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Le moins qu’on puisse dire est que l’oeuvre de Nelly Arcan n’est pas réjouissante : depuis son entrée fracassante en littérature avec Putain (2001), l’autrice n’a pas publié le moindre texte rassurant ou réconfortant. Au contraire, elle excelle à susciter le malaise et à décrire ce qui pourrit la société occidentale, principalement en ce qui concerne la situation des femmes. Loin de s’inscrire dans la temporalité du récit féministe classique qui tend à contraster un passé et un présent étouffants avec un avenir ouvert, les protagonistes d’Arcan savent qu’aucun lendemain radieux ne les attend[1]. L’une après l’autre, elles se présentent à nous humiliées, défaites, et ne s’avancent que sur le chemin du « no future », du manque d’avenir, qui s’ouvre sur un précipice. C’est notamment le cas de la narratrice de Folle (2004) qui marche vers le suicide, tournant le dos à une existence dans laquelle tout pousse les femmes vers la « folie » et la mort sociale.

Plus de dix ans après sa mort par suicide, nous sommes nombreuses à continuer de pleurer la disparition d’Arcan. Non seulement a-t-elle fait l’objet d’un grand nombre de publications, de créations et d’événements de toutes sortes célébrant son oeuvre et sa vie – hommages[2], essais[3], pièces de théâtre[4], film[5], ouvrage scientifique[6], etc. –, mais son ombre plane toujours sur les autrices québécoises d’aujourd’hui ; en font foi ses apparitions continues – ou celles de ses doubles – dans leurs textes, qu’il s’agisse de recueils poétiques[7] ou de romans[8] et récits à dimension autofictive tels que Trente[9] de Marie Darsigny (2018) et Mon ennemie Nelly[10] de Karine Rosso (2019)[11]. De toute évidence, l’oeuvre et la persona de Nelly Arcan fascinent toujours autant et on refuse de les laisser mourir. Mais quel ascendant Arcan possède-t-elle sur celles qui s’inscrivent dans ses traces ? Quel rôle lui fait-on jouer dans ces récits où elle apparaît tour à tour comme muse et comme repoussoir ?

Dans Trente, Arcan est une fée sombre qui se penche sur le berceau de la narratrice pour l’entraîner dans un parcours marqué par la dépression, la tentation du suicide et la révolte contre le carcan de l’« injonction au bonheur[12] ». Pour sa part, la narratrice de Mon ennemie Nelly est hantée par la pensée de l’écrivaine, de qui elle hérite contre son gré les clés pour comprendre sa propre expérience des contraintes de genre et des violences qu’elles perpétuent, la menant tout à la fois à la lucidité et à la folie. Double désiré, craint ou honni, la figure d’Arcan traverse ces deux oeuvres, que ce soit en ouvrant la voie de l’écriture ou en envahissant le texte par le parasitage de la voix narrative. Nous verrons comment, chez Darsigny et Rosso, Arcan est convoquée en fée marraine, amante et ennemie, ce qui la garde vivante à travers ses idées, ses oeuvres et son corps spectral.

Mais que signifie tirer Arcan vers la vie quand son oeuvre est à ce point tournée vers la mort et l’absence de tout avenir possible ? Dans la lecture queer qu’elle fait de Folle, Corrie Scott réfléchit à la façon dont la narratrice « troque l’avenir contre la mort[13] » et accueille à bras ouverts la perspective du « no future ». Scott s’appuie sur Lee Edelman qui, dans son essai No Future : Queer Theory and the Death Drive (2004), constate que les projets de société les plus divers reposent sur une projection vers l’avenir cristallisée dans la figure de l’Enfant[14]. Edelman, dans une provocation audacieuse, propose de cesser de s’investir dans l’idée d’un avenir meilleur, « to insist that the future stop here[15] ». Cette idée du rejet de l’Enfant et de la promesse d’avenir qu’il porte permet à Scott d’analyser le défaitisme de la narratrice de Folle de façon novatrice. Scott fait ressortir la façon dont Arcan remet en question « une logique temporelle normative[16] » liée notamment aux promesses du couple hétérosexuel : non seulement n’y aura-t-il pas d’enfant ni de fin heureuse pour la narratrice, mais on ressort de Folle avec l’impression que les fins heureuses demeurent hors d’atteinte pour l’ensemble des femmes, flouées par un système qui les tient en échec[17]. En démolissant l’histoire de Cendrillon et le modèle de conjugalité bienheureuse auquel elle nous pousse à aspirer, Arcan « souligne le côté creux de l’hétérosexualité normative, de ses idéaux et fantasmes[18] », et nous laisse sans espoir de remplir cette coquille vide par autre chose que des illusions. Cette idée de l’investissement dans un no future amoureux et existentiel, en plus de cadrer parfaitement avec l’univers de Folle, offre une clé pour saisir le rôle octroyé à Arcan dans les deux oeuvres qui m’intéressent ici : si la narratrice de Darsigny lui emboîte le pas sur le chemin du no future, celle de Rosso se rebelle contre son défaitisme et choisit la voie de l’Enfant et de ses promesses.

MARIE DARSIGNY : EMBRASSER LE NO FUTURE

Dès l’ouverture de Trente, la narratrice Marie situe sa voix parmi celles de ses « muses » (T, 9), qui ont en commun d’être « mortes ou déprimées » (T, 9) : les écrivaines québécoises Nelly Arcan et Marie-Sissi Labrèche, Elizabeth Wurtzel – autrice de Prozac Nation (1994) – ainsi que l’actrice Angelina Jolie[19]. L’écriture lui permettra de rejoindre cette « sororité de condamnées » (T, 16), du moins l’espère-t-elle, et elle l’envisage comme une entreprise de ventriloquie[20] : « je me ferai Nelly, Marie-Sissi, Angie, Lizzie », « je prendrai les voix de celles qui ont su crier avant moi des refrains que je connais par coeur pour bien m’ancrer dans la continuité de l’expression d’une souffrance mille fois vécue par d’autres que moi » (T, 16). À une expérience commune de la souffrance correspondraient ainsi une voix et une expression partagées, une sorte de long texte auquel la narratrice souhaite contribuer. À lire Trente, on reconnaît d’ailleurs le souffle de Folle avec ses longues phrases litaniques à la fois accusatrices et autodépréciatives, ainsi qu’une structure similaire d’écrit testamentaire rédigé avant un anniversaire redouté, les trente ans, qui coïncidera avec le suicide de la narratrice.

Aimer Arcan

En plus de l’intertexte avec Folle qui se tisse à travers des échos stylistiques et thématiques, la narratrice de Darsigny interpelle directement Arcan et la supplie de revenir la hanter. Dans une scène frappante, elle parcourt le Salon du livre de Montréal à la recherche de l’écrivaine après sa mort : « je crie ton nom, je crie Nelly, Nelly » (T, 55). Son intervention est mal reçue, et Marie est jugée comme l’ont été les protagonistes arcaniennes – et parfois Arcan elle-même : « il est bien évident que je suis folle, Folle comme toi » (T, 55). En agissant « follement », en étant « TROP INTENSE » (T, 55 ; en majuscules et en gras dans l’original), la narratrice se rapproche de son idole et « fai[t] une scène » (T, 56) : « j’ai une seule et unique raison d’être ici : me donner en spectacle, le spectacle de mon amour pour toi, grandiose, pathétique » (T, 55). Fidèle à son esthétique du « trop », Darsigny situe son hommage à l’écrivaine disparue dans le cadre d’un événement qui cherche à célébrer les auteur·rice·s (le Salon du livre), mais sa protagoniste dépasse les bornes. En invoquant une morte et en refusant de la laisser mourir, Marie met les gens mal à l’aise, elle les « horrifi[e] » (T, 55). La démesure s’exprime aussi dans son désir qu’Arcan dédicace non seulement les oeuvres qu’elle a écrites, mais « tous les livres [qu’elle] possède » (T, 56). La narratrice de Trente cherche donc à marquer l’ensemble de sa bibliothèque d’une trace d’Arcan, de sa caution, de son regard sur le monde. Cette révérence envers Arcan devient une prosternation lorsqu’elle écrit : « je ne t’arrive même pas à la cheville et j’en suis consciente, je ne mesure que cinq pieds quatre, je n’ai rien des grandes qui ont su laisser leurs traces avant moi » (T, 55). Dans un trait d’humour typique de l’autodépréciation désinvolte de Darsigny, la narratrice se diminue afin d’élever l’une de ses muses.

Quelques pages plus loin, la narratrice est plongée dans la lecture du livre hommage à Arcan Je veux une maison faite de sorties de secours, et elle se la représente blottie à ses côtés, lisant avec elle : « je me cache avec Nelly et on lit on lit on lit » (T, 58). L’acte de lecture partagé et la proximité des corps sur le canapé en font une expérience intime. Cette impression se trouve renforcée par l’objet de leur lecture : de façon touchante, Darsigny imagine Arcan vivante en train de lire les mots admiratifs de ceux et celles qui la pleurent, lui donnant l’occasion de se savoir aimée. Ici encore, la narratrice de Trente ne peut élever sa muse sans aussitôt se rabaisser elle-même et, cette fois, elle utilise un motif de l’univers arcanien pour le faire : devant cette « grande romancière suicidée » (T, 58), Marie se décrit comme « une larve littéraire qui se gave des mots qu’elle n’a pas su écrire » (T, 58). De toute évidence, être une « larve littéraire » signifie ne pas être à la hauteur, dans la suite de sa boutade sur sa « petitesse littéraire » rapportée plus haut. Arcan définit dans Putain la « larve » comme une figure féminine abjecte et asexuée, perpétuellement passive et alitée ; mais elle évoque aussi « un amour de larve[21] ». Cet « amour de larve » serait le fait d’une femme amoureuse d’« un homme au point de mourir de son départ[22] », un amour trop intense et non partagé. On retrouve ici, à mon sens, la posture amoureuse adoptée par la narratrice de Trente envers sa muse préférée (T, 58), qui est présentée par Arcan comme une position abjecte et ridicule. Marie, larve littéraire et larve amoureuse, offre à Arcan un amour et un hommage littéraire qu’elle présente elle-même comme rebutants et inadéquats.

Dans la scène du Salon du livre, l’admiration de Marie pour Arcan s’exprime aussi bien par l’exaltation de son oeuvre que par le désir qu’elle éprouve pour elle. La narratrice laisse un baiser à l’intérieur d’un exemplaire d’un livre d’Arcan et espère que la lectrice ou le lecteur qui achètera ce livre saura reconnaître pour ce qu’elles sont les traces de son rouge à lèvres : « une preuve d’amour qui dépasse les bornes » (T, 56). Elle s’imagine ensuite rejoindre Arcan dans les toilettes du Salon du livre pour qu’elles puissent s’embrasser en cachette :

[J]’aimerais qu’on se donne rendez-vous via Messenger, qu’on se donne un cue pour aller frencher dans les toilettes, […] je m’imagine poser ma bouche sur tes seins pendant que tu soupires, qu’on se laisse enfin aller à la magie de l’instant présent ou à toute autre phrase digne d’un livre ésotérique de croissance personnelle.

T, 57

Il s’agit du seul passage de Trente où la narratrice décrit une rencontre sexuelle : le seul moment où elle s’imagine partager un moment de proximité, de désir et de tendresse avec une autre personne, c’est avec une femme déjà disparue. Comme ailleurs dans l’oeuvre, Darsigny met fin à l’image tendre par une boutade : il n’y aura pas de bonheur, pas de happy end pour Marie. Il n’y aura pas de fin heureuse, mais il y aura une fin : puisque Darsigny reprend la structure testamentaire de Folle, chaque page tournée nous approche de la mort annoncée de la narratrice. Lorsqu’elle embrasse le fantôme d’Arcan dans les toilettes, Marie embrasse la mort ; si elle ne peut attirer Arcan vers la vie, elle peut en revanche la suivre sur la voie du no future.

Être pleine de promesses

La narratrice de Trente ne se projette pas plus loin que ses trente ans, moment où elle mettra fin à ses jours pour éviter ce qu’elle présente comme la dégringolade de la vieillesse : « du plus loin que je me souvienne je n’arrivais pas à m’imaginer un futur après mes trente ans : trente ans, c’était le début de la fin, le moment où on commence à glisser sur une longue pente » (T, 17). Le mouvement en avant est présenté comme une chute, et une chute qui est particulièrement prononcée pour les femmes. Elle remarque par exemple qu’elle a été « nourrie de films où les femmes sont jeunes, bonnes et jolies avant de devenir vieilles, méchantes et laides », ce qu’elle commente en disant que « le temps fait son effet comme un mauvais sort » (T, 62). Avec de telles perspectives d’avenir, pourquoi les femmes accepteraient-elles de vieillir ? La narratrice de Trente souligne également la façon cruelle dont on scrute les femmes sur la place publique pour trouver des traces de leur vieillissement, qu’on brandit ensuite pour les humilier. Elle prend l’exemple de la chanteuse Fiona Apple, dont on commente le corps amaigri en spéculant sur sa consommation de drogue et en l’étiquetant du jugement « OMG SHE DIDN’T AGE WELL » (T, 61 ; en gras et en majuscules dans l’original), oh mon dieu qu’elle a mal vieilli. Dans un tel contexte, Marie présente son choix du suicide comme réconfortant : « ça me permet de me rassurer quant au futur, ça m’aide à me séparer de la masse, je vous regarde dans les yeux et je vous dis I WILL NEVER AGE WELL » (T, 62-63 ; le passage en anglais est en gras et en majuscules dans l’original). Elle ne vieillira jamais « bien » parce qu’elle ne vieillira pas du tout.

Ailleurs, elle joue de l’expression être plein·e de promesses (T, 34, 35, 134), qui laisse entrevoir un avenir radieux marqué par des réalisations extraordinaires. Cependant, Darsigny l’emploie au passé, ce qui en transforme considérablement le sens. La narratrice se rappelle son enfance, où elle réussissait tout ce qu’elle entreprenait : « [Q]uand j’étais petite je gagnais pourtant tous les concours, j’ai même gagné le concours Desjardins du plus beau dessin, je le jure : je gagnais à tout coup. » (T, 33) De façon perverse, ce passé marqué par les succès la destine à un avenir semé d’échecs : « [C]’est le drame de l’enfant prodige, SHE WAS SO FULL OF PROMISES. » (T, 34 ; le passage en anglais est en gras et en majuscules dans l’original) Dès lors, avoir été pleine de promesses vient signifier que Marie est décevante : elle avait tout pour gagner, mais elle a échoué, elle n’a pas tenu ses promesses. Vers la toute fin du récit, la narratrice utilise l’expression de nouveau (T, 134) en s’imaginant que ce même jugement sera porté sur son existence après sa mort, puisque c’est aussi le type de phrases qu’on échange à propos des femmes disparues « trop jeunes ». On pleure les femmes mortes par suicide en notant qu’elles étaient pleines de promesses, des promesses d’avenir qui demeurent non tenues. Marie ajoute en nous apostrophant : « [L]a seule promesse que je vous fais c’est celle de m’éteindre un jour, bientôt, je le sens, je vais m’effacer dans le néant de mes trente ans. » (T, 134) Elle remplace les promesses d’avenir – qu’on attend d’elle ou qu’on projette sur elle – par la promesse d’un no future.

Dès la deuxième page de Trente, Darsigny cite Folle : « “Très tôt j’ai compris que, dans la vie, il fallait être heureux ; depuis, je vis sous pression.” » (Arcan citée dans T, 10) Arcan présente le bonheur comme une injonction, un but qu’on devrait se forcer à atteindre non pas pour soi mais afin de satisfaire les autres, qui nous gardent à l’oeil. La phrase d’Arcan citée par Darsigny conclut un épisode où la narratrice de Folle parle du fait qu’elle sourit rarement et maladroitement, racontant avoir été frappée par sa mère quand elle était enfant ; après lui avoir offert une poupée, sa mère « en avait assez d’attendre la joie » (F, 145). Dans The Promise of Happiness, Sara Ahmed analyse les implications de la phrase souvent répétée « je suis heureux·euse si tu es heureux·euse » (« I am happy if you are happy[23] »). Elle montre que, derrière cette phrase banale qui semble gentille au premier abord, se cache l’expression d’un devoir violent : « je serai malheureux·euse si tu l’es » (« I will be unhappy if you are[24] »). Puisque « ton malheur menacerait mon bonheur » (« your unhappiness would threaten my happiness »), « tu as un devoir d’être heureux·euse pour moi » (« you have a duty to be happy for me[25] »). Dans une telle optique, choisir le suicide comme le font les narratrices de Folle et de Trente signifie refuser de se soumettre à cette pression du bonheur qui nous attache à nos proches et qui reproduit la conformité sociale[26].

Dans sa réflexion sur l’usage du « bonheur » comme intimidation pour réorienter ceux et celles qui n’en font pas l’expérience ou qui ne le trouvent pas au « bon endroit », Ahmed fait également ressortir la temporalité qu’on lui prête : si tu fais [x], le bonheur viendra. De la sorte, on tend à situer le bonheur dans l’avenir, comme l’aboutissement d’une série de bons choix : « The promise of happiness takes this form: if you have this or have that, or if you do this or do that, then happiness is what follows[27]. » Dans Trente, Marie reprend la notion de promesse du bonheur pour la tourner en ridicule : « J’ai pesé le pour et le contre de vieillir, j’ai voulu acheter la promesse du bonheur, mais je suis trop pauvre et puis fuck le capitalisme. » (T, 19) La narratrice de Darsigny, à la suite de celle d’Arcan, refuse de s’investir dans la promesse du bonheur. Et si le bonheur est montré comme une contrainte ou une imposition extérieure, alors il peut sembler souhaitable de refuser de continuer à « vivre sous pression » et de choisir une route où la seule promesse est celle d’une fin imminente.

KARINE ROSSO : ÉCHAPPER AU DÉTERMINISME ET AU NO FUTURE

Contrairement à Trente où Arcan partageait sa place de muse avec trois autres artistes, elle est posée en figure centrale (et unique) dans l’oeuvre de Rosso. Dès la première phrase, Arcan est interpellée au « tu » – comme chez Darsigny –, ce qui établit une relation de proximité entre la narratrice de Mon ennemie Nelly et l’autrice de Folle. Mais il ne s’agit pas cette fois d’une proximité recherchée par la narratrice : dès le titre, Arcan est placée en position d’antagoniste parce que la narratrice de Rosso juge qu’elle exerce une influence démesurée et néfaste sur sa vie. Au fil du récit, on observe la narratrice se heurter à plusieurs manifestations de sexisme ou de violence basée sur le genre – que ce soient des regards appuyés sur son corps, des commentaires évaluant sa désirabilité ou sa concordance aux normes de genre[28], ou encore une agression à caractère sexuel –, violences qu’elle apprend à interpréter à travers les mots d’Arcan, amplement citée dans Mon ennemie Nelly. Jugeant le destin d’Arcan « sacrificiel, kamikaze » (MEN, 166), la narratrice de Rosso se débat pour éviter de partager la destinée de celle qui lui a laissé en héritage des clés pour comprendre le monde mais aussi le chemin pour s’y perdre.

Le récit de Rosso est tissé autour de fréquentes citations des oeuvres d’Arcan, de ses chroniques et de ses entrevues dans les médias. Ces citations sont intégrées à même le texte de Rosso, sans guillemets, marquées uniquement par des italiques. La distinction entre les voix de Rosso et d’Arcan demeure des plus minces, puisque les textes d’Arcan ne sont pas identifiés. Une lectrice non familière de l’oeuvre d’Arcan pourrait très bien lire Mon ennemie Nelly sans remarquer que les passages en italiques sont des citations[29]. Les lectrices d’Arcan, quant à elles, seront frappées de reconnaître ses mots nichés parmi ceux de Rosso et verront les nombreux échos entre l’oeuvre de l’une et de l’autre. Comme les citations ne sont pas attribuées, la cohérence de l’oeuvre d’Arcan en sort renforcée : plusieurs citations pourraient tout aussi bien être tirées de l’univers de « La honte », de Folle, de Putain, d’À ciel ouvert ou de Paradis, clef en main. Partout, on retrouve les motifs arcaniens du regard acéré porté sur le corps des filles et des femmes, de l’humiliation, du désespoir, de la haine, du dégoût, de la culpabilité, ainsi que de la violence traversant les relations de couple, la famille et l’amitié entre femmes. La façon dont Arcan est citée dans Mon ennemie Nelly tend à présenter sa lecture du monde comme juste : ses observations sur les contraintes de genre et sa sombre vision de l’existence humaine sont validées par l’expérience de la narratrice de Rosso, qui prend peu à peu conscience qu’elle est coincée dans une sorte de pièce de théâtre sinistre, où elle ne peut que répéter les mots et les gestes d’une autre (« Nelly »). Alors qu’elle pensait vivre « librement », elle en vient à prendre la mesure des contraintes qui pèsent sur elle au point, peut-être, d’entièrement contrôler sa vie.

La liberté de faire autrement ?

La narratrice de Rosso revient d’un voyage de quatre ans en Amérique du Sud durant lequel elle a fait l’expérience d’une liberté qu’elle aimerait retrouver une fois revenue à Montréal. Ce n’est pas qu’elle idéalise le Sud, d’où vient sa famille, puisqu’elle souligne à plusieurs reprises comment voyager en tant que femme seule la force à être consciente de sa vulnérabilité. Elle élabore ce qu’elle nomme un « guide de survie » (MEN, 12) afin de s’inscrire dans les codes qui gouvernent les relations entre hommes et femmes à cet endroit, cherchant à éviter de s’exposer à la violence basée sur le genre. Elle explique par exemple qu’elle a appris à quitter la plage au coucher du soleil, à ne pas danser seule, à s’asseoir près des femmes et à ne pas adresser la parole à leur mari (MEN, 12-13). Cela dit, Rosso prend soin de ne pas présenter le Sud du continent comme un espace plus dangereux pour les femmes que le serait le Québec. C’est à Montréal – où les règles de son « guide de survie » n’ont plus cours – que la narratrice et son amie Caroline subiront une agression sexuelle, que son amie Noémie sera coincée dans une relation amoureuse malsaine, et que Nelly Arcan sera « crucifiée » (MEN, 102) à la télévision pour le divertissement du peuple.

À son retour, elle est « fière » (MEN, 11) des traces de ce voyage où elle a pu couper avec la dynamique familiale et les relations de genre telles qu’elle les a connues au Québec, où elle a grandi. Son expérience l’a visiblement transformée, ce qu’elle illustre en établissant un contraste à la fois par rapport aux gens qui l’entourent à l’UQAM où elle termine un baccalauréat commencé avant son départ, et par rapport à l’ancienne version d’elle-même. Elle se démarque par ses vêtements qui ne cadrent pas avec les codes de la féminité de l’univers qu’elle retrouve, notamment les bottes de montagne qui l’inscrivent dans un espace et un récit alternatifs[30]. Elle attribue à sa vie de vagabonde un nouveau rapport à son apparence physique : « [M]es années de voyage m’avaient également fait décrocher des standards de beauté : je ne me rasais plus, je ne me maquillais plus, j’avais abandonné l’idée de suivre une mode. » (MEN, 26) Son nouvel état lui apparaît comme l’expression d’une libération des contraintes que subissent et perpétuent les femmes autour d’elle. D’une certaine façon, elle semble à ce moment aux antipodes d’Arcan et de ses protagonistes : le regard que les autres portent sur elle n’a que peu de prise.

Cependant, la narratrice de Rosso indique peu après que cette liberté dont elle est si fière est illusoire. Elle s’insère dans le discours sur le « culte de la beauté » (MEN, 27) développé par Arcan dans ses oeuvres et ses entretiens dans les médias, et débat avec elle : « Sans le savoir, je faisais la même chose que toi qui comparais […] », « j’associais […] », « je remarquais que […] », « [p]ar contre, je ne croyais pas, comme toi, qu’il en avait toujours été ainsi » (MEN, 27). Elle conclut en exprimant un dégoût pour la façon dont les femmes tendent à être prises dans un rapport toxique à leur apparence, mais aussi en se situant dans une position externe dont elle annonce tout de suite le caractère mensonger :

Ce système qui me dégoûtait – et me hantait – était celui que j’avais voulu quitter en habitant les rues sud-américaines. De retour à Montréal, je tentais de me persuader que j’étais sur l’autre rive, en face des acteurs qui jouaient à être libres sur les terrasses des restaurants ; j’étais du bord des artisans, des musiciens qui passaient le chapeau sur la rue Prince-Arthur, des peintres qui vendaient des paysages urbains.
Je croyais encore être entourée de « forces nulles » qui n’agissaient pas sur mon corps. En fait, je te sous-estimais. Ma volonté de croire que ma vie de bohème n’était pas terminée […] m’aveuglait, m’empêchait de reconnaître ton avance. Le regard de Leo [son conjoint], mes amies et l’ombre de ma mère agitaient pourtant des drapeaux en moi.

MEN, 28-29

Son voyage en Amérique du Sud lui permet pour un temps de se croire sauve : elle a vu les contraintes de la féminité normative et est parvenue à y échapper en développant une conception de soi qui relève de la marge. Elle pense qu’il existe une position extérieure marquée par l’indépendance et la liberté, une position qu’on peut choisir. Cependant, elle sous-estime le poids des contraintes de genre, ce qu’elle formule en associant Arcan aux contraintes de genre que celle-ci dénonce : « je te sous-estimais » (MEN, 28 ; je souligne). Ce glissement est lourd de sens et explique pourquoi « Nelly » est positionnée en « ennemie » dans le titre du récit : par métonymie, la narratrice de Rosso fait porter à Arcan le poids du système qui écrase ses protagonistes.

Le piège de la répétition

« Nelly » surplombe le récit de Rosso et s’impose de façon imprévue dans son quotidien. Tôt dans le récit, la narratrice de Rosso a une expérience de déjà-vu liée à Arcan. Lors d’une soirée chez son amie Noémie, celle-ci évoque Folle, paru récemment. Durant la conversation qui s’ensuit – dans laquelle Noémie dit apprécier Arcan, alors que son conjoint Alexis la dénigre –, les mots échangés lui paraissent des citations. La narratrice a l’impression tenace d’avoir déjà lu cet échange, comme si « Noémie citait une critique » et qu’Alexis « récitait lui aussi quelque chose » (MEN, 41). Elle a la « certitude d’avoir lu ces mots […] quelques jours auparavant » et croit « assister à une série de répliques scénarisées et interprétées sous [ses] yeux » (MEN, 42). En repensant plus tard à cette scène de mauvais théâtre, la narratrice de Rosso conclut : « [J]’avais été au centre d’une scène écrite pour moi. » (MEN, 44) Cette scène – qui, selon elle, avait pour but de la mettre en contact avec Arcan et avec ses idées – lui fait ressentir qu’elle n’est peut-être pas aussi libre qu’elle aimerait le croire. Si sa vie s’inscrit dans un script rédigé par quelqu’un d’autre, son parcours est alors déterminé d’avance.

Le récit de Rosso évoque à plusieurs reprises la question du déterminisme, ce qui cause malaise et angoisse chez la narratrice. En écoutant Mercedes, sa directrice de recherche, parler de l’écrivain Borges pour qui l’avenir des gens « était entièrement déterminé par leurs conditions initiales, sans intervention du hasard » (MEN, 125 ; italiques dans l’original), la narratrice de Rosso fait le rapprochement avec l’univers d’Arcan, lui aussi fortement marqué par le déterminisme[31]. Dans Folle, le déterminisme est renforcé par le recours fréquent à la prolepse annonçant malheur après malheur, ce qui présente l’avenir du couple et celui de la narratrice comme bouchés. Lorsqu’elle rencontre l’homme dont elle sera amoureuse, par exemple, elle annonce déjà, afin qu’on sache immédiatement que cette histoire finira mal : « Un peu avant que tu me quittes je t’ai fait un enfant dans le dos sans te le dire et je me suis fait avorter. » (F, 12) Rosso emploie elle aussi fréquemment la prolepse pour annoncer des événements à venir qu’elle lie à Arcan – ainsi, lorsqu’elle rencontre Mercedes, elle écrit : « Neuf mois plus tard, je travaillerais pour elle et plongerais à nouveau dans ton univers. » (MEN, 115) Dès le début de l’oeuvre, plusieurs prolepses annoncent de cette façon la présence ou l’interférence d’Arcan dans la vie de la narratrice, présentant les personnes (« il me parlerait de toi pour la première fois » [MEN, 13]) ou les lieux[32] (« le réseau de corridors, ceux-là mêmes qui […] me mèneraient vers toi » [MEN, 18]) en fonction de leur rapport à Arcan. L’accumulation de phrases de ce type octroie une grande importance à la figure de l’écrivaine bien avant que la protagoniste de Rosso découvre son oeuvre et ses idées, faisant d’Arcan une figure centrale qui a un impact majeur sur la vie de la narratrice, tirant les fils de sa destinée dans l’ombre.

Dès la première fois où elle entend parler d’elle, la narratrice de Rosso se sent particulièrement interpellée[33] : « [P]lus le temps passa, plus il m’apparut évident que tes paroles […] m’étaient en fait personnellement destinées. » (MEN, 16 ; italiques dans l’original) En se désignant comme l’interlocutrice privilégiée d’une écrivaine qu’elle ne connaît pas, la narratrice de Rosso se place dans une position délicate : comme la narratrice de Trente, celle de Mon ennemie Nelly est « TROP INTENSE » (T, 55 ; en gras et en majuscules dans l’original), peut-être « folle ». Lorsqu’elle dit retrouver dans les livres d’Arcan des « passages de [s]a vie » (MEN, 19), la narratrice de Rosso ne parle pas simplement d’un sentiment ou d’une situation partagée. Elle raconte une journée passée au mont Royal, dont elle retrouve ensuite la description exacte dans un roman d’Arcan : « Jamais le Soleil n’avait paru plus près de la Terre, écrirais-tu plus tard à propos de ce dimanche, il donnait l’impression de s’être agenouillé, prosterné comme un géant sur le corps de Montréal. » (MEN, 20 ; italiques dans l’original) Ici, la narratrice de Rosso pose sa propre expérience de cette journée comme l’inspiration de ce passage tiré d’À ciel ouvert de Nelly Arcan. L’identification entre la narratrice de Rosso et Arcan ne fait que s’accentuer au fil du récit, jusqu’à ce que les deux femmes se confondent.

Lorsque la frontière entre les deux femmes s’estompe, les pronoms « tu » et « je » s’indifférencient. Quand Rosso écrit « [j]usqu’à ce que je me (ou te) retrouve encore une fois dans la rue » (MEN, 85), l’expérience du « je » et celle du « tu » sont devenues indiscernables. Bien que la narratrice croie toujours pouvoir maintenir une distance entre elles – notamment en répudiant Arcan (MEN, 98) –, elle annonce que, des années plus tard, elle portera la parole d’Arcan et en fera apparaître la dimension d’enseignement prophétique : « [J]e finirais par prêcher ta parole jusqu’à en être habitée, hantée, poursuivie. » (MEN, 102) Suivant la dynamique de possession spectrale, Arcan en vient à parler à travers la narratrice de Rosso, qui perd la faculté de gouverner sa parole, son esprit, son corps et son comportement. Elle se présente comme « contaminée, infectée par la virulence de certaines pensées » (MEN, 123), et développe des « symptômes » (MEN, 82) inquiétants.

Cette identification maladive culmine dans la scène où la narratrice de Rosso observe avec horreur celle du procès de Paradis, clef en main[34]. Elle prend alors conscience que, étant donnée la superposition complète entre le « je » et le « tu », elle sera mise à mort en même temps que « Nelly » : « Je reculai, cherchant où aller pour ne pas assister au point de jonction où j’allais être disjointe. » (MEN, 156 ; italiques dans l’original) En insérant habilement une citation de Paradis, clef en main[35] dans ce passage, Rosso ouvre le « je » du texte d’Arcan, qui en vient à désigner à la fois Antoinette (la protagoniste de Paradis…), la « Nelly » de Rosso et la narratrice de Mon ennemie Nelly. Cependant, contrairement à Arcan et à Antoinette, la narratrice de Rosso ne choisit pas le chemin de la mort. Mère d’une petite fille « qui hériter[a] de ce monde-là » (MEN, 86 ; italiques dans l’original), elle choisit de croire que l’« indocilité » (MEN, 165) de sa fille pourra être préservée et que celle-ci n’aura pas à emprunter le chemin prédéterminé des schtroumpfettes et des larves[36].

La narratrice de Rosso a l’impression qu’Arcan a scripté sa vie, qu’elle est coincée dans ses livres prophétiques, et donc forcée de partager les expériences souffrantes et aliénantes des protagonistes arcaniennes : « [J]’avais l’impression de vivre dans un texte que tu avais écrit avant ta mort. » (MEN, 131) La jeune femme éprouve à plusieurs reprises un sentiment de déréalisation, où les gens autour d’elle lui apparaissent engagés dans une mise en scène sinistre ; elle remarque par exemple : « Encore une fois, j’eus l’impression d’être au centre d’une scène (planifiée, fictive ?) écrite pour moi. » (MEN, 125) Le sentiment de vivre dans un script renforce l’idée du déterminisme : les rôles de chacun·e sont fixes, leurs répliques sont écrites d’avance, leurs drames ne peuvent qu’être joués. Vers la fin du récit, la narratrice interprète l’intervention de « Nelly » de la façon suivante : « [T]u m’étais apparue, pour me faire entendre qu’il ne servait à rien de me débattre, le monde entier, sa puissance dévastatrice me tenait à l’oeil, me suivait de près. » (MEN, 162 ; italiques dans l’original) La présence spectrale d’Arcan joue donc le rôle d’une sirène qui tente d’attirer la narratrice de Rosso dans l’abysse du défaitisme : la résistance est futile, être une femme dans ce monde signifie avoir déjà perdu la partie. Afin de déchirer le script et de reprendre le contrôle de sa vie, afin de sortir de l’univers de portes fermées dans lequel Arcan et ses protagonistes étaient coincées, la narratrice de Rosso renonce à regarder le monde à travers les yeux d’Arcan, la déclare « ennemie » et cherche à ouvrir les portes pour que sa trajectoire et celle de sa fille échappent à la prédestination[37].

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Plutôt que de se tourner vers leurs ascendantes biologiques, les narratrices de Marie Darsigny et de Karine Rosso se tournent vers Nelly Arcan, avec qui elles font l’expérience d’une filiation intense – désirée chez Darsigny, imposée chez Rosso. En ouverture à son article portant sur les « héritages mortifères », Anne Martine Parent note que « [l]a filiation et l’héritage sont des thèmes majeurs de la littérature contemporaine[38] », aussi bien en fiction que dans les écrits de soi. Selon elle, les écrivain·e·s explorent leurs rapports à leurs ascendant·e·s pour comprendre leur présent à l’aune du passé dont iels sont légataires. Toutefois, Parent souligne que les récits de filiation tendent à laisser de côté le futur, « dans leur souci de mettre en rapport le passé et le présent[39] ». Dans Trente et Mon ennemie Nelly, la question du futur est précisément celle sur quoi tout repose. Les narratrices de ces récits puisent dans la vie et l’oeuvre de leur prédécesseure des clés pour comprendre leur présent et sont confrontées à la question de leur absence de futur programmée. Deux voies s’ouvrent alors : embrasser Arcan et la suivre sur le chemin du no future, ou résister à son appel de sirène et s’inventer un futur alternatif en faisant confiance à l’indocilité des filles.

Plusieurs héritières d’Arcan font face à ce choix. Dans le poème « mes soeurs sont des perles irrégulières », Chloé Savoie-Bernard évoque Nelly Arcan aux côtés de Sylvia Plath et de Virginia Woolf, toutes mortes par suicide. La détresse qui les habitait – conséquence de leur don de voyance – devient chez Savoie-Bernard « une robe pailletée/chaque sequin cousu par l’une de nous[40] », quelque chose de beau et de partagé, créateur d’une communauté dans laquelle la poète s’inscrit à son tour. Marcher dans leurs pas semble indiquer un chemin tracé d’avance à celles qui se reconnaissent comme leurs héritières. Pourtant, la locutrice de Savoie-Bernard choisit de ne pas suivre ses soeurs sur la route du no future qu’elles ont empruntée : « je reste ici/les filles//juste ici[41] ». Si elle refuse la voie du suicide, elle ne pose pas ce choix comme une trahison – comme le fait la narratrice de Rosso, pour qui continuer à vivre signifie trahir Arcan. Au contraire, dans le poème de Savoie-Bernard, rester, vivre, est une certaine forme de soin puisque cela lui permet de continuer à chérir les cendres de ses soeurs mortes par suicide[42] et de garder leur mémoire vivante. La locutrice accepte ce que Laurent Demanze identifie comme la tâche ardue qui incombe aux héritier·ère·s : « accueill[ir] en soi les fantômes » et « accept[er] une hantise fondamentale[43] », accepter que son corps « devien[ne] tombeau[44] ».

Que leurs personnages choisissent de vivre ou de mourir, l’impact de Nelly Arcan se fait toujours fortement sentir dans la littérature des femmes d’aujourd’hui. À mon sens, le fait que des oeuvres telles que Trente et Mon ennemie Nelly octroient à Arcan une place centrale montre à quel point son influence est loin d’être uniquement une affaire de style. C’est la pensée d’Arcan, son regard sur le monde – sur les contraintes de genre, sur le non-sens de ce qu’on présente comme « le bonheur » – qui sont reconnus comme prescients. Les exemples de Darsigny et de Rosso, par leur différence même, illustrent également la richesse de l’oeuvre d’Arcan : chez la première, la voie du no future s’ouvre comme un espace de liberté ; chez la seconde, en revanche, on garde l’espoir de sortir du défaitisme, en vue de créer un monde habitable pour les prochaines générations de filles.