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Introduction

Au cours de la dernière décennie, les états ont adopté plusieurs décisions au sein du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (C.D.H.N.U.) et de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (C.C.N.U.C.C.) qui reconnaissent que les personnes handicapées[2] sont davantage à risque de subir les effets négatifs des changements climatiques et que leurs droits humains devraient être respectés dans le cadre de l’action climatique (Jodoin, Ananthamoorthy, et Lofts, 2020; P. J. S. Stein et Stein, 2022). Cependant, le rôle que peuvent jouer les droits des personnes handicapées dans la lutte contre les changements climatiques est encore peu connu ou apprécié des décideurs, spécialistes et activistes oeuvrant dans ce domaine (Jodoin et al., 2023).

En nous appuyant sur la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (C.N.U.D.P.H., 2006), nous expliquons comment la vulnérabilité accrue des personnes handicapées dans ce contexte résulte de l’interaction entre les incapacités des individus et les barrières institutionnelles, économiques, comportementales et environnementales auxquelles ils sont confrontés dans la société, notamment dans la lutte contre les changements climatiques. De plus, parce qu’elles sont souvent conçues sans tenir compte des droits des personnes handicapées, les politiques de réduction des gaz à effet de serre (G.E.S) peuvent créer des obstacles supplémentaires pour les personnes handicapées et renforcer les inégalités sociales. Or, en vertu de cette Convention, les États sont dans l’obligation de consulter les personnes handicapées et de protéger leurs droits lorsqu’ils développent et mettent en oeuvre des politiques climatiques. Nous suggérons enfin que des solutions climatiques inclusives du handicap sont non seulement essentielles pour protéger les droits et la dignité des personnes handicapées, mais qu’elles pourraient également permettre à une plus grande partie de la population de contribuer à l’émergence de sociétés sans carbone, avec une meilleure résilience climatique.

Pour commencer, nous présenterons les fondements des droits des personnes handicapées en droit international et préciserons les obligations des États dans le contexte de l’urgence climatique. Ensuite, nous présenterons les résultats d’une analyse systématique de la protection des droits des personnes handicapées dans le contexte des politiques climatiques adoptées dans le monde. Enfin, nous terminerons par une présentation des contentieux climatiques liés aux droits des personnes handicapées.

I. Les droits des personnes handicapées et l’urgence climatique en droit international

Reflétant le modèle du handicap axé sur les droits humains, la C.N.U.D.P.H. clarifie et crée des droits humains s’appliquant au contexte spécifique du handicap (Mégret, 2008). Elle conçoit les personnes handicapées comme étant détentrices de droits les protégeant contre la discrimination et leur permettant de réclamer des mesures pour atteindre une égalité réelle avec les personnes non handicapées (Degener, 2017). Une approche du handicap qui est axée sur les droits humains comprend des conceptions substantives et transformatrices de l’égalité qui requièrent non seulement une élimination de la discrimination, mais aussi l’adoption de mesures qui reconnaissent les barrières physiques, économiques, institutionnelles et sociales qui entravent la pleine jouissance de droits pour les personnes handicapées (Broderick, 2015, p. 17). Ces obligations englobent un vaste éventail de droits protégés par la convention, incluant : les droits civils et politiques (tels que le droit à la vie, l’accès à la justice, la liberté et la sécurité personnelles et la liberté d’expression et d’opinion), les droits économiques, sociaux et culturels (tels que les droits à l’eau, à l’alimentation, au logement, à la santé et à la culture) et les droits qui répondent aux défis particuliers auxquels sont confrontées les personnes handicapées (tels que l’accessibilité, la vie autonome et l’inclusion dans la communauté, la mobilité personnelle, l’adaptation et la réadaptation).Enfin, le modèle du handicap centré autour des droits humains prend en compte le rôle que les autres formes de marginalisation et de discrimination peuvent jouer, venant discriminer davantage les femmes, les enfants et les minorités ethniques vivant avec un handicap (Degener, 2017, p. 10).

Une gouvernance climatique axée sur les droits humains des personnes handicapées comporte donc trois obligations principales (Jodoin et al., 2020). Premièrement, cette approche met l’accent sur le fait que les gouvernements sont tenus de respecter, protéger et réaliser les droits humains des personnes handicapées dans l’élaboration, la mise en oeuvre, le suivi et l’évaluation des politiques climatiques. Cette obligation s’applique tant au domaine de l’adaptation climatique qu’à celui de l’atténuation, c’est-à-dire aux efforts pour réduire les émissions de carbone (Atapattu, 2016; Duyck, Jodoin, & Johl, 2018). D’ailleurs, un nombre croissant de tribunaux nationaux et internationaux ont reconnu que les États ont l’obligation positive d’agir contre la crise climatique afin de respecter les obligations qui leur incombent en vertu du droit international ou constitutionnel (Urgenda c. Pays-Bas, 2019; Neubaeur c. Allemagne, 2021). Comme l’a expliqué la Cour européenne des droits de l’homme dans une décision récente, les conventions internationales relatives aux droits de l'homme, telles que la Convention européenne des droits de l’homme, obligent les États à prendre les mesures nécessaires pour empêcher une augmentation des concentrations de GES dans l’atmosphère terrestre et une augmentation de la température moyenne mondiale au-delà des niveaux susceptibles de produire des effets négatifs graves et irréversibles sur les droits humains (KlimaSeniorinnen c. Suisse, 2024). Ce raisonnement s’applique avec la même force à la C.N.U.D.P.H., puisqu’elle engage spécifiquement les États parties à tenir compte de la protection et de la promotion des droits humains des personnes handicapées dans toutes leurs politiques et programmes (C.N.U.D.P.H., 2006, art. 4), à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger le droit à la vie des personnes handicapées (C.N.U.D.P.H., 2006, art. 10), et à assurer leur protection et leur sécurité dans les situations de risque (C.N.U.D.P.H., 2006, art. 11).

Deuxièmement, une gouvernance climatique inclusive du handicap implique que les gouvernements doivent évaluer et traiter les effets différentiels des impacts et solutions climatiques sur les droits humains des personnes handicapées (Eriksen, Grøndahl, et Saebønes, 2021; Jodoin et al., 2020; P. J. S. Stein et Stein, 2022). Ceux-ci doivent notamment tenir compte du fait que le handicap résulte, comme le précise la Convention elle-même, de l’interaction entre les déficiences physiques, sensorielles et mentales des individus et la manière dont les sociétés sont organisées (C.N.U.D.P.H., 2006, art. 1), notamment la stigmatisation et la discrimination systémique, l’inaccessibilité des structures physiques, des lieux de travail et des institutions, ainsi que le manque de lois, de ressources et de services de soutien (Degener, 2016, pp. 7–8). Cet exercice doit également être mené dans le cadre d’une approche intersectionnelle qui reconnaît les effets uniques et cumulés des formes multiples de discrimination fondées sur le handicap, le sexe, l’appartenance ethnique, l’âge et la pauvreté (Jampel, 2018).

Troisièmement, une gouvernance climatique axée sur les droits des personnes handicapées exige leur participation pleine et effective à l’élaboration et la mise en oeuvre des politiques climatiques (M. A. Stein et Lord, 2008). Les gouvernements doivent notamment : communiquer l’information en matière d’environnement dans des formats accessibles ; offrir des programmes de financement et de renforcement des capacités afin de renforcer le rôle que peuvent jouer les personnes en situation d’handicap en tant qu’agents de la gouvernance climatique ; les impliquer de manière significative, avec leurs connaissances, dans l’élaboration, la mise en oeuvre et l’évaluation des politiques et programmes climatiques; et veiller à ce qu’ils aient accès à des recours judiciaires et administratifs lorsqu’ils subissent des préjudices découlant de problèmes ou solutions climatiques (Jodoin et al., 2020). Ce faisant, cette approche met l’accent sur les contributions que le leadership, la créativité et les connaissances des personnes handicapées peuvent apporter à la transition écologique en améliorant son accessibilité pour une plus grande partie de la population (Engelman, Craig, et Iles, 2022; Fenney Salkeld, 2019).

II. La vulnérabilité climatique des personnes handicapées et la violation de leurs droits humains

Une approche centrée sur le droit du handicap en lien avec l’adaptation climatique est essentielle pour prévenir, minimiser et combattre les impacts négatifs des changements climatiques pour les personnes vivant avec un handicap. Il est possible d’expliquer la majorité de la vulnérabilité des personnes handicapées face aux changements climatiques par un environnement, des politiques et une culture « handicapante » (Abbott et Porter, 2013; Watts Belser, 2020). Le handicap est généralement présent au sein des populations les plus défavorisées de la société et les personnes handicapées sont les plus marginalisées d’une communauté, en raison de leur accès limité à l’éducation, à un revenu, aux plateformes sociales et aux autorités décisionnelles (Gaskin et al., 2017; Kelman et Stough, 2015; Twigg, Kett, et Lovell, 2018). Par conséquent, les personnes handicapées sont négligées lors du développement des politiques et des programmes d’adaptation climatique (Wolbring, 2009; Wolbring et Leopatra, 2012). Elles font tout autant face à des barrières lorsque vient le temps de recevoir de l’information et des services dans un format efficace et accessible (Gaskin et al., 2017).

Dans le contexte de la vulnérabilité climatique, ces barrières construites socialement sont particulièrement frappantes lorsqu’on considère l’invisibilité des personnes handicapées dans les efforts de préparation aux catastrophes de plusieurs pays (Belser, 2015). Les personnes vivant avec un handicap sont parmi les plus vulnérables en cas d’urgence impliquant des périls environnementaux, avec un taux de mortalité disproportionnellement élevé, tout en étant également celles pour qui l’aide d’urgence est la moins accessible. Tel qu’expliqué par Abbott et Porter, ces dangers additionnels pour les personnes vivant avec un handicap sont liés à la vulnérabilité supplémentaire accompagnant la pauvreté, l’accessibilité à l’information liée aux risques et périls, à la conception et la construction de l’environnement et aux attitudes discriminatoires au sein de la société (Abbott et Porter, 2013).

De plus, les difficultés vécues par les personnes handicapées sont exacerbées lorsqu’elles appartiennent à un autre groupe vulnérable. Les personnes vivant avec un handicap ne sont pas un groupe homogène, elles font face à des situations d’oppression complexes qui sont déterminées par une convergence de différences sociales et de pouvoir (Jampel, 2018; Peek et Stough, 2010). Le H.C.D.H. reconnait spécifiquement que l’intersection entre l’âge, le genre et le handicap peut exacerber les impacts négatifs des changements climatiques pour les femmes et les enfants[3]. Ainsi, il est impératif qu’une approche axée sur le droit du handicap considère les multiples formes d’oppression vécues par les personnes handicapées.

III. La protection des droits des personnes handicapées dans le contexte des politiques climatiques

Dans le cadre de l’Accord de Paris de 2015, les pays sont appelés à communiquer leurs contributions déterminées au niveau national (C.D.N.) – les efforts que chaque pays déploiera pour réduire ses émissions et s’adapter aux impacts du changement climatique. Les C.D.N. doivent être soumises par les États parties tous les cinq ans, chaque C.D.N. successive représentant une progression de l’ambition par rapport à la C.D.N. précédente. Plus récemment, à la COP 26, les États parties à l’Accord de Paris ont adopté une décision qui encouragent les États à soumettre des C.D.N. plus ambitieuses d’ici la fin de l’année 2022[4].

En 2022 et 2023, nous avons systématiquement recueilli et analysé la plus récente version du C.D.N. communiqués au secrétariat de la C.C.N.U.C.C. Notre analyse la plus récente révèle que seules 39 des 195 parties à l’Accord deParis font actuellement référence aux personnes handicapées ou au handicap dans leurs CDN (Jodoin et al., 2023, p. 4). Nous notons également que la plupart des références au handicap dans les C.D.N. sont de nature relativement générale. Un certain nombre de pays notent simplement la vulnérabilité accrue des personnes handicapées aux impacts du changement climatique ou identifient les personnes handicapées comme un segment de la population nécessitant des mesures d’adaptation spécifiques. D’autres références au handicap incluent des mesures plus concrètes et spécifiques à prendre par les États parties. Par exemple, plusieurs pays notent la nécessité de collecter des données désagrégées concernant les impacts du changement climatique et des catastrophes sur les groupes marginalisés, y compris les personnes handicapées. D’autres pays proposent l’inclusion des personnes handicapées dans la transition vers une économie verte (par exemple, le Canada et la Jordanie).

Nous avons également recueilli et analysé toutes les politiques d’adaptation climatique adoptées par les États au niveau national en 2022 et 2023. Notre analyse la plus récente des politiques d’adaptation climatique révèle seules 65 des 195 parties à l’Accord de Paris mentionne les personnes handicapées ou le handicap d’une manière ou d’une autre dans leurs politiques d’adaptation au climat (Jodoin et al., 2023, p. 7). Bien qu’il s’agisse d’une augmentation de 40% depuis notre premier rapport en 2022, cela signifie toujours que 67% des parties ne font actuellement pas référence aux personnes handicapées d’une manière ou d’une autre dans leurs politiques d’adaptation au climat. Pour les personnes handicapées, leur exclusion de la planification de l’adaptation au climat peut être pourtant une question de vie ou de mort. Les effets du changement climatique ont un impact disproportionné sur les personnes handicapées et portent atteinte à leurs droits, notamment le droit à l’alimentation et à la nutrition, à l’eau potable et à l’assainissement, aux services de santé et aux médicaments, à l’éducation et à la formation, à un logement adéquat et à l’accès à un travail décent (Jodoin et al., 2020; P. J. S. Stein et Stein, 2022). Par exemple, dans les situations d’urgence impliquant des risques environnementaux, les personnes handicapées font souvent partie des personnes les plus touchées, avec des taux de morbidité et de mortalité disproportionnés, et sont parmi celles qui ont le moins accès à l’aide d’urgence (Weibgen, 2015).

Nous relevons également que la majorité des références au handicap et aux personnes souffrant de problèmes de santé ou de maladies chroniques dans les politiques d’adaptation au changement climatique des États sont peu étoffées. Dans de nombreuses politiques, les personnes handicapées sont citées parmi d’autres groupes particulièrement vulnérables aux effets du changement climatique, mais sans autre précision quant aux mesures à prendre pour garantir l’inclusivité des mesures d’adaptation. Il existe certaines exceptions. Par exemple, la politique nationale du Zimbabwe en matière de climat identifie les moyens spécifiques par lesquels les personnes handicapées et les personnes atteintes de maladies chroniques ont été exclues des initiatives de développement et de la prise de décision[5]. Elle identifie également la nécessité de renforcer la capacité d’adaptation des groupes vulnérables, d’intégrer ces groupes dans toutes les réponses au changement climatique et de garantir un accès équitable et la propriété des ressources pour l’adaptation au changement climatique par les groupes vulnérables. Le plan national d’adaptation du Zimbabwe comprend également des obligations spécifiques concernant les personnes handicapées et d’autres groupes vulnérables, telles que la promotion de technologies conviviales et intelligentes sur le plan climatique, et le soutien au développement et à la diffusion d’informations météorologiques et agrométéorologiques simplifiées[6].

IV. Les contentieux climatiques portant sur le handicap en lien avec l’urgence climatique

Puisque les possibilités de tenir les États responsables des violations des droits humains en lien avec le changement climatique sont limitées en vertu de la C.N.U.D.P.H. elle-même, les personnes handicapées ont lancé des poursuites climatiques au niveau national et régional. Ce faisant, elles ont reproduit la stratégie et les arguments adoptés dans le nombre croissant de contentieux visant à établir la responsabilité juridique des gouvernements pour le manquement à engager des mesures suffisantes pour réduire les G.E.S. ou pour assurer la résilience climatique(Savaresi et Setzer, 2022). À l’heure actuelle, la jurisprudence couvrant des cas liants spécifiquement les droits des personnes handicapées et l’urgence climatique est rare, quoique de plus en plus présente. Deux types de recours risquent d’abonder le paysage juridique : les préjudices dus aux conséquences directes des changements climatiques sur les droits des personnes vivant avec un handicap et les préjudices dus à un manque d’accès aux ressources d’adaptation climatique.

L’affaire Mex M c. Autriche concerne un Autrichien atteint de la sclérose en plaques (S.E.P.) et pour qui la chaleur provoque des symptômes neurologiques incapacitants, comme c’est le cas pour la majorité des personnes avec la S.E.P.[7]. Ce dernier a déposé une plainte contre le gouvernement autrichien alléguant que les politiques climatiques autrichiennes sont insuffisantes pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris et qu’elles ont contribué à une détérioration de son état de santé. Il allègue que, par son inaction face à la crise climatique, le gouvernement autrichien a violé son droit constitutionnel à la vie familiale et privée en vertu de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (C.E.D.H.) et a autorisé des risques prévisibles pour son droit à la vie en vertu de l'article 2 de la C.E.D.H. Cette affaire n’a pas encore été traitée par la Cour européenne des droits de l’homme.

Une autre affaire récente consiste en une dénonciation informelle déposée par Environmental Justice Australia auprès du Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme et l’environnement, du Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones et du Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées concernant l’inaction du gouvernement australien en matière de changement climatique[8]. La dénonciation concerne cinq jeunes Australiens âgés de 14 à 24 ans. S’appuyant sur la vulnérabilité climatique particulière des jeunes, des membres autochtones et des personnes handicapées, ils allèguent que le changement climatique exacerbe les inégalités existantes et porte directement atteinte à leur santé et à leurs droits culturels. Les plaignants demandent aux rapporteurs spéciaux de solliciter des explications à l’Australie sur la manière dont l’inaction climatique du pays est compatible avec ses obligations en vertu de l’Accord de Paris, la Convention sur les droits de l’enfant et la C.N.U.D.P.H. À ce jour, la réponse des rapporteurs spéciaux à cette initiative est encore attendue.

Enfin, plusieurs affaires ont invoqué des arguments analogues à une réclamation fondée sur les droits des personnes handicapées, notamment Sacchi et al. c. Argentine[9], Juliana et al. c. États-Unis[10] et La Rose et al. c. Canada[11]. Bien que ces actions en justice ne fassent pas spécifiquement référence aux droits des personnes handicapées, elles soutiennent que la vulnérabilité sous-jacente des plaignants aux impacts causés par le changement climatique a affecté leur santé, leur qualité de vie et leur bien-être et que leurs gouvernements respectifs ont violé leurs obligations en matière de droits de l’homme en raison de leur inaction climatique. Dans les affaires Juliana et La Rose, plusieurs plaignants souffrent de maladies telles que l’asthme, la maladie de Lyme et le trouble anxieux général et affirment que leur état de santé a été affecté et va s’aggraver en raison des impacts du changement climatique[12].

Parmi les cas qui allèguent des manquements en ce qui concerne les efforts d’adaptation, le cas Brooklyn Center for Independence of the Disabled (BCID), et coll. v. Mayor Bloomberg, et coll. est particulièrement important à souligner[13]. Datant de 2013, ce recours a été intenté par des personnes handicapées contre la Ville de New York pour cause de discrimination dans ses plans d’urgence en réponse aux catastrophes climatiques. Aux suites de l’ouragan Irène, puis Sandy, dévastant tous les deux la ville de New York, il est devenu hautement apparent que les plans d’urgence de la Grosse Pomme ne tenaient pas compte des droits des personnes handicapées. Ce recours repose notamment sur l’American with Disabilities Act (A.D.A.), qui prohibe une discrimination envers les personnes vivant avec un handicap, incluant dans le contexte des réponses aux désastres (Weibgen, 2015). La Cour du district sud de New York a donné gain de cause aux demandeurs, reconnaissant de grandes lacunes en ce qui a trait au respect des droits des personnes handicapées lors de l’élaboration du plan d’urgence de la ville, les laissant prises au dépourvu lors des ouragans. Dans son jugement, la Cour précise que les plans de la Ville sont fautifs en ne protégeant pas les droits des personnes handicapées, notamment : en ignorant les besoins spécifiques au Handicap lors des plans d’évacuation en hauteur et dans l’accès à des moyens de transport adaptés ; en approuvant des plans de refuges non accessibles aux personnes handicapées ; en n’ayant aucun plan assurant que les personnes handicapées, n’étant pas assurées de pouvoir quitter leurs bâtiments de façon autonome, puissent accéder aux services d’urgence fournis par la ville ; et en enlevant une possibilité aux personnes handicapées de créer un plan d’urgence individuel solide, dû à un programme d’éducation municipal non accessible[14]. À la suite de ce jugement, un règlement a été conclu dans lequel la ville de New York a accepté de mettre en oeuvre des améliorations globales de la planification des catastrophes, notamment les suivantes : (i) l’embauche d’un coordinateur des handicaps et de l’accès et des besoins fonctionnels pour superviser les plans d’urgence de la ville et s’assurer qu’ils répondent aux besoins des personnes handicapées et qu’ils sont conformes aux lois de l’État et aux lois fédérales ; (ii) la mise en place d’un groupe consultatif de la communauté des personnes handicapées afin que ces dernières puissent conseiller la ville sur ses plans d'urgence ; (iii) l’élaboration des plans de transport accessibles en cas d’urgence ; (iv) la création d’un groupe de travail sur l’évacuation des immeubles de grande hauteur, composé de représentants de la ville et d’organisations de personnes handicapées ; (v) la création d’une opération de prospection post-urgence qui sondera les personnes handicapées afin d’identifier et d’évaluer leurs besoins critiques ; et (vi) la création d’un minimum de soixante centres d’urgence accessibles[15]. Ce règlement fournit une feuille de route utile pour la conception de politiques de préparation aux catastrophes incluant le handicap dans d’autres contextes.

Étant donné l’insuffisance des mesures d’adaptation adoptées par plusieurs gouvernements pour protéger la vie et la sécurité des personnes handicapées affectées par la crise climatique, il est probable que des recours similaires soient intentés dans d’autres juridictions.

Conclusion

Au cours de la dernière décennie, la communauté internationale a de plus en plus reconnu les conséquences du changement climatique sur les droits humains, y compris pour les personnes handicapées. La reconnaissance internationale des droits de l’homme des personnes handicapées constitue un point de départ important pour la conception et la mise en oeuvre des actions climatiques. Comme nous l’avons expliqué tout au long de cet article, la vulnérabilité sociale des personnes handicapées les rend particulièrement sensibles aux impacts du changement climatique. Le modèle du handicap fondé sur les droits humains nous permet de reconnaître les préjudices uniques auxquels sont confrontées les personnes handicapées dans le contexte du changement climatique et des réponses qui y sont apportées. En outre, une approche de la gouvernance climatique fondée sur les droits des personnes handicapées met en évidence les principes, obligations et normes qui devraient guider les gouvernements dans la conception et l’adoption de politiques d’atténuation et d’adaptation. Cela exige, entre autres, que les États s’engagent activement auprès des personnes handicapées, adoptent des perspectives intersectionnelles qui tiennent compte du handicap et de ses interactions avec d’autres vulnérabilités, et reconnaissent et protègent les droits substantiels et procéduraux des personnes handicapées dans l’élaboration, la mise en oeuvre, le suivi et l’évaluation des politiques et programmes climatiques. Il est essentiel que les efforts visant à décarboniser les économies et à renforcer la résilience climatique soient poursuivis de manière à favoriser la dignité et l’autonomie des personnes handicapées et à éliminer, plutôt que de renforcer, les obstacles à leur participation égale à la société. Inversement, un manquement au respect des droits des personnes handicapées dans le contexte de la gouvernance climatique pourrait ouvrir la porte à des recours de ces personnes en vertu du droit national et international.

Malheureusement, les États sont loin de respecter leurs obligations à cet égard. Notre analyse systématique démontre qu’une minorité d’États parties à la C.C.N.U.C.C. incluent les personnes handicapées dans leurs C.D.N. (ou C.D.P.N.) et leurs politiques climatiques nationales. Dans les cas où le handicap a été inclus, c’est en grande partie pour indiquer la vulnérabilité des personnes handicapées aux impacts du changement climatique ou pour signaler la nécessité de leur inclusion, sans fournir de mesures concrètes pour renforcer leur résilience et leur capacité d’adaptation. En outre, nous n’avons trouvé aucune politique d’atténuation du changement climatique d’un État partie faisant référence au handicap.

À la lumière de ces résultats, il est clair que les États doivent faire davantage pour identifier les synergies entre les efforts de lutte contre le changement climatique et ceux visant à réaliser les droits des personnes handicapées. Outre le fait qu’elles respectent, protègent et réalisent les droits des personnes handicapées, les solutions climatiques intégrant le handicap ont également le potentiel de permettre à une plus grande partie de la population de contribuer aux efforts visant à décarboniser les sociétés et à favoriser leur résilience climatique (Jodoin et al., 2020). Une approche de l’adaptation au changement climatique et de l’atténuation de ses effets fondée sur les droits des personnes handicapées est donc essentielle pour prévenir, réduire et corriger les effets néfastes du changement climatique sur les personnes handicapées et construire des sociétés plus inclusives.