Abstracts
Résumé
La critique littéraire, assez abondante pour ce qui est des deux premiers récits de Nelly Arcan, Putain (2001) et Folle (2004), mais plus variable quant aux autres oeuvres de l’écrivaine (L’enfant dans le miroir, À ciel ouvert, Paradis, clef en main, Burqa de chair), a abordé un certain nombre de questions thématiques, génériques et scripturaires : le corps dans ses rapports à l’abjection, à l’assujettissement du sujet féminin, à l’agentivité « négative », à la chirurgie plastique ; la prostitution ; les stratégies de fictionnalisation de soi ; la réécriture de certains mythes de l’imaginaire occidental, entre autres. Née d’un souhait de renouveler les études arcaniennes, la présente étude se place dans le contexte de l’éthique du care, notamment en ce qui a trait au souci d’autrui basé inextricablement sur le souci de soi (dimension morale du care selon C. Gilligan, F. Brugère, S. Laugier, P. Paperman). Le care, dans plusieurs textes de Nelly Arcan, s’avère à double tranchant : s’il paraît parfois possible sous forme d’échange (prostitutionnel ou amoureux), il paraît impossible en termes de valeur relationnelle, tant l’exigence de former des liens avec l’autre atteint la démesure, tant elle devient insoutenable pour autrui et pour soi.
Abstract
Literary criticism, fairly ample for Nelly Arcan’s first two novels, Putain (2001) and Folle (2004), but less varied with regards to the author’s other accounts (L’enfant dans le miroir, À ciel ouvert, Paradis, clef en main, Burqa de chair), has dealt with a certain number of thematic, generic and scriptural questions: the body in its relationship with abjection, with subjection of the female subject, with “negative” agency, with plastic surgery, prostitution, self-fictionalization strategies, and the re-writing of certain myths of the Western imaginary, among others. The product of a desire to regenerate Arcanian research, the present study locates itself in the context of care ethics, particularly in that which addresses concern for others inevitably based on concern for oneself (the moral dimension of care according to C. Gilligan, F. Brugère, S. Laugier, P. Paperman). Care, in several of Nelly Arcan’s writings, proves to be a double-edged sword: if at times it seems possible in the form of an exchange (as a prostitute or a lover), it seems impossible in terms of relational value. The requirement to connect with the other grows to be so excessive that it becomes unbearable for others and for the self.
Resumen
La crítica literaria, que ha sido bastante abundante para los dos primeros relatos de Nelly Arcan, Putain (Puta) (2001) y Folle (Loca) (2004), pero más variable para sus demás obras [L'Enfant dans le miroir (El niño en el espejo), À ciel ouvert (A cielo abierto), Paradis, clef en main (Paraíso, llave en mano), Burqa de chair (Burka de carne)], abordó una serie de cuestiones temáticas, genéricas y escriturales: el cuerpo en su relación con la abyección, con el sometimiento del sujeto femenino, con la agentividad "negativa", con la cirugía plástica; la prostitución; las estrategias para ficcionalizar el yo; la reescritura de ciertos mitos del imaginario occidental, entre otros.
Nacido de la voluntad de renovar los estudios arcanos, el presente estudio se sitúa en el contexto de la ética del gustar, en particular en lo que se refiere a la preocupación por los demás basada indisolublemente en la preocupación por uno mismo (dimensión moral del gustar según C. Gilligan, F. Brugère, S. Laugier, P. Paperman). El gustar, en numerosos textos de Nelly Arcan, se muestra con doble filo: si a veces parece posible en forma de intercambio (prostitucional o amoroso), se presenta imposible en términos de valor relacional, tanto que la exigencia de establecer vínculos con el otro llega al exceso, hasta el punto de volverse insoportable para el otro y para sí mismo.
Article body
Serait-ce la faute aux astres, à l’analogie de leur mouvement qu’établit la narratrice de Folle avec la « mort thermique[1] » qui les guette inéluctablement et expliquerait l’effet d’absence de lien sur les relations humaines ? Face à l’échec amoureux avec l’amant français, la narratrice Nelly imagine une « autre fin possible » (F, 173), marquée par « une solitude et une tristesse insoutenables pour la pensée humaine » (F, 174), en se rappelant les propos du père de l’amant quant au mouvement centripète qu’effectuent les astres : « En vérité les astres s’éloignaient de plus en plus les uns des autres dans une expansion de plus en plus rapide vers l’extérieur, expansion qui repoussait à l’heure actuelle des frontières déjà inatteignables. » (F, 174) Et la narratrice de poursuivre, au conditionnel, sur les conséquences de cet éloignement progressif, aussi naturel qu’inévitable : « Dans le manque de proximité les astres pourraient entrer en un refroidissement progressif rendant un jour impossible le mouvement qui les anime : le feu de l’univers pourrait aussi bien s’éteindre une fois pour toutes, alors l’univers n’aurait plus qu’à tomber en poussière. » (F, 174) Le désastre de « la mort thermique » due à l’éloignement des uns par rapport aux autres paraît, dans l’oeuvre de Nelly Arcan, comme une métaphore englobant les diverses formes de « relationalité[2] », de ces liens avec autrui qu’entretiennent si difficilement les personnages d’un texte à l’autre. Vocable au coeur de l’éthique du care, la « relationalité » permet de désigner les différentes modalités du « prendre soin » d’autrui, dont Arcan explore la fragilité, voire l’échec, souvent, entre 2001 et 2009. C’est donc le paradoxe d’un « prendre soin » comme desideratum et comme limite que nous nous proposons d’interroger, en nous penchant sur la configuration des personnages et leur aptitude (ou inaptitude) à faire lien. Pour Fabienne Brugère, les « tâches de soin », qui favorisent le développement d’« un sens de l’attention aux autres, de la responsabilité et de l’entraide », sont « un sérieux antidote à une psychologie qui ne prend en compte que l’intérêt personnel des individus à agir ou la construction d’un moi autonome refermé sur lui-même[3] ». Cette psychologie est caractéristique d’un monde « qui ne dispose pas du langage adéquat pour exprimer et faire reconnaître tout ce qui relève du travail du “prendre soin” et du […] bien-être des autres[4] ». Le monde que décrit Fabienne Brugère est celui dans lequel évoluent les personnages de Nelly Arcan, celui de « nos sociétés industrialisées » où l’écrivaine observe « la déresponsabilisation [des] citoyens face à la misère de leurs proches[5] ».
Qui se soucie (véritablement) de l’autre dans l’imaginaire de lutte symbolique, de rivalité entre femmes, de déceptions en série, de folie, de course aux apparences, de suicides ratés et autres catastrophes existentielles qui se dessinent toujours à l’horizon chez Arcan ? Qui prend soin de qui dans une relation – transactionnelle dans Putain, amoureuse dans Folle, amicale ou ennemie dans À ciel ouvert, filiale dans Paradis, clef en main, par exemple – et, surtout, dans quelle finalité, à quelles conditions ce « souci des autres[6] » est-il admis dans l’oeuvre de l’écrivaine ? S’agit-il de retarder – puisque l’empêcher paraît impossible – l’éloignement des sujets humains, leur expansion vers l’extérieur, pour filer la métaphore de la pensée analogique astrale évoquée plus haut ? Qu’en est-il du souci de soi, de ce self-care censé préserver le care giver de s’abîmer dans la relation avec l’autre, en respectant ses propres limites justement ? La sollicitude et, de manière générale, la perspective du care sont bien plus complexes, notamment en littérature contemporaine[7], qu’une affaire de sexe ou de genre, même s’il faut constater que les personnages féminins semblent davantage témoigner d’une caring attitude que leurs homologues masculins ; elles sont en tout cas davantage conscientes de la nécessité d’une pratique éthique qui « vaut comme souci de sujets relationnels[8] », rendant compte « de la vulnérabilité dans l’autonomie, de la subjectivation dans la personne, de la sollicitude et du soin dans la justice[9] ».
Nous posons que dans l’univers arcanien, de Putain[10] à Burqa de chair, en passant par Folle, L’enfant dans le miroir[11], À ciel ouvert[12] et Paradis, clef en main[13], si les personnages tissent des liens avec des gens de leur entourage (clients, parents, amis, amoureux, collègues de travail, rivales) à un moment donné de l’intrigue, ceux-ci finissent par se défaire, causant des dégâts souvent irrémédiables. Aussi, si les protagonistes tombent follement amoureuses, si elles se disent prêtes à certains sacrifices pour se conformer aux fantasmes de l’autre, si elles sentent bien l’interdépendance relationnelle, notamment dans le cas des mères-filles ou dans celui d’un handicap physique, l’idée de maintenir le lien à long terme semble d’avance vouée à l’échec. La fatalité d’une relationalité souvent précaire, perçue comme ambivalente par la plupart des personnages (féminins et masculins) malgré leur désir de faire preuve de sollicitude à l’égard d’autrui, sera à creuser comme nouvelle question à adresser au corpus arcanien. Au-delà des thèmes de l’échange prostitutionnel, de la folie des narratrices, de la tentation du suicide, de l’anorexie et de l’obsession du corps féminin chirurgicalement refait, entre autres, abondamment étudiés par la critique des dernières années[14], nous nous pencherons sur trois aspects liés à la problématique d’un care (im)possible, c’est-à-dire envisagé tel un idéal relationnel mais vécu ultimement comme une défaite, le début d’une chute libre.
Dans cette étude, il s’agira de relire les oeuvres d’Arcan à la lumière de la dyade sollicitude/soin et de la notion de relationalité afin d’interroger la difficulté récurrente des personnages à préserver ce qu’on appelle le lien social. Si les voix narratives ont tendance à suggérer la piste explicative de l’enfance, le couple dysfonctionnel que constituent presque toujours les parents dans l’imaginaire arcanien, nous verrons que la véritable explication semble résider dans une faille quasi originelle, une maladie qui ne porte pas de nom ou, pour le dire autrement, un mal de vivre que le contact avec autrui ne fait paradoxalement qu’amplifier. Ce contact, comme nous le montrerons ensuite, se base sur des affinités électives qui se révèlent toutefois illusoires, ce qui ne creuse que plus profondément la blessure toujours déjà là. Nous nous intéresserons enfin aux déclinaisons du self-care, peu opérant, voire autodestructeur, en raison de la démesure qui l’accompagne.
SOLLICITUDE ET RELATIONALITÉ
La « sollicitude suppose du lien », écrit Fabienne Brugère dans Le sexe de la sollicitude ; elle poursuit en notant que le souci des autres, dans la perspective d’une éthique du care, fait partie d’un réseau de participation affective ou existentielle : c’est une « forme primaire de la relation active aux autres[15] ». Il serait pourtant erroné de croire que tout lien fort ou faible entre des êtres humains puisse être synonyme de care : l’ajout de l’épithète « active » indique que, pour la philosophe, toute relation de sollicitude est une affaire dynamique, qu’elle présuppose une tension vers l’autre, comme le suggèrent par ailleurs plus clairement l’équivalent allemand « Fürsorge[16] » et le terme anglais « care » presque systématiquement accompagné d’une préposition (« to care about », « to care for », etc.). Être en lien ne suffit pas, il faut que ce lien s’accompagne du sens de la responsabilité à l’égard d’autrui. Aussi l’éthique du care implique-t-elle forcément une « attention au particulier », un « souci du particulier », des « liens que nous avons à un ensemble de personnes, des proches[17] », conditions fondamentales du vivre-ensemble et propres à tout sujet humain. C’est en ce sens que nous inscrivons notre réflexion sur le care (im)possible chez Nelly Arcan dans une éthique féministe qui s’affranchit non seulement des « bons sentiments », mais également (ou surtout) de la « méprise sur l’attribution du “prendre soin” aux femmes[18] ».
Chez Arcan, le lien ne suppose pas nécessairement la sollicitude et ne la suscite certainement pas : le désir des narratrices et des protagonistes de s’attacher aux autres se présente plutôt comme une manière de ralentir l’échec d’une relation ou la chute qui adviendra de toute façon. Les personnages ne semblent guère se soucier de manifestations affectives réelles dans le lien qu’ils entretiennent avec les autres. Ils s’engagent plutôt, lorsqu’ils y parviennent, dans un échange servant à combler les besoins des deux partis. Or, comme le souligne Fabienne Brugère, « les liens humains ne peuvent être ramenés à des échanges marchands[19] ». Effectivement, la transaction entre les personnages arcaniens fonctionne durant un temps limité, jusqu’à ce que la personne avec qui s’est formé le lien cesse de ressentir les mêmes besoins et regarde ailleurs pour en satisfaire de nouveaux. À ce moment fatidique de la relation, les protagonistes féminines surtout – il faut bien faire cette distinction – se dépensent en essayant de s’accrocher, en vain, à l’espoir de trouver en l’autre une protection contre le monde et contre soi-même.
Ainsi, dans Folle, à travers la mesure du temps s’exprime la force du lien entre la narratrice-protagoniste et son amant, mais aussi sa nature éphémère. Durant la première phase de leur liaison, Nelly et le journaliste français ne peuvent se séparer pendant plus de quatre heures sans ressentir le manque l’un de l’autre. L’amant est alors le premier à « appeler au secours » en téléphonant à la narratrice pour lui exprimer son besoin de la revoir. Comme dans un petit jeu de pouvoir, Nelly laisse le premier coup de fil sans réponse, ne décrochant le téléphone qu’au second, pour étirer le plaisir, et le réconfort qui en est tiré, de ressentir la dépendance que son amant éprouve envers elle. Au fil des semaines, la relation de pouvoir s’inverse toutefois :
Ensuite le temps passé sans me voir et sans panique a augmenté toujours plus, je me souviens que les chiffres doublaient avec précision à une fréquence régulière ; après deux mois c’était douze heures, après trois mois, vingt-quatre heures, après quatre mois, quarante-huit heures, à la toute fin tu ne voulais plus me voir que de loin en loin, ta limite de temps sans panique se reportait à trois semaines.
F, 33-34
L’espacement progressif des heures, des jours et des semaines désigne à la fois la rupture à venir et l’inévitable suicide de la narratrice[20], que seule une relation symétrique de care mutuel aurait pu remettre sinon à jamais, du moins à plus tard. Dans la même logique, Nelly, enceinte de son ex-amant, retarde l’avortement à la dernière minute dans une tentative « de [l]e [l’ex-amant] retenir le plus longtemps possible après [s]on départ » (F, 69), en pensant aussi « que le bébé et [elle] […] pourrai[en]t se sauver mutuellement la vie, qu’en ayant tous les deux la corde au cou [ils] établirai[en]t entre [eux] un pari d’endurance » (F, 69). Le foetus ne saura sauver la mère de la mort annoncée dès les premières pages du récit[21], ni préserver le couple où la sollicitude n’est pas une valeur partagée. De plus, la fatalité qui pèse sur les personnages arcaniens[22] plane tout autant au-dessus des relations de care qu’ils nourrissent pendant un certain temps, jusqu’à ce qu’elles explosent comme les étoiles, éjectant avec elles la lumière qu’elles ont apportée momentanément à la vie des protagonistes.
Comme dans un mouvement de balancier, la sollicitude bascule chez Arcan entre « grandeur » pernicieuse et « misère » relationnelle[23], pôles opposés d’un continuum de care où il n’y a que rarement un juste milieu. Les théoriciennes du care insistent là-dessus : l’absence de relations de pouvoir, la symétrie du rapport entre care giver et care receiver ainsi qu’une certaine distance sont les conditions sans lesquelles le care peut se renverser en son contraire[24]. Or combien de fois, justement, le souci d’autrui se fait-il trop insistant[25] dans Folle et À ciel ouvert, combien de fois, ailleurs, dans L’enfant dans le miroir, Paradis, clef en main ou « La honte », récit inclus dans le recueil posthume Burqa de chair, la tentative de témoigner du care révèle-t-elle que le lien entre deux sujets tient du leurre ?
LES AFFINITÉS ÉLECTIVES : UNE ILLUSION À PERTE DE VUE
Les liens qui se tissent puis se défont manquent, en effet, de réciprocité dans l’univers de Nelly Arcan, élément essentiel pourtant à toute relation de care active qui fonctionne[26]. L’asymétrie créée par cette situation provoque la séparation et isole les individus dans une indépendance forcée qui blesse les personnages. Pourtant les protagonistes féminines, généralement point focal de la narration, ne sont pas dupes de la difficulté à construire des liens, allant parfois jusqu’à se convaincre de les éviter. Dans À ciel ouvert, Julie, l’une des deux protagonistes, semble de prime abord accepter l’absence de liens entre les gens comme un résultat naturel du passage vers la vie adulte : « Julie en était à un âge où la vie séparait les amis et où les enfants achevaient de séparer ceux qui étaient restés en lien, et ce n’était pas dramatique, et ce n’était même pas dommage, c’était juste comme ça, rien de plus, mesurait-elle sans ironie, quand elle y songeait. » (ACO, 8) On s’étonnera devant la nonchalance de ce constat qui ouvre le récit lorsqu’on lira plus tard que Julie ne peut pas faire preuve de détachement envers le monde, parce qu’elle ne supporte pas les effets dévastateurs de l’indifférence sur la personne qui en est l’objet :
L’indifférence était un état qui l’avait longtemps consternée parce qu’elle en était incapable, étant ce vide qui la laissait seule, ce vertige pour elle qui le voyait de l’extérieur, ce ni chaud ni froid du sentiment qui était son envers, le degré zéro de la réaction qui lui faisait si mal, réduite à ce zéro, même pas digne de mépris.
ACO, 49-50
La scénariste s’infligera toutes sortes de blessures physiques pour combler les besoins sexuels du photographe de mode Charles, excité par les entailles et les boursouflures ; ce nouvel amant qui devait « lui redonner le jour » (ACO, 10), la sauver de sa léthargie amoureuse depuis sa dernière séparation avec « Steve Grondin, la plus grande douleur de sa vie, celle qui lui avait été fatale » (ACO, 12). Mais au lieu de faire preuve de bienveillance et de prendre soin de l’autre, Julie et Charles s’abîment l’un dans l’autre : « Être en couple avec toi c’est se faire mal. Se briser intentionnellement. » (ACO, 192) Nul besoin de revenir sur la rencontre désastreuse du couple dans Folle, sinon pour rappeler que, comme dans À ciel ouvert, tout ce qui plaît d’abord aux amoureux devient vite source d’irritation, raison de leur rupture : les affinités amoureuses se révèlent illusoires chez Arcan.
Dans Paradis, clef en main, Antoinette, la narratrice, est depuis l’enfance incapable de former des liens avec son entourage. Un désir de mort très puissant, similaire à celui de son oncle suicidaire Léon, explique son sentiment d’être dans l’« impossibilité de se reconnaître, de se situer dans la démarche humaine, planétaire, en avant tous, où chacun est lié par la peur commune de mourir » (PCM, 136), peur que la narratrice ne partage pas (PCM, 137), n’ayant, au contraire, pas les « moyens » de regretter son manque d’intérêt envers les autres (PCM, 196). Son incapacité à participer à la « grande partouze des affirmations sur la vie » (PCM, 136) fait qu’Antoinette ne se sent pas appartenir « à leur espèce » (PCM, 196), « les côtoya[nt] sans qu’ils [la] concernent, sans qu’ils [la] touchent » (PCM, 118). Son oncle Léon est la seule personne avec qui elle arrive à entretenir une relation, dont le noeud est la reconnaissance de leur différence par rapport aux autres. Cette ressemblance entre l’oncle et sa nièce fait en sorte que celui-ci, avant sa mort, devient une figure de care pour la narratrice jeune, qu’il sait soigner « comme on soigne les mourants : en les sachant d’avance intraitables » (PCM, 119). Si le lien entre eux se préserve, même au-delà de la mort, c’est justement parce que Léon ne cherche pas à tirer Antoinette du côté de la vie. Au contraire, c’est au suicide qu’il la prépare, voulant la « sauver de toutes les autres tentatives inefficaces[27] » (PCM, 148).
Or on comprend que ce n’est pas par sollicitude que l’oncle aurait agi ainsi, mais plutôt par une sorte de care narcissique, aux confins d’une perversion assez égoïste :
Ce n’est pas moi qu’il aimait. Il aimait que j’aie envie de mourir autant que lui, il aimait reconnaître sa propre dévoration, son autocannibalisme, il chérissait en moi la miniaturisation de lui-même, il aimait voir dans mes yeux la genèse de son propre désespoir. J’étais sa fleur du mal, celle dont il prenait soin.
PCM, 151
Qui s’étonnera que la protagoniste de Paradis, clef en main aboutisse à la conclusion que Léon ne l’a pas aidée par son affection, mais qu’il lui a plutôt « fait mal au-delà de tout » (PCM, 164) ? Peuplant les récits d’Arcan, ces « êtres à moitié morts » (PCM, 135), évoluant en marge de la « démarche humaine », s’attachent au fil de leur trajectoire descendante à quelques êtres humains, comme on tente futilement, au moment où l’on tombe, de s’agripper à des objets, bien sûr incapables d’arrêter la chute.
Une de ces chutes libres est justement mise en scène dans « La honte », où Arcan fait parler une Nelly à la troisième personne, racontant l’épisode qui la fera basculer sans retour dans la folie à la suite de son apparition dans une émission québécoise de grande écoute[28] : venue y faire la promotion de son dernier roman, elle ne récoltera qu’humiliation. Nelly ressasse cet événement jusqu’à la folie, jusqu’à ce que la honte même, lien paradoxal la maintenant en vie, la déserte. Dès lors s’ouvre une ligne de faille entre la narratrice-protagoniste et son entourage : d’un côté, certains, comme sa mère et l’une de ses amies, n’arrivent plus à la soutenir, soit par manque d’empathie dans le cas de Caroline ou par incapacité à se rendre de nouveau disponible dans celui de la mère qui, pour l’une des rares fois dans l’univers arcanien où les parents sont plutôt avares en matière de care parental vis-à-vis de leurs enfants, « s’était tant donnée que par donation trop généreuse elle avait failli y rester » (BC, 139) ; d’un autre côté, c’est Nelly elle-même qui développe une aversion aux manifestations les plus banales du lien social, ce « contact humain » caractéristique du monde d’avant l’événement traumatique de la honte :
Diane, la plus bouleversée des amis de Nelly, et de fait la moins efficace, s’essuyait par moments le coin humide de son oeil du revers d’une main et tenait de l’autre celle de Nelly. Nelly n’appréciait pas ce contact humain mais l’acceptait en souvenir de comportements passés comme faire la bise et dire ça fait un bail, comment vas-tu, elle le tolérait en mémoire de l’autre Nelly, celle de l’ancien monde, d’avant l’Apocalypse. Celui où elle était encore capable d’avoir honte.
BC, 131 ; l’auteure souligne
Dès lors que se creuse la fracture entre un monde d’avant et un monde d’après « l’Apocalypse », toute relationalité paraît vaine face au sentiment de honte. La narratrice se trouve, comme d’autres « Nelly » avant elle, au bord du précipice ; l’abîme s’ouvre, elle ressemble non à une apocalypse mais, dans une vision hyperbolique très arcanienne, à l’Apocalypse (biblique) avec un grand A.
Effet de la honte, la folie rend Nelly absente aux amis qui forment pourtant une « commission » pour essayer de la protéger d’elle-même, un « cordon sanitaire autour de Nelly pour lui éviter les traitements humiliants de l’hospitalisation […], pour que, sous la pression de pensées obsédantes, ne survienne pas l’irréparable » (BC, 135). Mais cette gentillesse, qui « était tout ce qu’elle demandait au monde » (BC, 102), arrive trop tard : Nelly n’y semble plus réceptive.
Lame à double tranchant, le lien avec autrui maintient en vie tout en précipitant certains personnages vers la mort. La scène ambiguë qui clôt « La honte » est à cet égard éloquente, métonymique des conséquences des liens précaires entre les individus. Cherchant à se protéger de la menace qu’elle ressent devant l’un de ses clients, Nelly essaie de le fuir en sautant dangereusement d’un balcon à l’autre de l’immeuble où elle offre ses services prostitutionnels. Le client lui tend la main en lui disant des paroles rassurantes : « Allez, monte, n’aie pas peur. Je ne te ferai pas de mal » (BC, 148), auxquelles elle s’accroche face au gouffre ouvert sous ses pieds. Leurre ultime, « [a]u moment où elle allait s’asseoir sur la balustrade, au moment où elle allait être sortie d’affaire, il relâcha sa main » (BC, 149). La confiance en l’autre aura accéléré la chute de la protagoniste.
ENVERS ET TRAVERS DU SELF-CARE
D’où vient, malgré tout, ce besoin de s’accrocher à autrui pour assurer, sans véritable garantie, sa propre survie ? Pourquoi la quête d’une relationalité est-elle à la fois nécessaire et nocive, puisque toujours signée par un échec, dans l’imaginaire arcanien ? Ce qui semble faire défaut, ce sont les figures parentales, à l’origine de la « tare[29] », ces êtres qui mettent au monde des enfants dont ils ne savent pas prendre soin, souvent parce qu’ils ont été et sont eux-mêmes en manque de care. Les mères, négligées par des époux insouciants et insensibles[30], mènent une vie larvaire en vieillissant à une vitesse fulgurante et en abandonnant à leur tour leurs filles. Les pères, occupés à coucher avec d’autres femmes (ou hommes dans le cas du père homosexuel de Rose dans À ciel ouvert), ne tournent leur attention vers leurs filles que lorsqu’elles commencent à se transformer en jeunes femmes, et que vient le moment de guetter sur elles les signes de la puberté, dans une perversité propre aux relations entre les sexes chez Arcan. Par exemple, dans L’enfant dans le miroir, le regard du père sur le corps en métamorphose de la jeune fille la précipite vers l’anorexie : ce qui apparaît d’abord comme une forme de care paternel à l’égard du développement physique de la fille est un souci malveillant qui pousse la fille à arrêter de manger pour freiner sa croissance et rester à jamais une enfant de dix ans. C’est uniquement le désintérêt du père qui permet à la fille de revenir, jamais parfaitement, à un état plus sain : « Quand mon père s’est désintéressé de mon poids en raison du détournement de sa libido sur sa maîtresse j’ai peu à peu recommencé à manger mais jamais à ma faim […][31]. »
L’absence de véritable union dans les couples de parents, notable non seulement dans cet extrait de L’enfant dans le miroir, mais un peu partout dans l’oeuvre arcanienne, a des conséquences sur le développement affectif des personnages masculins, mais laisse des séquelles psychologiques encore plus sévères chez les filles, qui n’arrivent pas à « concevoir la paire » (P, 172). Néanmoins, ces petites filles malheureuses de « n’avoir pas trouvé d’appui » (P, 100) dans leur enfance « ne peu[vent] pas renoncer à ce qu’on [leur] tienne la main » (P, 100), explique Cynthia pourtant déjà adulte. Alors, pour remédier à l’absence d’une main tendue vers elles, la plupart des protagonistes tentent de créer un lien fort, en se donnant aux autres. Ce don de soi prend souvent la forme d’une relation sexuelle nourrissant le vide qui semble inhérent à la majorité des personnages féminins : là où elles s’attendaient à voir leur relation amoureuse solidifiée, elles font face à l’abîme, à la perte de soi. Ce vide est autant spatial, donc matériellement perceptible, qu’existentiel, plus difficilement cernable et nécessitant pour ce faire un certain temps.
Tout se passe dans les récits d’Arcan comme si le souci des autres n’existait que de manière extrême : comme une offre excessive, souvent jugée irrecevable par le/la bénéficiaire, ou alors comme une absence de toute forme de « prendre soin » d’autrui. Dans les deux cas, le care paraît toujours déjà impossible, ne permettant pas d’espace, ou du moins pas un espace suffisant pour que s’y développe le si nécessaire self-care, garant d’un vivre bien en termes philosophiques. Cynthia a beau consulter un psychanalyste pour s’extirper du vide de la sérialité prostitutionnelle[32] ; la narratrice de Folle a beau prendre soin de son corps après l’avortement en s’occupant en même temps du foetus comme si c’était un nouveau-né, afin de s’éviter la folie ; Rose a beau décider de se sevrer de l’anxiolytique Ativan, le rétablissement du lien avec la Vie, pas plus que la guérison, pour rester dans la terminologie d’un care médical, n’aboutit jamais réellement.
Si les différentes formes de sacrifice et de don (de soi), qui s’apparentent à l’occasion à de véritables offrandes – pensons au « sexe d’enfant » (ACO, 179) que, grâce à une vaginoplastie, Rose souhaite offrir à Charles, tel un « sacrifice inévitable, fatal » (ACO, 179), pour garder vivants les fantasmes sexuels du photographe –, sont en même temps une modalité détournée du souci de soi, le self-care proprement dit pose problème chez Arcan : il se rapproche la plupart du temps d’une case vide que les personnages échouent en général à remplir.
Il y a lieu de se demander si le difficile, voire impossible self-care peut s’expliquer par les années de prostitution sur lesquelles reviennent tout de même souvent les voix narratives. Malgré une distance temporelle et psychologique certaine par rapport à la mise au service du corps contre des avantages financiers, ces années associées dans Folle à l’« insouciance non dirigée vers autrui » sont qualifiées par l’amant français d’« autodestruction » (F, 50). Bien que l’amant place cette idée dans le contexte d’un système capitaliste, et même s’il est d’avis que « les putes d’affaires avaient comme toutes les autres besoin de quelqu’un pour les protéger d’elles-mêmes » (F, 50), suggérant par là qu’elles en étaient incapables seules, la narratrice-protagoniste n’adhère pas à cette vision ; elle rétorque au cours de la même discussion par un argument qui se rapproche d’un élément du self-care : se référant à sa propre expérience mais généralisant le geste, elle explique qu’en jetant leur argent par les fenêtres, c’est « en fait des clients que les putes se débarrassaient » (F, 50). Cette logique d’interprétation est une manière détournée de prendre un mal pour un bien… Rendre un service prostitutionnel, prendre l’argent des clients et le dépenser en biens matériels est, certes, une manière de prendre soin de soi ; rapprocher la dilapidation de ce même argent et le désir de faire disparaître les clients peut en ce sens être lu comme une forme inconsciente de self-care. La question se pose alors de savoir pourquoi on ne pourrait procéder à l’extension du domaine du care si le bénéfice d’une attitude ou d’un comportement comme ceux de l’ex-escorte est garanti. C’est que le souci de soi atteint vite ses limites, toujours dans Folle, parce que la narratrice, face à l’amant français, ne cesse de se dénigrer en affirmant que, de près, elle n’est pas belle, que « les hommes [la] trouv[en]t souvent folle », que son malaise provoque « bien souvent le malaise » chez les autres, que « dans sa vie tout le monde y compris ses parents [a] fini par [la] laisser tomber » (F, 156). Dans cette scène où la narratrice se remémore s’être dévisagée « dans les miroirs à Nova » (F, 155), l’image de soi reflète le lien rompu entre le « je » et le « moi ». Le manque d’estime de soi semble s’ériger en obstacle à un self-care grâce auquel la narratrice aurait pu mobiliser des moyens de protection contre un amour largement égocentrique. Une fois de plus, au bout d’une relation obsessionnelle, seul un médicament est associé au bien-être de la narratrice : prendre le somnifère Serax est l’un des rares gestes de souci de soi dont Nelly se sent capable. Aussi, contrairement à l’amant pour qui « se branler voulait dire se soigner en expulsant l’infection dehors » (F, 90), la narratrice se heurte à ce constat : « Il est […] prouvé que les gens malades comme moi se prennent eux-mêmes comme cobayes, non pas pour guérir, mais pour ne pas rester passifs dans la destruction, c’est une question de dignité. » (F, 108)
Face à cette assertion dont regorgent les textes d’Arcan, et particulièrement dans le cas de ces narratrices qui se disent écrivaine ou scénariste[33], l’écriture peut-elle servir d’exutoire, peut-elle faire office d’un self-care efficace ? Retournons à nouveau dans Folle (parce que la question de l’écriture sature littéralement l’espace de la narration), où Nelly est courtisée, au bar Nova, par l’amant. Si, au début, la narratrice se sent « empêchée d’écrire » (F, 171) parce que l’autre écrit aussi – rappelons que le « tu » est journaliste mais qu’il caresse le rêve d’un projet d’écriture fictionnelle[34] –, la rupture amoureuse devient finalement le déclencheur d’une adresse à l’ex-amant sous forme d’une lettre excessivement longue, propice à la fictionnalisation de soi[35]. Tout sépare le couple dans la manière de chacun de concevoir l’écriture : en procédant par antithèses (« écrire »/« mourir au quotidien » ; une « histoire bien ficelée de l’information »/« la torture » ; « ton journalisme »/« mon écriture, nocive » [F, 143]), le sujet narrant parvient à faire valoir sa conception de l’écriture, synonyme d’« ouvrir la faille », où il est question de trahison et de ratage, d’histoires de « cicatrices » et du « sort du monde quand le monde est détruit » (F, 168). Contre toute attente, notamment après la valorisation de l’écriture « littéraire », celle-ci ne semble posséder aucune valeur thérapeutique aux yeux de Nelly ; bien au contraire, c’est une façon de se mettre « la corde au cou » (F, 172). Si, quand bien même, l’écriture de la lettre a permis de faire le tour de l’histoire « pour frapper son noyau » (F, 205), on lit dans l’excipit de Folle un de ces constats sidérants dont l’écrivaine a la recette :
En voulant le [le noyau de l’histoire] mettre au jour, en voulant y entrer, je ne me suis que blessée davantage. Écrire ne sert à rien, qu’à s’épuiser sur de la roche ; écrire, c’est perdre des morceaux, c’est comprendre de trop près qu’on va mourir. De toute façon les explications n’expliquent rien du tout, elles jettent de la poudre aux yeux, elles ne font que courir vers un point final. Cette lettre est mon cadavre, déjà, elle pourrit, elle exhale ses gaz.
F, 205
Par-delà le tragique des dernières phrases du récit, on comprend que l’écriture ne guérit pas, qu’elle ne panse aucune blessure, mais qu’en revanche, en fin de parcours, elle permet de penser la seule issue possible : procéder à l’acte de suicide envisagé depuis l’âge de quinze ans.
Thématisé explicitement, à plusieurs endroits, dans Folle, mais également déjà dans Putain, puis dans Paradis, clef en main où la paraplégie d’Antoinette est présentée comme la conséquence d’une tentative de suicide, le désir de mettre fin à sa vie paraît comme la forme la plus controversée, sans doute la plus radicale du self-care. Le suicide s’offre pourtant comme seule issue face à un monde que le souci des autres semble avoir déserté et où le seul souci de soi envisageable est essentiellement de nature matérielle (acheter des vêtements et des produits de beauté avec l’argent gagné par la prostitution pour se distraire temporairement de son mal de vivre ; s’offrir des chirurgies esthétiques régulièrement pour corriger les supposés défauts d’un corps voué à la flétrissure). Dans Putain, la narratrice explique ses fantasmes de pendaison par son besoin d’être portée, « pour ne plus avoir à mettre le pied à terre et [s]’abandonner à [s]a lourdeur de chienne tenue en laisse […] » (P, 97). Les attentes excessives vis-à-vis du psychanalyste vont d’ailleurs dans le même sens : quand elle n’est pas dans son cabinet, elle l’attend comme un « sauveur » qui devrait « l’arracher de force à ses clients » (P, 143), quitter tout pour elle. Thérapie qui relève tout de même de la volonté à se prendre en charge en réglant des problèmes de longue date, la psychanalyse n’engendre pas à terme le mécanisme d’un self-care indispensable au vivre mieux. Les résistances du sujet narrant à la vie sont telles que le care psychanalytique ne fait que suspendre un temps le suicide. Comble de l’ironie, l’aide au suicide est institutionnalisée dans Paradis, clef en main. Gérée par Monsieur Paradis[36], ancien médecin dont le fils est suicidaire lui-même, la compagnie qui donne son nom au roman a pour mission d’assister « tous ceux qui souffrent d’une souffrance dite “morale” et qui décident de ne jamais en guérir » (PCM, 19). Au fils Paradis autant qu’à Antoinette, le suicide apparaît comme un self-care, une nécessité, dans la mesure où les « laisser vivre voulait dire ne pas le[s] soigner » (PCM, 19).
La mise en scène de la mort assistée, avec le médecin au nom prédestiné, psychiatre qui n’est pas engagé pour guérir les patients mais plutôt pour arriver toujours au même diagnostic, à savoir que le « mal de vivre, ils n’en guériront jamais » (PCM, 71), a quelque chose d’un tragicomique démesuré dans ce roman d’Arcan, publié de façon posthume. Care médical et self-care (sous la forme du suicide fantasmé) sont mélangés allègrement ; le cynisme à l’égard d’une institution spécialisée dans l’assistance à la mort atteint son paroxysme ; la figure du psychiatre, associée traditionnellement à la sollicitude et au savoir-écouter, manque complètement d’empathie et de compassion : tout ce scénario est dépourvu de nuances, indiquant que, si l’intrigue était propice à la poursuite de plusieurs thèmes arcaniens, dont le désespoir, la vulnérabilité de certains personnages, la frontière ténue entre la vie et la mort, la haine de la mère, etc., le récit n’était pas encore abouti, et que le ton aurait nécessité un travail de ciselage pour être à la hauteur d’un sujet aussi « délicat » que le suicide. Ce ton adéquat, ainsi que des mots sans fioritures, Arcan les trouve dans la brève chronique intitulée « Se suicider peut nuire à la santé », par laquelle se termine Burqa de chair. Procédant par une série de négations : « le suicide n’est pas une tumeur, ce n’est pas une tache ou un furoncle, ce n’est pas une vie en moins d’un consommateur ou d’un payeur de taxes » (BC, 165), l’écrivaine-journaliste revendique le droit au suicide comme une liberté. Acte « peut-être le plus radical en dehors du meurtre », note-t-elle, il permet à l’individu d’indiquer « qu’il est possible de mourir » (BC, 165). Prendre position publiquement en faveur d’un droit qui ne va pas de soi, n’est-ce pas une forme de care et, dans le cas de Nelly Arcan, une manifestation de self-care ultime ?
+
« Il me semble que les hommes sont ainsi, qu’ils meurent au bout de leurs ressources, qu’ils crèvent tous d’avoir voulu rencontrer leurs semblables et de n’avoir, pour finir, connu que la catastrophe[37]. » (F, 205) Tirés de la dernière page de Folle, ces mots résument parfaitement l’extrême fragilité des liens entre les êtres humains, ainsi que la souffrance causée par les tentatives répétées d’en tisser. Si les personnages masculins gèrent différemment ce que nous avons désigné comme une carence de relationalité, souvent en se satisfaisant des liens temporairement créés (comme dans le cas de la liaison avec l’amant français), les protagonistes féminines en souffrent durablement : leur drame se joue vraisemblablement dans l’incapacité à renoncer au lien alors que, d’un texte à l’autre, elles savent que cette recherche constante d’une relationalité les mène à leur propre perte. Si elles essaient de maintenir une distance salvatrice avec les autres, nécessaire dans toute relation de care (entre mère et enfant, soignant·e et patient·e, etc.) ainsi que le définit Fabienne Brugère[38], elles n’y parviennent jamais tout à fait, se brûlant en cours de route, ne sachant pas comment mesurer la distance saine, celle qui pourrait les garder en relation sans les consumer. Ce serait une distance de la juste mesure, ni marquée par un détachement démesuré, ni réduite à un point tel que le soin qu’on met à la faire disparaître est si excessif qu’il en devient insupportable, autant pour autrui que pour soi-même.
Ainsi, le seul care digne de ce nom que les protagonistes féminines semblent être en mesure d’accepter et d’apporter à leur personne réside étrangement, comme souvent chez Arcan, dans « l’irréparable » : le suicide. On aurait toutefois tort de croire que les protagonistes n’essaient pas de regarder vers l’avenir ; dans « La honte », Nelly est bien lucide face au danger de ressasser le passé qui, comme l’écriture, « ne guérissait rien du tout, n’expliquait rien du tout », qui « était une mystification dont il fallait sortir pour se maintenir l’esprit sain » (BC, 118). Mue par un espoir tout relatif, elle poursuit :
Il fallait plutôt regarder devant et se projeter dans l’avenir. Il fallait repousser les mauvaises pensées pour garder espoir dans le futur. Il fallait se mettre en action et toutes ces choses-là. Nelly se projeta donc dans l’avenir et se vit dans sa robe, projet d’avenir qui la replongea sur le plateau de l’émission où elle avait été humiliée.
BC, 118-119 ; nous soulignons
Les protagonistes arcaniennes, à l’exception d’Antoinette dont le suicide raté et l’envie d’offrir une dernière consolation à sa mère avant sa mort lui font promettre de chérir sa condition de paraplégique, sont piégées dans l’impossibilité de guérir, de se sortir du cercle vicieux où la tentative de prendre soin (de soi) se solde toujours par un anti-care où les gestes amènent fugitivement une forme de réconfort avant de s’avérer funestes.
Appendices
Notes biographiques
Présentement coordonnatrice du projet de recherche « À votre service : figures ambivalentes du care dans le roman français de 1870 à 1945 » (CRSH, 2020-2023), PASCALE JOUBI détient un doctorat en littératures de langue française (Université de Montréal). Après avoir présenté en 2014 un mémoire de maîtrise sur les mythes et monstres dans Folle et À ciel ouvert de Nelly Arcan, elle a soutenu, en 2020, une thèse portant sur les représentations des Amazones comme figures modernes de la résistance dans les oeuvres littéraires et picturales françaises de la Belle Époque jusqu’à aujourd’hui. Elle a co-dirigé avec Andrea Oberhuber le septième numéro de la revue MuseMedusa : « Le retour des Amazones : pouvoir, sacrifice, communauté » (2019). Elle a également publié plusieurs articles et participé à des ouvrages collectifs, dont Les folles littéraires : folies lucides (Nota Bene, 2019), Nelly Arcan. Trajectoires fulgurantes (Remue-Ménage, 2017) et Fictions modernistes du masculin-féminin : 1900-1940 (PUR, 2016). Ses domaines de recherche sont l’écriture et l’histoire des femmes, les gender studies et la réécriture des mythes.
ANDREA OBERHUBER est professeure titulaire au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal où elle enseigne les littératures française et québécoise, notamment l’écriture des femmes (xixe-xxie siècles), les avant-gardes historiques et la photolittérature. Elle a dirigé plusieurs ouvrages collectifs et dossiers de revue (Études françaises, Dalhousie French Studies, Tangence, Mélusine, Textimage). Son essai hybride Corps de papier. Résonances est paru en 2012 chez Nota bene. Elle a co-organisé plusieurs expositions (sur l’histoire du livre illustré, la maison d’édition Gallimard, la figure de la jeune fille, la photographe Ergy Landau, le Livre surréaliste au féminin). Depuis 2012, elle codirige, avec Catherine Mavrikakis, la revue numérique MuseMedusa (www.musemedusa.com). Ses projets portent actuellement sur le care littéraire : « À votre service : figures ambivalentes du care dans le roman français de 1870 à 1945 » (équipe CRSH, avec C. Mavrikakis et S. Harel) et « La littérature comme espace paradoxal du care à travers les représentations de la criminelle » (projet FRQSC sous la dir. de C. Mavrikakis).
Notes
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[1]
Nelly Arcan, Folle, Paris, Éditions du Seuil, 2004, p. 173. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle F suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
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[2]
Fabienne Brugère, L’éthique du « care », Paris, Éditions du Seuil, coll. « Que sais-je ? », 2021, p. 3.
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[3]
Ibid., p. 7.
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[4]
Ibid.
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[5]
Nelly Arcan, Burqa de chair, préface de Nancy Huston, Paris, Éditions du Seuil, 2011, p. 166. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle BC suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
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[6]
Dans la sphère francophone, cette expression est parfois utilisée comme synonyme du terme anglais care, plus englobant, devenu le concept central d’une nouvelle éthique (féministe) inaugurée par Carol Gilligan (In a Different Voice: Psychological Theory and Women’s Development, Cambridge, Harvard University Press, 1982, 184 p.) et Nel Noddings (Caring : A Feminine Approach to Ethics and Moral Education, Berkeley, University of California Press, 1984, 216 p.) au début des années 1980. Elle mise sur la prise en compte des « voix différentes », en réaction à la morale juridique dominante représentée par Lawrence Kohlberg, entre autres. Voir Patricia Paperman et Sandra Laugier, « Préface à la nouvelle édition », Patricia Paperman et Sandra Laugier (dir.), Le souci des autres : éthique et politique du care, nouvelle édition augmentée, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, coll. « Raisons pratiques », 2011, p. 9-10. Nous privilégierons dans cet article la terminologie anglophone (care, care giver, care receiver, etc.) lorsque notre propos porte sur la tangente affective (care « émotionnel ») ou matérielle (tâches du care, care « de service »), souvent indissociables, tout en faisant appel aux notions corollaires que sont la sollicitude, la vulnérabilité et l’(inter)dépendance des sujets humains.
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[7]
Pour une introduction à l’inscription de l’éthique du care dans le champ littéraire, voir le dossier de Dominique Hétu et Maïté Snauwaert, « Poétiques et imaginaires du care », Temps zéro, no 12, 2018, en ligne : http://tempszero.contemporain.info/document1650 (page consultée le 6 janvier 2022).
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[8]
Fabienne Brugère, L’éthique du « care », p. 37.
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[9]
Ibid., p. 38.
-
[10]
Nelly Arcan, Putain, Paris, Éditions du Seuil, 2001, 186 p. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle P suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
-
[11]
Nelly Arcan, L’enfant dans le miroir, illustré par Pascale Bourguignon, Montréal, Marchand de feuilles, coll. « Bonzaï », 2007, 60 p.
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[12]
Nelly Arcan, À ciel ouvert, Paris, Éditions du Seuil, 2007, 271 p. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle ACO suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
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[13]
Nelly Arcan, Paradis, clef en main, Montréal, Coups de tête, 2009, 216 p. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle PCM suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
-
[14]
Citons, à titre d’exemples, Patricia Smart, De Marie de l’Incarnation à Nelly Arcan. Se dire, se faire par l’écriture intime, Montréal, Boréal, 2014, 430 p. ; Claudia Larochelle (dir.), Je veux une maison faite de sorties de secours. Réflexions sur la vie et l’oeuvre de Nelly Arcan, Montréal, VLB éditeur, 2015, 236 p. ; Isabelle Boisclair, Christina Chung, Joëlle Papillon et Karine Rosso (dir.), Nelly Arcan. Trajectoires fulgurantes, Montréal, Les éditions du remue-ménage, 2017, 309 p. ; Joëlle Papillon, Désir et insoumission. La passivité active chez Nelly Arcan, Catherine Millet et Annie Ernaux, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. « Littérature et imaginaire contemporain », 2018, 199 p. ; Anouchka d’Anna, Nelly Arcan : la putain lacanienne. Le continent noir de la mélancolie, Paris, Éditions des Crépuscules, 2021, 164 p. ; Léonore Brassard, L’invention de la rencontre. Contrat et transaction dans les représentations littéraires de l’échange prostitutionnel, thèse de doctorat, Montréal, Université de Montréal, 2021, 466 f.
-
[15]
Fabienne Brugère, Le sexe de la sollicitude, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Non conforme », 2008, p. 63.
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[16]
Concept présent dans la philosophie allemande, notamment chez Martin Heidegger et Hannah Arendt, le « souci de l’autre » est augmenté chez Arendt d’une composante politique pour devenir le « souci du monde » (« Sorge um die Welt »), nécessaire dans un « monde commun ». Voir le chapitre 2 (« Le domaine public et le domaine privé ») de Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, traduit de l’anglais par Georges Fradier, avant-propos de Laure Adler, préface de Paul Ricoeur, Paris, Calmann-Lévy, coll. « Liberté de l’esprit », 2018, p. 77-121.
-
[17]
Sandra Laugier, « Care et perception : l’éthique comme attention au particulier », Patricia Paperman et Sandra Laugier (dir.), Le souci des autres, p. 359-360.
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[18]
Fabienne Brugère, L’éthique du « care », p. 3.
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[19]
Ibid., p. 9.
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[20]
« [P]endant cette période-là, j’ai cru pouvoir vivre au-delà de mes trente ans. » (F, 34)
-
[21]
L’épisode des cartes de tarot que la tante se plaît à interpréter et dans lesquelles n’apparaît jamais l’avenir de la narratrice est entrecoupé du constat suivant : « Le jour de mes quinze ans, j’ai pris la décision de me tuer le jour de mes trente ans, peut-être après tout que cette décision s’est posée en travers de ses cartes non armées contre l’autodétermination des gens. » (F, 13) L’idée du suicide sera reprise aux pages 144 et 205.
-
[22]
La fatalité (dans le sens du fatum grec) à l’oeuvre dans les récits de Nelly Arcan a déjà été abordée : voir Mélikah Abdelmoumen, « Folle de Nelly Arcan », Gilles Dupuis et Klaus-Dieter Ertler (dir.), À la carte : le roman québécois, t. I : 2000-2005, Francfort, Peter Lang, 2007, p. 1938 ; Mélikah Abdelmoumen, « Liberté, féminité, fatalité : cyberentretien avec Nelly Arcan », Spirale, no 215, juillet-août 2007, p. 34-37 ; Pascale Joubi, Mythes et monstres dans Folle et À ciel ouvert de Nelly Arcan, mémoire de maîtrise, Montréal, Université de Montréal, 2014, 114 f. ; Julie Tremblay-Devirieux, L’abjection dans les récits de Nelly Arcan, mémoire de maîtrise, Montréal, Université de Montréal, 2013, 125 f.
-
[23]
Fabienne Brugère, Le sexe de la sollicitude, p. 21.
-
[24]
Ibid., p. 62-63.
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[25]
Dans les relations amoureuses, par exemple dans Folle et À ciel ouvert, les amants se détournent des personnages féminins pourtant prêts à céder aux désirs et aux fantasmes sexuels de leurs partenaires. Témoignant de leur souci de l’autre à travers le don de leur corps, du moins pendant un certain temps, les protagonistes féminines, qu’elles s’appellent Nelly, Julie ou Rose, tombent dans une démesure qui dépasse les limites d’un care recevable par l’autre.
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[26]
Fabienne Brugère, L’éthique du « care », p. 39.
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[27]
Notons que, sans le savoir, l’oncle échouera à protéger sa nièce d’un suicide raté en la dirigeant vers les services de la compagnie de suicides organisés Paradis, clef en main puisque le suicide par guillotine orchestré conduit à la paraplégie d’Antoinette.
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[28]
En 2009, Nelly Arcan était invitée sur le plateau de l’émission animée par Guy A. Lepage, Tout le monde en parle, durant laquelle l’écrivaine n’a fait l’objet que de commentaires insipides, pour ne pas dire condescendants, sur son physique, son choix de vêtements, son potentiel rôle comme modèle pour les jeunes filles québécoises, son avenir en tant que « larve » lorsque sa beauté sera fanée. Fictionnalisée dans le récit « La honte », l’entrevue télévisuelle peut être visionnée sur Dailymotion, en ligne : https://www.dailymotion.com/video/xalxbg (page consultée le 6 janvier 2022).
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[29]
Ce terme est choisi par Arcan, notamment dans Folle (154, 158, 177) et dans Paradis, clef en main (120).
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[30]
Notons que la mère d’Antoinette dans Paradis, clef en main n’a pas de conjoint, ce dont elle ne semble pas souffrir : Antoinette a été conçue par don de sperme.
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[31]
Nelly Arcan, L’enfant dans le miroir, p. 53. Pour une analyse plus approfondie de la question, voir Catherine Parent, « Le corps utopique arcanien : regards croisés sur L’enfant dans le miroir et Putain », Recherches féministes, vol. XXXIV, no 1, 2021, p. 221-235.
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[32]
Excédée par la mécanique qu’impose le métier, la narratrice pose ce constat double, dans une vrille syntaxique caractéristique de Putain, sur ce que le service rendu fait sur elle : « [I]l faut bien en retirer du plaisir en début de journée avec le premier client jusqu’au troisième car à partir du quatrième ça devient difficile, c’est la répétition qui rend ce métier dégoûtant, la répétition des mêmes gestes qui n’assouvissent plus rien ou si peu, que l’attention de l’autre dont on finit par questionner la nature, des gestes mécaniques et douloureux de poupées décoiffées qui rêvent de bronzage et de maillots de bain pendant qu’elles promènent leur bouche sur une queue, et chaque fois on se dit qu’il serait bien de rester une heure de plus, une heure encore pour avoir plus d’argent et acheter de nouvelles chaussures, une heure de plus pour faire la putain jusqu’au bout, jusqu’à l’évanouissement et même plus, jusqu’à ne plus pouvoir marcher d’être toujours à genoux et mourir écartelée d’avoir trop ouvert les jambes. » (P, 141-142)
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[33]
C’est le cas de Julie dans À ciel ouvert. Elle écrit un scénario consacré à la « pédophilie répandue mais non détectée des parents ordinaires qui ne veulent pas lâcher prise sur leurs enfants, qui les inspectent comme une possession que l’on peut retourner comme un gant, des enfants comme des sacs à main avec des parents qui les font vivre sous cloche de verre pour les retirer du monde, pour repousser les microbes et les vexations, tout cela pour leur bien, incapables de les laisser en paix une seconde » (ACO, 9). Le travail d’écriture n’est pas vraiment thématisé dans le roman de 2007, la chirurgie plastique, la rivalité entre femmes et les problèmes de dépendance, dont l’alcoolisme, l’emportant sur les aléas du métier de scénariste dans l’économie du récit.
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[34]
Ces passages font ressortir le regard ironique que porte la narratrice sur la vision quelque peu naïve de la part de son amant de ce que signifie écrire. Pour l’ironie arcanienne, peu mise en valeur par la critique littéraire, voir Rosemarie Savignac, « Méchanceté autofictionnelle dans Folle de Nelly Arcan », @nalyses, vol. XII, no 2, printemps-été 2017, en ligne : https://doi.org/10.18192/analyses.v12i2.2012 (page consultée le 4 janvier 2022), et Amélie Michel, « La violence énonciative dans Putain de Nelly Arcan : entre intériorisation et renversement des rapports de pouvoir liés à la sexualité », Études littéraires, vol. XLVIII, no 3, 2019, p. 133-147.
-
[35]
Voir Andrea Oberhuber, « Chronique d’un suicide annoncé ou la fictionnalisation de soi dans Folle de Nelly Arcan », Revue des lettres et de traduction, no 13, 2008, p. 308-314.
-
[36]
« Il a sauvé beaucoup de gens de la mort. Maintenant, il sauve des gens de la vie », lit-on à la page 96.
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[37]
Selon la pensée analogique évoquée au début de notre article, mentionnons que les prostituées sont aussi comparées aux étoiles qui exhalent des gaz lumineux en mourant : « Pour moi les putes comme les filles du Net étaient condamnées à se tuer de leurs propres mains en vertu d’une dépense trop rapide de leur énergie vitale dans leurs années de jeunesse, d’après moi elles préféreraient s’achever elles-mêmes en sentant le grondement des derniers milles plutôt que ramper dans l’existence. En se tuant elles étaient comme la lumière des étoiles mortes qui nous parvient dans le décalage de leur explosion et dont les astronomes disent qu’elle est de loin la plus éblouissante de toutes, peut-être parce qu’au moment de mourir, elles lâchent la meilleure part d’elles-mêmes comme les pendus. » (F, 93)
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[38]
Voir Fabienne Brugère, Le sexe de la sollicitude, p. 62-63.