Abstracts
Résumé
La place de la mobilisation des connaissances issues de la recherche (CIR) dans un processus de recherche-intervention réalisée auprès de secrétaires d’écoles primaires est au coeur de cet article. Les CIR ont été mobilisées afin d’appuyer la problématique et d’élaborer un questionnaire (n=30) pour faire émerger des éléments qualitatifs de leur travail. Par la suite, un entretien de groupe (n=6) a invité les participantes à discuter de la façon dont se passe leur travail au quotidien. À partir des réponses recueillies, une grille d’observation a été construite et deux séances d’observation in situ ont été réalisées. Grâce à cette méthode, des cycles itératifs de questions, de réflexion et d’action ont été effectués. Les résultats montrent l’importance de se soucier de la proximité et de la distance des CIR afin de proposer de nouvelles connaissances, mais aussi de recommander des innovations et des valeurs sures pour l’amélioration du travail des secrétaires.
Mots-clés :
- Secrétaires d’école,
- amélioration des processus,
- gestion du temps,
- analyse réflexive,
- ergonomie au travail
Article body
Introduction
Cet article relate la place de la mobilisation des connaissances issues de la recherche dans un processus de recherche-intervention (Aggeri, 2016) réalisée auprès du personnel de soutien administratif (secrétaires) d’écoles primaires d’une commission scolaire de la grande région de Québec en vue d’améliorer leur quotidien.
Les approches d’amélioration de la performance, comme la gestion Lean, sont de plus en plus appliquées à l’extérieur des milieux traditionnels manufacturiers. Aujourd’hui, on retrouve des implantations de projets d’amélioration de la performance dans les établissements de santé, dans les services de travaux publics de certaines municipalités, dans les services d’emplois et même dans les services d’éducation.
À Québec, depuis cinq ans, la commission scolaire partenaire du projet a mis en place un programme d’optimisation des processus et d’amélioration continue de façon plus accentuée. Dans le cadre de ce projet spécifique, chapeauté par la direction des ressources humaines, le travail de secrétariat du personnel de soutien administratif des écoles primaires a été étudié. Nous rendons compte de la mobilisation des CIR tout au long de cette recherche-intervention à travers ses différentes étapes de réalisation : la problématique et le cadre conceptuel sont d’abord présentés succinctement. Par la suite, une place importante est accordée à la démarche méthodologique pour ensuite exposer sommairement des résultats. Les apprentissages théoriques et pratiques réalisés au terme de la recherche sont discutés pour clore ce texte.
1. Problématique
La problématique s’inscrit dans deux volets : le premier est plus pragmatique tandis que le second est plutôt théorique. Du côté pragmatique, la problématique d’intervention relève principalement d’un constat social réalisé par la direction des ressources humaines (DRH) d’une commission scolaire de la grande région de Québec. Ce constat fait état d’un travail inégal de la part du personnel de secrétariat, de difficultés de rétention du personnel et d’une insertion professionnelle difficile pour les nouvelles secrétaires d’école. Soucieuse du bienêtre de son personnel, la DRH est consciente de la décentralisation de plusieurs processus administratifs vers les écoles et de la perception de surtâche exprimée par le personnel de secrétariat, particulièrement dans les écoles primaires. Ainsi, la DRH se fixe trois cibles à atteindre au terme de cette intervention : 1) augmenter le temps disponible au personnel de soutien administratif pour la réalisation du travail de bureau; 2) réorganiser les tâches du personnel de soutien administratif – et autres personnels – au besoin; 3) réorganiser les espaces de travail du personnel de soutien administratif au besoin. Pour atteindre ces cibles, la commission scolaire s’est associée à une équipe de chercheurs[1] de l’UQTR. Cette opportunité d’intervention conduit l’équipe de recherche vers une documentation de l’objet de recherche. De ce fait, nous constatons que peu d’études portant sur le travail même des secrétaires d’école ont été publiées. Les ouvrages recensés traitant de la description des tâches de secrétaires d’école, autres que les conventions collectives, remontent à 1971 (Reynolds & Tramel, 1971). Nystrom (2002) mentionnait l’invisibilité du travail de secrétaires et la non-existence de leur classification d’emploi. Finalement, Conley, Gould et Levine (2010) mentionnent le peu de place accordée au personnel de secrétariat dans les recherches scientifiques puisqu’à certains égards, ces membres du personnel font partie de « l’environnement » plus que du « coeur éducationnel » de l’école (pp. 311-312). Nos recherches dans huit bases de données reconnues en éducation[2], dont Taylor and Francis, ERIC et ProQuest, nous offrent peu de résultats. Les recherches ont été effectuées avec les requêtes suivantes : secrétaire* d’école*, secrétaire* d’établissement*, school secretar*, personnel de soutien + école, support personnel + school.
Les résultats combinés des bases de données proposent 16 documents, dont seulement 4 concernent le primaire, tous rédigés avant 1991 et portant essentiellement sur leur lien avec la direction d’école ou la place que la secrétaire possède dans le processus décisionnel informel. En vain, nous réalisons une recherche sur Google Scholar qui retourne un total combiné de 108 résultats pour ces mêmes termes. Parmi ces résultats, seulement trois portent spécifiquement sur le travail des secrétaires d’école.
Ce constat global sur la place des écrits scientifiques sur le travail des secrétaires d’école permet de poser le volet théorique de l’intervention en se questionnant d’abord sur la manière dont les peu nombreuses connaissances scientifiques antérieures spécifiques au sujet peuvent être mobilisées pour appuyer l’intervention. D’entrée de jeu, nous estimons que des connaissances plus générales sur le travail du personnel de secrétariat doivent être mobilisées pour pallier le peu de connaissances spécifiques. Ensuite, et à l’inverse, le fait du peu d’écrits scientifiques laisse beaucoup de place à l’utilisation d’une approche inductive, et donc à une certaine distanciation des écrits scientifiques dans les données qui sont émises par les participantes[3] dans le cadre de notre intervention. Nous estimons donc primordiale cette prise de distance afin de bien comprendre le vécu des secrétaires d’école dans leur travail. Finalement, c’est ce volet théorique de mobilisation des connaissances, qui s’oppose à la distanciation théorique, traduit en objectifs, dont il est question dans le présent article.
2. Objectifs
Outre les cibles souhaitées par la commission scolaire, cet article vise à mettre en lumière la méthodologie utilisée afin de présenter la manière dont les connaissances scientifiques sont mobilisées pour structurer la recherche et la manière dont la distanciation du corpus conceptuel initial a fait émerger des données inattendues.
3. Cadre conceptuel
La problématique a exposé un volet théorique et un volet pragmatique à cette recherche. Le volet théorique se conceptualise par la mise en opposition, pour le chercheur, de la mobilisation des connaissances à une extrémité du continuum et de la distanciation théorique à l’autre bout (voir Figure 1, partie jaune, pour le chercheur). Par mobilisation des connaissances, nous entendons le fait de réutiliser des connaissances issues de la recherche, notamment par le chercheur pour la construction de nos outils méthodologiques, mais aussi pour en intégrer dans un plan organisationnel (Milne & Trocmé, 2018) et appuyer les choix faits par les secrétaires d’école dans le cadre de leur travail. Nous qualifions cette utilisation des connaissances issues de la recherche (CIR) de proximité conceptuelle puisque les participants qui utilisent des CIR peuvent ainsi demeurer plus près des concepts théoriques dans leur utilisation pragmatique. Leur utilisation s’en trouve, au moins partiellement, facilitée (Belleau, 2011). À l’autre extrémité de ce continuum, nous retrouvons la distanciation théorique qui permet au chercheur de percevoir ce qui l’entoure en tentant d’éliminer les préconceptions apportées par les CIR. Pour les participantes à la recherche, cette distance permet de fournir des données qui leur sont propres ou qui sont moins teintées des CIR ou pour lesquelles les CIR sont bien intégrées dans leur fonctionnement quotidien sans toutefois se souvenir qu’elles sont issues de la recherche. C’est ce que nous appelons distanciation inductive. Ainsi, pour les participantes, le continuum (voir Figure 1, partie bleue, pour les participantes) va de la proximité conceptuelle à la distanciation inductive. Nous appelons dualisme le positionnement que les personnes, tant le chercheur que les participantes, occupent sur le continuum présenté puisqu’elles se trouvent toujours en interaction entre la distance et la proximité avec l’objet de recherche ou la situation dans laquelle elle se trouve.
Le volet pragmatique du cadre conceptuel de cette recherche se fait par l’application de théories et de la logique hypothéticodéductive. Ainsi, nous nous appuyons sur des travaux de recherche qui proposent des méthodes d’amélioration du travail dans un contexte de services publics. Le travail du personnel de soutien administratif est donc regardé sous quatre angles (voir Tableau 1) qui sont choisis afin d’atteindre prioritairement les cibles d’intervention initiales.
La mobilisation des connaissances antérieures est utilisée pour documenter et comprendre ces quatre angles, non mutuellement exclusifs, pour ensuite construire nos outils méthodologiques. Considérant le peu d’écrits portant spécifiquement sur le travail des secrétaires d’école, nous avons opté pour des écrits plus généraux traitant de chacun de ces quatre angles. Dans leur présentation, et afin de faire ressortir la complémentarité des angles retenus, puisque ce sont des concepts qui s’entrecroisent parfois, nous avons inséré des références aux autres angles traités (GT, AP, ET, AR).
3.1 Gestion du temps
La gestion du temps est un thème récurrent du travail, davantage en sciences de la gestion (Bechu, 2012; Deffains, 2014; Gacoin, 2013; Jones, 1998) qu’en sciences de l’éducation (St-Germain, 2012). Elle peut se définir en tant que moyens, physiques ou mentaux, mis en oeuvre afin d’organiser le temps dont une personne dispose pour réaliser un ensemble de tâches, la plupart du temps liées au travail. Dans ce projet, nous nous intéressons à la manière d’augmenter le temps disponible en diminuant ce que Lacombe (2011) appelle les voleurs de temps, ces activités qui causent des pertes de temps (AP) dans la gestion du travail, qu’elles soient imposées ou volontaires. Parmi ces voleurs de temps, Lacombe (2011) en mentionne 18 principaux, dont les réunions trop longues, les interruptions et le perfectionnisme. Une manière d’améliorer la gestion du temps et de prendre conscience (AR) de ces voleurs de temps est d’observer les processus de travail.
3.2 Amélioration des processus
Issues du génie industriel, les méthodes d’amélioration liées au Lean management sont dorénavant utilisées dans le milieu de l’éducation (Forget, Samson, Thibodeau, Cloutier, & Luckerhoff, 2014). Elles se définissent comme un mode de gestion visant l’amélioration de la performance de l’organisation dans le but de créer de la valeur pour le client (Landry & Beaulieu, 2016). Elles visent à augmenter la valeur pour l’utilisateur et le destinataire du processus étudié en augmentant la qualité, la satisfaction, la sécurité, ou en diminuant les couts opérationnels (GT) (Emiliani, 2015; Liker & Morgan, 2006). Dans le cas de la présente recherche, l’accent a été mis sur l’augmentation de la qualité du travail et la satisfaction de la personne (AR) qui effectue le travail. Un des moyens d’améliorer la satisfaction du personnel (AR) est le bienêtre physique (ET) et cela implique d’améliorer l’ergonomie au travail.
3.3 Ergonomie au travail
Différentes associations (Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales [ASSTSAS], 2012; Bureau international du travail, 2006; Travail sécuritaire NB, 2010) présentent des recommandations techniques concernant l’aménagement des postes de travail en bureautique, comme l’ajustement du fauteuil, l’aménagement de la surface de travail et l’ergonomie de l’écran d’ordinateur. Aux notions d’ergonomie s’ajoute la notion de 5 S (Jancarik & Vermette, 2013) qui est une méthode d’organisation du milieu de travail afin d’éliminer le gaspillage (AP) relié au temps (GT) et aux mouvements des employés.
Que l’on parle de gestion du temps, d’amélioration des processus ou d’ergonomie au travail, le chercheur ne peut gérer seul, en tant qu’agent externe, ces différents angles. Pour ce faire, il doit entrer en relation avec la personne qui occupe la fonction et l’amener à réfléchir sur ses pratiques et sur son environnement. C’est ainsi que l’analyse réflexive entre en jeu.
3.4 Analyse réflexive
Sans entrer dans les débats théoriques, mais riches, sur les termes similaires analyse réflexive, approche réflexive et pratique réflexive, mentionnons que l’origine des approches réflexives remonterait à Dewey (Boutin & Lamarre, n.d.). La pratique réflexive est reconnue pour sa capacité à générer des solutions et à améliorer les actions, particulièrement chez les personnes expérimentées (Argyris & Schön, 1974; Schön, 1983) avec une réflexion sur l’action et dans l’action. Puisque leurs expériences servent de base de connaissance et de références, les justifications théoriques des actions sont plus souvent difficiles (Boutin & Lamarre, n.d.). Cela permet donc d’accorder une place à l’induction et une distanciation des cadres théoriques dans un contexte méthodologique comme celui que nous proposons.
Aux recherches de Schön (1983; Argyris & Schön, 1974), ajoutons celle de Kolb (1984) qui facilite une certaine prise de conscience en proposant un cycle réflexif d’apprentissage liant expérience concrète, observation réflexive, conceptualisation abstraite et expérimentation active. La prise de conscience ainsi réalisée peut se définir en tant que « capacité […] à la fois de prendre sa pratique professionnelle comme objet de réflexion et d’analyse, mais aussi de la décrire, de la mettre en mots, bref, de la dire » (Daniel, Pallascio, & Lafortune, 2004, p. 39).
Dans ce projet, et pour chacune des étapes de la collecte de données, le chercheur amène chacune des participantes à prendre conscience de son expérience, de ses réflexions au sujet de son travail, des raisons de l’utilisation de ses divers processus de travail et à se projeter dans des actions futures améliorées. Cet aspect est primordial pour mettre en évidence l’apport de la secrétaire d’école dans la description de son propre travail.
Les quatre angles conceptuels proposés, soit la gestion du temps, l’amélioration des processus, l’ergonomie au travail et l’analyse réflexive, forment les bases de la trame méthodologique décrite dans la section suivante.
4. Méthodologie
La méthodologie utilisée est d’abord descriptive interprétative (Fortin & Gagnon, 2016). Les données qualitatives collectées servent principalement à atteindre les cibles fixées par la commission scolaire dans le cadre du mandat à réaliser. Afin d’atteindre un niveau de profondeur satisfaisant, nous optons pour une méthodologie dont la collecte des données s’effectue de manière inductive auprès des participantes puisque cette manière autorise une distanciation « par rapport à la manière habituelle de mobiliser les résultats des recherches antérieures. Cette prise de distance est fondamentale en induction parce qu’elle permet l’ouverture à ce qui émergera des données au cours du processus de recherche » (Luckerhoff, Guillemette, & Labelle, 2017, p. 1). La méthodologie retenue consent également à la déduction et à la validation, auprès des participantes, des résultats obtenus. Ainsi, la méthodologie utilisée s’insère dans la famille des recherches-interventions.
Le sens donné à la recherche-intervention par Aggeri s’applique intégralement à notre mandat de recherche puisqu’il « s’appuie, à la manière des anthropologues, sur une immersion dans l’organisation en vue de conduire une intervention, c’est-à-dire d’accompagner ou de susciter une transformation des organisations » (2016, p. 79).
Cette section méthodologique présente les participantes de l’étude, les outils de collecte des données – questionnaire, entretiens de groupe (deux rencontres) (Baribeau & Germain, 2010) et observations participantes (deux séances) (Jones, Burnay, & Servais, 2000) – de même que la méthode d’analyse des données. Considérant la nature diversifiée des cibles à atteindre dans le mandat octroyé de même que le souhait d’obtenir une description exhaustive du travail des secrétaires, nous avons choisi d’utiliser différents outils de collecte de données qui se voulaient complémentaires. Pour chacun des outils présentés, la place qu’occupe la mobilisation des connaissances antérieures ainsi que la distance prise avec celles-ci est exposée.
4.1 Les participantes à l’étude
Trente participantes ont fait partie du projet et les lignes qui suivent présentent leurs caractéristiques sociodémographiques. Ainsi, 27 d’entre elles travaillent à temps complet et 3 sont à temps partiel. Elles occupent un poste de secrétaire scolaire au primaire depuis 1 an à 25 ans, la moyenne étant de 7, 4 années d’expérience et la médiane de 4 ans. Elles ont répondu volontairement au questionnaire en ligne qui avait été envoyé à toutes les secrétaires des écoles primaires de la commission scolaire. Pour ce qui est des participantes aux deux entretiens de groupe (n=6) et pour l’observation participante (n=5), elles ont été choisies par le coordonnateur de la commission scolaire en tentant une hétérogénéité selon des critères de répartition géographique, de nombre d’élèves dans l’école et d’années d’expérience.
4.2 Collecte des données
La collecte des données s’est déroulée en cinq étapes réparties sur une période de six mois
Passation du questionnaire en ligne : juin 2017;
1er entretien de groupe : fin septembre 2017;
1re séance d’observation : octobre 2017;
2e séance d’observation : novembre 2017;
2e entretien de groupe : décembre 2017.
Des tableaux (voir les Tableaux 2, 3, 5 et 6) pour chacune des étapes de la collecte de données sont présentés pour expliquer comment le dualisme mobilisation-distanciation a permis de construire l’outil de collecte et son utilisation par les participantes.
4.2.1 Le questionnaire en ligne
Le questionnaire de 21 questions a été réalisé et mis en ligne à l’aide de Google form. La première section comportait cinq questions concernant le contexte de travail, telles que le nombre d’années d’expérience, le pourcentage de tâche (nombre d’heures travaillées par semaine), le nombre de bâtisses dans lesquelles le travail est effectué. Cette section s’est basée sur des connaissances antérieures générales connues concernant le contexte global des écoles du Québec.
La deuxième section du questionnaire posait quatre questions portant sur la satisfaction au travail, par exemple : « Sur une échelle de 0 à 10, quel est votre niveau de satisfaction au travail? Expliquez votre réponse » ou « Qu’est-ce que vous aimez le plus dans votre travail? » L’utilisation d’une question avec échelle de Likert, bien que demeurant subjective, a servi de base de discussion avec les participantes pour recueillir des données supplémentaires expliquant leur réponse. Les catégories thématiques concernant la satisfaction au travail sont issues de la mobilisation de connaissances antérieures, mais il a été choisi de laisser des questions ouvertes pour que les participantes expliquent leur argumentaire quant à leur satisfaction au travail. Cette manière de procéder a permis d’obtenir une grande quantité (plus de 50 entrées) de données provenant des participantes, dont certaines étaient hors des catégories initiales.
La troisième section du questionnaire proposait sept questions qui portaient sur le temps et les tâches à réaliser, dont « donnez une description détaillée des principales tâches que vous effectuez » et « quelles sont les tâches que vous devriez faire, mais que vous n’avez pas le temps de faire? ». Ces questions étaient soumises aux participantes afin de recueillir des réponses en lien avec la cible 1 (gestion du temps). Bien que très précises, les questions laissaient toute la place souhaitée aux participantes pour développer leurs idées. Ces questions gardaient une distance avec les cadres conceptuels (comme les voleurs de temps) et offraient majoritairement des données à l’extérieur des catégories initiales.
La quatrième section contenait quatre questions portant sur des pistes d’amélioration, telles que « qu’est-ce qui pourrait vous aider à améliorer votre travail? » et « qu’est-ce qui pourrait vous permettre de sauver du temps? ». Ces questions étaient formulées pour obtenir des réponses à la cible 2 (amélioration des processus). Les réponses obtenues ne se rattachaient à aucun cadre théorique puisqu’elles mettaient en valeur l’expérience des participantes.
Finalement, le questionnaire se terminait par une question d’ordre général : « Concernant votre travail, y a-t-il des commentaires desquels vous aimeriez faire part et qui pourraient contribuer à améliorer votre situation? » Peu de réponses supplémentaires y ont été notées, les participantes mentionnant avoir tout dit ce qu’elles avaient à dire dans les questions déjà répondues. Cette dernière information nous laisse penser que le questionnaire était relativement complet pour obtenir une certaine saturation des données, ce que nous sommes allés vérifier avec le premier entretien de groupe.
4.2.2 Le premier entretien de groupe
D’une durée de deux heures et demie, le premier entretien de groupe s’est déroulé en quatre étapes. La première (15 minutes) comprenait l’accueil des participantes, la présentation de chacune et une présentation sommaire du projet. La deuxième étape (75 minutes) consistait simplement en une discussion lancée avec la directive suivante : « Parlez-moi de votre travail de secrétariat. » La troisième étape (45 minutes) a été l’occasion de remplir un tableau SWOT ou MOFF en français (strengths [forces], weaknesses [faiblesses], opportunities [opportunités], threats [menaces]) (Westhues, Lafrance, & Schmidt, 2001). Le tableau MOFF (voir Tableau 4) présente la structure utilisée de même que quelques réponses obtenues lors du premier entretien de groupe.
Cette troisième étape a servi à classer les idées émises concernant le contexte général de travail. La quatrième étape (15 minutes) correspondait à la clôture de la rencontre, étape durant laquelle les participantes ont été remerciées à nouveau pour leur participation et les séances d’observation planifiées avec le chercheur. Les deuxième, troisième et quatrième étapes sont maintenant détaillées pour mettre en évidence le dualisme de proximité conceptuelle et de distanciation inductive.
Durant la deuxième étape de ce premier entretien de groupe, les participantes ont pris beaucoup de temps pour manifester leurs inconforts dans leur travail. Elles ont échangé au sujet de problématiques particulières et se sont partagé des méthodes de travail. Plusieurs données ont émergé et les idées exprimées par une personne menaient nécessairement à un renforcement de l’idée par les autres. En de rares occasions, une personne manifestait son désaccord avec ses collègues. Durant cette étape, le chercheur écoutait attentivement et prenait des notes personnelles sur un support informatique : certaines étaient intégrées directement dans le tableau MOFF, alors que d’autres étaient prises librement. Cette prise de notes montre également le dualisme entre les catégories conceptuelles et les données induites par les participantes.
Lors de la troisième étape, le chercheur a présenté les données qu’il venait d’inscrire dans le tableau MOFF et les a fait valider par les participantes en les présentant à l’écran. Par la suite, pour chacune des cases du tableau, les participantes ont enrichi le corpus avec leurs idées et perceptions de la situation générale de leur travail en en parlant d’un point de vue organisationnel. Elles ont ressorti entre 10 et 21 éléments pour chacune des cases. Lorsque certains segments de la discussion ne pouvaient pas s’inscrire dans une des cases, ils étaient inscrits à part, en notes personnelles pour y avoir accès par la suite.
4.2.3 La première séance d’observation participante
Durant la première séance d’observation, le dualisme entre mobilisation et distanciation s’est opéré, comme en témoigne le Tableau 5.
D’abord, l’observation participante, qui est différente de la participation observante (Soulé, 2007) pourrait se définir comme un dispositif de recherche caractérisé par « une période d’interactions sociales intenses entre le chercheur et les sujets, dans le milieu de ces derniers » (Lapassade, 2016, p. 392). Ainsi, les premières séances d’observation participante, d’une demi-journée chacune, se tenaient en alternance dans chacune des écoles. Cette présence du chercheur sur le terrain correspondait à la première tâche fondamentale de l’observation en situation mentionnée par Martineau (2005). L’ordre des écoles visitées a été déterminé par le chercheur pour minimiser le temps de déplacement entre les écoles. Selon Martineau (2005), l’observation elle-même constitue la seconde tâche fondamentale alors que le fait de garder des traces correspond à la troisième tâche. Pour s’y conformer, lors de l’observation participante, le chercheur notait dans une grille les informations dans différentes catégories : fonctions de travail de la personne observée, les logiciels utilisés, les caractéristiques de l’environnement de travail, l’ergonomie, le système de classement, les fréquences d’interruptions et des commentaires et impressions générales. La personne observée nommait ses tâches et expliquait la manière dont elle les réalisait. Le chercheur se tenait assis dans un coin, le plus possible hors du champ visuel de la personne observée pour diminuer l’influence qu’il pourrait avoir sur la réalisation des tâches. La grille d’observation comportait initialement les différentes catégories pour répondre aux cibles du mandat octroyé par la commission scolaire. Toutefois, la catégorie commentaires et impressions générales a été très utilisée. Plusieurs éléments observés n’entraient pas dans les catégories prédéterminées. Nous y retrouvions des pistes de solutions à des problèmes exposés, des commentaires de personnes qui voyaient le chercheur en train d’observer, des suggestions d’amélioration…
Le fait que la catégorie ouverte commentaires et impressions générales ait tant été utilisée indique la force et la richesse de cette étape d’observation de la collecte de données. Les catégories fermées permettaient de répondre facilement aux cibles de la recherche avec des recommandations simples. Les données collectées à partir des questions ouvertes permettaient de personnaliser ces recommandations et de prévoir les facilités ou les difficultés de mise en oeuvre des recommandations. Ceci correspond à la quatrième et dernière tâche fondamentale proposée par Martineau (2005), soit celle de rendre compte de l’observation en proposant une interprétation.
La séance d’observation était qualifiée de participante puisqu’à une dizaine de moments en cours d’observation, le chercheur utilisait l’analyse réflexive pour amener la participante à prendre conscience du travail qu’elle réalisait, des raisons qui l’amenaient à le réaliser de cette manière et à voir de quelle façon elle pouvait améliorer son mode de fonctionnement.
4.2.4 La seconde séance d’observation participante
Les secondes séances d’observation ont eu exactement les mêmes durées et structures que les premières et la grille d’observation était la même. Le dualisme mobilisation-distanciation qui animait le chercheur et les participantes était le même que dans la première séance d’observation participante. C’est pour cette raison que nous ne reproduisons pas le tableau ici. La particularité de cette seconde séance d’observation venait du fait que les personnes observées donnaient les raisons de leurs actions ou ajoutaient un commentaire au sujet de l’action réalisée sans même que le chercheur n’ait à le demander. Le chercheur se tenait assis en retrait, mais plus près de la personne observée que lors de la première séance. Encore une fois, la catégorie commentaires et impressions générales a été très employée. Plusieurs éléments observés n’entraient pas dans les catégories prédéterminées pour répondre aux cibles de la commission scolaire. Cette fois-ci, en plus des données de la première séance d’observation, nous retrouvions des réflexions faites à voix haute par les participantes observées. Celles-ci semblent plus à l’aise et exercent une analyse réflexive et critique des gestes qu’elles accomplissent. Toutefois, elles restent peu critiques par rapport à leur environnement de travail, se disant « on n’a pas beaucoup de ressources, c’est comme ça! ».
4.2.5 Le second entretien de groupe
Le Tableau 6 présente le dualisme entre mobilisation et distanciation lors du second entretien de groupe.
Le second entretien de groupe, d’une durée de quatre heures, s’est tenu le 8 décembre au centre administratif de la commission scolaire. Il s’est déroulé en sept étapes : l’accueil (15 minutes), un retour sur le processus (15 minutes), une séance de commentaires généraux sur le travail des participantes (90 minutes), une présentation des résultats (30 minutes), un journal réflexif (15 minutes), un remue-méninge de pistes de solutions (30 minutes) et la clôture de la rencontre (15 minutes).
Le retour sur le processus a été bref et les participantes ont apprécié leur liberté de parole et l’écoute du chercheur. Les séances d’observation participante ont également été mentionnées en tant qu’éléments essentiels à la compréhension de leur travail.
Lors de la séance de commentaires généraux, les participantes en ont profité pour discuter à nouveau des irritants de leur travail et pour partager leurs méthodes de travail. Les participantes ont l’impression que ces moments de discussion, à l’image de communautés de pratique, sont rentables pour elles.
La brève présentation des résultats du projet comportait les données exprimées par chacune des participantes lors des séances d’observation participantes et l’analyse sommaire réalisée par l’équipe de recherche. Cette présentation a été écourtée et interrompue à de multiples reprises par les participantes qui commentaient, ajoutaient et précisaient les résultats des étapes de collecte de données précédentes.
Pour passer de l’étape de la présentation des résultats au remue-méninge, nous nous nous sommes inspirés de la recherche effectuée par Schön (1983) auxquelles nous avons ajouté celle de Kolb (1984), ce qui a facilité une certaine prise de conscience en proposant une activité de journal réflexif utilisant un cycle d’apprentissage liant expérience concrète, observation réflexive, conceptualisation abstraite et expérimentation active.
Concernant le journal réflexif, une adaptation de celui de l’Université de Lausanne (2009) a été utilisée pour amener les participantes à réfléchir sur un évènement des derniers jours. Une question y a été ajoutée pour savoir quelle compétence était mise à profit dans l’évènement analysé. Il est ressorti de cet exercice que l’analyse aide à trouver certaines pistes de solutions ou d’amélioration par soi-même. Il a été rapporté aussi que les compétences mises à profit le plus souvent ne sont pas des compétences techniques, mais plutôt des compétences que l’on pourrait qualifier de transversales ou de globales.
Finalement, la période de remue-méninge a servi à faire ressortir les solutions les plus probantes pour répondre aux besoins des participantes, mais aussi pour l’atteinte des cibles déterminées par la commission scolaire.
Encore une fois, dans cette étape de la collecte des données, le dualisme proximité/distance avec le cadre conceptuel s’est exercé, avec une prépondérance pour la distance.
Une fois les données collectées, elles ont été analysées.
4.3 Analyse
L’analyse des données s’est fait de manière itérative (après chacune des étapes de la collecte des données) en essayant de faire ressortir toutes les suggestions des participantes. À la suite du questionnaire en ligne, les données ont été analysées de manière descriptive. Par la suite, elles ont été compilées en unités de sens (Paillé & Mucchielli, 2016). Ces unités de sens ont été organisées en fonction des trois cibles proposées par la commission scolaire. Les unités de sens qui ne pouvaient pas s’inclure dans les cibles initiales ont été placées dans une catégorie ouverte et traitées (ou retraitées) à la fin de chacune des étapes de la collecte des données de même qu’en fin de processus d’analyse, une fois toutes les données collectées. À chacune des étapes, le chercheur se questionnait : « quelles sont les données qui s’insèrent dans les catégories prédéterminées? »; « quelles sont les données qui ne s’inscrivent pas dans les catégories prédéterminées? »; « comment peut-on résoudre les problèmes énoncés? »; « comment peut-on favoriser le bienêtre et la satisfaction au travail à partir de ces données? » La première de ces questions nous ramenait sans cesse aux concepts énoncés dans notre cadre conceptuel et permettait de répondre de manière superficielle, ou au premier degré, aux cibles de la commission scolaire. Quant aux trois autres, elles se voulaient des points de départ pour rechercher ou trouver la source profonde d’une problématique qui semblait simple à résoudre avec la première question, mais qui, finalement, avait des racines complexes.
À la suite du questionnaire, une analyse descriptive du vocabulaire a été réalisée. Les vingt termes les plus fréquents sont inscrits dans la Figure 2. Un nuage de mots a également été créé. Plus le mot est inscrit en gros caractères, plus il est fréquent dans les réponses au questionnaire en ligne.
5. Résultats
Les résultats obtenus permettent de se rapprocher des résultats d’autres recherches, mais aussi de les enrichir afin de produire de nouvelles connaissances et de recommander des innovations et des valeurs sures pour l’amélioration du travail du personnel de secrétariat de l’ensemble de la commission scolaire. Ainsi, à la lumière des données analysées, les participantes à la recherche ont manifesté un certain intérêt, ou parfois un intérêt certain, pour les solutions suivantes, au regard des cibles souhaitées par la commission scolaire. Considérant l’objectif premier de cet article, les résultats de la recherche-intervention elle-même ne sont présentés que sommairement.
5.1 Solutions proposées pour chacune des cibles de la commission scolaire
Pour chacune des cibles déterminées initialement par la commission scolaire, les participantes proposent les solutions suivantes.
5.1.1 Cible 1 : augmenter le temps disponible au personnel de soutien administratif pour la réalisation du travail de bureau
Les données collectées donnent à penser qu’il est possible d’augmenter le temps disponible en revisitant les tâches et en éliminant les saisies d’information en double. Le fait de ne pas prendre de pauses cause un surplus de fatigue qui rend le travail de concentration plus ardu, et donc plus long.
5.1.2 Cible 2 : réorganiser les tâches du personnel de soutien administratif – et autres personnels – au besoin
Parmi les possibilités évoquées, les participantes mentionnent la possibilité d’arrimer le travail des employées du service de garde et celui du personnel de secrétariat afin d’offrir un soutien additionnel au personnel de secrétariat. La mise en place d’une ressource pivot à la commission scolaire faciliterait aussi le travail des secrétaires. Cette personne aurait le mandat de former et d’accompagner les nouvelles secrétaires dans leurs nouvelles fonctions, mais aussi de faire les suivis post-formation auprès de l’ensemble des secrétaires.
5.1.3 Cible 3 : réorganiser les espaces de travail du personnel de soutien administratif au besoin
Les espaces de bureau sont bien meublés et les accessoires de travail adéquats. Par contre, concernant l’ergonomie de travail, il y a clairement un manque d’ajustement des postes de travail : ajustement de chaise, ajustement des hauteurs de claviers et des écrans, difficulté d’utiliser la zone proximale de la surface de travail. À certains endroits, les accessoires courants sont placés au-delà de la zone de travail tertiaire. Dans plusieurs cas, le bruit présent est intense et la circulation du personnel de l’école incessante.
5.2 Angles traités
Pour chacun des angles conceptuels traités, les résultats suivants émanent.
5.2.1 Angle 1 : Gestion du temps
Sous l’angle de la gestion du temps, les données analysées permettent d’identifier les voleurs de temps externes (Lacombe, 2011) les plus importants : les interruptions permanentes, les appels téléphoniques imprévus, les courriels, les démarches administratives trop longues de même que les distractions et les bruits environnants. Pour ce qui est des voleurs de temps internes, notons principalement l’incapacité de dire « non » et des priorités ou objectifs confus et changeants. Les participantes mentionnent les interruptions fréquentes comme étant les plus grandes voleuses de temps.
Les résultats concernant la gestion du temps ne bonifient pas ni n’infirment les concepts vus dans le cadre conceptuel. Par contre, ils apportent des précisions sur les voleurs de temps qui amputent le plus l’horaire des secrétaires. Cette nouvelle connaissance pourra être réutilisée lors de planification des tâches assignées aux secrétaires et de la répartition de ces tâches dans le cycle annuel des activités de l’école.
5.2.2 Angle 2 : Amélioration des processus
Concernant l’amélioration des processus, plusieurs petites choses peuvent être faites, mais elles reposent essentiellement sur des initiatives personnelles et se produisent lors des périodes plus tranquilles qui sont plutôt rares. Parmi ces choses, notons la formation continue autodidacte, l’amélioration de l’utilisation de certaines fonctionnalités avancées des logiciels, un réaménagement des modes de classement et même l’utilisation d’éponges glacées pour soigner les petites blessures des enfants.
Les résultats par rapport à cet aspect suggèrent la nécessité d’accompagner ce changement (Lafortune, 2008), de créer des occasions de partage des pratiques, ou à tout le moins de stimuler le changement par l’utilisation de l’approche réflexive. Les écrits d’Emiliani (2015) proposent également une méthode pour mener des projets d’amélioration continue en éducation.
5.2.3 Angle 3 : Ergonomie au travail
En comparant l’aménagement des postes de travail avec les données des organismes nationaux qui traitent d’ergonomie, nous constatons plusieurs lacunes. La plupart des interventions à réaliser sont simples et peu couteuses : ajustement de la hauteur du bureau, ajustement de la chaise, ajout d’une tablette pour les accessoires, rangement différent du matériel…
Les résultats touchant l’ergonomie n’apportent pas de nouveautés aux connaissances globales sur l’ergonomie comme telle. Par contre, ils montrent clairement que la vérification ergonomique doit être faite de manière plus régulière puisque toutes les secrétaires avaient bénéficié d’un ajustement ergonomique de leur poste de travail il y a quelques années.
5.2.4 Angle 4 : Analyse réflexive
Lors de l’analyse réflexive, les participantes ont mentionné de leur propre chef les raisons de certaines de leurs actions. En les exposant, plusieurs d’entre elles ont pris conscience de leur situation et ont proposé d’emblée des pistes de solution. L’activité d’analyse réflexive effectuée lors du deuxième entretien de groupe a amené les participantes à prendre davantage conscience de leurs compétences.
Les résultats concernant l’analyse réflexive, qu’elle soit guidée ou non, démontrent la pertinence d’une telle approche pour l’amélioration continue. De plus, la force de l’outil proposé par l’Université de Lausanne (2009) dans un contexte autre que celui de l’enseignement est mise en évidence.
6. Discussion
La discussion proposée reprend le dualisme proximité/distance avec le cadre conceptuel en réponse à l’objectif principal de cet article.
Au coeur de la méthodologie de recherche employée, le dualisme entre proximité et distance avec le cadre conceptuel s’est fait sentir, particulièrement pour le chercheur. En effet, les participantes étaient peu conscientisées au cadre conceptuel sous-jacent au processus de collecte des données et elles ne participaient pas au processus d’analyse non plus. Elles ont été informées des cibles du projet, fixées par la commission scolaire, mais pas des aspects de proximité ou de distance avec le cadre conceptuel.
Pour maintenir une certaine proximité avec le cadre conceptuel, le questionnaire en ligne comportait des questions fermées portant sur les données contextuelles, mais aussi sur des aspects du travail orientés par des études antérieures ou des documents légaux de la commission scolaire. Lors du premier entretien de groupe, le tableau MOFF se collait sur la structure proposée dans Westhues et al. (2001). Cette structure a permis de consolider l’information et de ne pas oublier d’éléments importants dans la description du contexte dans lequel évoluent les participantes. Lors des séances d’observation, la grille produite initialement à partir des données recueillies directement auprès des participantes faisait office de guide d’observation. Ainsi, d’une certaine façon, elle devenait un élément structurant de la prise de notes et des observations. L’activité d’analyse réflexive réalisée lors du deuxième entretien de groupe s’est basée sur le canevas proposé par l’Université de Lausanne (2009). Cet outil a contribué à centrer et à accompagner le processus réflexif des participantes. Avec cet outil, les réflexions étaient plus orientées vers le processus tout en laissant les réponses émerger de la réflexion.
Pour maintenir une certaine distance avec le cadre conceptuel utilisé, le questionnaire en ligne comportait des questions ouvertes, dont la dernière qui ne portait sur aucun thème en particulier. Lors du premier entretien de groupe, la question utilisée permettait de collecter plusieurs informations venues de l’expérience des participantes. Le chercheur a conçu la grille d’observation à partir des données du questionnaire en ligne et du premier entretien de groupe, c’est-à-dire à partir des informations transmises par les participantes. Lors des séances d’observation, le chercheur était en retrait et tentait d’être invisible lors de la première séance afin de ne pas interférer dans le processus de travail de la participante. Ainsi, les données collectées provenaient exclusivement de la participante et de son entourage. Lors de la deuxième séance, une proximité physique s’était installée entre le chercheur et la participante pour mieux voir le travail réalisé, mais aussi pour essayer de comprendre le comment et le pourquoi de son travail. D’un point de vue conceptuel, la distance est demeurée puisque les questions posées visaient à éclaircir certains phénomènes observés et générés par la participante. L’utilisation de l’analyse réflexive, guidée par le chercheur, a largement contribué à faire émerger plusieurs détails concernant ce comment et ce pourquoi. Finalement, lors du deuxième entretien de groupe, la distance avec le cadre conceptuel est demeurée essentiellement en raison de l’écoute apportée aux nombreux propos. De prime abord, chacune des phrases prononcées est d’importance égale, qu’elle soit collée sur le cadre conceptuel ou pas. C’est davantage la fréquence élevée de la phrase ou son approbation par l’ensemble des participantes qui en fait un élément plus important.
Une donnée inattendue est également ressortie lors des entretiens de groupe, celle de l’émotivité. La dynamique du groupe a permis de mettre en évidence la détresse de certaines personnes malgré le plaisir de travailler auprès des enfants.
Finalement, dans le cadre de cette recherche-intervention, nous avons oscillé entre proximité et distance en regard du cadre conceptuel retenu. Nous estimons qu’une bonne planification de la méthodologie de recherche a rendu cela possible. De plus, les habiletés de rigueur et d’écoute du chercheur ont contribué à naviguer dans cette alternance de proximité et de distance. Le chercheur estime que ses apprentissages antérieurs au sujet de l’approche ÉCHO (Huot & Marion, 2016) et sur la créativité (Carrier & Gélinas, 2011; Cohendet, Le Bas, Simon, & Szostak, 2013) ont également contribué à gérer ce dualisme, notamment la capacité à faire un certain vide mental/conceptuel pour accueillir les données émergentes, pour ensuite les rattacher à un cadre conceptuel et enrichir ce cadre conceptuel en le modifiant à la lumière des nouvelles données.
Conclusion
Pour conclure, rappelons que cet article a relaté la place de la mobilisation des connaissances issues de la recherche dans un processus de recherche-intervention (Aggeri, 2016) réalisé auprès du personnel de soutien administratif d’écoles primaires d’une commission scolaire de la grande région de Québec en vue d’améliorer leur quotidien. Les aspects de la gestion du temps, de l’amélioration continue, de l’ergonomie au travail et de l’analyse réflexive ont été abordés. Pour chacun de ces aspects, des améliorations ont été proposées par les participantes à la recherche.
Le dualisme entre la proximité et la distance avec le cadre conceptuel présenté a soutenu une collecte de données riches qui n’auraient pu être produites avec une seule composante du dualisme ou avec un nombre restreint d’outils.
Les limites de cette recherche viennent du petit nombre de participantes. Des discussions supplémentaires avec ces dernières ou des séances d’observation allongées auraient aussi pu procurer des données supplémentaires si ce n’avait été des impératifs financiers et temporels liés au mandat. Les retombées sur le terrain de ce projet ne sont pas encore connues du fait que l’implantation des pistes de solutions proposées par les participantes était en cours au moment d’écrire ces lignes.
Dans de futures recherches, la même méthodologie pourrait être employée à d’autres corps d’emploi ou à des domaines autres que celui de l’éducation. Une recherche comparative portant sur les données obtenues avec les moyens de proximité du cadre conceptuel et celles obtenues avec les moyens de distance du cadre conceptuel pourrait servir à éclairer les avantages ou les inconvénients de chacune des approches de ce dualisme de même que les facteurs favorisants ou nuisant à chacune d’elles.
En terminant, les chercheurs souhaitent que la mise en place des recommandations issues de ce projet de recherche-intervention pose un baume sur le travail de l’ensemble du personnel de soutien administratif dans les écoles primaires de cette commission scolaire.
Appendices
Notes
-
[1]
Le mandat a été accordé à une équipe de recherche, par contre, la collecte de données a été réalisée par un seul membre de l’équipe d’où l’utilisation de l’expression « le chercheur » à différents endroits dans le texte. De plus, cette même expression présente dans le cadre conceptuel fait référence à la relation individuelle entre chacune des participantes et de chacune des personnes qui fait partie de l’équipe de recherche, le chercheur.
-
[2]
Les huit bases de données consultées sont : Wiley InterScience, SCOPUS (Elsevier API), Emerald Journals, CINAHL (EBSCO), Taylor and Francis, ERIC (EBSCO), ERIC (ProQuest XML) et ProQuest Dissertations & Theses Global.
-
[3]
Le terme participante est utilisé au féminin dans le cadre de cette recherche puisque toutes les personnes y ayant participé s’identifient en tant que femmes.
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