Le domaine des études sonores est en pleine expansion. On pourrait même dire que nous sommes témoins d’un tournant qui tente de rendre justice à la dimension sonore comme un élément fondamental de la recherche en sciences sociales, et plus particulièrement en anthropologie multimodale. L’ouvrage collectif Lieu de mémoire sonore. Des sons pour survivre, des sons pour tuer contribue à l’élargissement de ce tournant en liant la présence des sons à celle de la violence (corporelle, systémique, infrastructurelle et autres) et de la mémoire. Cette approche, mise en oeuvre par Luis Velasco-Pufleau et Laëtitia Atlani-Duault qui ont dirigé le volume, répond à un manque avéré de publications portant sur la relation entre le son et la violence dans la littérature francophone en études sonores. Il faut noter que six articles sur onze contributions au total, ainsi que la courte introduction, ont déjà été publiés en anglais dans la revue Violence: An International Journal en 2020 (vol. 1, no 2). Cinq nouvelles contributions ont donc été ajoutées (parfois maladroitement) pour compléter cette collection. Les auteurs proviennent de différentes disciplines, allant de la musicologie à l’anthropologie, en passant par la psychologie et même la danse. Cette diversité des champs démontre, une fois de plus, l’essence multidisciplinaire des études sonores et du potentiel qu’a ce domaine pour traverser les frontières des disciplines et des domaines de recherche traditionnels. Deux arguments principaux sont développés dans cet ouvrage collectif. Dans leur introduction quelque peu « maigrichonne », Velasco-Pufleau et Atlani-Duault expliquent que les expériences sonores peuvent être comprises comme des « lieux de mémoire » qui permettent, grâce aux traces du passé, de contextualiser le milieu présent. Puis, ils argumentent que le son peut être utilisé à la fois comme une arme et comme une ressource qui contribue à la construction de subjectivités. C’est ce deuxième argument qui guide l’organisation des contributions présentées dans l’ouvrage : la première partie regroupant six textes développant l’idée du son (et de son absence) comme une arme ; puis la seconde partie démontrant comment le son peut être approprié pour devenir un outil d’affirmation identitaire. Le premier texte de l’ouvrage, écrit par Maria Ristani, porte sur un projet du groupe Forensic Architecture de l’Université Goldsmiths, qui a réalisé un site Web interactif grâce à des entretiens d’anciens prisonniers du pénitencier de Saydnaya en Syrie, une prison où aucun son n’est permis. Ce texte est à couper le souffle. On imagine les prisonniers contraints à vivre dans le noir et le silence. Écouter devient un instrument de survie dans ces conditions extrêmes où le contrôle sonore est utilisé comme arme de répression et de domination. Cet article démontre à la perfection comment la violence sonique devient un outil puissant de torture, bien qu’il ne laisse aucune cicatrice physique. En comparaison avec ce texte qui est basé sur une analyse d’un site Web, la contribution de Nicolas Puig se base sur une recherche de terrain, ainsi que des enregistrements sonores. Puig discute de la production et de la perception sonore d’un camp de réfugiés palestiniens au Liban. L’espace sonore du camp au quotidien devient un lieu de mémoire et un marqueur d’identité et de résistance face à la violence politique. Les quatre articles formant le reste de cette partie explorent les tensions politiques véhiculées par des chansons, des concerts et des festivals, parfois définis comme « humanitaires », qui servent de champs de bataille idéologiques. Au-delà du son, le texte de Monika Stern et Jean-Pierre Sam propose une écriture collaborative rafraîchissante et dynamique entre les deux auteurs, une ethnomusicologue et un musicien-poète, qui situe clairement les positions de chacun. La …
Velasco-Pufleau Luis et Laëtitia Atlani-Duault, (dir.), 2021, Lieux de mémoire sonore. Des sons pour survivre, des sons pour tuer. Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 304 p.
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Alexandrine Boudreault-Fournier
Département d’anthropologie, University of Victoria, Victoria (Colombie-Britannique), Canada
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