Dans Au-delà du nom. La question du père dans la littérature québécoise actuelle, Lori Saint-Martin écrit que, « [m]algré la disparition du père que certains croient observer [depuis la crise de la paternité], le père est présent en force dans le roman québécois, plus que jamais peut-être et sous des formes plus variées ». Le dernier roman de Pierre Samson, L’oeil de cuivre, fait entre autres partie d’une production toute récente qui continue de mettre ce personnage au centre de la narration. Le livre s’ouvre sur la maison familiale, cet espace qui aurait dû en être un de joie, de réconfort, d’ancrage et de fondation identitaire pour l’enfant qu’était Lévy Chamberland, mais qui s’est avéré être un lieu d’hostilité, d’animosité, de disputes aussi brèves qu’assassines. Revenant dans ce triplex de la rue Parthenais pour y faire le grand ménage, car son père, Bernard, est mourant et sa mère, Francine, est décédée depuis des années, le fils replonge graduellement dans le passé et rencontre la voisine, Marie-Belle, surnommée Gitane, au langage et à la personnalité colorés. Bien que son père lui dise et lui répète d’embaucher des déménageurs pour vider la maison pleine de « vieilles cochonneries sans grand intérêt » (56), Lévy, au nom biblique choisi par Bernard, qui ne croit pourtant en rien, s’entête à le faire lui-même. Fouillant dans les placards, les tiroirs, les boîtes et un coffret à souvenirs, cet homme distant se transforme, au fil de la narration, « en archéologue de son enfance » (143). S’il a tôt su que « [l]’amour est mort entre ces murs » (15), Lévy n’a jamais compris pourquoi ni comment. Sur fond d’agonie du père, atteint de « cette satanée sclérodermie dont personne n’avait entendu parler avant le diagnostic » (137), le roman évolue dans une quête du fils adulte qui, un peu à son corps défendant au début, découvre les fragments de vie de Bernard — les silences, les amours, les drames — qui lui permettent, petit à petit, de mieux connaître cet homme, jusque-là perçu comme un inconnu encombrant ayant vécu sous le même toit que sa mère et lui. Les rapports sont complexes dans ce roman de filiation, car si Lévy était uni à Francine — femme « glaciale » (43) « qui s’était débarrassée de tout amour possible » (144) et heureuse seulement une fois dans son cercueil — uniquement par une solidarité « factice, alimentée par un étrange fantasme, une bizarrerie collective qui cherche à lier à tout prix un homme à sa génitrice » (144), ses sentiments pour Bernard dépassent ceux associés à une rivalité banale, empreinte d’une haine envieuse contre l’un des parents : Deux événements, qui ont hanté l’enfance et l’adolescence de Lévy sans que leurs mystères lui aient été expliqués, sont à l’origine de ce sentiment aussi curieux qu’intense envers le père : le suicide de la grand-mère paternelle, Pauline, et la liaison de Bernard avec Luigi, un élève d’à peine seize ans qui suivait ses cours d’ébénisterie. Un jour, alors que Bernard est adulte et père d’« un petit bout d’homme » (158), Pauline se pend, après s’être préparé une tasse de thé. C’est à partir de ce moment que chacun vivra isolé dans son coin, dans des frontières délimitées, Francine ayant décidé que « le sang était mauvais » (158) du côté paternel et la folie certainement contagieuse : « son père s’était réfugié au rez-de-chaussée, sa mère, dans le salon aux abat-jour en velours, et lui, dans les livres » (158). Des années plus tard, Francine surprendra Bernard en pleine action avec Luigi, d’à peu …
De mort et de folie[Record]
…more information
Ching Selao
Université du Vermont (États-Unis)