ChroniquesPoésie

Dense est l’air[Record]

  • NELSON CHAREST

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  • NELSON CHAREST
    Université d’Ottawa

Le dernier numéro de la revue Estuaire, très beau numéro sur la danse, s’ouvre sur les mots suivants, de Martine Audet : Voilà posés, de manière douce et péremptoire, le caractère intangible mais aussi la puissance de saisie de la danse. Si un premier ensemble relie dans un même syntagme « DANSER » et « SANS CORPS », reprenant en quelque sorte la fable mallarméenne dans un condensé fulgurant, un deuxième ensemble enrichit considérablement cette donnée de base. Car ce sont alors deux autres lignes, au sens propre, qui se développent et juxtaposent, en majeur et en mineur, deux nouveaux accords : d’une part, « DANSER » et « l’air » ; d’autre part, « ses proies » et « SANS CORPS ». Entre les deux, bien sûr, le « et » de conjonction, en tous points central, car tous ces éléments sont mus par un agent de liaison indéfectible, qui conserve l’équilibre. S’il est vrai que la danse, comme le souligne la présentation du numéro, est à la fois « vivante et éphémère », témoin d’une « existence fragile, à la limite de la disparition », elle est admirablement représentée par les quelques mots d’Audet. « DANSER », non pas la musique, non pas le corps, non pas le désir, mais bien « l’air » lui-même, soit non seulement l’invisible qui nous gouverne, mais surtout l’élément parfaitement volatil, fuyant, jamais saisi : qu’y a-t-il, en effet, de plus « fragile » pour l’humain ? Mais en même temps et dans le même espace — car on n’oublie pas la force de liaison de la conjonction « et » —, ce mouvement « à la limite de la disparition » détient un pouvoir d’attraction comme nul autre mouvement ne peut en réclamer. Bien sûr, une animalité se dessine chez ces sujets fascinés par la danse, semblables à des « proies », mais cette sauvagerie pure se passe de « CORPS », elle le surplombe superbement et foudroie, ainsi, plus vivement encore. Martine Audet veut nous faire croire que cette puissance relève de la danse elle-même ; et certes, on veut la croire. Mais il faut reconnaître dans ses mots, aussi, un pouvoir au moins semblable. Les trois recueils ici commentés seront placés sous la tutelle de l’intangible. De l’intangible, mais aussi de sa force souvent bien visible, bien réelle, pour ne pas dire « mécanique », comme on dit de Dieu qu’il est l’ex machina de ce monde. Il y a peut-être en cela, sinon un reflet, du moins un refuge de notre époque : la croyance, peut-être, que derrière les affres et les désastres de la réalité se cachent des forces souterraines dont la portée est, malgré tout, indéniable. Rien d’obscur ou de secret, pas de code à déchiffrer, de cadavres à déterrer ou de rêves à dévoiler. En fait, ce qui donne sa force à l’intangible, ou ce qui le fait devenir une force, c’est essentiellement que nous sommes (devenus) aveugles — à ce qui est, simplement. L’intangible est , on le désigne sans le savoir dès qu’on pointe le doigt aveuglément, il est présent comme l’éléphant dans la pièce dont personne ne s’avise. Il est modulé dès les trois titres ici commentés : par la « danse », chez Audet, par le « talisman », chez Ouellet, et par la « lumière », chez Dumas. Chacun de ces trois poètes aura donné forme à une idée, en adoptant systématiquement un procédé d’écriture qui parcourt son recueil. Audet varie sans cesse les propositions commençant par « Je/je peux », qu’elle accouple …

Appendices