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Dans un monde où le patrimoine culturel occupe une place non négligeable, le Musée canadien des civilisations fêtait ses 150 ans d’existence en 2006. À cette occasion fut publié un ouvrage retraçant l’histoire de cette institution désormais incontournable, et qui se présente comme un lieu à vocation à la fois scientifique (recherche) et pédagogique (expositions et publications). Un Monde en soi. 150 ans d’histoire du Musée canadien des civilisations par Vodden et Dyck est un ouvrage anniversaire qui n’en présente pas moins des informations historiques et anthropologiques intéressantes.
L’histoire du Musée commence en 1856, année durant laquelle William Logan, directeur de la Commission géologique du Canada, obtient l’autorisation d’ouvrir un musée à Montréal, en relation avec les ressources minérales de ce qui n’est encore qu’une province anglaise. C’est à partir d’une vitrine d’artefacts indiens que s’est ensuite développée une division d’anthropologie (reconnue officiellement en 1910) dans la section des sciences humaines du Musée. Ce musée sera par la suite nationalisé (1927), mais n’obtiendra son indépendance par rapport à la Commission géologique qu’en 1956. Finalement, en 1989, il emménage dans de nouveaux bâtiments à Ottawa pour devenir le Musée canadien des civilisations. Au fil des pages, les auteurs évoquent les problèmes et évènements qui influencèrent le développement du Musée. Par exemple, les relations entretenues avec d’autres institutions : la Commission géologique tout d’abord, mais également avec l’Unesco ou l’Icom, relations qui lui ont permis d’étendre son réseau au niveau international en accueillant des expositions à caractère international. Dès le début en effet, l’objectif du Musée était de toucher un large public, ce qui favorisa le développement de moyens de diffusion pédagogiques et interactifs (cours pour les enfants dès 1912, modernisation et innovations des moyens de présentation, prêt de matériel à des fins scolaires, cinéma Imax, site du Musée virtuel permettant sa visite depuis le monde entier, etc.). Les déménagements successifs des collections (depuis Montréal jusqu’à Ottawa, en passant par différents bâtiments) témoignent de cette volonté d’offrir une présentation aussi adéquate que possible et d’attirer un public toujours plus nombreux.
De cette approche historique, il est possible de tirer certaines informations utiles au niveau anthropologique. Il est intéressant de noter que le développement de la recherche anthropologique fut liée au Musée (capacité de financement, domaines de recherche principalement orientés vers les ressources minières) et à la politique (financement en fonction de l’intérêt porté par le gouvernement et le public en général aux questions anthropologiques). En effet, longtemps dépendante de la Commission de géologie, la recherche anthropologique fut indissociable des travaux de cette commission. Mais la division employa bientôt des chercheurs renommés tels que Sapir ou encore Jenness, qui effectuèrent des recherches en ethnologie, linguistique, folklore, anthropologie physique et archéologie, et qu’il s’agissait de financer. Ensuite, le livre aborde certains thèmes de recherche anthropologique en vogue. Dans un chapitre, il pose clairement la question de la restitution des objets muséographiques : récupération par le Canada des biens conservés hors du territoire, mais également restitution des objets aux « Premiers Peuples », domaine dans lequel le Musée se veut proactif. Cette question de la restitution amène indirectement celle des nationalismes : dans un monde en voie de globalisation, le Musée est officiellement chargé de s’intéresser d’abord au Canada (il n’a d’ailleurs collecté pendant longtemps que des artefacts propres au Canada), mais pas seulement. Cette ouverture se marque par l’accueil d’expositions internationales, ou la collecte d’artefacts propres à tous les groupes ayant contribué à la composition actuelle de la société canadienne. En effet, dans cette société qui se réclame du multiculturalisme, la question du choix des artefacts à acquérir et à présenter est délicate : il faut veiller à ne pas servir un groupe culturel plus qu’un autre, montrer l’universel et le particulier de chacun de ces groupes.
De présentation agréable (nombreuses illustrations accompagnées d’explications et d’anecdotes), ce livre constitue une lecture intéressante. Néanmoins, il affiche un parti pris pour le Musée, ce qui en limite l’aspect anthropologique. Ce faisant, certaines questions ne sont qu’effleurées, telles celles de la restitution et de la restauration de patrimoine, du lien avec le tourisme et la consommation de biens culturels ou de la politique actuelle du Musée concernant l’avenir de ses collections. Son directeur actuel, Victor Rabinovitch, désire en effet suivre ses prédécesseurs et mettre les collections à la portée de tous les citoyens, de manière à les préserver pour la postérité, à faire du Musée un « lieu de recherche exposant son savoir à tous les Canadiens pour leur instruction et leur édification » (p. 87).