 1385 foggaras, 774 sont encore actives et 611 sont mortes, ce qui signifie que plus de 44 % des foggaras ont fini par être taries. On peut approcher la production actuelle à partir des données de l’enquête de terrain réalisée en 1998 et en 2010 par l’ANRH, Direction régionale d’Adrar. Le dépouillement des résultats de cette enquête nous a permis une première comparaison avec les données de 1960. Le débit total actuel par région naturelle de la wilaya d’Adrar semble se réduire par rapport à la situation de 1960. En 1960, le débit était proche de 3665 l / s; par contre en 1998, il est de 2853 l / s , et de 3600 l / s en 2010. On enregistre donc une différence de débit de -65 l / s, soit près de 2 % du débit ancien de 1960 (tableau 1). On remarque aussi une augmentation des prélèvements dans la région du Touat en 2010, soit près de 57 % du total, qui occupe la première position suivie par la région du Gourara, soit près de 28 % du total.

Figure 5

Organisation sociale dans la wilaya d’Adrar

Organisation sociale dans la wilaya d’Adrar
Conception : Bellal, 2016. Source : Grandguillaume, 1973

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Tableau 1

Prélèvement des débits des foggaras de la wilaya d’Adrar entre 1960 et 2010

Prélèvement des débits des foggaras de la wilaya d’Adrar entre 1960 et 2010
Sources : ANRH, 1960, 1998 et 2010a

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Chaque ksar du Touat-Gourara s’est trouvé doté d’une ou plusieurs foggaras. Le nombre dépasse 10 pour les groupements importants comme Timimoun, Ouled-Said, Zaouit-Kounta, Timokten, Akabli, Tamentit, etc.

Nouvelle technique d’irrigation : l’utilisation des motopompes est un recours indispensable

Le pompage est devenu un moyen indispensable pour l’obtention de l’eau dans le milieu oasien. La motopompe est largement utilisée dans la wilaya d’Adrar, soit pour l’exploitation des puits qui sont creusés dans la nappe, soit pour l’équipement des forages. Les forages profonds dans la nappe fossile sont une solution, mais pour combien de temps ? On voit aujourd’hui, dans certaines palmeraies, des motopompes rassemblées autour d’un même forage, chacune appartenant à un ou à plusieurs propriétaires. Ces pompes peuvent entrer en action pour une durée d’une à deux heures par jour. Le pompage est un recours indispensable à la suite des tarissements des foggaras. Il peut assurer la pérennité des cultures dans chaque oasis et contribuer ainsi au maintien des groupes humains. En matière de mobilisation des ressources en eau, la wilaya d’Adrar dispose, en 2010, de près de 930 forages répartis à travers différentes régions et assurant une dotation cumulée de 9200 l / s. À cela s’ajoutent 6620 puits d’un débit de 15 000 l / s, et ce, sans compter de nombreux puits illicites. Ces derniers sont favorisés par des piquages illicites sur le réseau d’alimentation en eau potable dans l’ensemble des ksour de la wilaya d’Adrar. Au cours des dernières années, le phénomène s’est étendu de façon très inquiétante pour cette ressource non renouvelable.

Actuellement, aucun recensement des motopompes ne permet de déterminer leur nombre exact, mais l’augmentation du débit pompé traduit leur rôle croissant dans l’épuisement de la nappe. La multiplication des motopompes a engendré une individualisation des pratiques agricoles, alors que le collectif dominait auparavant, notamment dans les oasis à foggara. À cet aspect de mutations sociospatiales s’ajoutait un nouveau choix en matière de rentabilité, sachant qu’un « puits équipé d’une motopompe fournit 10 fois plus d’eau que 2000 m de foggara » (Bisson, 2003). Jusqu’en 1983, cette exploitation est restée faible, à 526 l / s. Elle a progressé par la suite pour atteindre 2468 l / s en 1990 et 9200 l / s en 2010. Cette tendance à l’accroissement des prélèvements sur les réserves s’est largement intensifiée, surtout entre 1990 et 2010. Les habitants des ksour ont découvert plusieurs méthodes d’irrigation pour satisfaire les besoins de leurs oasis, telles que l’irrigation au goutte à goutte ou l’arrosage par pivot, ce qui nécessite des grandes quantités d’eau et oblige les zones périurbaines à s’orienter vers les forages profonds et le pompage aléatoire des grands débits.

Déclin des techniques traditionnelles et manque de main-d’oeuvre agricole

Actuellement, le système agricole traditionnel se dégrade par la marginalisation de son usage dans les sociétés oasiennes. Si la foggara a survécu depuis des siècles, aujourd’hui, elle se voit malheureusement dans une situation de décadence, du fait qu’elle est confrontée à une multitude de contraintes, dont les causes sont principalement anthropiques. On pense notamment à l’absence d’entretien des foggaras. En raison des dangers du curage des puits et du réseau souterrain, les jeunes des générations nouvelles veulent d’autant moins s’aventurer dans de telles opérations que la main-d’oeuvre traditionnelle a vieilli sans leur transmettre son savoir-faire de ce métier ancien. La disparition des couches sociales a également contribué à une diminution de main-d’oeuvre agricole. Mais si cette main-d’oeuvre diminue, la population oasienne augmente. L’essentiel du problème est là. Les habitants oasiens cherchent à vivre dans le sillage de la civilisation occidentale, car ils sont attirés par les emplois offerts dans les services et les commerces. Le bâtiment leur offre un travail moins pénible et un revenu plus sûr.

Les foggaras sont aussi menacées par différents types de pollution. C’est le cas, par exemple, de la foggara de Bendraou (Aoulef), qui est polluée par le gazole en provenance d’une station de la Sonelgaz. La foggara de Tourfine d’Aoulef, pour sa part, est contaminée par les eaux usées provenant des fosses septiques situées près de la galerie drainante, tandis que les puits des foggaras d’Adrar et de Timimoun sont devenus des décharges publiques.

Dynamique démographique dans la région d’Adrar : un espace qui s’urbanise de plus en plus

Dans le Sud-ouest algérien, la dynamique démographique affecte l’organisation spatiale et sociale de la population et constitue un élément important de transformation des agglomérations et des ksour dans la Saoura, le Gourara et le Touat. Cette dynamique se caractérise spatialement par une tendance de concentration de la population dans les zones agglomérées, pour ne pas dire dans les centres urbains les plus importants. Il s’agit d’une région à faible peuplement, qui ne contient pas plus de 11 % de la population saharienne alors qu’elle occupe plus de 23 % du territoire saharien. Au niveau national, la population d’Adrar est négligeable avec moins de 1,2 %, contre plus de 18 % de la superficie du territoire national. La région étudiée ne peut échapper à son caractère rural puisque, déjà en 1977, sa population rurale représentait plus de 60 % de la population régionale totale, soit presque le profil de l’Algérie entière à cette date. Ce taux a diminué pour atteindre les 53 % en 2008 ; autrement dit le taux d’urbanisation de la région a dépassé les 47 %, un taux largement inférieur à la moyenne nationale, qui a effleuré les 66 %. Plus encore, l’espace saharien algérien est plus urbanisé que cette région, dépassant même l’espace national avec un taux de 71 % en 2008. Il est clair que le mouvement d’urbanisation dans cet ensemble n’a pas évolué au même rythme que celui du territoire national. Toutefois, ce phénomène ne cesse de se répandre à une cadence régulière.

En raison de son réseau dense d’agglomérations rurales (plus de 200 unités), Adrar garde toujours son aspect rural malgré les transformations socioéconomiques qu’elle a connues ces dernières décennies. Par sous-région, c’est le Tidikelt occidental qui possède les taux d’urbanisation les plus importants par rapport au Touat et au Gourara. Ce dernier reste en marge de l’urbanisation bien que son taux d’urbanisation ait fait un saut important en passant de 17 % en 1998 à 27 % en 2008 (tableau 2).

Tableau 2

Taux d’urbanisation par sous-région

Taux d’urbanisation par sous-région
Source : ONS, 2008

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En matière de croissance démographique, il semble que le Touat et le Tidikelt occidental d’Adrar soient les plus dynamiques puisque leurs taux dépassent largement les 3,5 %. Notons que ce phénomène d’urbanisation, aussi dynamique soit-il dans une région à vocation rurale, ne peut échapper à son caractère ponctuel actuel où les centres urbains ne sont pas aussi nombreux, paradoxalement, au Sahara du Sud-est. Ce phénomène n’est pas spécifique au Sahara algérien : « Les déserts sahariens maghrébins, d’Ouzbékistan, d’Amérique du Nord, comme d’autres, sont caractérisés par la présence d’implantations humaines et dans certains cas d’agglomérations urbaines significatives. Il va sans dire que, suivant les régions concernées, des logiques spécifiques ont présidé à la création de ces pôles de peuplement. Il n’en demeure pas moins que l’urbanisation des déserts ne constitue pas une irrégularité et tend parfois à supplanter progressivement des modes de vie traditionnellement ruraux. La diffusion du fait urbain a impliqué son corollaire de mutations sociales, économiques et spatiales qui a fondé le renouvellement des représentations, des hiérarchies et des pratiques socio-spatiales des populations au Sahara algérien » (Kouzmine et Avocat, 2007).

Les facteurs explicatifs de cette urbanisation des espaces sahariens de notre région sont-ils liés à la dynamique économique et sociale favorisée par ces mouvements migratoires ? Cette interrogation nous amène à chercher comment cette région en est arrivée à ce stade, sachant que ce phénomène a été enclenché après l’indépendance et a pris un autre essor durant les deux dernières décennies.

Développement économique et incidences des politiques de l’État sur l’espace et la société oasienne

Des programmes énormes d’habitat et d’équipement en milieu oasien

Le découpage administratif est l’outil de base que l’État a retenu afin d’encadrer la population saharienne et tenter de l’intégrer dans l’espace national. Les répercussions de cette refonte administrative se sont matérialisées par la création d’un certain nombre d’équipements de tous types et l’installation de diverses infrastructures (électrification, voies de communication, etc.), mais également par plusieurs programmes d’habitat urbains et ruraux (lotissements, habitat collectif, habitat rural…). En étant considérée comme l’une des plus déshéritées du pays durant les premières années de l’indépendance, la région avait bénéficié d’un programme spécial [3] des oasis établi en 1966. Toutefois, ce programme a touché uniquement la ville de Béchar et son réseau routier. Les autres plans de développement (plans triennal et quadriennal) ont concerné plus les équipements et les infrastructures, et aucun projet industriel d’envergure n’a été inscrit dans ces zones, sauf la création de quelques unités industrielles à Bechar (Yousfi, 2012).

Malgré le souci de l’État de pallier les disparités régionales héritées de la colonisation, des nuances spatiales sont bien visibles entre la Saoura et la zone d’Adrar en matière de grandes infrastructures durant les premières décennies de l’indépendance. Effectivement, la région de la Saoura a bénéficié d’un grand périmètre irrigué situé dans la plaine d’Abadla, à 80 km au sud de la ville de Béchar. Le périmètre est alimenté par le barrage de Djorb-Torba, le plus grand d’Algérie (250 millions de m3 de retenue). Cet ouvrage a été érigé sur l’Oued Guir en 1967, mais il n’a été mis en service qu’en 1969. Adrar et sa région n’ont connu de réels investissements qu’au début des années 1980 avec le lancement de la politique de mise en valeur agricole dans les zones steppiques et sahariennes, dans le cadre de l’APFA de 1983. À partir de cette période, Adrar a connu un bouleversement, dans sa dynamique rurale surtout, puisque les périmètres irrigués (petite ou grande mise en valeur agricole) ont investi de manière significative l’espace. Cette politique, qui donne la possibilité aux exploitants de devenir propriétaires des terrains une fois ceux-ci mis en valeur, a suscité l’intérêt des populations locales et même de celles de l’extérieur de la wilaya.

En parallèle à ces programmes économiques non négligeables, ce sont les équipements collectifs, les infrastructures de base et l’habitat qui ont massivement touché les différentes communes et agglomérations de la région d’Adrar. En prenant comme exemple la scolarisation, l’État a entrepris des efforts importants dans ce domaine, sachant que l’école primaire se trouve pratiquement dans chaque ksar et que la région d’Adrar à elle seule contient plus de 200 ksour. En matière de santé, les équipements sont moins répandus que ceux liés à l’éducation, mais c’est l’encadrement qui pose problème. La région du Sud-ouest (Adrar et Béchar) compte en moyenne un médecin pour 930 habitants, grâce aux 400 médecins de la wilaya d’Adrar et aux 409 de celle de Béchar, soit respectivement un médecin pour 1110 habitants et un médecin pour 754 habitants. [4] L’encadrement dans la région est donc inférieur à la moyenne nationale, en raison de la situation particulièrement inconfortable à Adrar. Pour ce qui est des infrastructures, beaucoup d’efforts ont été fournis dans la région. Toutefois, selon notre analyse, les chiffres présentent la même allure que celle indiquée dans le taux de scolarisation. L’étendue de la wilaya d’Adrar et le nombre important de ses agglomérations expliquent-ils sa contreperformance ?

Hormis ces programmes d’équipement, le secteur de l’habitat a connu un dynamisme pas seulement dans notre région, mais également dans le territoire national. En fait, ce secteur a été relativement négligé durant les deux premières décennies de l’indépendance. Ce n’est qu’à partir du plan quinquennal (années 1980) que des efforts de développement ont été orientés vers l’habitat afin de rattraper le retard dans ce domaine. C’est ainsi que des centaines de logements ont été construits dans les villes d’Adrar et de Timimoun. Après le désengagement de l’État durant les années 1980 et 1990 , beaucoup de lotissements ont été lancés afin de permettre aux gens de construire leur propre logement, en raison de l’incapacité de l’État à assurer les besoins accrus des citoyens. Cette région a bénéficié de centaines de lots dans les différentes agglomérations urbaines et rurales, ce qui a provoqué une extension extraordinaire des centres, notamment les plus importants : Adrar, Timimoun, Reggane, etc. Même les petits ksour ont connu ce phénomène vers les axes routiers. En fait, c’est durant cette période que les populations oasiennes ont quitté presque entièrement le ksar (habitat traditionnel) pour se diriger vers les nouvelles extensions. L’utilisation du parpaing a révolutionné en quelque sorte les constructions individuelles, dans le cadre des lotissements et de l’autoconstruction. C’est devenu l’aspect le plus visible dans l’habitat, en rupture totale avec l’habitat traditionnel (ksar). Cette politique d’équipement et d’habitat continue jusqu’à nos jours, non pour s’insérer dans un cadre de planification, mais beaucoup plus pour maintenir les populations et créer un cadre attrayant pour les populations du nord du pays.

Une recomposition sociospatiale

L’espace saharien algérien a connu, en un siècle, davantage de bouleversements que durant tous les siècles précédents. Ces changements ont permis de reconfigurer d’une manière assez profonde les structures sociales, économiques et, bien entendu, spatiales que l’espace saharien portait en héritage depuis fort longtemps. Hormis les actions de maîtrise territoriale du Sahara par le pouvoir algérien indépendant ainsi que celles de la « pétrolisation du Sahara » (Blin, 1990), le facteur primordial ayant conduit à ces changements est lié au phénomène d’urbanisation qu’a connu ce vaste et contraignant espace. Le taux d’urbanisation de la population saharienne avoisinait les 10 % en 1954 ; au dernier recensement général de la population et de l’habitat (RGPH de 2008), il atteignait 71 %, ce qui est bien supérieur à celui de l’Algérie du Nord (65,8 %). Le nombre d’agglomérations urbaines s’est considérablement accru pour atteindre 68 unités en 2008 contre une cinquantaine en 1998. Sept d’entre elles comptent plus de 100 000 habitants, tandis que la population urbaine a été multipliée par 18 dans la même période. La diffusion du fait urbain a impliqué toute une série de mutations sociales, économiques et spatiales qui ont fondé le renouvellement des hiérarchies sociales et des pratiques sociospatiales des populations au Sahara algérien. Toutefois et sur la base de toutes ces mutations à la fois rapides et profondes, la ville saharienne, ou la ville au Sahara (Pliez, 2006), et plus globalement les territoires sahariens, se trouvent face à des enjeux parfois problématiques. En effet, la gestion de l’eau, les préoccupations environnementales, l’avenir des dynamiques économiques, les fortes attentes sociales (logement, emploi, équipement, désenclavement, etc.) constituent autant de facteurs de tension sur les territoires sahariens.

L’espace oasien de la wilaya d’Adrar n’échappe pas à cette tendance. Le phénomène d’urbanisation que connaît cet ensemble géographique et humain bien distinct est tout aussi remarquable : accroissement des populations, étalement urbain, multiplication des agglomérations, développement des infrastructures routières, équipement et désenclavement, etc. L’étalement du tissu urbain est très remarquable dans la majorité des ksour, sauf dans ceux qui ont été totalement abandonnés. La volonté de l’État de répondre aux besoins de cette population s’est exprimée par l’implantation de plusieurs programmes d’habitat et d’équipement. La promotion administrative et les instruments d’aménagement déployés tels que les plans directeurs d’aménagement et d’urbanisme et les plans d’occupation du sol ont été les principaux instruments de la planification spatiale utilisés par l’État.

Cette nouvelle urbanisation, quoique indispensable pour subvenir aux besoins d’une population en pleine croissance, s’est réalisée la plupart du temps d’une manière très horizontale et dilatée, vu l’absence de contraintes physiques et foncières dans plusieurs sites du Touat (wilaya d’Adrar) ou sur des zones inondables dans la Saoura (wilaya de Béchar). En revanche, les nouvelles formes produites sont déconnectées de l’architecture traditionnelle du ksar et empiètent souvent sur le périmètre des palmeraies (le mitage signalé dans les palmeraies de la ville d’Adrar en est un exemple frappant). Si les chefs-lieux de daïra (arrondissements) ont bénéficié de l’implantation d’équipements non moins importants, plusieurs localités en retrait du réseau routier restent marginalisées, affichant un niveau élevé dans les indices de pauvreté. Les localités ksouriennes des communes de Sali et Tamentit ont un solde migratoire négatif entre 1998 et 2010, et les déplacements pour l’accès aux services publics représentent de réelles contraintes.

Malgré ces quelques distorsions dans la politique de l’État, les conséquences de cette dernière ont été marquantes et se sont matérialisées par un accroissement des mobilités de travail, la fluidification des échanges et la diversification des activités économiques sahariennes. Ces nouvelles dynamiques ont permis de remodeler les configurations territoriales sahariennes existantes. Les accès au logement rural ou urbain, à la scolarisation, à l’emploi, aux différents services publics, à la propriété foncière agricole ou non agricole sont les éléments décisifs ayant conduit à un changement profond de la société oasienne remettant en cause une organisation sociétale ayant survécu à de nombreux siècles.

Conclusion

Les constatations que nous avons pu tirer de cette étude montrent davantage la fragilité de l’écosystème oasien de la région d’Adrar. La mutation de la société et de l’espace est beaucoup plus profonde qu’une simple détérioration de la petite production oasienne et de son système d’irrigation traditionnelle. Le brusque changement de la vie économique et sociale des oasiens et leur intégration dans une économie globale constituent les vraies raisons de la mutation de l’espace et de la société. Les pratiques s’inscrivent progressivement dans l’oubli, car les systèmes de production actuels ont tendance à s’aligner sur la modernité imposée par les choix politiques du gouvernement algérien. Parce que le traditionnel et le moderne se côtoient, il devient désormais difficile de lire et d’interpréter la voie retenue dans les oasis (Kerroumi, 2014).

Les oasis de la région d’Adrar se définissaient en fonction du système hydraulique traditionnel qui garantissait l’accès, l’usage et la gestion de l’eau. Ce changement dans l’accès à l’eau et dans sa distribution contribue au remodelage des paysages et à la recomposition des communautés rurales. Malheureusement, le mode traditionnel de captage ne peut pas répondre aux besoins actuels en eau et, notamment, aux perspectives de développement de l’agriculture, qui se traduisent par l’extension de nouvelles superficies à mettre en valeur. La foggara et le forage sont perçus différemment, dans la région, selon les conditions socioéconomiques des habitants et le type de consommation qu’ils font de l’eau : pour l’agriculture traditionnelle ou la mise en valeur récente.

La modernisation de l’agriculture dans la région, qui est certes une nécessité, ne doit en aucun cas engendrer des conséquences préjudiciables pour l’agriculture traditionnelle. À cet effet, il est opportun et urgent qu’un plan d’aide à l’agriculture traditionnelle soit élaboré, et ce, en vue de mettre en oeuvre des réalisations d’infrastructures hydrauliques de réhabilitation et de sauvegarde de la foggara (Khadraoui, 2007). En dépit de gros investissements et malgré la forte implication des institutions publiques et des populations agricoles (souvent favorables aux projets de modernisation de l’agriculture), les résultats n’ont pas toujours été au même niveau que les objectifs fixés initialement. Diverses contraintes techniques et financières ont largement contribué à freiner ce processus (Sahli, 1995). Les hydrogéologues ont évoqué le risque d’épuisement à long terme des nappes souterraines. Prudence justifiée, car l’abaissement d’un mètre de la nappe albienne affleurant sur les pourtours ouest et sud du plateau du Tademaït suffirait à assécher les oasis du Gourara, du Touat et du Tidikelt, qui utilisent le mode d’irrigation traditionnelle par foggara. Les foggaras qui survivent sont, hélas, exposées aux risques constants de la baisse du niveau de la nappe d’eau souterraine et fortement exposées aux risques d’ensablement et d’effondrement des parois. Ces contraintes ont toujours pesé sur ce système d’irrigation depuis sa mise en place. Ce chef-d’oeuvre millénaire est aujourd’hui menacé de disparition si aucune mesure n’est prise pour sa sauvegarde et sa protection.

Ainsi, d’une manière globale, la question de l’eau se pose comme un enjeu vital dans tous les pays arides, où se trouve être pris le Maghreb. Obéissant à des impératifs socioéconomiques différents, le développement des espaces oasiens semble nuancé, dans les pays du Maghreb. En effet, la particularité de l’Algérie réside dans l’intervention massive de l’État à travers ses différentes politiques économiques (habitat, équipement, industrie). Par ces interventions massives, planifiées ou non, l’État a bien réussi son pari de « gommer » certaines disparités régionales entre le Nord et le Sud en premier lieu (les efforts dans la scolarisation en sont un bon exemple), puis à l’intérieur de la région elle-même. La politique de la mise en valeur agricole et les programmes d’habitat ruraux ont joué à cet égard un rôle précieux dans la prise en charge de sous-régions fortement enclavées.

Toutefois, la concentration des équipements et des programmes d’habitat dans les grosses agglomérations de la région (Adrar et Timimoun en particulier) risque de poser un problème à l’avenir en provoquant des tensions dans les autres secteurs de la région. Ainsi, la fragilité des écosystèmes sahariens et les spécificités structurantes de cet espace conduisent à poser le problème du développement futur de ces agglomérations et de ces territoires. La mise en place de la raffinerie de Sbaa (Adrar) ainsi que les différentes opérations de prospection du pétrole et du gaz, dans la région d’Adrar en particulier, sont en mesure de provoquer des perturbations au sein de la société oasienne telles que la région du Sud-est a connu ces deux dernières années. Les éléments environnementaux, liés aux particularités du milieu physique de la région, peuvent également jouer contre elle, si l’on se rapporte à ce qui s’est passé à Aïn-Salah au sujet de l’opposition des populations locales contre l’exploitation du gaz du Schiste.

Sur la base de toute cette analyse, la question fondamentale qui se pose actuellement est de savoir si la nouvelle composition sociale de la région, constituée de la population autochtone ayant perdu sa stratification et d’une population allochtone très diversifiée (cadres et commerçants du Nord, population d’origine touareg pratiquant une activité informelle, population subsaharienne, etc.) va conduire à une forme d’inégalité sociale, en particulier dans l’accès à l’emploi et au logement. Les différentes manifestations signalées dernièrement à Adrar, à Aoulef et dans quelques ksour de la région ne sont-elles pas un signe de l’éventuelle fragmentation d’une société oasienne longtemps en équilibre, mais dont l’urbanisation perturbe profondément le fonctionnement ?